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Miséricorde



En quelques enjambées, la jeune femme avait déjà parcouru une bonne partie des quais désertiques. Une zone froide et peu accueillante qui avait néanmoins le mérite de séparer les quais de la gare d'une espèce d'embarcadère. Et plus loin, d'une zone ridiculement portuaire bardée de boîtes en fer, entassées les unes sur les autres ; formant un labyrinthe dans la zone de stockage.

Elle se pensait seule, mais des bruits étranges s'élevaient dans le silence. Et elle les percevait, malgré leur captivité bien gardée. Malgré l'épaisseur de taule qui les préservaient de la liberté pour mieux les asphyxier. L'amenant ainsi à se glisser rapidement derrière un pan de mur, pour observer la scène. Extérieurement. Puis intérieurement, à la façon de la Couleur de l'Observation. Elle voyait.

- Tu f'ras gaffe, faut taper d'ssus des fois. informa l'une des voix, juste derrière le muret.

- J'sais p'tain. Arrête d'me materner, salaud. vint répondre l'autre, si-sec.

- T'es nouveau, 'sait jamais.

Deux gardes en vue, mais plus derrière. Une bonne dizaine au moins, sans compter la délégation qui partait. Mais eux tenaient toujours le coin, immobiles ou presque. Ils gardaient ; mais gardaient quoi ? Les boîtes en fer, de fait. Celles-ci contenaient des marchandises précieuses. Celles dont les bourgeois pouvaient décemment se targuer de faire affaire avec ; dans leurs barbes tout du moins. Pas éveiller trop les soupçons. Conneries. Pas éveiller trop le Gouvernement Mondial en montrant leur vrai visage à tous. Juste faire profil bas mais continuer à exporter.

Les esclaves.

- T'sais, j'ai d'jà vingt-huit ans. Tous les jours j'me dis : j'suis bien content d'êt' là. Plutôt qu'là d'dans.

- T'reste combien d'temps toi ?

- Deux ans.

Drôle de discussion, qui s'imaginerait deux types en train d'évaluer leurs espérance de vie comme des cartes tirées au poker. Eux le faisaient. C'était chose commune de savoir que l'on ne durait pas bien longtemps sur Arcadia. Où que l'on aille, quoi que l'on fasse. Enfin si, bien sûr, on pouvait toujours crécher chez les nobliaux et gagner du temps. Mais on finissait par canner ; jeune de surcroît. Et les Limiers ne dérogeaient pas à la règle. Juste le luxe des bourgeois et leur saint air sein ; non-vicié qu'il était.

- Moi treize encore qu'on dit. Mais j'fais ça pour ma mère. Bien content d'ce foutu rébellion, qu'l'on m'a pris derechef. J'pourrai rapporter des médocs à la maison c'soir p'tet bien.

- Ouais bof. Ta mère, l'est finie j'pense. Doit atteindre l'âge d'or, comme c'est qu'on dit. Toi t'as quoi ? Dix-sept, dix-huit ?

- Quinze. rectifia le jeune homme.

- Quinze, t'es encore jeune. Commence maint'nant et tu vivras trente années d'plus. Mais faut être dans les bonnes grâces des Bourges hein. Gamin.

Ouais, probablement que ça aurait pu se passer comme ça, sauf que.

Anna était un peu désolée de venir gâcher le tableau, en quelques sortes. Mais pas trop non plus. Car bon, d'un autre côté, l'endroit avait rapidement commencé à se vider des autres chiens de garde. Et elle restait là à attendre, comme les deux gusses assis sur leurs chaises, à mater l'océan en blablatant ; ils ne servaient à rien. Pis lorsqu'elle apparut finalement, ce fut pour réduire un peu les espérances de ses victimes, rêves comme vies. Tristement. L'un ne ramènerait rien pour sa mère, mourante, l'autre ne profiterait pas de ses dernières années. Elle les avait égorgés furtivement par derrière, Quart et Demi placés sous les gorges respectives.

Ses poignards ; déplacées en gestes vifs, parfaitement synchronisés. Deux véritables couteaux de chasse habituellement vissés sur ses cuisses, dans des poches hermétiques. Ils remplaçaient Clair de Lune, avaient été fondus à partir des débris du Meitou. Mais n'avaient pas sa solidité ni sa légèreté. Tout ce qui faisait la lame d'exception avait été perdu. Mais pas le sentimentalisme pour l'acier qui l'avait tirée d'affaire tant de fois. Et continuerait indéfiniment.

- Gargl... gémit le bambin, quand l'agente mit fin à son supplice, un nouveau coup porté au cœur.

Elle avait appris ça, la clémence, Anna. C'était assez nouveau mais il fallait croire que son passage au CP9, à terme, ça avait fini par en faire quelqu'un de "bien". En tout cas, elle n'attendit pas pour jeter les deux corps à la mer, dont les vagues louvoyaient à deux pas. S'écrasaient contre la bordure de pierre des quais. Pas de sang ou presque, rien qu'elle ne pourrait nettoyer. Et pourtant elle s'en fichait éperdument. Elle avait ce qu'elle voulait : la tenue presque propre du plus vieux des Limiers.

Le plus fin, le plus petit. Pas que ça lui allait comme un gant mais presque. Elle s'était donc changée vite fait, pour adopter ce style grisâtre. Un uniforme décousu, rapiécé, infesté de puces et pourtant elle ferait avec. Au moins, ça la mènerait à bon port. Et lui tiendrait chaud. De facto, elle l'avait simplement enfilé par-dessus sa tenue de base. Si elle se rendait dans la capitale, mieux valait ne pas arborer ces couleurs trop longtemps. Enfin, cela ferait-il une différence ?

Elle n'en avait aucune idée.

Elle passa tout du moins, assez simplement. Dans ces temps troubles, voir des nouvelles têtes chez les Chiens était chose commune. Elle croisa trois types et tous les trois lui sourirent. L'un d'eux la siffla même. Tant qu'on ne la touchât pas, elle s'en fichait. Mais néanmoins, son attention n'était pas vraiment portée sur son infiltration ; plutôt l'objet des quais et du contenu des conteneurs. Dedans, elle entendait bien des voix murmurer, pleurer. Dans l'une d'elles, une jeune enfant ne cessait de répéter morbidement "mon papa a besoin d'aide, il ne respire plus". Dans un vocabulaire plus enfantin, mais toutefois aussi pertinent. A Arcadia, on badinait avec la mort dès le plus jeune âge, on savait qu'elle était là, qu'elle pouvait frapper à tout moment. Mais ce qui était plus effrayant, c'était de savoir qu'au fond, on pouvait connaître pire sort que le simple décès. Et ceux enfermés ici-bas savaient.

- Aidez-nous...

- Je vous en supplie...

- Ouvrez !


Des innocents. Typiquement, pour la plupart en tout cas. Aussi bien que des opposants politiques, des révolutionnaires ou même des agents capturés. Cela pouvait tout être, à l'intérieur et Anna s'imaginait bien le calvaire. Mais elle gardait la face. Elle avait connu pire et savait rester de marbre. Pour que certains vivent, il fallait souvent que d'autres meurent.

Elle le savait bien.

Un crédo qu'elle pratiquait, suivait à la lettre. Bref, cette fois-ci elle laissa couler. Alla même jusqu'à engager la conversation avec un soldat qui la regarda un peu trop longtemps, à son goût. Le dernier rempart.

