Posté Jeu 22 Juin 2017 - 12:03 par Le Cavalier
Au cœur de l’engagement, le Cavalier ne se dérogeait pas à sa tache. Bâton en main, il gratifiait sans retenu ses honneurs à ceux qui tentaient de l’interrompre dans son avancé lente. La compassion ne se distribuait pas aux hommes valeureux au risque de les gâter. L’atmosphère ténébreuse planant autour du pirate s’imageait en celle accompagnant la nuée de charognards les temps de deuil. Malgré l’inquiétante pression, les marines continuaient de défendre chaque pouce de terrain. Prenant le pas sur d’autres, un soldat du Gouvernement se précipita contre lui sabre au poing. L’arme qui tournoyait entre les mains de Gates fendit l’air jusqu’à son menton avec suffisamment de force pour l’élever de quelques orteils, que déjà le retour de bâton le frappait plus fortement encore au niveau du crâne pour le rabattre. Son visage s’incrusta en profondeur dans le plancher. Le second et le troisième à tenter la manœuvre subirent le même sort comme bien d’autres avant eux. Le boucanier profitait pleinement de la portée de son arme pour tenir à l’écart les blessures, la vitesse du mouvement et la précision acquise avec les années réalisaient le reste. Une fois les corps à terre, il les enjambait sans un regard. Son estime se portait sur les hommes se dressant contre lui et non sur les vaincus. Pour son plaisir, de braves combattants l’attendaient encore.
Partout l’éclat des lames se ternissait d’un rouge vermeille, elles fendaient les airs en des sifflements glaçants. Parfois elles se contrecarraient, parfois elles s’entre-carraient entre deux os et y restaient logées. Venait alors le moment où les briscards les abandonnaient pour tout autre objet digne de sonner le glas. Peu ne répondait pas à l’attente une fois maniée dans la fièvre de la bataille. Plongeant son regard dans la désolation s’étant emparée du navire, le Lieutenant Ney ne perdait rien du triste spectacle. Les deux camps s’égalaient avec un avantage martial compensé par le nombre et la sauvagerie des pirates. Il remarqua cependant une menace au fragile équilibre en la personne d’un vieil individu délavé par le temps et des rangs de soldats s’éclaircissant à son passage. Prenant conscience de la menace, le gradé grinça des dents. Posté en haut du château, siège central de l’embarcation qui abritait à l’étage la salle des commandes affiliée au centre des communications, il balança son poing dans le mutin qui avait tenté de monter jusqu’à lui et agrippa son long marteau.
- Sergent, je laisse sous votre responsabilité la défense du point.
- Bien chef !
L’arme massive en main, il commença quelques flexions énergiques pour se mettre en jambe. Jusqu’à présent, tenu à l’écart par ses responsabilités, il n’avait pas encore directement pris part à la bataille. Son rôle de commandant lui incombait d’avantage de superviser, comme on avait souhaité lui apprendre par son envoie à l’ombre. Calmer ses humeurs et ses actions guidées aux coups de sang dans une zone de toutes les routines, le message était bien passé. Ordonner les hommes et localiser l’endroit où sa présence ferait le plus la différence importait plus qu’étaler sa force au mauvaise endroit. L’encadrement militaire qui avait réorganisé les hommes après la salve douloureuse, et permis de faire feu de la plus implacable des manières aurait pu être un tournent rapide de la bataille, sans l’intervention d’un grain de sable qu’il s’apprêtait maintenant à souffler.
