Son mouvement oscille comme le métronome d'une mélodie inlassablement ressassée, rebattue depuis que la vie a fait de lui l'homme altier qu'il est devenu. Jour après jour, répétant cette succession de gestes millimétrés et pointillistes avec la rigueur et l'exigence attendue d'un officier de l'Elite, il toise l'image désincarnée de lui-même qu'il brave, qu'il interroge, coupable et hautaine à la fois en ce matin du mois de juillet 1617. Et alors que ce reflet pesant le confronte, le transperce pour mieux le déchirer intérieurement, c'est avec cette exécution militaire, forte de plusieurs années de garnison qu'il laisse serpenter la lame évidée le long de sa moue infrangible pour y soustraire une pilosité drue et affleurante et ainsi balayer d'un revers de la main les doutes qui l'assaillent.
Avec précaution, il range consciencieusement son coupe-chou et ses autres effets personnels avant de refermer le battant de l'armoire de toilette, de laisser glisser machinalement sa main calleuse sur son visage glabre et de plonger une dernière fois ses mires sur le reflet asymétrique qui l'y oppose.
Un soupir imperceptible s'échappe alors qu'il s'extrait de la salle d'eau, saisit sa chemise déposée sur un chevalet et enfile le pantalon en gabardine qui l'accompagne. Le temps d'ajuster une veste matelassée de sous-off, d'épousseter les fils dorés qu'ornent les maigres chevrons de ses épaulettes que Ian Conway se met en branle dans les couloirs labyrinthiques des quartiers alloués aux officiers mandés par l'Etat Major. Formule bassement et purement bureaucratique pour désigner les offs sur la sellette et dans notre cas présent toute la vingtième division d'élite qui se trouvait dans le collimateur des grands de ce monde et du quatrième pouvoir avide d'épingler de nouveaux faciès à la rubrique nécrologie du Mariejoie Herald. Son pas atteste d'un aplomb sans équivoque, de la confiance presque palpable d'une démarche guindée et étudiée pour qu'on doute de sa vraisemblance. Car s'il fut été une journée où il devait faire montre de toute sa confiance, c'était bien celle qui se profilait en cette chaude journée de juillet 1617.
Et cette confiance, dusse t'elle n'être qu'un artifice de façade, un faux-semblant dont la peinture pouvait aisément s'écailler si l'on savait ou la travailler, donnait aux hommes de la vingtième d'Elite la contenance et l'assurance nécessaire qui leur faisait défaut pour aller au-devant de ce tous présageait.
Conway finit par déboucher dans le hall d'un réfectoire où Fletcher, Pinkney, Monterrey, Dassenet, Kalrand et Lewis attendaient sa venue. Le moral n'est pas au beau fixe, les mines sont graves et soucieuses, leurs traits suffisamment tirés pour qu'ils ne laissent souffrir d'aucun doute sur le sommeil chancelant des soixante-douze dernières heures de ces pauvres hères. Conway n'est pas en reste, cette affaire lui scie tout autant les tripes depuis la mise au pas du commandant d'élite Henri Mercer il y a trois semaines de çà sur au front, à la gueule de Requin. Aucun d'entre eux ne pouvait jusqu'alors imaginer que le pusillanime de Mercer le pousserait à trainer ses hommes à Mariejoie et y porter l'affaire auprès des hautes instances pour y retrouver une superbe depuis trop longtemps ternie. Et c'est bel et bien la perspective de devoir faire front contre le plus respecté des anciens frères d'armes qui tiraillait les offs rassemblés dans le mutisme de ce réfectoire insipide.
Eh bien, c'est plutôt morose dans le coin.
Je te le fais pas dire. Je sens presque le carcan dans lequel je vais laisser ma tête pour l'orgueil de Mercer.
Rien n'est joué d'avance Kalrand, ne te fais plus défaitiste que tu ne l'es.
Tu as l'air bien confiant Fletcher renchérit Dassenet avant de tremper ses lèvres dans un café serré.