- Et t'as dit, tu t'rendais où comme ça ma belle ? Y'a un nouvel arrivage, 'va arriver bientôt. Y'a b'soin d'mains, t'sais...

- J'sais p'tain. Mais veulent m'voir là-bas. Pensent que j'sais des choses. Sur les révos là. J'y connais rien, mais j'ai pas l'choix. C'les ordres.

Jouer sur la hiérarchie pour faire entendre sa voix, c'était pas nouveau. Ça marchait partout. Pour le gaillard qui semblait plus la zieuter avec une envie irrépressible de lui sauter dessus, ses raisons n'avaient pas trop d'intérêt. Était-elle tant que ça un canon de beauté par ici ? Les cheveux blancs, probablement. L'apanage de tous les êtres humains vus jusqu'ici. Albinos.

- Vas y t'sais qu'c'est bon. C'pas d'mon ressort, poupée.

Il accepta donc, lui ouvrant la voie. Mais commit la grotesque erreur de lui tripoter les fesses aux passage. Alors, sans appel, la main de la jeune femme vola vers la figure de l'obsédé. Accompagnée d'un couteau qui lui ouvrit le crâne de haut en bas, avec la puissance démesurée du coup. Et fit chuter le cadavre. D'ailleurs, elle ne prit même pas la peine de le déplacer avant de s'engager hors de la zone de stockage ; en direction du no-man's-land entourant la gare. Ça aurait pu être n'importe qui. Et comme personne n'avait daigné lui demander de décliner son identité, les faits abondaient dans son sens.

Annabella était n'importe qui.


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Ven 24 Fév 2017 - 17:46, édité 1 fois
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Le no-man's-land. On n'appelait pas comme cela la vaste plaine séparant la capitale du Seizième sans raison. C'était vaste, c'était plat mais encombré. Un territoire tristement peuplé de débris. De bâtiments écroulés depuis longtemps, de gratte-ciels ramenés au stade de basses ruines. Au fil du temps, le relief du quartier avait été effacé pour donner cet aspect de décharge à ciel ouvert. Et les cadavres continuaient malgré tout de s'amonceler, notamment autour de la muraille bordant le seizième. Que Anna avait soigneusement évitée sur son chemin.

L'agente progressait difficilement, le sol n'étant pas véritablement de la terre, mais surtout des myriades de débris de toutes tailles. Il fallait être précautionneux et s'armer de patience ne serait-ce que pour faire cent verges. Ce qu'Anna avait fait, quand il lui fallait en tout parcourir un bon mile.

La zone était circulaire, un long arc-de-cercle bordant la gare. Et à côté, la petite agglomération bourgeoise, à seulement quelques centaines de verges. Quand la capitale était si loin. A y réfléchir, c'était comme si tout ça avait été prévu. Si l'on avait volontairement rasé cette partie de la ville pour avoir une vue dégagée sur les territoires alentours. Et comme le disque était parfait, davantage centré sur le Seizième que sur la station, à vrai dire, cette théorie ne mit pas longtemps à se poser en vérité générale dans la tête de la jeune femme. Les Bourgeois avaient peur.

Mais peur de quoi ? La question se tenait. Anna avait du mal à croire que les ossements éparpillés sur son chemin désignaient une éventuelle menace. Quand ceux-ci était recouverts de loques et ne tenaient même pas d'armes. Pour certains, à la limite, des barres de fer, tuyaux en plomb et autres pieds de biches. Non, la véritable raison derrière toute cette mascarade, c'était la paranoïa des riches. Déjà bien lovés dans leur Eden, ils ne pouvaient pas simplement se trouver à proximité de la ville. Alors ils avaient rasé tout ce qu'il y avait autour. C'était l'explication la plus probable. La peur les avait donc rendus fous. Des fous des plus dangereux, car des fous puissants ici.

Son pied buta contre quelque chose. Ça n'était pas la première fois, mais cette fois-ci le craquement sinistre de l'objet blanc et sphérique sous la botte de l'agente la déconcentra. Quand elle remarqua que sa semelle venait ainsi d'écraser la mâchoire d'un crâne d'enfant. Abscons, elle fit tout de même l'effort de replacer les ossements du bambin, avant de les recouvrir avec une toile de jute traînant à côté. Puis continua en direction de la ville. Le moment venu de se débarrasser de sa couverture d'ailleurs, si elle voulait passer inaperçue. Le contact de l'air était frais avec sa tenue déchirée en-dessous. Ses haillons volontairement salis. Et en se recouvrant le visage et les bras de terre, elle rentrait parfaitement dans le moule.

Au creux de la nuit, personne ne l'avait donc vue arriver. L'albinos ; comme beaucoup d'entre eux, c'était vrai. Telle une ombre blanche, elle s'était glissée dans la première ruelle du quartier le plus proche. Le Onzième, selon les vieux panneaux rouillés et des enseignes de magasins. Pourtant, l'endroit n'avait rien à envier au no-man's-land. La déconstruction du paysage était similaire, sinon moins avancée. Avec des humains pour garnir le tableau.

"Humains".

La pauvreté régnait en maître. Bien au-delà du terme de "ruines", les êtres vivants eux-même semblaient démolis, comme l'infrastructure environnante. Voire pire. Dans un coin gisait une petite femme maigrelette, la bave au lèvres avec une seringue fichée dans le bras, à demi-morte ; vingt ans. Derrière un muret en briques rouges, un adolescent en train de manger un rat. Avec un regard... inhumain ; celui-là devait déjà avoir mangé de la viande d'Homme. Mais le pire, ce fut la toute petite. Recroquevillée au milieu de la rue, entre deux tas de déchets et une flaque de boue. Ou d'excréments. Son dos s'élevant difficilement au gré de ses respirations saccadées, rongée par une maladie inconnue qui lui épuisait son souffle. Elle, elle ne devait pas avoir plus de cinq ans.

Du reste, c'était dans la même veine. Des bêtes sauvages ou désolées aux apparences vaguement humaines. Des junkies, cannibales, voleurs, assassins, violeurs... ; les mœurs étaient tellement gravées dans chacun d'eux que l'on pouvait presque leur attribuer une étiquette au jugé. A leurs yeux ravagés par la détresse psychologique. Aussi se trouvaient des cadavres empuantissant les voies et encombrant les rues. Ou des enfants mourant de faim, souvent difformes. Les fameuses maladies congénitales et cancers formés par l'environnement, dès la naissance. Mais par réflexe, Anna plaqua un pan de son col déchiré contre son nez, comme pour s'en protéger vainement.

- Quelle horreur. Quelle misère. pensa-t-elle, touchée par la décrépitude des portraits.

Un Memento Mori grandeur nature. C'était plus que l'agente ne pouvait en supporter. Jamais au grand jamais elle n'avait vu pareil bidonville. Un endroit aussi glauque, aussi dangereux, comme si chacun de ses pas la rapprochait d'une mort soudaine. Et inexplicable. Qui pouvait être n'importe où comme n'importe qui. Ici, un enfant pouvait aussi bien vous tuer pour vous grignoter ensuite. Tandis qu'un adulte était capable de bien pire. Ou peut-être pas. Finalement, mourir n'était probablement pas la pire des solutions, pour les natifs.

Délivrance.