L’envolé gracieuse du pont supérieur se clôtura au milieu d’une bande de pirates hagards par le météore leur atterrissant sur le coin du nez. Le Marteau de la Justice éparpilla les mauvaises graines aux quatre coins du navire dans un brouhaha d’os brisés. De la place épurée maintenant au centre des attentions, ses muscles se mirent à se décupler fièrement dans la sainte lignée des premiers maîtres haltérophiles. L’homme resplendissait de mille éclats vigoureux, un véritable mirage aveuglant pour tous les intrus malnutris à dose d’alcools coupés à la pisse et de viandes avariées. Puisant dans chaque fibre de son tonus, le sol craquela sous la pression avant de relâcher la masse vertueuse. L’arme en arrière, il boula les tronches de vilains de sa charge jusqu’à atteindre celui qui les avait déversées. Porté par sa vélocité, il abattit l’imposante masse d’acier à quelques pouces du Cavalier. D’un coup de bâton sur le plancher, ce dernier était parvenu à pousser sa carcasse à une brève distance du point d’impact. Bien lui en pris en vue du cratère formé. Il renouvela la pratique sans attendre car déjà de nouveaux chocs germaient tout autour de lui. Il déplaçait son corps à mesure des avancées du marine belliqueux et le cas échéant accompagnait le mouvement du marteau de guerre pour le dévier ne serais ce qu’un peu. Malgré ses attentions, à chaque effleurement le bois de son arme grinçait d’un ton inquiétant. La danse entamée au milieu des combats ne se dotait d’aucune grâce. Il s’agissait d’avantage d’un jeu du chat et de la souris, mortel pour le spectateur inattentif. Si la représentation n’était pas à la hauteur, les petits bonds saccadés du brigand des mers à l’intérieur de la cohue sanguinaire avaient le mérite de préserver sa personne. Bientôt l’assaut s’estompa, laissant aux deux adversaires la possibilité de reprendre leur souffle après avoir parcouru de long en large le champ de bataille en un bref instant.
- Humpf.. réduis la cadence gamin, lâcha finalement Gates entre deux respirations, tu vas me tuer à ce rythme hé hé humpf..humpf..
- Lieutenant Ney, déposez les armes si vous souhaitez voir un lendemain !
- Moi qui croyais que les chiens du Gouvernement avaient plus que des dents creuses.. peut être qu’il y a encore quelqu’chose à attendre de certaines..
- Tu ne t’en sortiras pas si tu continues ainsi, alors réponds moi maintenant. Comment êtes vous arrivés ici et que venez vous y faire ?!
- Hé hé.. On est là pour la bronzette mais on s’est fait avoir.. On est où déjà ?
- Vous êtes sur les terres du Gouvernement Mondial, dans le réseau de Marie-Joan. Votre seule présence vous condamne à mort.
- Nan ?! Passage de merde je me disais bien qu’il y avait merdouille.. Y en a un qui finira empalé sur un cactus si je lui remets la main dessus..
- Tu veux dire qu’il y a un passage ? Un chemin de traverse ?! Réponds-moi pirate !!
- Pt’être bin qu’oui, pt’être bin que non.. Je t’ai déjà trop mâché le travail hé hé..
- Quel est ton nom vieil homme ? Si tu te rends maintenant, je jure sur mon honneur qu’aucun mal ne te sera fait aujourd’hui. Tu devras simplement répondre de tes actes devant la Justice.
- Hé hé hé… rends toi d’abord pour voir, promis je t’étriperai pas de bas en haut avec tes hommes hé hé..
- Misérable.. Ainsi soit-il, un autre parlera.
Bien que frappé par un rugissement tonitruant, le porteur de mort ne perdit rien de son air enjoué. Le gradé lui faisant face ne manquait pas de puissance et brassait de larges surfaces à chaque mouvement, pour autant une ouverture persistait. Joignant le geste à la pensée en le voyant lever son arme, le Cavalier devenu jouteur avança un pied comme appui pour propulser le reste de son corps bâton en avant en direction de la zone à nue. La lance glissa entre ses longs doigts jusqu’à enfoncer son extrémité dans l’estomac de l’homme plein de promesse. Tenue ainsi à bout de bras de toute sa longueur, la portée de l’arme venait de doubler brusquement sans perdre de sa puissance. Le teint violacé autant par la douleur que la surprise, le Lieutenant ne laissa pourtant pas échapper un son, préférant prendre sur lui le temps de raffermir sa prise et d’abattre son arme dans le vide. Trois coups simultanés se refermèrent alors comme des serres. Endolori mais toujours présent, le marine renâclait devant l’épine lui pourrissant sa journée. Toute cette attention meurtrière ravissait le quartier-maître.