T'as bien été témoin du battage médiatique qu'a entraîné l'affaire. L'Etat Major cherche avant tout des coupables, Fletcher, des coupables. Et autant te dire qu'ils ne vont pas se faire prier pour envoyer au peloton d'exécution une flopée de types que tout désigne plutôt que de destituer un galonné comme Mercer.
Si vis pacem, para bellum comme on dit.
Tu te mets la rate au court-bouillon pour pas changer Kalrand. L'Etat Major n'entend que lever le voile sur l'affaire. Il n'a pas de parti pris dans cette histoire asséna Lewis sans véritable conviction avec un sourire facétieux pour donner le change et éviter toute réaction en chaîne.
Les moues renfrognées des autres offs laissaient présager leurs états d'âme sur le sujet.
Conway sent bien la défiance naissante s'insinuer dans la morosité latente, il sait bien évidemment que ces dissensions iront crescendo au fil de la journée qui s'annonce dans l'épreuve qui les lie, parce qu'ils sont bel et bien conscients que chaque impair commis par un seul parmi eux, peut octroyer à tous un aller simple à la fosse.
Tous se sont jusqu'à aujourd'hui tenu scrupuleusement à carreau au fur et à mesure que les journées se sont égrainées, présageant que leurs moindres faits et gestes étaient épiés et répertoriés là quelque part par une cohorte d'agents dépêchée pour les nuire. Pourtant, aucun ne quittera la proie pour l'ombre, dussent t'ils vivre pour cela avec cette appréhension qu'ils redoutent tout autant qu'ils craignent.
Chacun se mure dans une posture qui lui est propre, ruminant ses pensées et ses vieilles rancœurs, examinant les maigres options en leur possession pour s'en tirer avec la vie sauve. Et cette prise de conscience écorne un peu plus le reliquat d'ego qui se meurtrit dans leurs cœurs. Ils connaissent bien trop Mercer pour se douter qu'il n'a pas goupillé quelque chose d'ingénieux à leur insu et que sa version des faits doit ressembler à du béton armé.
Le commandant Lewis paraît étrangement serein comme à l'accoutumé, il respire d'une quiétude qui déjoue le pronostic arrêté que martèle le Mariejoie Herald depuis près d'une semaine. Il a le port franc et noble des officiers qui doivent faire montre de leur autorité. En première ligne, il devra essuyer et prendre à sa charge toutes les diatribes à l'égard de son commandement et en répondre devant le tribunal des armées et à l'instar de tous ses hommes, il se conforme au protocole et fera face aujourd'hui aux griefs tenus à son encontre dans les locaux du très éminent troisième bureau du Cipher Pol, quartier général des mange-merdes où pullule une génération dorée de gouvernementaux aux costards étriqués et aux cravates étroites qui l'attendent précautionneusement.
Au dehors, les "bourreaux" font le pied de grue devant l'enceinte du bâtiment, la fameuse dixième division d'élite de la capitale. Des fils de, tout endimanchés qui se rêvent de devenir charognard de la cent deuxième parce que ce serait la poursuite idéale de carrière, des gars qui ne voient leur fonction que du perron de l'atmosphère insipide de cette ville où les faux-fuyants ont été érigé au rang de norme. L'élite aussi a ses hâbleurs, ses beau parleurs enorgueillis par une hérédité bienheureuse, ses "bourreaux" qui se complaisent d'une petite vie rangée, casanière, proprette, presque frugale dans la putain du grand monde.
Loin, très loin du sacerdoce militaire d'un véritable soldat d'élite.
On les entend discuter de bagatelles, de s'esclaffer à propos de sujets divers et variés, d'histoires de comptoir du Primaire pas loin ou de la Dernière Erreur pour les plus éloignés. Tout n'est que futilités dans leurs vies arrêtées et monocordes et c'est avec cette même légèreté qu'ils accompagnent la vingitième dans le défilé des rues et avenues magistrales de Mariejoie. C'est un enchevêtrement de bâtiments impérieux qui leur ouvrent la voie et qui contrastent avec la médiocrité des bourreaux en battant le pavé. Le cortège d'hommes passe au devant de sièges d'administration, de palais, d'hôtels particuliers, de grands cabinets et de toute une multitude d'édifices dressés à la gloire de la vénérable cité. La virée citadine s'interrompt lorsqu'ils finissent par déboucher au creux d'une impasse que surplombe un énième bâtiment architectural.
