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Le septième style

Premier jour

- Ca n'a rien de bien compliqué.

- Déclencher une onde de choc ? Non. Me retenir de le faire oui.

- Te retenir de le faire avec le Fruit des Séismes. Mais le faire avec l'énergie de ton propre corps. Sinon c'est de la triche.

- J'aime tricher. Ça évite de finir six pieds sous terre, en jouant à la loyale.

- Mais tricher n'apporte rien. Triche une fois et c'est fini, n'espère pas que je t'entraîne une fois de plus.

Les échanges sont vifs à l'oral. Pourtant, la situation est relativement zen. Assise, les jambes repliées vers l'intérieur, les bras posés sur les cuisses, j'attends. Et mon formateur me regarde faire, comme s'il attendait un déclic. Je l'attends moi aussi, mais j'ai le sentiment que les mots me perturbent. Le fil de la discussion, il me reste dans la tête. Impossible de faire le vide.

- O'Murphy m'a confié une mission aujourd'hui.

- Et tu penses être à la hauteur ?

- Je ne sais pas. Je n'y suis pas encore.

- Tu as raison. Reste concentrée sur ce que tu es en train de faire. Et si ça ne marche pas, imagine que tu n'as pas de mission.

Pourtant ça m'obnubile. Je vais dans le Nouveau Monde. Une nouvelle tentative du Cipher Pol pour mettre de l'ordre sur cette île anarchique. La situation s'y prête plus actuellement, qu'il m'a dit. Que la sécurité laisse des failles. Que l'on peut exploiter.

Pourtant je compte bien arriver par la grande porte.

- A quoi penses-tu ? Tu es dissipée.

- A comment je vais m'y rendre. Sur cette île. Dans le Nouveau Monde.

En train ? C'est ma première solution et la moins infaillible. Même les cuirassés coulent sur les mers déchaînées, secouées par des maelströms qui rendent la navigation délicate. Et ça serait bien, si la Marine avait un Eternal Pose.

- Alors oublie. Essaye de penser à autre chose. A quoi penses-tu ?

Là où je vais. Autre chose. Là d'où je viens.

- Le chemin que j'ai parcouru. Syrup. Logue Town. Mon enfance, mon adolescence...

- Y es-tu retournée, à Syrup ?

- Jamais.

Je dois venir puiser les informations au fond de moi. Me remémorer l'environnement. Mais tout ce dont je me souviens, c'est de la cuisine. Du petit déjeuner. Des pilules. Ça étouffe mes sentiments, mes souvenirs.

- Essaye encore. Dis-moi.

Plus loin. La balançoire. Celle sur laquelle je me suis balancée des années. Avant de me cogner. Avant cela, les jeux avec mes amis. Nombreux. La jalousie, oui. La jalousie.

- Je me souviens de ce jour... Parfaitement ordinaire.

- Décris-le.

- J'essaye. Il faisait beau et chaud. La fin du printemps, probablement, juste avant les grandes vacances. J'étais encore petite, dans l'enseignement élémentaire. Cinquième ou sixième année, on abordait les calculs. Oui, l'école venait juste de finir.

- La mémoire. Elle stocke des images, des traumatismes, des moments de notre vie. Elle stocke aussi de l'énergie, essaye de la trouver.

Nous sommes quatre. Quatre enfants à jouer, paisiblement. Les jeux s'enchaînent et nous courrons. Nous nous épuisons progressivement à alterner les rôles. Jouer au loup, à chat, à cache-cache. Deux filles, deux garçons. A l'époque, l'un des deux m'avait déjà avoué qu'il était amoureux de moi. Mais c'était idiot, ça ne voulait rien dire. Alors j'avais répondu en riant. Mais ça ne l'avait pas froissé. Il avait oublié.