D’une pirouette gracile, le colosse chuta tel un obus dans sa direction et éventra une portion importante du pont. Le Cavalier désarçonné par la manœuvre, échoua sur le derrière au grand d’âme de sa bonne étoile. Le marteau était dressé prêt à l’envoyer rejoindre le monde des âmes sans que son maigre bâton ne puisse s’y opposer dignement. Hameçonnant le fouloir bleu marine d’un soldat à portée, il le rabattit rapidement à son devant en un semblant de muraille de brindilles. La masse d’acier tombante stoppa sa course à un pouce du marine blanchi. D’importantes gouttes de sueur perlèrent de son front, mais aucun son ne sortit, trop choqué pour réagir. Grognant, le Lieutenant le dégagea de sa patte lourde et aperçut l’animal puant se carapatant à quatre pattes tel un couard. Pourtant lorsqu’il se releva, le vieillard arborait la même mine hautaine d’un sourire plus accentué encore. Il s’amusait ou avait découvert quelque chose qui le ravivait, les deux peut être..
Lorsque Ney chargea, le gredin se contenta de se glisser entre deux marines affairés ailleurs et insuffla la rotation à son arme. Frappant les simples soldats de passage, il conservait l’attention du Lieutenant. Ce dernier pas en reste, broyait les malfrats tombant entre ses mains sans le quitter du regard. Se jetant derrière un marine comme d’un bouclier, le pirate glissa autour jusqu’à attendre sa cible. De l’arme tournant à grande vitesse, trois coups simultanés se refermèrent tels des serres contre le demi-géant. Gêné par la présence d’alliés, ce dernier ne parvint pas à bouger comme souhaité et se prit sans pouvoir pleinement répliquer l’attaque, mais déjà il répliqua dans une zone de nouveau vide. Les coups douloureux étaient loin de suffire, mais l’enchaînement se répéta encore plusieurs fois endolorissant le corps du gradé. C’était comme un ours harcelé par un essaim d’abeilles. Et ce sourire moqueur qu’il ne parvenait à effacer le rendait fou.
Soudain depuis le pont supérieur du château, un pirate court sur pattes couvrit le champ de bataille de sa voix tonitruante.
- C’est bon Monsieur Le Cavalier ! On remballe !!!
Le Lieutenant Ney se retourna brusquement en quête du Sergent laissé en poste, plus trace. A la place une bande de raclures des mers s’échappait sans demander leurs restes de la salle des commandes. De tous cotés les pirates quittaient les combats et fuyaient ventre à terre vers leur embarcation. Pourtant le goût de la victoire se laissait désirer. Un tremblement l’avertit que les navires se remettaient à bouger. Jusqu’à présent tenu en statu-quo par le grondement des aubes luttant contre le courant, les caravelles ne parvenaient plus à retenir le trois-mâts massif des forbans. Elles s’étaient tues... De plus la barre avait été bougée, car l’embarcation du GM libérait le passage en se dirigeant vers les bords rocailleux du canal. La carcasse de bois s’extirpait peu à peu du barrage. Un large filet avait été déployé de chaque bord, où les pirates se jetaient comme des moucherons ravis d’être gobés. Les marines bousculés par le flot s’enfuyant ne parvenaient que timidement à en barrer le passage. Comprenant s’être fait berner, le Lieutenant se retourna rouge de rage contre le Cavalier, mais le voile sombre aussi avait libéré la place.
- RHAAAA !!! VOUS ! Allez remettre de l’ordre au poste des commandes et faites moi un rapport ! Tout de suite !! Sans attendre, les cinq soldats désignés se précipitèrent vers les hauteurs du navire. ÉCOUTEZ-MOI VOUS AUTRES !! NE LES LAISSEZ PAS PRENDRE LES VOILES !! ABBATTEZ LES COMME LES RATS QU’ILS SONT !
Les ordres lâchés, le titan partit en chasse. Écrasant son Marteau de la Vengeance contre les traînards, il tentait de rattraper l’homme qui s’était amusé à le faire tourner telle une bourrique. Le Cavalier ne prévoyait pas de jouer les nourrices au départ, il se dirigeait vers la salle des contrôles lorsque la pointure avait tenté de l’écraser. Occupant ailleurs la menace au plan, d’autres s’étaient chargés de la besogne. Tout le monde avait reçu le même mot d’ordre : saccager la machinerie et les commandes pour percer le blocus. Personne ne savait combien de petits gars bleus traînaient dans le coin et personne ne souhaitait le savoir.