Dans tout cela, ce qu'elle cherchait ? Ça n'était pas clair. Non, pour cause, elle s'était uniquement rendue dans la capitale pour évaluer les dégâts du régime. Comme elle envisageait aussi de se rendre à Alsbrough pour en voir tout le pus s'écouler librement. Mais ça serait bien plus tard. La vue de la Capitale lui suffisait bien ; une plaie nécrosée, un cancer en phase terminale. Ici tout le monde était déjà plus ou moins en fin de vie, même le bébé qui venait de naître. On ne pouvait même pas leur souhaiter tout le bonheur du monde. Et c'est pourquoi on leur fracassait le crâne quelques instants après leur premier cri.

La vue du mur rougi par le sang des bébés sacrifiés fût la goutte d'eau qui fit déborder le vase.

Révoltée, la jeune femme avait honte. Honte que le Gouvernement Mondial n'eusse rien fait pour mettre un terme tout cela. Raser l'île ou bien la sauver, mais ne pas laisser la situation s'envenimer davantage. Jusqu’à aujourd’hui. Pourtant généralement peu compatissante, la CP9 se sentit submergée par la tristesse du spectacle. Et s’anima d’un désir ardent d’en finir. Là, maintenant. Dépassée pendant plusieurs minutes, à ne plus savoir quoi faire.

Enfin, elle daigna faire face à son impotence en la matière. Que rien ne pourrait changer aussi vite. Que les gens continueraient de mourir et vivre dans la crasse et les tumeurs, le temps qu'elle intervienne. Puis que le monde évoluât et que le pays se soignât. Des années, des siècles peut-être. Pour venir à terme de cette pollution maladive.

Alors au gré de ses déplacements, elle parvint finalement à se convaincre de l’intérêt de sa mission première, qui la laissait pantoise depuis le début. Il ne s'agissait pas que d'une simple manipulation des forces en vigueur. D'un complot. Il y avait un intérêt réel derrière tout cela. Pour le pays, ses habitants. Au détour d'un chemin, elle se rendit brutalement compte qu'elle venait de nouer un lien inextricable avec Arcadia. Éprise par une maladie plus révolutionnaire que gouvernementale.

Le syndrome du sauveur.


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Sam 8 Oct 2016 - 0:44, édité 2 fois
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A la pêche aux informations, elle s'était perdue. Dans la capitale, toutes les rues se ressemblaient. Seules les effluves pestilentielles et la présence potentielle de cadavres épars rendaient la navigation possible. Pourtant, certaines avenues tranchaient efficacement l'agglomération d'un coin à l'autre. Mais lorsque l'on se trouvait dans celles-ci, il valait mieux ne pas faire long feu.

Finalement, au gré de ses pérégrinations dans les diverses allées, Anna s'était retrouvée au nord de la ville. Pas si loin de son point de départ, elle avait tourné en rond. Et si devant elle, le Seizième se dressait fier et propre, elle semblait à nouveau avoir mis les pieds dans le coin le plus miséreux de la capitale. Sans vraiment être sûre d'avoir vu le contraire se présenter à un moment. Ce qui l'amena à finalement tenter d'avoir une conversation avec les riverains. Ceux qui n'étaient pas endormis, ni groggy, ni drogués.

- 'Scusez... intervint-elle en se penchant par dessus la carcasse d'un jeune homme aux cheveux longs et poisseux, visiblement éveillé.

Les yeux ouverts à vrai dire. La bouche aussi, découvrant des dents gâtées par les intempéries et la malnutrition. Il peinait à lui répondre, mais lorsqu'il réussit ce fut pour lui demander :

- D-de... l'eau...

L'agente du Cipher Pol n'avait qu'une seule gourde, déjà quasiment à sec. Si elle voulait faire preuve de charité, elle n'était pas sûre d'y gagner au change. Rien ne disait que le clochard savait ce qu'elle voulait savoir. Par ailleurs, elle se tenta à lui poser la question, en lui déroulant son scénario.

- J'cherche un moyen d'sauver mon p'tit frère siouplaît... il a été emmené c'matin par les Limiers. Siouplaît. J'ai entendu parler d'la Vox...

- Ah ! Ah !! Non, lâchez-moi ! N-non, j'sais rien ! J's-serai pas un b-bon esclave ! P-pitié, laissez moi m-mourir...

L'homme s'était brusquement animé, pour replonger dans sa contemplation des ténèbres. Systématiquement, les approches d'Anna se concluaient par ce genre de réactions. Ils avaient peur, naturellement, si bien conditionnés pour savoir que leur mort lente était préférable aux vices de l'esclavage à bas coût. Ils seraient probablement utilisés pour des tâches ingrates sans être plus nourris ni logés que ça. Alors pourquoi ne pas rester là et se perdre dans la faim et la soif, jusqu'à fermer les yeux ? En un sens, l'agente qui n'avait jamais vécu pareil dilemme les comprenait. Dans un geste d'empathie, elle chercha même à apporter une lampée d'eau au gonze. Grand mal lui prit.

Car l'homme profita de son manque de vigilance pour lui subtiliser son bien. Et le vider avant qu'elle ne puisse le récupérer. Pour s'effondrer à nouveau, en flaque compacte sur le sol, les mains sur le crâne. Il attendait de recevoir le châtiment pour son pêché. Mais l'agente n'en fit rien. Elle s'en alla juste d'un pas preste, aussi rapidement qu'elle s'en était venue, poser la question à qui mieux mieux. Encore et encore. Elle finirait bien par trouver quelqu'un. Même si pour cela elle devait se passer de vivres et de vêtements.

Bien évidemment, vint le moment où elle attira beaucoup trop l'attention, lorsqu'au bout d'une heure certains interrogés se mirent à la poursuivre discrètement. A suivre ses détours. A l'attendre dans les recoins des bâtiments en ruines. De plus en plus nombreux. Des hommes qui n'avaient pas vu une fille bien assez en chair depuis longtemps, avec un corps aussi sain. Anna se savait la proie des individus ayant perdu l'esprit, mais elle n'en faisait pas de cas. Elle était bien plus dangereuse que tous les lépreux réunis. Ainsi qu'au courant de la présence de chacun autour d'elle.

Non, c'étaient les âmes échappant à son radar qui lui filaient la chair de poule.

- 'Pouvez m'dire où on trouve la Vox Dystopia ?

- Z'êtes trompée d'personne. répondit un autre, lui aussi assez jeune mais paraissant très vieux.

C'était l'un des apanages des bonshommes d'ici. Trente ans et au crépuscule de leur vie, ils semblaient tout bonnement aussi ridés et fatigués que les vieillards dans leur âge d'or. Sans pour autant avoir pu profiter d'une espérance aussi longue. L'espérance...

Mais derrière lui, une paire d'yeux attendait, tapie dans l'ombre. Elle écoutait attentivement et intervint oralement lorsque le gaillard se rassit sur le sol, comme si tenir debout lui demandait bien trop d'efforts. Elle, elle semblait différente. Et lorsque sa voix rauque grinça dans l'air, Anna sut.

- Moi j'peux t'dire.