Dans la cour de l'école, les parents viennent chercher leurs enfants. D'autres partent et on leur demande : qu'ont-ils fait aujourd'hui ? Intérieurement, je réponds. Je me mets à leur place, je m'imagine tenant la main du papa, de la maman. Et je leur dis ce que j'ai fait. Travaillé les chiffres, les calculs. L'arithmétique, un mot compliqué. Mais j'aime les mots compliqués, même si je ne sais pas ce que ça veut dire. Je les retiens car ils me donnent l'impression de dire des choses intéressantes. Alors que j'arrive juste à retenir l'attention.

- C'est à mon tour d'être le loup. que je m'écrie.

Je ne sais pas si la frontière se vérifie toujours ou si je vis dans les deux moments. Mais j'ai le sentiment d'avoir trouvé la concentration qu'il me faut. Assez pour me replonger dans le passé et revivre l'événement. A mon tour de chasser, comme un vilain prédateur. Je provoque l'angoisse, la peur, l'anxiété. Est-ce que j'aime ça ? Maintenant beaucoup plus qu'auparavant. Terrifier est un moyen de se faire respecter. C'est un peu le chemin le plus facile, celui qui est pris par beaucoup des grands de ce monde. Beaucoup de parvenus. Mais là, je le fais car c'est mon rôle. Mon rôle est terrifiant et même moi il me fait peur.

Je suis le loup et je mange les moutons. Alors je cherche. Il y a quelques arbres, des bancs, des buissons bordant la cour. Le sol est dallé et mes bruits de pas préviennent. Alors une ombre se penche et je la trouve, la première. L'ombre, je tends le doigt et je dis :

- Trouvée !

A ma première camarade.

A ce moment-là, j'ai le sentiment de ne faire qu'un avec le moment passé. Que le présente ne m'importe plus. Qu'est-ce que je dois chercher ? Une forme d'énergie à l'intérieur de moi. En quoi me plonger dans les rares souvenirs de ma plus tendre enfance peuvent bien m'aider ?

- En apprenant à se connaître, on sait trouver ce que l'on cherche au fond de soi.

Encore une de ces phrases dignes de ces moines vivant dans l'isolement et la méditation. Pour mon esprit tourmenté, ça n'est pas la chose à faire. J'ai le sentiment de creuser dans un puits sans fond. Et puis je les trouve. Ils se trahissent les uns après les autres. En rigolant, en éternuant, en essayant de se cacher ailleurs. Mais finalement j'ai terminé. Et tout se finit car ce n'est plus moi le loup. Je ne fais plus peur désormais. J'ouvre les yeux, hébétée.

- Je ne vois aucune différence.

- C'est un premier pas. Tu as réussi à te réfugier dans ton subconscient, c'est déjà pas mal. Maintenant il va falloir l'utiliser. Demain.

Déjà dix-neuf heures. Le temps est passé à une vitesse prodigieuse. Cette expérience, je ne suis pas vraiment sûre de vouloir la renouveler. C'est embrasser le moment où je me suis comportée comme un véritable être humain. Non plus comme le monstre que je suis aujourd'hui. Est-ce toujours moi ?

- Je n'aime pas méditer.

- Et je n'aime pas t'entraîner.

- Alors pourquoi ?

- Parce que passer à côté de cela serait un beau gâchis. Nous recommençons demain. Oublie l'enfance et les souvenirs. Essaye juste de faire le vide comme tu l'as fait aujourd'hui. C'est bien suffisant. Demain, je veux voir ton énergie refluer.

Je soupire. Lessivée mentalement. Moi qui espérais un entraînement en dur, je suis déçue. Mais apparemment, chaque chose en son temps. Un pas avant l'autre, comme dit le vieux. Alors on se sépare. Et on se donne rendez-vous à dix heures pour la journée suivante. Sur ce même cratère rocailleux, désertique et loin de tout.
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Deuxième jour

Pas d'épreuve psychologique terrible cette fois-ci. J'en ai fait des cauchemars. Quand la psyché ressasse le moment, mais qu'il le déforme. Je préfère rester loin de mon enfance, cette fois-ci. Je ferme juste les yeux et je me concentre sur le bruit du vent. Sur les embruns des vagues qui s'écrasent tout en bas des falaises. Un son quasiment imperceptible à l'oreille nue. Mais que je peux identifier avec mon Haki. Pour fortifier le silence, mon entraîneur ne dit rien. Il se contente de rester assis en face de moi. Lui, il affirme de la trouver l'énergie. Il joue avec. Ça fait tellement longtemps, pour lui. Mais pour moi, tout ça, c'est nouveau.