Sur le parvis, déjà, on sentirait presque les relents capiteux d'after-shave qu'ont laissé dans leur sillage les agents très spéciaux qui s'affairent dans l'enceinte.
Bienvenue au Cipher Pol.
Avec précaution, il range consciencieusement son coupe-chou et ses autres effets personnels avant de refermer le battant de l'armoire de toilette, de laisser glisser machinalement sa main calleuse sur son visage glabre et de plonger une dernière fois ses mires sur le reflet asymétrique qui l'y oppose.
Un soupir imperceptible s'échappe alors qu'il s'extrait de la salle d'eau, saisit sa chemise déposée sur un chevalet et enfile le pantalon en gabardine qui l'accompagne. Le temps d'ajuster une veste matelassée de sous-off, d'épousseter les fils dorés qu'ornent les maigres chevrons de ses épaulettes que Ian Conway se met en branle dans les couloirs labyrinthiques des quartiers alloués aux officiers mandés par l'Etat Major. Formule bassement et purement bureaucratique pour désigner les offs sur la sellette et dans notre cas présent toute la vingtième division d'élite qui se trouvait dans le collimateur des grands de ce monde et du quatrième pouvoir avide d'épingler de nouveaux faciès à la rubrique nécrologie du Mariejoie Herald. Son pas atteste d'un aplomb sans équivoque, de la confiance presque palpable d'une démarche guindée et étudiée pour qu'on doute de sa vraisemblance. Car s'il fut été une journée où il devait faire montre de toute sa confiance, c'était bien celle qui se profilait en cette chaude journée de juillet 1617.
Et cette confiance, dusse t'elle n'être qu'un artifice de façade, un faux-semblant dont la peinture pouvait aisément s'écailler si l'on savait ou la travailler, donnait aux hommes de la vingtième d'Elite la contenance et l'assurance nécessaire qui leur faisait défaut pour aller au-devant de ce tous présageait.
Conway finit par déboucher dans le hall d'un réfectoire où Fletcher, Pinkney, Monterrey, Dassenet, Kalrand et Lewis attendaient sa venue. Le moral n'est pas au beau fixe, les mines sont graves et soucieuses, leurs traits suffisamment tirés pour qu'ils ne laissent souffrir d'aucun doute sur le sommeil chancelant des soixante-douze dernières heures de ces pauvres hères. Conway n'est pas en reste, cette affaire lui scie tout autant les tripes depuis la mise au pas du commandant d'élite Henri Mercer il y a trois semaines de çà sur au front, à la gueule de Requin. Aucun d'entre eux ne pouvait jusqu'alors imaginer que le pusillanime de Mercer le pousserait à trainer ses hommes à Mariejoie et y porter l'affaire auprès des hautes instances pour y retrouver une superbe depuis trop longtemps ternie. Et c'est bel et bien la perspective de devoir faire front contre le plus respecté des anciens frères d'armes qui tiraillait les offs rassemblés dans le mutisme de ce réfectoire insipide.
Eh bien, c'est plutôt morose dans le coin.
Je te le fais pas dire. Je sens presque le carcan dans lequel je vais laisser ma tête pour l'orgueil de Mercer.
Rien n'est joué d'avance Kalrand, ne te fais plus défaitiste que tu ne l'es.
Tu as l'air bien confiant Fletcher renchérit Dassenet avant de tremper ses lèvres dans un café serré.
T'as bien été témoin du battage médiatique qu'a entraîné l'affaire. L'Etat Major cherche avant tout des coupables, Fletcher, des coupables. Et autant te dire qu'ils ne vont pas se faire prier pour envoyer au peloton d'exécution une flopée de types que tout désigne plutôt que de destituer un galonné comme Mercer.
Si vis pacem, para bellum comme on dit.
Tu te mets la rate au court-bouillon pour pas changer Kalrand. L'Etat Major n'entend que lever le voile sur l'affaire. Il n'a pas de parti pris dans cette histoire asséna Lewis sans véritable conviction avec un sourire facétieux pour donner le change et éviter toute réaction en chaîne.