Après plusieurs longues secondes passées à scruter l'obscurité, à essayer d'en deviner le contenu et distinguer les formes s'y mêlant, une silhouette s'en détacha. Svelte et fine, autant que possible, elle se dessinait en le corps d'une jeune fille. Beaucoup plus jeune qu'Anna, à vrai dire, peut-être tout juste sortie de l'adolescence. Avec pour tous vêtements, une veste large et noire, ouverte, et un pantalon troué, nonchalamment noué autour de la taille par une ceinture de chanvre. Sous ces seules couches de vêtements, elle était nue. Mais cela ne semblait pas la gêner, ça lui seyait plutôt bien d'ailleurs, étant donné la grâce de ses déplacements. Elle n'en avait visiblement pas grand chose à faire, d'avoir une partie de la poitrine et le nombril à l'air.

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Cette simple apparence et cette décontraction, cette sensation de se trouver en la présence d'une personne relativement sombre mais sensée, firent rapidement comprendre à Anna que la gamine avait de l'influence. Une révolutionnaire peut-être. Mais une cheffe de gang, probablement davantage. Et si la corneille semblait aspirer à savoir, c'étaient probablement des informations qu'elle devrait payer. Restait à voir de quelle façon.

- Pourquoi la cherches-tu ?

Anna joua la carte de l'innocence et recommença son laïus. Sur son jeune frère capturé par les Bourgeois et emmené à la gare. Actrice parfaite, elle n'eut au moins pas grande peine à transmettre ses faux sentiments. Moins pour sensibiliser son interlocutrice que pour parfaire sa couverture. Ayant eu l'occasion de chaparder le dialecte local lors de ses derniers échanges, elle parvint même à convaincre la jeune femme de ses origines Arcadiennes. Ce qui n'était pas si difficile que ça, en soit. La Capitale était gigantesque, mais il y avait bien d'autres ruines habitables aux alentours. Et de jeunes femmes naïves, il y en avait tout un tas. Même si la plupart d'entre elles ne survivaient pas bien longtemps. Dit-elle.

- J'pense pouvoir t'aider. Viens avec moi.

Entre temps, le duo s'était légèrement déplacé. Mais cette fois-ci, l'adolescente fit comprendre à l'agente qu'elles devaient continuer dans une nouvelle ruelle. Plus sombre, plus étroite, plus odorante. Dans le but de rallier la prochaine allée.

- Des gens là-bas, ils sauront t'utiliser.

Utiliser les êtres humains. Il semblait que c'était l'aspiration locale. Peu de gens étaient utilisés, mais ceux-ci étaient heureux de l'être. C'était plus ou moins comme avoir un travail, sauf que l'on n'avait pas vraiment de statut d'homme ou de femme. Juste d'outil et de matériel. Au fond, avoir des informations pour les chefs de gang, c'était le meilleur moyen d'être utilisée. Ici comme ailleurs, avec une bonne information, on pouvait faire de grandes choses. Taper sur des Limiers, infiltrer le Seizième, joindre la Vox Dystopia. Ou faire chanter les gens. Et Anna laissait croire qu'elle en avait, des informations, en échange. Ce qui n'était pas tout à fait erroné.

Elle serait bien capable de dire que trois hommes avaient trouvé la mort, ce soir, sur les quais de la gare. Et que le coupable n'avait pas été retrouvé. Pour les esclaves dans les conteneurs, elle n'était pas sûre de la primeur des données. Beaucoup déjà devaient le savoir, qu'on enfermait les marchandises dans des boites.

Mais cela, visiblement la jeune femme, qui s'identifia sous le nom de Hermione, elle n'allait pas en tirer un prix. Anna les sentait, bien qu'elle avança malgré tout. Et lorsque la jeune femme s'évapora soudain à ses côtés, pour laisser le sale boulot à ses sous-fifres de capturer la donzelle, Anna riposta. Sur le premier, avant même qu'il n'attaque. Elle lui brisa le crâne d'un coup de poing bien placé, qui l'envoya s'étaler contre un mur, le visage en sang. Le moment se figea alors, quand les quatre autres larrons comprirent le stratagème.

La force d'Anna n'était typiquement pas celle d'une jeune fille perdue.


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Mer 21 Sep 2016 - 20:36, édité 2 fois
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- Impressionnant.

Pour la poignée de types qui avaient bien tenté de capturer l'agente, il ne restait que des gars moins braves et pas mal amochés. Même pas à bout de souffle, la jeune femme attendait patiemment que les choses se passent, effacée dans le décors. Les épaules collées à un mur ayant connu les affres du temps et des éclats de balles. Elle avait liquidé les gorilles à la seule force de ses poings ; par obligation, le Rokushiki était évidemment interdit. On pouvait bien être forte sans être agente secrète. Mais naïve et innocente, bien moins.

- Ton frère, hein ?

Cette excuse ne tenait plus vraiment. Celle d'une passion encore plus dévorante, capable de faire chavirer le cœur d'une femme et de la rendre plus forte. Un frère, ça pouvait se détester. Mais ça :

- Mon fils.

Moins. Après tout, l'agente ne faisait pas si jeune que ça. Malgré sa peau lisse, ses cheveux fins et ses yeux brillant d'une lueur vivace, ayant tendance à s'éteindre régulièrement. Sa tenue étrange dévoilant des formes existantes, pas exubérantes mais décidément celles d'une femme. Elle donnait au moins dans les vingt-cinq ans, quand elle en avait en réalité vingt-neuf. Et avec un enfant qu'elle avait déjà eu, elle n'avait pas à aller bien loin dans son mensonge, au cas où les questions dérouleraient.

La jeune gangster arqua un sourcil, les yeux mielleux de suspicion. Mais soit Anna était trop bonne actrice pour savoir laisser transparaître sa motivation sur son visage, soit elle était vraiment désireuse de sauver un proche ; son gosse. Sauf qu'au fond, Hermione s'en fichait du prétexte, s'imaginant qu'une raison ou un autre pouvait être aussi bien valable, tant qu'elle y trouvait son compte. Dans tous les cas, elle comprit qu'elle n'avait rien à perdre à essayer. Ce n'était pas comme si la CP9 comptait s'en prendre à elle, aussi ataraxique qu'elle pouvait l'être. Non, elle ne faisait aucun geste brusque, allumant simplement une cigarette qu'elle portât à sa bouche. Quand le verdict tomba.

- J'veux bien croire ça. Ici peu d'mères peuvent s'vanter d'protéger leurs chiards. Pas assez fortes. Mais toi...

Pour la brunette, l'inconnue était une véritable force de la nature. Qu'importe donc d'où elle venait, ce qu'elle faisait. Mais si elle pouvait l'utiliser, elle était sûre d'aller loin. Bien plus loin qu'avec ses quelques hommes de mains qui avaient été honteusement défaits en quelques minutes.

- Écoute, ça m'branche ton histoire. En vrai, j'sais pas vraiment où trouver les révos. S'cachent bien ces salauds, surtout d'puis leur dernière connerie. En r'vanche, ça m'intéressait bien qu'on fasse affaire toi et moi.

Affaire. Le mot résonna dans le crâne de l'agente qui finit par étirer un large sourire sur son visage. Si l'on connaissait la personne, on savait bien que celui-ci n'avait rien de sympathique, purement carnassier.

- Quelle affaire ? s'étonna-t-elle ainsi.

Jadis assise sur un tas de briques, en hauteur, à conserver une vue plongeante sur la scène de la ruelle, l'adolescente descendit soudainement. Ses deux pieds vinrent frapper le sol comme si elle pesait un bon poids, malgré son apparence maigrelette. Cette femme n'était pas non plus à prendre à la légère.