Maintenant que j'arrive à me concentrer, au moins. Que la mission m'est sortie de l'esprit. Que j'ai trouvé la façon de procéder. Je peux me poser et sentir ma chair. Mon cœur artificiel qui pompe mon sang, l'envoie dans mes artères, dans mes veines. Là où ça reste organique, toutefois. Mais je peux sentir jusqu'au bout des ongles, jusque dans la pointe de mes cheveux. Et je comprends, progressivement.

Alors le temps passe, dans cette même concentration extrême. Mon esprit sonde mon propre corps, dans une introspection étrange et hors du commun. Je ne suis pas sûre de comment ça fonctionne, mais j'essaye de saisir les rouages. En partant du cœur, en remarquant la circulation du sang qui apporte de l'oxygène aux muscles. Je ferme le poing, je crispe les orteils. Je prends une bonne inspiration et identifie le chemin de l'énergie qui meut toutes ces actions.

J'y arrive.

Je sens les flux d'énergie, je peux presque les contrôler. C'est un grand mot, les contrôler. Mais les sentir, les deviner, ça c'est certain.

- Qu'est-ce que je dois faire désormais ? demandé-je donc, les yeux fermés.

- Taper.

J'ai à peine le temps de prévoir le coup surprise préparé par Raoul, de rouler sur le côté pour éviter son pied dévastateur. Il cherche à briser ma concentration ? Non, il a raison. Je n'arriverai pas à réaliser la technique ultime du sixième style simplement en restant assise. C'est physique aussi, après tout.

- A partir de maintenant, plus une seule seconde ne doit s'écouler sans que tu ne fasses une seule technique de rokushiki. Considère ça comme de l'endurance. Et de la méditation à un stade plus avancé.

Alors je m'applique. Le Kami-E est la technique la plus simple et la moins gourmande en énergie à utiliser. Grâce à ma récente découverte, je peux précisément mesurer ma consommation physique. Ce que je perds en force, comment je m'épuise. D'abord, j'effectue de grands gestes et des techniques impulsives. Puis rapidement je me rends compte de l'importance de cet entraînement. Ça n'est pas juste faire un enchaînement Geppou-Soru-Rankyaku pendant une heure, mais aussi m'économiser. Surtout.

- A partir de là, tu dois comprendre à quel point chaque coup doit être précis. Non pas pour la cible, mais pour toi.

Et je m'en rends compte. Haletante, je peine à tenir alors que mes techniques se font de plus en plus pointilleuses, effacées. Le but n'est pas de produire de grosses lames d'air ou de tout transpercer avec mes doigts, juste de tenir. Si je ne fais que générer des courants d'air ou bien parviens à me maintenir à quelques centimètres au-dessus du sol, cela suffit. Car c'est l'objectif. Pas la force, mais la durée.

- Je... commence... sacrément... à fatiguer...

Euphémisme. Je peine à tenir debout. Mes muscles me tiraillent. J'ai utilisé beaucoup trop d'énergie dès le départ. Et je peux la sentir quitter mon corps. Après, peut-être est-ce que c'est l'objectif ? Car finalement, je me retrouve partiellement immobilisée. La respiration lourde, je me retrouve lamentablement assise, à frapper la roche avec mes poings. Puis mes doigts. Et je sens que tout ce qu'il me reste d'énergie n'est plus que dans mes poings. Statique, elle se libère progressivement. De moins en moins de force dans les bras, qui effectuent des gestes de plus en plus lents. Jusqu'à ce que je sois à bout. Et qu'un dernier contact avec le sol ne produise un drôle d'effet.

Une sorte d'onde de choc balayant légèrement la poussière terrestre.

- Ah ! Bon sang j'ai cru qu'on n'allait jamais y arriver !

