Le choc des lames se fit entendre dans toute la salle.
Un public constitué majoritairement d’individus de mauvaise vie regardait avec malice deux combattants s’affrontant au sein d’une arène de belle taille. Les deux adversaires étaient des épéistes, tous deux torses nus, et rivalisaient d’adresse en enchainant les passes d’armes spectaculaires. Tout autour, l’on se pressait pour voir jaillir les premières gerbes de sang. Comme hypnotisés, presqu’affamés, les spectateurs avides de mort se retrouvaient en masse au Terminus. Cette arène d’Armada était réputée pour proposer des divertissements violents mais aussi alcool et nourriture. Tous les ingrédients étaient donc réunis pour que l’affaire soit des plus lucratives. Car les affrontements permettaient également l’organisation de paris extrêmement juteux pour les organisateurs et les meilleurs parieurs.
Le combat qui se déroulait devant l’assemblée était un combat dit « de chauffe ». On n(avait pas encore trouvé de véritables têtes d’affiche alors les organisateurs faisaient s’affronter des hommes désireux de gagner en réputation et en argent. Car l’arène était un bon moyen de faire de l’argent rapidement si l’on était un combattant entrainé. C’était par ailleurs le moyen de se faire embaucher à l’extérieur pour de gros contrats. On trouvait donc dans l’assistance des individus plus sobres que les autres et qui notaient avec précision tout ce qu’ils voyaient. C’étaient des recruteurs et des rabatteurs oeuvrant pour des commanditaires importants.
Il y avait même, dans un coin réservé, un marin de Red qui ne semblait rien perdre de ce qui se passait dans l’arène.
C’est dans ce décor si singulier que nous retrouvons John Henry Holliday, le mercenaire, le pistolero, le flingueur. Il était attablé, seul. Dans sa main un verre de whiskey, autour de lui, plusieurs cadavres de bouteilles qui n’avaient pas encore été ramassés tant il descendait cette liqueur à grande vitesse.
Il était dans une de ces périodes terrible où l’alcool prend complètement possession de lui. Se jetant à corps perdu dans cette vaine bataille, il lutte contre les effets de l’alcool pour finir par s’y abandonner totalement. Ce buveur grandiose ne buvait ni par plaisir, ni par coquetterie, c’était une de ces âmes tourmentées qui boit pour oublier un passé terrible et un présent tragique.
Malgré une grande ivresse, sa main était toujours immobile et calme. En revanche, son regard était vitreux, morne. Dans une chorégraphie nette, il répétait inlassablement les mêmes gestes. Il portait son verre en bouche, le vidait cul-sec, attrapait sa bouteille, versait un nouveau verre, le portait à sa bouche et ainsi de suite… Et ainsi de suite jusqu’à ce que la bouteille soit vide, alors il commandait machinalement une autre bouteille, et continuait à boire en regardant le spectacle hideux qu’offrait les hommes qui se battent pour l’argent.
- Rien de plus avilissant que l’argent. Les femmes peut-être… Bougonna John.
Un soir au terminus.
Et il avala avec méthode un nouveau verre comme s’il s’agissait d’un verre d’eau glacée.
Bien que seul, ce petit aparté n’avait pas échappé à un individu particulièrement sobre et au regard malicieux. Il s’agissait d’un rabatteur du terminus, qui cherchait sans cesse à créer de nouveaux affrontements dans l’arène et qui espérait toujours générer davantage de profit. John Holliday était le candidat idéal. Il avait une allure martiale, portait plusieurs armes sur lui et surtout, il avait sur le visage une balafre qui respirait bon le « gros dur ».
Le rabatteur voyait en John ça nouvelle coqueluche, celui qui allait faire grimper les enchères et le faire monter dans la hiérarchie du terminus.
Il s’approcha donc avec sa petite idée en tête.
- Je vous offre un verre monsieur ?
- J’ai ma bouteille. Fit John en désignant du menton une bouteille de whiskey entamée au trois-quarts.
- Je vous offre celle-ci alors.
- Trop aimable.
- Une question monsieur !
