- Il scrute. Fièrement dressé dans l'établissement, rien n'échappe à son regard. Ce pont, il le connaît comme s'il y était né, c'est son territoire, son antre, son royaume. Ses yeux de braise irradient l'endroit. Ici et là, certains badauds croisent son regard un instant puis baissent les yeux. On dirait qu'ils ont peur. La peuuuur... Ouiii... Ils ont quelque chose à se reprocher.
Alors, l'homme sort son hachoir à viande de son tablier et....
- Quand t'auras fini de parler tout seul et de mater la clientèle comme un vicieux, peut-être que tu pourras bosser. C'est juste une suggestion hein !
Interrompu, je me retourne et je croise le patron qui porte des caisses de provisions fraîchement livrées jusqu'en cuisine. Est-ce que je l'aide ? Pas que ça soit trop lourd pour moi, simplement que ça m'emmerde. Il fait beau il fait chaud, y'a des jolies jeunes filles légèrement vêtues, ça m'ennuierait d'avoir à travailler dans un cadre aussi idyllique. Ouais... Je vais pas bosser aujourd'hui non plus, trop contrariant.
Va falloir que je trouve un moyen savant de faire semblant de bosser maintenant. Hier, je m'occupais de récurer le parquet. Cinq heures d'affilées passées à briquer le même mètre carré de plancher. On n'y a vu que du feu. Enfin jusqu'à ce que ce con d'Éric glisse dessus en allant servir la soupe de palourde. Qu'il est con ce Éric. N'empêche, j'avais tellement frotté qu'il n'y avait presque plus de friction sur cette portion du sol. C'était plus ou moins aussi glissant que de la glace. En soi, c'est une performance. Performance pour laquelle je n'ai pas été récompensé... mais j'ai l'habitude de l'ingratitude de la basse plèbe et de cet enfoiré de patron.
Bon, si je veux continuer de pouvoir narrer les aventures de Barabas Timon, la terreur du Baratie, à la troisième personne, il faut que je trouve la planque parfaite pour donner l'impression que je travaille. Mince... Depuis combien de temps j'ai pas travaillé ? Je sais même plus ce que je suis censé faire dans l'établissement.
Panique pas, panique pas, ça va se voir. Un petit coup d'oeil derrière pour voir si le patron me regarde. Oh la vache, il me regarde dans l'interstice de la porte qui sépare la cuisine de la salle à manger. Il l'a mauvaise. Trouve quelque chose n'importe quoi !
- Puis-je prendre votre commande ?
Ça m'est venu comme ça ! Je sais même pas ce que ça veut dire, mais vu que les autres n'arrêtent pas de répéter cette ânerie aux types attablés, je vais essayer de plagier le concept. Dans la main, j'ai mon "calepin de commande" et un crayon. Je dessine des trucs dessus. Souvent des gonzesses à poil. Toujours même. Je suis doué dans mon genre. Si j'avais pas été marmiton-pirate, j'aurais été artiste. Ou proxénète. Proxénète, ça c'est un chouette métier. Je me demande si les macs ont droit de se servir dans la marchandise.
Mon sourire naturel s'accentue malgré moi pendant que je suis plongé dans mes songes. Mais y'a comme un bruit de fond qui me gêne. C'est le type a qui j'ai parlé qui me répond. Pauvre tanche, si tu crois que j'en ai quelque chose à foutre de ta vie, j'ai rien écouté.
- Et une fricassée de maquereaux pour la quatre, je vous apporte ça tout de suite madame.
C'est Ramzy qui vient de dire ça. C'est pas une référence en matière de travail, mais faute de mieux, je vais copier ce qu'il fait.
- Et une fricassée de maquereaux pour la six ! Je vous apporte ça tout de suite madame.
- Mais... j'ai commandé une salade à la mode de North Blue, et je ne suis pas une dame !