Malgré la fatigue, les crampes, les douleurs diverses et variées, je réitère. Jusqu'à ce que la petite vague d'air devienne davantage palpable. Avec la paume de la main, je frappe le sol tout en me projetant lourdement, comme un pachyderme. Les quelques restes d'énergie ainsi évaporés, je m'écroule, stupide. Mais avec un sourire sur le visage.

- Tu as deux jours pour récupérer. Après cela, on se retrouve ici pour la phase finale.
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Quatrième jour

La phase finale. Une appellation un peu pompeuse pour ce qui s'avère en réalité être un combat, un duel. Entre Raoul et moi, face à face. Le vieil asiatique, toujours aussi négligent. Aussi peu accommodant. Il me zieute en sachant pertinemment qu'il peut m'éclater sans aucun problème. Et si le combat devait être sérieux, j'imagine bien quelle en serait l'issue. Le vieux maître du Rokushiki possède toute une foule d'atouts dans son sac ainsi qu'une force démesurée. Mais surtout, des années de pratique assidue, sans aucune relâche, jamais.

Pourtant, il dit :

- C'est du sérieux. Je ne retiendrai pas mes coups.

- Je commence à avoir l'habitude, avec toi.

Le gaillard ricane, soulevant son marcel par intermittences pour en dégager les effluves de sueur qui le maculent. Toujours cette odeur forte qu'il traîne partout. Qui reflète bien son tempérament d'entraîneur, comme un stéréotype grossier. Facilement identifiable.

Alors il fait un premier geste, lève le pied, avance. Puis s'arrête, tout sourire.

- Nouvelle règle : pas de Rokushiki. Seulement le Rokuogan.

Je plisse les yeux, peinant à comprendre. Pas de Rokushiki ? Mais...

- Shigan Ouren.

Le Haki. Tout ce qu'il me reste pour éviter la pluie de doigts qui transpercent l'air. Qui brisent la roche. Qui s'écartent, puis recommencent. Que puis-je faire ? Esquiver, me rouler par terre, réaliser des figures gymnastiques pour me soustraire aux offensives de l'ennemi. Celui-ci commence modérément, néanmoins. Laisse de courtes pauses pour me permettre de récupérer mes appuis. Puis réitère. Et je ne peux que me déplacer, sans même pouvoir utiliser le Soru, le Geppou ou la combinaison des deux. Pas de Kami-E pour me sortir des situations difficiles, ce qui me vaut petit à petit un nombre assez conséquent d'ecchymoses. De blessures ouvertes.

- Essaye de contre-attaquer !

Je m'exécute. Me remémore le dernier entraînement, les déplacements d'énergie, la brusque onde de choc libérée avec mes mains. Sauf qu'à cause de la pression, de l'obligation de rester en mouvement, rien ne sort. J'ai perdu toute concentration et je peine à former de véritables vagues d'air. Ce n'est pas l'objectif du Rokuogan, d'ailleurs. une onde capable de fracturer les organes, de briser l'intérieur tout en laissant la couverture indemne. Non, là tout ce que je peux faire, c'est remuer l'air. Et récolter tout une série d'attaques.

Car pour contre-attaquer, il faut se mettre à découvert, il faut faire face. Ainsi, je me mange volontairement bon nombre de lames d'air qui viennent me découper dans tous les sens, en essayant de tenir bon. En essayant de toucher mon adversaire avec les paumes de mes mains. Mais il reste insaisissable. Et à force, je perds en vitalité, je perds en sang, je perds en énergie. Encore. Toujours.

J'ai une fois de plus l'impression de me faire rétamer. De ne pas être à la hauteur. Je lis la déception dans le regard de mon formateur, qui semble comprendre ma peine à remplir les conditions de son entraînement. Incapable de me débattre, je ne peux qu'encaisser comme un vulgaire poteau en bois, un épouvantail ridicule. Les jambes meurtries, les bras en compote, recouverte des quantités de sang incommensurables que je perds, je tiens plus du zombie que de l'agente désireuse d'apprendre de nouvelles techniques pour atteindre ses ambitions. Car le Rokuogan est un prérequis officieux pour les chefs d'équipe du CP9. Puisque Larson le maîtrise, je me dois de faire de même. Ou essayer.