- La révo', un p'tit moment que j'cherche à les contacter aussi. Pour ça que j'avais réuni c'types là à la base. Mais r'garde les, sont tout juste bons à voler, brigander, glands qu'ils sont. J'ai donc dû laisser tomber mes projets, t'vois. Jusqu'à c'que tu t'pointes en ville en d'mandant à voir la révo', l'aubaine. B'sang, j'aurais jamais pensé que t'étais aussi costaude...

- Et donc ?

- Et donc, pour attirer la révo ici, faut s'friter contre les grands patrons et leurs chiens. Faut leur mettre d'bâtons dans les roues. Moi j'sais comment faut faire, mais j'ai b'soin de mains. Et tu viens juste d'me les couper.

Anna ne se sentait pas particulièrement redevable, malgré le ton de la dernière phrase se voulant quasiment lourd de reproches. Cette histoire, ça n'était pas vraiment de sa faute. Elle s'était faite attaquer. Et pourtant, l'instigatrice du guet-apens semblait davantage à plaindre pour l'échec de sa tentative que la victime elle-même. Elle ne tournait définitivement pas rond. Ce qui, bien étrangement, plut à Anna. Qui se gaussa tout naturellement en donnant un coup de pied dans l'un des corps perclus de soubresauts. Renversant l'une des larves.

- T'avais pas dit qu'ils servaient à rien ?

- M'ont servi à te trouver, toi. répondit la gamine, souriant de plus belle, devant sa perle rare.

Anna mit quelques secondes à comprendre, mais lorsque ses réflexions parvinrent à lui donner la réponse, elle était en quelques sortes charmée. La situation lui faisait tourner la tête tandis qu'un semblant de plan commençait à se dessiner dans son esprit. En pensant l'utiliser, son interlocutrice était elle-même un objet supplémentaire pour sa couverture. Native, brusque, criminelle, mais toutefois tentée par les idées de la Vox et ne souffrant visiblement pas sa mort précoce. Comparée à tous les déchets peuplant les rues, elle était dynamique et vive, comme une anguille. Et plus intelligente qu'elle ne le paraissait. Le partenaire idéale pour s'infiltrer, en somme. Un bien beau paradoxe qui enjoliva le visage de la blondinette d'un teint lumineux. Malgré la peau camouflée sous la couche terreuse qui lui donnait l'impression d'avoir plongé dans une flaque. Ce qu'elle avait fait.

Ce que Anna savait déjà pour la suite, c'était qu'elle avait l'ascendant sur le duo. Elle avait la force, la vaillance et les informations. Quand l'aspirante révolutionnaire se voulait uniquement être la tête pensante du groupe. Avec des indications qui sauraient peaufiner la libération d'esclaves.

Car c'était bien l'idée de départ pour gagner en notoriété sans grande difficulté. Profiter de la faiblesse de la garde sur les quais pour libérer les prisonniers. Et enchaîner ça avec d'autres actes terroristes pour en boucher un coin aux Bourgeois. Seule, c'était difficile, mais à deux faisable.

- Par quoi on commence ?


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Sam 8 Oct 2016 - 0:55, édité 1 fois
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- Hep. Toi, là. La nouvelle. T'as pas entendu qu'que chose ?

- Hein ? Euh, non. Rien entendu, héhé.

- Ah bon, j'croyais. P'tain, d'puis l'autre fois, j'ai plus confiance. Paraît que y'a trois types qu'on a r'trouvés creuvés avant-hier. Pas envie d'finir comme eux.

- J'comprends, dur boulot.

- Héhé, t'l'as dit.

Hermione reluqua une dernière fois son compagnon d'arme, tandis qu'il s'esquivait plus loin, en direction d'un hangar. Puis glissa la main dans sa poche et en retira un paquet de cigarettes. En saisit deux et les grilla en même temps, après les avoir portées à sa bouche. Pour recracher un épais nuage de fumée. Elle se rappelait bien ce qui l'avait mise dans cette situation. Pas trop à l'aise, elle aurait bien chéri un tas de pierre sur lequel s'asseoir à des miles de là. Mais s'était laissée embobiner par sa camarade. Mince, c'était elle le cerveau bon sang. Qu'est-ce qu'elle foutait là ?

Elle lui avait demandé comment elle avait trouvé les fringues. Lorsqu'elles s'en étaient retournées dans le no-man's-land, à l'endroit où Anna avait planqué ses affaires. Un coin typique que rien sinon sa mémoire n'aurait su retrouver. Dans un baril rouillé, elle y avait fichu la tunique du soldat qu'elle avait assassiné. Et ça, ça en avait bouché un coin à la voleuse.

- J'les ai trouvés, pas loin. Sûrement un qui s'est fait chopper par la Vox en chemin.

Assez régulièrement, les Limiers descendaient en petits groupes dans la Capitale pour faire leurs rafles d'esclaves. Mais dans certains cas, tous ne rentraient pas indemnes. Cela pouvait être un coup de la révolution aussi bien que des habitants du coin. Ou des gangs. Mais du coup l'excuse tenait bien. A ce moment-là.

- Héhé bah écoute, ça va être plus facile que c'que j'pensais.

- Ouais, à toi l'honneur. enchaîna l'agente, en lui tendant l'uniforme.

L'adolescente resta interdite, avant de faire un geste du doigt pour manifester sa négation de plus belle.

- Hinhin. Hors de question que j'm'infiltre, j'suis la tête pensante, t'oublies.

- T'pourras être la tête pensante sur le terrain. T'as oublié l'plan ? Imagine tout va mal. M'faut un allié infiltré.

En temps normal, Anna pouvait très bien s'assurer de ne laisser aucun témoin. Pourtant, là, l'opération avait pour but inverse de faire de la mauvaise publicité pour les deux gonzesses. Et si Anna devait être la seule à faire le sale boulot, elle serait aussi la seule reconnue par la révolution. De là, Hermione avait imaginé une tactique pour se mettre en valeur. Consistant en un bombardement intensif de la zone en grenades... lacrymogènes.

- On fait avec ce qu'on a... avait-elle rajouté.

Sauf qu'au dernier moment, Anna préférait plutôt avoir sa coéquipière à ses côtés, quitte à lui marcher dessus et à prendre des risques. Mais au moins être sûre que si ça virait mal, elle n'aurait aucune peine à mettre une raclée phénoménale aux esclavagistes. Et encore, elle devait se limiter. Pas de séismes, pas de Rokushiki. Donc sans Soru ni Tekkai ni même Geppou, l'agente se révélait totalement vulnérable face à plusieurs types armés de fusils, mais aussi d'arquebuses.

Et si avant ce n'était probablement pas le cas, ça l'était désormais depuis son dernier passage sur les quais. Belle performance.

- 'Sont beaucoup.

-  Pas un problème. Regarde, d'autres arrivent par là-bas. T'as qu'à les r'joindre, prétendre que t'étais en r'tard.

Difficile de croire que ça avait marché et pourtant. La faille semblait inépuisable. Les Limiers ne se connaissaient pas et les officiers eux-même n'avaient pas une liste exhaustive de leurs hommes. De fait, il était particulièrement facile de profiter de la brèche pour s'y glisser et en ressortir sans accrocs. Alors pendant que l'autre drôle de gangster faisait la brave, les épaules droites, à se prendre pour un soldat, se voyant attitrée à un endroit. Pour garder l'un des innombrables conteneurs. Anna, elle, fit le tour, accroupie dans les hautes herbes séchées. Des espèces de buissons précaires, morts, cachaient son évolution. Et puis plus que ça, il faisait nuit.