- J’écoute…
- Intéressé par un combat dans l’arène ? Vous pourriez vous faire une coquette somme qui vous permettrez de boire ici à l’envie !
- J’bois déjà à l’envie ce me semble…
- Mais vous seriez encore plus à votre aise, table privative, service dédié, alcool de qualité supérieur.
- Vrai que ce tord-boyau est une insulte à mon palais délicat.
Et il fit bouger ses maxillaires faisant apparaître largement sa rangée de dents à travers sa joue béante. Le rabatteur ouvrit grand les yeux, cela ressemblait au coffre de Noriyaki s’ouvrant tout grand pour lui.
- Ainsi voudriez-vous combattre pour une belle somme ?
- Jamais.
- Mais il m’avait semblé ?
- Niais, même si l’alcool de qualité m’intéresse, mes colts ne sont pas à vendre.
- Alors comment gagnez-vous votre vie ? Je vous croyais mercenaire ?
- Et bien ?
- Vous vendez vos colts !
- Pour des causes nobles, pas pour abattre de pauvres laquais sans le sou. Suis-je un tueur d’enfants ? Non pas.
Le rabatteur sentait son affaire se corser mais il ne voulait pas relâcher une si belle prise aussi rapidement. Il tenta sa chance, sur un autre biais.
Dernière édition par John Henry Holliday le Sam 24 Mar 2018 - 12:35, édité 1 fois
- Vous savez que votre note est déjà bien grande aujourd’hui. Et il fit un léger clin d’œil à un serveur qui se présenta avec un papier plié.
- Payez-vous. Lança John en jetant un sac massif dégorgeant d’or.
- Ce ne sera pas suffisant.
- Comment cela ? Il y a bien un million en or ici.
- C’est-à-dire que je ne viens pas pour votre dépense.
- Et bien ?
- Je viens pour elle.
Et il déplia le papier qui s’avérait être une photo de la protégée de John, Claire, une jeune fille appartenant à l’ancien groupe des « mutines », des jeunes femmes enlevées pour être mariées sur Armada.
Le sang monta au front de John et il fit apparaître comme par magie un colt dans sa main. De l’autre main, il avala d’une traite la bouteille qui était encore sur la table.
- Une menace ?
- Non, non ! Jamais de la vie monsieur Holliday, nous sommes une maison respectable.
- Alors ?
- Il se trouve que Madame a fait quelques menues dépenses ici même. Mais elle est partie sans payer. Connaissant vos habitudes ici et vous savant liés, nous avons jugé opportun de vous présenter sa note.
- C’est bien, c’est bien, vous avez agi en gentilhomme. Combien donc ?
- Et bien, la somme rapportée à la votre, nous sommes aux alentours de deux millions et demi de berrys.
- Et mon sac ne contient qu’un seul million.
- Précisément monsieur…
- Et payer plus tard est impossible ?
- Et non, vous pensez monsieur, notre réputation…
- Evidemment, évidemment…
John était un homme de cœur, il était attachée à cette jeune femme qu’il voyait comme une brebis au milieu d’une meute de loup ; il aimait aussi le terminus et ne souhaitait pas se fâcher avec les tenanciers.
- Très bien, organisez le combat.
Le rabatteur se retourna aussitôt et fit un geste de la main.
Une seconde plus tard, un animateur chamarré fit son apparition, micro en main.
- MESSIEURS ! LE COMBAT DE CE SOIR ! JOHN HENRY HO-LLI-DAY ! LE FLINGUEUR D’ARMADA AFFRONTERA NOTRE CHAMPION, WILLIAMMMMMMM FUSSSSSBURRYYYYYYY !
Fussburry était le gladiateur le plus reconnu de l’arène, une sorte de géant musculeux au regard furieux au goût prononcé pour le sang. Chauve mais disposant d’une barbe épaisse, constellé de cicatrices qu’il arborait fièrement en se battant presque nu, c’est-à-dire avec un pagne orné d’un crâne et d’une épaulière de fer pour seul vêtement : c’était véritablement la coqueluche du terminus. Il utilisait une hache à double tranchant quelque peu rouillée par le sang séché.