Mais la muraille est haute et je continue à la place de m'éclater contre le mur. Raoul, qui peine à freiner ses coups, voyant que je ne suis pas à la hauteur, espère un déclic. J'en suis réduite à faire pareil. Et quand un énième Shigan vient percer ma carapace et m'atteindre cette fois-ci en plein milieu du ventre, juste sous la poitrine, je sens mon regard se voiler.

Et mon corps sur le point de s'effondrer.
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Septième jour

L'échec. Le goût amer dans la bouche qui n'est pas seulement celui de la bile ni celui du sang. C'est ce que j'ai dû supporter ces derniers jours, après ma défaite écrasante contre Raoul. Ma défaite écrasante dans mon apprentissage.

- Tu t'en remettras. Il y aura d'autres moments.

Encore bien mal en point, le passage aux soins intensifs m'a valu toute une ribambelle de bande et de pansements stupides. Et inutiles. Comme cela, j'ai l'air de rien et j'inspire la pitié. Mais quand je les enlève, je me prends automatiquement une rouste du coordinateur qui me dorlote comme si c'était moi l'handicapée ici. Toutefois, j'accepte son café. Plus par flemme de le faire qu'autre chose. Broyant du noir, il me faut au moins un petit jus pour me remettre dans le bain. J'ai tout un tas de paperasse à étudier, tout l'historique d'Arcadia à éplucher. Plusieurs siècles à survoler, mais je me passerai volontiers des moments où tout allait bien dans le pays. Pour directement m'atteler à ceux où tout allait mal.

Le coordinateur, qui sait visiblement plus trop où se mettre et a un peu investi mon bureau en mon absence, s'éloigne finalement. En direction de la porte. Me laisser tranquille est une bonne idée, même si je peux avoir besoin de lui à tout moment pour des renseignements précieux, subsidiaires. Toutefois, je ne le retiens pas. Enfin, ce n'est pas vraiment moi qui m'en charge. Plutôt un autre des agents. Une nouvelle recrue. Un type grand, fort, avec une tête incroyablement plate et des oreilles décollées. Le front en retrait, visiblement un type qui ne respire pas trop l'intelligence. Mais l'habit ne fait pas le moine. En tout cas, il n'est pas là pour taper sur quelqu'un, cette-fois. Mais pour m'apporter quelque chose visiblement. C'est son excuse, au moment où il jaillit dans la pièce en bousculant l'handicapé sur son chemin.

- Bwoups, désolé vieux.

- Ouais. La prochaine fois, n'oublie pas que mon poing peut se situer au niveau de tes couilles, vieux.

- C'est pour quoi ? que j'dis, mettant fin à leurs conneries.

J'ai pas que ça à foutre, alors abrégeons. Le type vient donc se coller à mon bureau, penaud, pour y déposer un mot. Un petit papier avec quelques lettres gravées dessus. Une écriture minimaliste que je reconnais trop bien.

- M'sieur Raoul qui m'a dit de vous donner ça.

Ouais, je vois bien. Et d'ailleurs je suis déjà en train de retirer mes bandes et tout mon attirail qui me donne l'impression d'être une vétérane fantoche. Mon cul, je peux encore tenir debout.

- J'y vais.

Alvaro me regarde avec ses grands yeux de docker. Il essaye de me faire passer un message, du style "c'est pas bien, tu devrais pas". Fichtre, c'est pas moi l'handicapée ici. Je le lui rappelle en lui donnant un coup de pied dans la roue de son fauteuil. Ça lui plaît pas, visiblement, mais c'est un peu l'objectif. Alors il prend son temps pour trouver sa réplique, mais je suis déjà trois pièces plus loin quand je l'entends. Enfin, c'est l'intention qui compte.

- A ton retour, tu te démerderas pour te le faire toi-même, ton café !