Tocard va, arrête de me contrarier ou tu vas t'en prendre une. Je me retiens du mieux que je peux. Avec toutes les retenues sur salaire que j'ai à force de cogner sur les clients, je me retrouve à devoir des sous au patron. Faut que je me tempère comme qu'ils disent.
Je suis Ramzy jusqu'en cuisine. Qu'est-ce qu'il va foutre dans ce nid à emmerdes ? Ça gueule de partout, ça sent tout et n'importe quoi, ça s'active dans tous les sens. C'est oppressant comme atmosphère, ça me ferait presque culpabiliser de rien foutre. Presque.
Là Ramzy prend une assiette pour l'amener à un client. Requin en chasse, je lâche pas ma proie. À peine qu'on retourne dans la salle à manger que je lui pique son assiette des mains en le toisant du regard. J'ai beau être obligé de sourire de toutes mes dents, à mon avis, il a réussi à saisir le caractère hostile de ma démarche et il fait demi tour.
- Ce que tu peux me faire chier Bara...
Et il retourne penaud en cuisine. S'il pleurniche auprès du grand manitou, c'est lui que je sers en fricassée aux loques venues se remplir la panse. Où est-ce qu'il est l'autre vermiceau à qui j'ai causé tout à l'heure ? Un nabot borgne habillé en duchesse. Trouvé !
À peine arrivé que je lui dépose son assiette sous le nez.
- Et voilà ! Fricassée de maquereaux !
Il regarde l'assiette un moment. Vas-y.... Fais un commentaire désobligeant sur la cuisine, donne moi une bonne raison de t'enfoncer la gueule dans le plat. Oh et puis après tout, non. J'ai pris une commande, je suis allé en cuisine la prendre, et je l'ai apportée au client. L'illusion est parfaite, on croirait vraiment que je bosse, ça mérite bien une petite pause pour la peine.
- C'est même pas une fricassée de maquereaux en plus...
Il a beau se plaindre, je lui lance un regard qui lui fait comprendre que s'il a d'autres griefs à m'adresser, c'est lui qui servira de bouffe aux maquereaux. Rien à dire, la menace par le biais du regard, ça redonne de l'appétit.
Bon, maintenant que j'ai lourdement oeuvré, il est l'heure de se rincer l'oeil. Y'a pas une petite jupette ici ou là ?
Alors, l'homme sort son hachoir à viande de son tablier et....
- Quand t'auras fini de parler tout seul et de mater la clientèle comme un vicieux, peut-être que tu pourras bosser. C'est juste une suggestion hein !
Interrompu, je me retourne et je croise le patron qui porte des caisses de provisions fraîchement livrées jusqu'en cuisine. Est-ce que je l'aide ? Pas que ça soit trop lourd pour moi, simplement que ça m'emmerde. Il fait beau il fait chaud, y'a des jolies jeunes filles légèrement vêtues, ça m'ennuierait d'avoir à travailler dans un cadre aussi idyllique. Ouais... Je vais pas bosser aujourd'hui non plus, trop contrariant.
Va falloir que je trouve un moyen savant de faire semblant de bosser maintenant. Hier, je m'occupais de récurer le parquet. Cinq heures d'affilées passées à briquer le même mètre carré de plancher. On n'y a vu que du feu. Enfin jusqu'à ce que ce con d'Éric glisse dessus en allant servir la soupe de palourde. Qu'il est con ce Éric. N'empêche, j'avais tellement frotté qu'il n'y avait presque plus de friction sur cette portion du sol. C'était plus ou moins aussi glissant que de la glace. En soi, c'est une performance. Performance pour laquelle je n'ai pas été récompensé... mais j'ai l'habitude de l'ingratitude de la basse plèbe et de cet enfoiré de patron.
Bon, si je veux continuer de pouvoir narrer les aventures de Barabas Timon, la terreur du Baratie, à la troisième personne, il faut que je trouve la planque parfaite pour donner l'impression que je travaille. Mince... Depuis combien de temps j'ai pas travaillé ? Je sais même plus ce que je suis censé faire dans l'établissement.