Son apparition déclencha aussitôt un brouhaha furieux. Des parieurs s’élançaient de tous côtés pour investir leur argent au guichet. D’autres, voyants la mine arrachée de John s’élancèrent de plus belle pour parier gros sur le challenger. La soirée était promise à de gros investissements.
Le rabatteur se frottait déjà les mains, se jurant d’utiliser la carte de la famille plus souvent avec ses prochaines cibles. Il avait conduit John jusqu’au centre de l’arène où celui-ci vérifiait avec méthode l’état de ses deux colts. Non loin de lui, William, son adversaire, commença à l’invectiver.
- Je me bats contre cette femmelette ? Autant me payer directement ce soir !
En effet, le gagnant du combat remportait un pourcentage des bénéfices de la soirée, bénéfices qui s’annonçaient juteux.
- Si la taille importait tant que cela, vous seriez empereur, corsaire ou amiral. Pourtant vous êtes là à ressasser le fange.
- Quoi ?
- Nigaud ! Je te dis que tu ne m’effraies pas et que dans quelques minutes tu seras bien déçu de m’avoir mésestimé.
- Méses – quoi ?
- Bon sang je parle à un ours pas à un homme ! Holà, un traducteur s’il vous plait !
La saillie fit son effet dans l’assistance qui éclata de rire tandis que William rougissait de colère.
- Si c’est ainsi !
Et il se propulsa en avant avec une aisance qui tranchait d’avec son apparence lourde. John fit un pas de côté pour esquiver mais ne fit point feu.
- Et bien bougre d’âne, le combat n’a pas encore débuté !
- Pour moi si !
- Cet ours est réellement un cuistre… Murmura John agacé.
- Cuisse-toi même !
- Allons bon ! Voilà qu’il nous réinvente le dictionnaire !
William était à portée de hache et attaquait avec une fureur inégalée. John esquivait avec méthode, limitant les excès de déplacement au minimum. Il faisait de petits pas et tournait autour de son adversaire pour l’épuiser. Il regardait tantôt vers l’estrade pour savoir si le combat allait enfin être lancé. Malheureusement, les parieurs étaient tellement nombreux que les bookmakers étaient débordés. Les berrys semblaient refluer des guichets tellement il y en avait. On se pressait encore davantage en voyant le combat débuté, comme si l’on craignait que celui-ci ne se termine avant même d’avoir commencé.
Finalement, la hache du solide gladiateur frappa le bras gauche de John. Le sang macula la manche grise du pistolero. A force de tourner et retourner, l’alcool qu’il tenait si bien commençait à prendre de l’emprise sur lui. Il avait donc, dans un moment d’inattention, retenu un peu trop son pas et avait donné directement du bras dans la hache.
Cet événement créa une nouvelle excitation dans l’assemblée. En effet, le sang de John se répandait sur la scène et nous savons que l’assemblée était très friande d’un tel spectacle.
- Que l’on me damne ! Faites débutez ce duel !Hurla un homme dans l'assistance.
- QU’IMPORTE BATS-TOI JOHN ! TIRES LUI DESSUS JOHN !!!!Hurlèrent d'autres spectateurs.
Les parieurs de John commençaient à craindre une issue funeste et haranguaient leur champion du mieux qu’ils pouvaient. Mais John, intraitable, attendait toujours que l’on fasse débuter le combat.
- Que l’on me damne si je ne respecte pas les règles d’un duel ! Déjà qu’il se bat sans arme à feu.
- HOUARGRGRHHRHHHH !
William n’était plus que rugissement, il tournait, frappait, crachait dans tous les sens. John était une anguille qui le mettait doublement en échec : par la parole et par l’esquive. Qu’un homme si inférieur en taille le retarde dans sa victoire le mettait hors de lui.
Une nouvelle attaque fit tomber l’un des colts de John qui fut aussitôt poussé d’un coup de pied vers l’assistance, hors de portée du tireur.
- Ah ça mais ! En finirez-vous avec vos inscriptions !?
La salle commençait en effet à s’impatienter, les parieurs étaient montés sur les tables, certains avaient même des armes en mains et semblaient prêt à s’en servir à tout moment. La situation risquait d’être hors de contrôle si John était tué avant même d’avoir tiré une balle.