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Dim 11 Sep 2016 - 2:23, édité 1 fois
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Une heure plus tard

Nous y revoilà. Tous les deux, dans ce fameux cratère où je me suis écroulée, en sang. Je reviens, avec quelques blessures à vif. Le fait d'avoir retiré mes bandages un peu brusquement. Mais il n'y a pas mort d'homme, je m'en remettrai. En fait, je m'interroge. Sans dire bonjour, j'alpague le vieil homme au moment où il me rejoint, bondissant gaiment entre les pierres. Avec son regard toujours livide et son marcel crasseux.

- Je croyais que tu ne donnais pas de seconde chance ?

- Seulement si tu triches. Et tu n'as pas triché une seule fois.

Vrai, c'étaient les termes de l'accord. Cette fois-ci, je suis venue avec un drôle de sac. Plein de bande de gaze et autres cochonneries pour éviter l'hémorragie. Le cœur mécanique, c'est pas mal pour éviter de crever en un instant, mais les pansements, apparemment ça fonctionne bien aussi. Enfin, jamais aucun bout de tissu n'a véritablement sauvé un homme. Placebo plus qu'autre chose, je rejoins l'idée générale et j'abdique. Je le pose dans un coin et l'écarte du pied.

- On reprend là où on s'était arrêtés ?

- Tu préfères revenir en arrière ?

- Non.

Changement de stratégie d'ailleurs, c'est moi qui bondis vers l'avant cette fois-ci. Qui essaye de toucher l'ennemi. Pas de Rokushiki peut-être, mais je peux toujours utiliser mes poings. C'est naturel, c'est humain. Je ne pense pas réussir à le frapper, toutefois. C'est Raoul. Tout ce qu'il me faut, c'est un contact. C'est le déstabiliser pour pouvoir le toucher avec mes paumes. Pour pouvoir créer une secousse.

- Bien. entonne-t-il en me voyant plus vivace.

Plus stratège surtout. J'observe bien ses mouvements pour ne pas me retrouver piégée une fois de plus. Chaque déplacement, chaque coup porté fait l'objet d'une longue et minutieuse réflexion. Le reste n'est que fioriture, pour meubler le temps de savoir comment agir. Et au final je touche. Du bout du doigt, mais je touche. Pour la première fois, j'atteins mon entraîneur sans utiliser le Rokushiki, juste en situant son action. En l'anticipant et en la bloquant.

- C'est presque dommage que tu n'aies pas l'Armement.

- Je ne suis pas un si bon élément.

- Que tu crois.

Je demeure sceptique. Ce n'est pas dans les habitudes du gonze de faire des compliments. Il prépare un sale coup ? Je reste sur mes gardes, bien que mes jambes virevoltent. Et que plus d'une fois, je me retrouve parallèle au sol, le visage vers le bas, à faire des figures compliquées sur une main. Progressivement, les douleurs reviennent mais je n'en tiens pas compte.

Tant qu'il ne me touche pas.

C'est un peu exagéré et trop optimiste. Mais dans l'idée, tant que je ne suis pas blessée, je me considère gagnante. Enfin, malgré la température de mon corps qui s'enflamme, la sueur qui perle à grosses gouttes et les quelques nausées. Pourtant je reste droite et je continue à bondir, fondre, tailler. Un peu comme un sabre. Un sabre humain. Et une nouvelle fois, je touche. Du plat de la main cette fois-ci. Le timing n'est pas le bon cependant. Car l'énergie reflue mais n'atteint pas, trop primitive. Trop pauvre. Et l'homme trop preste à se soustraire à ma tenaille.

La troisième fois sera pourtant la bonne. Et au final, je dois faire le sacrifice de ma jambe droite, ma prothèse, pour immobiliser l'entraîneur. Pris par surprise, le doigt enfoncé dans mes mécanismes, la main gantée de l'huile qui s'en échappe, je le tiens. Et cette fois-ci, ce sont mes deux mains qui viennent se porter au niveau de son ventre. Et frapper.