Après tout, elles avaient eu presque deux jours pour préparer la manœuvre.

Alors Anna atteignit sans grande peine l'endroit le plus à découvert et le moins bien surveillé. Deux gardes à peine armés, pour leur part, plantés devant une grosse entrée. Un trou dans le grillage servant à desservir directement les quais depuis la zone de stockage. Des rails dans le sol permettaient ainsi de faire glisser ou rouler les conteneurs vers les navires des commerçants. Les deux types encadrant la zone se trouvaient à plusieurs dizaines de pieds l'un de l'autre. Elle avait le temps d'opérer. Pendant que l'un regardait ailleurs, elle se glissa aux côtés du second. Loin d'être furtive, elle se mit délibérément dans son champ de vision et avança sans discontinuer.

- Hep... euh... halte-là !

Le problème avec cette île, c'était que pour faire des soldats de moins de trente ans, il fallait un entraînement intensif. Leur apprendre à tirer, à être sur leurs gardes. Et les nouveaux arrivaient pas trop à gérer toutes ces informations leur bondissant au visage au même moment. Même sa voix nasillarde vint s'éteindre dans sa gorge lorsqu'elle le rejoignit, saisit sans difficulté aucune son fusil et lui donna un puissant coup de crosse dans la tempe. Bien certaine que son visage soit imprimé dans son crâne, elle balança l'arme au visage du second type venu prêter main forte au blessé. L'objet ricocha sur son avant-bras porté en bouclier, oblitérant temporairement la vue du bonhomme. Assez pour que ce soit le poing de l'albinos qui soit la prochaine image lui marquant le nez et lui pochant les yeux. Elle sentit un os craquer sous la pression de l'une de ses phalanges, mais ça avait payé son prix. Les deux avaient été mis KO en moins d'une minute. Un coup de pied dans le visage du premier, toujours en train de gémir faiblement, eut raison de son reste de conscience.

La suite de la traversée jusqu'au premier conteneur se fit sans véritable obstacle. A partir de là, Anna se fondit davantage dans le décors. Grimpant sur les boites en fer, elle se mit à enjamber les passages étroits sillonnés par les soldats qui ne se doutèrent de rien. Ses pas furtifs la faisant croire aussi dextre qu'un chat ; ça l'aidait bien. Et pour ouvrir les portes une fois rendue au-dessus, une pince monseigneur fut d'une grande aide. Retrouvée dans les méandres de la tanière d'Hermione, avec tous les objets qu'elle avait pu voler. C'était ça ou bien un sécateur. Le choix avait été vite fait, au grand dame des chaînes en acier qui ne mirent pas longtemps à résister. Et à la pression des biceps d'Anna. Et au vieil outil rouillé mais toujours aussi robuste.

Après sa première utilisation, la pince vola pour atteindre un garde à la tempe avant qu'il ne tire. Le temps d'ouvrir les portes déverrouillées, d'inspecter les visages des corps entassés à l'intérieur et espérer qu'ils ne fussent pas tous morts asphyxiés. Mais non, dans la plupart des cas les esclaves étaient bien vivants. Et ne réfléchirent pas à deux fois avant de se précipiter hors des cages.

- Et là ! Là ! Tu as entendu ?!

- Toujours rien.

- Mais... Mais si, on aurait dit des cr-

PAF !

La vieille carabine de la jeune femme vint percuter la mâchoire du sous-fifre pour l'envoyer bouler au loin. Elle eut un instant de réflexion. Rapide, c'était plus rapide que prévu. Avait-elle bien fait ?

- A partir du moment où ça d'vient le bordel, c'est l'signal. se rappelait elle lui avoir dit l'albinos.

Elle prit quelques secondes pour inspecter la situation. Tandis que les soldats couraient dans toutes les directions pour essayer de rattraper les détenus évadés, elle pouvait voir le halo d'Anna s'appliquer à faire sauter d'autres verrous. De façon très étrange, mais vraisemblablement efficace.

Allongée sur le toit de chaque boîte en acier, elle découpait négligemment les chaînes en contrebas. Et ce sans se soucier des gardes-chiourmes qui s'agitaient de plus en plus, à mesure que ça devenait davantage la zizanie. D'abord libérer les esclaves, ensuite frapper.

Et puis il y eut le premier coup de feu.


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Sam 8 Oct 2016 - 1:04, édité 2 fois
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- Aouch.

Elle se passa instantanément la main sur son mollet. Qui se recouvra de sang en rencontrant la plaie. Superficielle ; la balle l'avait simplement éraflée. Mais la blessure ne cessait de décharger abondamment un flot de sang continu. Et ses mouvements devenaient un peu plus douloureux.

Le garde avait eu plus de réflexe qu'escompté. Arrivée à son troisième bloc, elle avait été aperçue à manœuvrer sur les toits, tirée comme un lapin. Elle avait pu se déplacer assez vite pour ne pas se faire trouer, mais pas assez pour rester indemne. L'homme qui l'avait d'ailleurs touchée n'avait pas hésite une seule seconde. A la fois car certains de ses collègues étaient déjà tombés au combat, devant les poings furieux des esclaves libérés. Mais aussi car il était tout simplement l'un des plus vieux, sinon le doyen ici-bas. Sans épaulettes pour bien imager son grade, il était celui qui aboyait les ordres et savait comment agir. Un vétéran au visage buriné et maculé de cicatrices.

Pour sa part, l'agente était plaquée sur la surface d'un conteneur, attendant le moment propice pour se dégager. Interrompue dans sa mission, elle n'espérait bien évidemment pas réussir à ouvrir tous les box à la volette, en profitant éternellement de l'inertie des gardes. Disparaissant de plus en plus à cause de la cohue. Non et de toute manière elle relativisa. Ce n'était pas pour un peu de sang...

- Rends-toi, tu es faite ! hurla l'officier.

Certes, les bruits des bottes s'ameutaient tout autour de la boîte. Toujours vissée dessus, étendue de tout son long, elle ne daigna même pas jeter un œil par dessus la bordure pour estimer ses opposants. Nombreux, ils étaient nombreux, c'était tout ce qu'il fallait savoir. Certains tenaient prisonniers en train de se débattre, d'autres des corps inanimés. Simplement inconscients ou mort. Mais pour sûr, c'était bien là que se trouvait la plus grande partie du gratin. Pas ailleurs.

Alors autant dire que la situation était trop belle pour ne pas en profiter. Anna reconnut l'aura de la jeune femme, qui vint récupérer l'outil gisant à terre, à des pieds de là. Elle l'avait volontairement balancé, passant la main à sa collègue qui ne tarda pas à poursuivre la quête. Encore deux.

- Hé, toi, qu'est-ce c'est qu'tu fais avec ç-

BLOM !

Elle aurait aussi bien pu dire qu'elle le ramenait à l'atelier, mais c'était prendre des risques. Il ne devait pas y avoir d'atelier. En tout cas, balançant la pince de droite à gauche, elle faisait des ravages. Sur le seul pauvre type qui s'était mis sur son chemin. Puis elle le laissa, avec un trou singulier dans le crâne, en forme d'outil.