L’art de décamper aurait pu être le credo de la piraterie tant ils savaient si brillamment l’appliquer. Remontant ses bas, notre héros périmé cavalait un souffle chargé de fureur brûlant dans le dos. Le navire ne l’attendait pas, l’équipe de bâbord avait du libérer la place plus rapidement, galopant en fin de cortège il parcourait l’embarcation sur sa longueur vers la poupe. Son arme tournoyait dans une main pendant qu’il maintenait de l’autre sa soutane. Le bord arrière n’était plus qu’à un pas, mais des retardataires restaient sur le chemin. Sans se poser de questions il balança son bâton dans des paires de derrières, les boulant dans le filet et coinça au dernier moment l’embout de sa perche contre le bastingage. Sous l’impulsion de la vitesse, son corps décolla de plusieurs mètres avant de retomber gauchement contre les liens tendus. Déjà remonté, pendant que ça pétardait de toute part, il remarqua de l’autre coté le Lieutenant fulminant et la piste d’envol défoncée par le marteau.
L’excitation des combats grisant les pensées, une certaine hardiesse baignait les survivants de retour à bord. Durant un temps les recoins sombres de la grotte semblaient encore lointains. Ravi de l’escapade, le vieux pirate communiqua sa bonne humeur à un Capitaine plus circonspect.
- Hé hé hé regardez moi cette tête de glan..
- Cavalier ! Qu’est ce que vous avez foutu ?! Une plombe que l’affaire est réglée de notre bord !
- Y’a eu un imprév..
- Pas de ça avec moi ! Vous y étiez pour gérer les imprévus et regardez moi ça ?!
- Nnf.. on les a dégagé du passage comme convenu Cap’tain..
- La moitié de vos gars y sont restés ! De MES gars !
- Comme je disais de la tête de gland, pas un tendre.
- Je veux rien savoir ! Foutez-moi le camp et ordonnez-moi le bord. A la prochaine porte de bois, on vire de bord. Préparez des canons et abstenez vous de traînasser cette fois !
- Bien Monsieur.. le Cap’tain…
L’échange se terminait sur un ton froid, glacial. La colère du Capitaine à peine soufflée, une crainte primitive s’installa en arrière plan de son subconscient. La personne d’en face était dangereuse, l’oublier était à éviter. Mais le porteur de Mort se plia aux exigences sans faire d’histoire fidèle à son habitude. L’équipage de vilains s’organisa rapidement dans les divers postes malgré les manquements à l’appel.
A la proue d’une des caravelles, le Lieutenant fulminait toujours de s’être fait balader. Il gardait le regard fixé sur l’arrière train du bateau pirate, tout en tapotant d’un doigt nerveux contre le bastingage épargné. La distance entre les forces de la Justice et les criminels s’était quelque peu accrue lorsqu’il avait fallu remettre les navires dans le bon sens. Histoire d’avoir le gouvernail autre part qu’à l’avant… Depuis, puisque portées par les mêmes courants souterrains, les trois embarcations suivaient un rythme similaire. Humilié par le Cavalier, Ney le tenait responsable de tous les maux qu’un subalterne lui énumérait d’une voix monocorde.
- … les poches de sang de type G, T et R vont commencer à manquer, 40% des effectifs blessés seront inaptes en cas d’affrontement et la moitié de l’effectif restant sera diminué selon le deuxième rapport du Docteur Tournesol, les mécaniciens estiment à une demi-heure le temps nécessaire pour remettre en fonctionnement les communications avec le QG, pour les aubes ils ne se prononcent pas encore les dégâts sont importants à différents niveaux, les munitions…
- Le Sergent ?
- Vilaine blessure, mais il s’en sortira, les munitions de type balle de fusi…
- SALOPERIES !!
A quelques brasses, les forbans venaient d’ouvrir le feu contre une épaisse structure de bois. De longs troncs, entrecroisés en une barrière tatouée aux couleurs de la marine, libérèrent le passage sur une voie d’eau plus sinueuse en comparaison de l’immensité qu’ils quittaient. Arrivés à l’édifice explosé, la lueur des lampes à huile s’éloignaient. Balançant son pied dans une caisse vide, le Lieutenant leva son poing fermé comme signal d’arrêt.
- RHAAAAA !!!!
Depuis la deuxième caravelle, le Sergent en charge s’empressa de suivre à l’identique la manœuvre en allant se fixer contre le bord de la caverne sans continuer la poursuite dans l’interstice. Personne ne les suivrait dans le dédale non balisé de la Flaque. La rancœur laissait un goût amer, croissant à mesure que le halo lumineux se perdait dans l’obscurité tortueuse…