Non pas d'un coup normal. Ni d'une onde sismique. Mais d'une décharge d'énergie pure qui vient pénétrer sous sa peau et dévaster ses entrailles. Pas de quoi liquéfier le corps du vieillard, mais au moins lui provoquer un coup pour sa digestion qu'il n'oubliera pas de sitôt. Le résultat ne tarde pas à se faire violence.

Son ventre émet un gargouilli tandis que les yeux du bonhomme semblent sur le point de quitter leurs orbites. Puis une drôle de boule remonte dans sa gorge, baigne sa bouche d'un liquide visqueux et marron, putride. Qui s'échappe à gros bouillons, d'un coup sale et mesquin. Drôle de victoire sur l'entraîneur qui m'a tant de fois ridiculisée. A mon tour de lui rendre la pareille. Je marque ce jour d'une pierre blanche en tout cas, cessant le combat pour m'écrouler avec ma jambe foutue. Crevée, mais pas si mal en point que ça. Et heureuse. Je souris et me moque, car c'est gratuit, tandis que le vieux continue à cracher ses boyaux.

Anna un, l'intestin de Raoul zéro.


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Dim 11 Sep 2016 - 2:27, édité 1 fois
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Le WEEK-END

- Pourquoi on doit continuer ça un dimanche ?

- Tu penses que mes intestins apprécient de faire des heures supplémentaires ?

Non, bien sûr que non. Ma question est bêtement rhétorique. Un coup n'est pas le sommet de la maîtrise. Il faut en faire bien d'autres. Mais cette fois-ci, la cible n'est plus mon entraîneur, qui est scotché sur sa chaise avec un bon gros verre de smecta dans la main. L'environnement désert troqué pour les souterrains du bâtiment. Sous les Bureaux. Il y a des salles assez vastes en sous-sol pour s'y entraîner et ça c'est chouette. En tout cas, c'est beaucoup moins à la dure.

Lors de ma précédente attaque, j'ai surtout eu l'impression qu'une partie de l'énergie du Rokuogan venait de ma victime. Le pauvre Raoul en train de récupérer, qui désormais se tient bien éloigné du point d'impact. Il a eu sa dose et pourrait bien s'énerver si jamais l'on devait reprendre le combat. Alors un poteau d'entraînement suffit. Un gros tronc bien compact contre lequel je m'appuie, frappe, enchaîne et finalement. L'attaque ultime. J'applique le Rokuogan.

Les premiers coups sont faiblards, mais fonctionnent la plupart du temps. C'est le plus important. Bien évidemment, ce n'est pas suffisant pour mon coatch qui ne cesse de me reprendre sur la position de mes mains. J'ai un peu l'impression de tout faire à l'envers, mais j'imagine que c'est un peu logique dans l'esprit du bonhomme. Pour quelque chose d'aussi basique et d'aussi peu dangereux, le faire une fois que l'on a fait le plus difficile, pour prendre définitivement ses marques.

Alors la journée passe et finalement, je parviens à le faire. Ce satané trou dans le tronc. Mais pas un trou là où mes paumes viennent frapper, non. Plus en profondeur, à l'intérieur. Et quand les copeaux de bois tombent et que le machin s'effondre sur le sol, je comprends la douleur du formateur qui fait signe de m'arrêter.

- Si j'avais un diplôme pour être une chieuse de service, je te le donnerais. Mais à la place, on va juste dire que tu maîtrises le Rokuogan.

J'esquisse un sourire. Goguenarde, je ne peux m'empêcher de rebondir sur son avant-dernier phrase.

- La chieuse, ça a un rapport avec...

- C'est bon, tu peux partir. Sans finir ta phrase, de préférence.

Je m'exécute. La porte grande ouverte, je n'ai même pas à la saisir pour m'effacer derrière. Mais avant, je fais un dernier clin d’œil au vieil asiatique, qui fait semblant de ne pas l'avoir vu. Mais ne peut s'empêcher de sourire malgré tout. Et je devine son odieux mensonge.

Il aime bien m’entrainer au fond, le bougre.
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