Grâce au coup de feu et à Anna, Hermione pouvait librement circuler au niveau des autres blocs. Et faire sauter les serrures. Rencontrant de temps à autres des gardes n'ayant pour seul ordre de rester occuper les zones stratégiques. Des entrées, des hangars. Elle devait ruser ; ce qu'elle fit de nombreuses fois. Pour ne pas alerter tout le monde, elle dut étrangler quelques types en les étranglant avec un lacet de chaussure. Ou bien en assommer d'autres. Mais grâce à son uniforme, elle jouissait d'un effet de surprise incontournable. Finalement, elle était bien contente d'être là, dans ce rôle, quand Anna servait désormais de leurre. Elle, elle finissait le boulot.

- Mille merci ! Merci, merci !

- Dieu soit loué !

Et autres accolades chaleureuses des délivrés lui fondant dessus, s'extirpant hors des conteneurs à la façon d'une fiole se déversant de son précieux liquide. Ils étaient quasiment une armée. Mais dispersée et effrayée, ils ne firent évidemment rien d'autre que fuir dans toutes les directions. Et elle de détruire la dernière chaîne pour découvrir cette fois-ci non pas des hommes ou des femmes... mais des enfants. Ils avaient tous été mis à l'écart et étaient étrangement silencieux, calmes. C'était morbide, presque terrifiant. Certains osèrent s'en aller, mais d'autres en voyant l'uniforme de la bonne femme la prirent pour un Limier. Et se galvaudèrent au fond de leur cage, jusqu'à ce qu'Hermione leur fasse expressément signe de déguerpir.

Voilà, c'était chose faite. Elle pouvait s'en aller désormais. Et Anna ? Bah, elle l'avait déjà utilisée. Était-ce judicieux de la sauver ? On était sur Acardia, il n'y avait aucun intérêt à sauver sa vie pour celle de quelqu'un d'autre ici. A la vitesse où celle-ci s'écoulait, il n'y avait pas une minute à perdre. Et pourtant, la brigande douta. Etait-ce suffisant, tout ce tapage, pour attirer la Vox ? Et si elle devait encore avoir besoin d'un homme de main aussi peu onéreux. Car la bonne femme ne demandait pas grand chose en échange. Sauver son fils ? La garce était sûre de l'avoir probablement déjà fait. Sa mission était un franc succès. Et pourtant, quelque chose l'arrêta dans sa fuite.

- TU VAS TOUT DE MÊME PAS M'LAISSER TOMBER !

L'agente l'avait sentie s'éloigner. En avait succédé un drôle de tremblement de terre, comme volontaire. La zone peuplée de gardes non loin semblait en être l'épicentre, d'ailleurs. Ce qui fit s'interroger Hermione sur la possibilité d'une telle coïncidence. En tout cas, cela la stoppa net. Et lorsqu'elle vit une silhouette se dresser sur l'un des conteneurs, justement celui encerclé, elle se sentit obligée d'agir. Saisissant à l'intérieur de sa veste trois mystérieux petits objets ronds, elle intervint.

PAF ! Pssshhhhttt...

La minuscule détonation précéda le long déversement du fumigène qui asphyxia rapidement la mauvaise troupe. Anna pouvait observer la scène depuis son plan en hauteur, voyant sinuer une silhouette sombre dans le brouillard de gaz lacrymogène. Elle ne tarda pas d'ailleurs à s'affubler la tronche du masque pendouillant à sa ceinture, pour sauter dans le myste, rejoindre sa camarade. Celle-ci se dirigeait vers l'une des entrées, plus loin, n'hésitant pas à traverser la masse d'hommes effondrés. A pleurer et hurler de douleur en se tenant le visage. Et bien que la fumée commençait déjà à disparaître, leur calvaire ne faisait que commencer. Certains s'entêtèrent malgré tout à tirer sur la gâchette, bientôt suivis par d'autres. Les tirs étaient hasardeux mais finirent tout de même par faire presser le pas aux deux rebelles. Qui évacuèrent rapidement les quais.

Libres à l'unique garde ayant croisé leur route de spéculer sur les raisons pour lesquelles elles sprintèrent dans la dernière ligne droite. Pour échapper aux balles ou bien tout naturellement prendre de la distance. L'homme n'eut pas le temps de chercher à en savoir plus qu'il fut brusquement frappé par quelque chose d'à la fois mou et solide. Comme de la pâte à modeler. La substance était conservée dans un étrange petit sac artisanal, reliée par des câbles à un curieux dispositif. Une sorte d'escargot rouge et noir, produisant des bips sonores de façon régulière. Le soldat s'en amusa un instant, avant d'afficher une mine lugubre, saisissant ce dont il s'agissait réellement.

Equipée elle aussi d'un petit escargot à coquille noir, Hermione appuya sur le bouton à son sommet dans la seconde qui suivit.

Et les quais se changèrent brutalement en un incroyable festival de feux d'artifice.
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Quelque part, dans le Seizième.

- J'espère au moins que vous avez une bonne raison de me démanger pendant mon marché.

C'est mercredi. Et comme à son habitude, la jeune femme fait les emplettes, parcourant des yeux et des doigts les contenus des rares étals proposant des produits frais. Ils avaient bien intérêt de l'être, sinon le commerçant pouvait rejoindre la plèbe, dehors, sur simple ordre de sa part. Bien que cela partait basiquement d'un besoin de réaliser les courses pour la semaine, c'était progressivement devenu un contrôle rituel, comme l'inspection du travail. De fait, plus d'une fois, certains marchands avaient eu le déplaisir de mettre des fruits pourris ou toxiques à vendre. Ceux-ci n'étant plus là pour témoigner de leur innocence pour une telle fourberie.

Son interlocuteur actuel, peinant à avancer sans se prendre les coudes des gardes de la jeune femme dans le visage, était frêle avec une apparence maladive. L'un des petits nouveaux, sans nul doute.

- O-oui. M-madame la Maire. J-je..

- Bon sang, vous m'ennuyez déjà... Peut-on faire venir quelqu'un capable de s'exprimer ? Est-ce trop demander pour un messager ? railla-t-elle d'un ton sec, sans laisser l'opportunité au bonhomme de parler plus de trois secondes.

Celui-ci déglutit.

Malheureusement pour elle, il n'y avait pas d'autre Limier volontaire pour lui déclarer qu'ils les avaient laissées filer. Que leurs dernières recherches n'avaient rien mené. Et que certains groupes n'étaient même pas rentrés de leurs excursions. Les Limiers n'avaient pas à faire à des révolutionnaires novices, cette fois-ci. Phénomène rare, car c'étaient pourtant les plus jeunes qui avaient tendance à découvrir leur couverture en faisant des choses stupides. Comme ceux qui avaient infiltré la garde. Mais peut-être que la stratégie allait plus loin que cela, au final. Tout en croquant dans une pomme saisie à la volée, elle doutait.

- M-madame. Elles se sont... échappées.

Sa main se crispa brusquement sur le fruit, le faisant exploser instantanément. Principalement dans la direction du soldat qui en reçut toute la pulpe et le jus sur le visage et l'uniforme. Il souriait de maladresse et d'angoisse. Mais elle, elle était très calme au demeurant. C'était sa réputation, sa froideur, qui la rendait si imposante malgré sa petite taille et son jeune âge. Malgré ses longs cheveux blonds et légèrement bouclés, malgré son apparence de poupée. Elle était belle, il fallait le dire. Mais quelque chose en elle était tellement détraqué qu'elle inspirait naturellement le respect et la crainte. Sa force n'était qu'une facette de cette personnalité secrète.