Les moues renfrognées des autres offs laissaient présager leurs états d'âme sur le sujet.
Conway sent bien la défiance naissante s'insinuer dans la morosité latente, il sait bien évidemment que ces dissensions iront crescendo au fil de la journée qui s'annonce dans l'épreuve qui les lie, parce qu'ils sont bel et bien conscients que chaque impair commis par un seul parmi eux, peut octroyer à tous un aller simple à la fosse.
Tous se sont jusqu'à aujourd'hui tenu scrupuleusement à carreau au fur et à mesure que les journées se sont égrainées, présageant que leurs moindres faits et gestes étaient épiés et répertoriés là quelque part par une cohorte d'agents dépêchée pour les nuire. Pourtant, aucun ne quittera la proie pour l'ombre, dussent t'ils vivre pour cela avec cette appréhension qu'ils redoutent tout autant qu'ils craignent.
Chacun se mure dans une posture qui lui est propre, ruminant ses pensées et ses vieilles rancœurs, examinant les maigres options en leur possession pour s'en tirer avec la vie sauve. Et cette prise de conscience écorne un peu plus le reliquat d'ego qui se meurtrit dans leurs cœurs. Ils connaissent bien trop Mercer pour se douter qu'il n'a pas goupillé quelque chose d'ingénieux à leur insu et que sa version des faits doit ressembler à du béton armé.
Le commandant Lewis paraît étrangement serein comme à l'accoutumé, il respire d'une quiétude qui déjoue le pronostic arrêté que martèle le Mariejoie Herald depuis près d'une semaine. Il a le port franc et noble des officiers qui doivent faire montre de leur autorité. En première ligne, il devra essuyer et prendre à sa charge toutes les diatribes à l'égard de son commandement et en répondre devant le tribunal des armées et à l'instar de tous ses hommes, il se conforme au protocole et fera face aujourd'hui aux griefs tenus à son encontre dans les locaux du très éminent troisième bureau du Cipher Pol, quartier général des mange-merdes où pullule une génération dorée de gouvernementaux aux costards étriqués et aux cravates étroites qui l'attendent précautionneusement.
Au dehors, les "bourreaux" font le pied de grue devant l'enceinte du bâtiment, la fameuse dixième division d'élite de la capitale. Des fils de, tout endimanchés qui se rêvent de devenir charognard de la cent deuxième parce que ce serait la poursuite idéale de carrière, des gars qui ne voient leur fonction que du perron de l'atmosphère insipide de cette ville où les faux-fuyants ont été érigé au rang de norme. L'élite aussi a ses hâbleurs, ses beau parleurs enorgueillis par une hérédité bienheureuse, ses "bourreaux" qui se complaisent d'une petite vie rangée, casanière, proprette, presque frugale dans la putain du grand monde.
Loin, très loin du sacerdoce militaire d'un véritable soldat d'élite.
On les entend discuter de bagatelles, de s'esclaffer à propos de sujets divers et variés, d'histoires de comptoir du Primaire pas loin ou de la Dernière Erreur pour les plus éloignés. Tout n'est que futilités dans leurs vies arrêtées et monocordes et c'est avec cette même légèreté qu'ils accompagnent la vingitième dans le défilé des rues et avenues magistrales de Mariejoie. C'est un enchevêtrement de bâtiments impérieux qui leur ouvrent la voie et qui contrastent avec la médiocrité des bourreaux en battant le pavé. Le cortège d'hommes passe au devant de sièges d'administration, de palais, d'hôtels particuliers, de grands cabinets et de toute une multitude d'édifices dressés à la gloire de la vénérable cité. La virée citadine s'interrompt lorsqu'ils finissent par déboucher au creux d'une impasse que surplombe un énième bâtiment architectural.
Sur le parvis, déjà, on sentirait presque les relents capiteux d'after-shave qu'ont laissé dans leur sillage les agents très spéciaux qui s'affairent dans l'enceinte.
Bienvenue au Cipher Pol.
Dernière édition par Ian Conway le Sam 29 Avr 2017 - 16:08, édité 2 fois