Panique pas, panique pas, ça va se voir. Un petit coup d'oeil derrière pour voir si le patron me regarde. Oh la vache, il me regarde dans l'interstice de la porte qui sépare la cuisine de la salle à manger. Il l'a mauvaise. Trouve quelque chose n'importe quoi !
- Puis-je prendre votre commande ?
Ça m'est venu comme ça ! Je sais même pas ce que ça veut dire, mais vu que les autres n'arrêtent pas de répéter cette ânerie aux types attablés, je vais essayer de plagier le concept. Dans la main, j'ai mon "calepin de commande" et un crayon. Je dessine des trucs dessus. Souvent des gonzesses à poil. Toujours même. Je suis doué dans mon genre. Si j'avais pas été marmiton-pirate, j'aurais été artiste. Ou proxénète. Proxénète, ça c'est un chouette métier. Je me demande si les macs ont droit de se servir dans la marchandise.
Mon sourire naturel s'accentue malgré moi pendant que je suis plongé dans mes songes. Mais y'a comme un bruit de fond qui me gêne. C'est le type a qui j'ai parlé qui me répond. Pauvre tanche, si tu crois que j'en ai quelque chose à foutre de ta vie, j'ai rien écouté.
- Et une fricassée de maquereaux pour la quatre, je vous apporte ça tout de suite madame.
C'est Ramzy qui vient de dire ça. C'est pas une référence en matière de travail, mais faute de mieux, je vais copier ce qu'il fait.
- Et une fricassée de maquereaux pour la six ! Je vous apporte ça tout de suite madame.
- Mais... j'ai commandé une salade à la mode de North Blue, et je ne suis pas une dame !
Tocard va, arrête de me contrarier ou tu vas t'en prendre une. Je me retiens du mieux que je peux. Avec toutes les retenues sur salaire que j'ai à force de cogner sur les clients, je me retrouve à devoir des sous au patron. Faut que je me tempère comme qu'ils disent.
Je suis Ramzy jusqu'en cuisine. Qu'est-ce qu'il va foutre dans ce nid à emmerdes ? Ça gueule de partout, ça sent tout et n'importe quoi, ça s'active dans tous les sens. C'est oppressant comme atmosphère, ça me ferait presque culpabiliser de rien foutre. Presque.
Là Ramzy prend une assiette pour l'amener à un client. Requin en chasse, je lâche pas ma proie. À peine qu'on retourne dans la salle à manger que je lui pique son assiette des mains en le toisant du regard. J'ai beau être obligé de sourire de toutes mes dents, à mon avis, il a réussi à saisir le caractère hostile de ma démarche et il fait demi tour.
- Ce que tu peux me faire chier Bara...
Et il retourne penaud en cuisine. S'il pleurniche auprès du grand manitou, c'est lui que je sers en fricassée aux loques venues se remplir la panse. Où est-ce qu'il est l'autre vermiceau à qui j'ai causé tout à l'heure ? Un nabot borgne habillé en duchesse. Trouvé !
À peine arrivé que je lui dépose son assiette sous le nez.
- Et voilà ! Fricassée de maquereaux !
Il regarde l'assiette un moment. Vas-y.... Fais un commentaire désobligeant sur la cuisine, donne moi une bonne raison de t'enfoncer la gueule dans le plat. Oh et puis après tout, non. J'ai pris une commande, je suis allé en cuisine la prendre, et je l'ai apportée au client. L'illusion est parfaite, on croirait vraiment que je bosse, ça mérite bien une petite pause pour la peine.
- C'est même pas une fricassée de maquereaux en plus...
Il a beau se plaindre, je lui lance un regard qui lui fait comprendre que s'il a d'autres griefs à m'adresser, c'est lui qui servira de bouffe aux maquereaux. Rien à dire, la menace par le biais du regard, ça redonne de l'appétit.
Bon, maintenant que j'ai lourdement oeuvré, il est l'heure de se rincer l'oeil. Y'a pas une petite jupette ici ou là ?