L’organisateur principal de la soirée, un homme gras qui dissimulait sa richesse à l’aide d’une tenue faussement tâchée fit un grand mouvement de main, il secouait un mouchoir écarlate. C’était le signal tant attendu.
Les spectateurs hurlèrent de joie, certains parieurs qui n’avaient pas eu le temps de parier jurèrent mais portèrent tout de même leur attention sur le combat qui promettait d’être rapide.
Et en effet, à l’instant où le signal fut donné. Six balles fusèrent presque dans le même intervalle. John venait de vider son revolver. Deux balles brisèrent la hache du solide William. Deux autres l’atteignirent respectivement dans la jambe gauche et la jambe droite. Enfin, des deux dernières balles, l’une donna dans le mur du fond et l’autre coupa superficiellement la gorge de Fussburry.
Les deux balles manquantes étaient primordiales puisqu’elles étaient destinées à donner le coup de grâce. Mais elles visaient des points vitaux, elles étaient donc plus difficiles à placer. Pour John sobre et alerte c’était un coup évident. Mais pour le John épuisé et ivre qu’il était, le tir devenait plus complexe.
William n’avait plus de hache et se déplaçait moins vite mais il parvint tout de même à mettre la main sur le cou de John qu’il tordit de toutes ses forces.
La lumière sembla prête à s’éteindre pour Holliday, l’assistance hurlait, William exultait.
C’est alors qu’il sembla perdre connaissance.
Devant lui, le visage d’une femme au visage complètement lacéré le toisait de son regard noir. Elle lui adressa la parole d’une voix caverneuse et froide.
- Belle démonstration.
Le visage de Claire prit la place de la femme précédente.
- Faible.
Les battements de cœur de John se firent plus rapide. Et à chaque battement, du noir dans lequel il se trouvait, il voyait au loin un point jaune s’avancer. Les battements étaient tellement proches que le point devint en l’espace d’un instant une gigantesque bague or ornée d’un crâne lugubre.
Alors John ouvrit de nouveau les yeux. La salle hurlait toujours, William avait toujours sa main enserrée sur son cou.
Le flingueur parvint à faire apparaître de sa manche un petit revolver qu’il pointa vers l’œil de William.
BANG !
La balle vint se loger dans son œil. William lâcha son étreinte et tomba à la renverse. Il était encore en vie mais se tenait l’œil des deux mains en se tortillant en tous sens. John était à genou, il reprenait sa respiration. Tout autour de lui ce n’était que bruyante clameur.
- Le vainqueur n’est pas encore désigné. Signifia le responsable d’une voix qui surpassait le brouhaha.
William était toujours au sol, John c’était relevé. Il rechargeait son revolver, plaçant délicatement chaque balle. Autour de lui on hurlait à s’époumoner.
Finalement John pointa son arme sur son adversaire, toujours au sol.
- Abandonnes-tu nigaud ?
- Non !
- J’admire l’honneur chez les hommes, mais tu confonds cela avec de l’orgueil. Et l’orgueil sied mal aux ours.
- Va mourir !
John s’inclina respectueusement et rangea son arme.
- Il est vaincu mais il s’est vaillamment battu.
La salle se mit à applaudir à tout rompre. Ils aimaient le sang mais ces grands enfants aimaient également les fins heureuses. Surtout pour deux hommes de cette trempe. L’organisateur ne se le fit pas répéter deux fois, il déclara aussitôt John vainqueur, trop heureux de garder sous la main de « gladiateurs » pouvant rapporter gros.
Finalement, ce soir là, beaucoup gagnèrent gros. John reparti avec un sac bien plus gros que lorsqu’il était entré. Le rabatteur comptait sa commission avec une expression de délice indéfinissable sur le visage. Le gérant du terminus avait fait la meilleure recette du mois. Beaucoup de clients s’étaient enrichis, d’autres avaient perdus. Même william fut dédommagé par le gérant qui voulait conserver dans son giron un tel butor. Finalement, seul le spectateur avait été lésé dans l’opération.
Mais au final... C’est souvent le spectateur, la vraie victime du business…