- Dites au Commandant de venir me voir dans mon bureau, à seize heures tapantes.

Son ton était définitivement sec comme du petit bois que l'on garderait pour le feu. Et ses grandes prunelles faisaient l'effet du charbon. La bourgeoise n'était qu'un amas de braises attendant le moment propice pour s'enflammer et tout dévorer sur son passage. Le page crut qu'il allait mourir et échappa malgré lui quelques gouttes de liquide jaune dans ses chausses. Mais elle n'en fit rien. Si elle devait détruire quelque chose, ça ne devait pas être ses loyaux sujets et son armée. Aussi inutile pouvait-elle être, elle en avait cruellement besoin. Maintenant plus que jamais.

- Inutile de traîner ici plus longtemps. Alfred, occupez-vous donc des courses, j'ai bien des choses à régler au bureau. termina-t-elle tout en dédaignant du regard l'un des étals suspects qu'elle escomptait bien passer au peine fin, plus loin.

Cela attendrait le prochain mercredi.

D'un geste de la main, elle congédia le bonhomme sans épaulettes avant de s'en retourner vers son serviteur, déjà parti saisir des fruits, légumes pour les fourrer dans un sac. Il connaissait l'itinéraire par cœur et ne lui ferait jamais faux bond, le brave homme. Au moins un sur qui elle était sûre de pouvoir compter. Alors elle rebroussa finalement chemin en direction du grand bâtiment blanc, avec son clocher distinctif et ses belles sculptures alambiquées. Sa Mairie.

Un peu plus tard à la Mairie.

Seize heures approchait. Elle avait passé tout le restant de la matinée et une partie de l'après-midi à joindre bon nombre de propriétaires d'esclaves et d'acheteurs. Ses cargaisons étaient fichues pour un bon mois. Sur tous les produits qui avaient été gaspillés, très peu avaient pu être récupérés. Et quand bien même, les conteneurs avaient explosé avec tout le complexe de stockage. Tout cela par la faute de deux femmes. Et la sienne.

Elle s'était maudite pour avoir été aussi négligente en pensant que la Vox n'irait pas plus loin dans sa manœuvre. En ne renforçant pas plus le contrôle au niveau du port, alors que trois hommes avaient perdu la vie. Elle avait d'ailleurs mis cela sur le compte de leur incompétence, mais cette sous-estimation lui avait coûté gros. Surtout quand l'un des types avait été retrouvé nu. Le bouton "infiltration" aurait logiquement dû s'illuminer dans son esprit. Mais non, pas deux fois de suite. Ça serait trop prévisible. Et pourtant.

Comme une grande partie des esclaves devait être vendue aux pirates d'Alsbrough, elle s'inquiétait grandement des retombées. Pas mal d'entre eux étaient de passage sur l'île spécifiquement pour cela. En plus, la présence dans les parages d'agents du Cipher Pol et de régiments de la Marine se faisant rare, il leur fallait du sang frais pour déverser leurs pulsions. Elle se fichait pas mal de la finalité, tant qu'ils payaient bon prix. De toute manière, elle avait déjà largement contribué aux spectacles de torture. C'était son pêché mignon, bien que peu soient au courant de ce fait. Elle savait se dissimuler et prendre un nouveau visage, surtout lorsqu'elle devait se déplacer jusqu'à la cité pirate. Mais là, pour le coup, elle n'avait pas vraiment le choix. Au vu du danger que représentait le dehors, de la virulence des forces ennemies dans leurs dernières actions et de la situation actuelle de son petit commerce, elle préférait s'emmurer dans le Seizième. Au moins jusqu'à ce que les choses se tassent et que l'on puisse reconstruire les quais.

Toc toc toc.

- Mmh. grogna-t-elle tout en se retirant à la lecture de l'un des nombreux rapports, intéressée par l'apparence de ses détracteurs.

Le signal suffit. Un homme gigantesque entra, avec un visage particulièrement patibulaire et une mâchoire à vous cisailler un cochon de lait d'un seul coup. Une brute épaisse avec un minimum de jugeote pour respecter les ordres de ses supérieurs et les transmettre. Elle ne l'appréciait pas mais valorisait sa loyauté et son efficacité. Quand le dernier Commandant l'avait profondément déçue et avait fini pendu pour son manque de discernement. Celui-là était fort et aux aguets, suspicieux quant à chacun de ses hommes. Et il n'avait pas peur, même dans ce moment charnière où le courroux de la Maire était des plus élevés.

Ah et puis il ne parlait pas. Pas trop.

- Toujours aucune nouvelles de nos deux artificières ?

Il grogna négativement. Et elle expira de mécontentement.

- A quoi cela sert d'avoir une armée si elle est incapable de vous protéger ? Vous savez comment a fini votre prédécesseur. Je l'ai pendu moi-même du haut des murailles. Un avertissement qui devrait suffire, non ?

Non ? Non. Elle aurait espéré, mais ne se voyait pas changer de Commandant tous les quatre matins. Elle devait faire avec sinon les Limiers seraient capable de se soulever. L'homme grogna une fois de plus, avant de baragouiner une espèce de langage incompréhensible pour qui n'avait pas l'oreille habituée.

- Quadrillé la ville d'long en large, rien. Mais tous sont pas rentrés. Reste quatre groupes, vont finir par tomber d'ssus. Z'ont pas eu l'temps d'aller ailleurs. R'trouvé les tâches de sang, l'une était blessée.

Ce détail lui avait échappé. Elle aurait bien voulu le connaître plus tôt, mais se ravisa à râler à ce sujet. A la place, elle étira un sourire de psychopathe en découvrant toutes ses magnifiques quenottes blanches de jeune femme modèle. Elle avait du charme, mais il y avait toujours ce détail pour rappeler que quelque chose ne tournait pas rond dans son expression faciale.

- Des traces de sang ? Qui l'a blessée ?

Le bourru hocha la tête.

- Le Lieut'nant en charge des quais. L'est à l'infirmerie, grosses brûlures. S'en remettra. Dit avoir vu une femme aux cheveux blancs, taille normale, vêtements sombres. Portrait typique d'Arcadia, peut pas en tirer grand chose. Mais y'a bien une autre...

- Je sais à quoi elles ressemblent, j'ai lu les rapports. On dirait bien qu'elles ont tout fait pour qu'on les voie, d'ailleurs. maugréa la jeune Fleur.

Cette question de visibilité dans les actes de "justice", c'était typiquement révolutionnaire. Ces types-là avaient étrangement besoin de popularité pour survivre. Connaître leur visage, quitte à saper les futures possibilités d'infiltration. Mais il fallait bien souvent des noms. Et pour le duo, on en avait justement un. Mais assez atypiquement, son profil ne collait pas du tout à celui d'un révolutionnaire normal.

- Parlez moi de l'autre, la voleuse.

- Hermione m'am. Voleuse de bas niveau, l'avait un gang mais l'a plus maintenant. Retrouvé et dessoudé ses gars, savaient rien. Retrouvé sa planque, l'était vide. Père révolutionnaire, pas de mère connue. Que des p'tits délits.

- Père révolutionnaire vous dites ? Ceci expliquerait cela...

A défaut d'avoir mis la main sur les deux fautives, elle venait de comprendre les raisons d'au moins l'une d'entre elles. Peu lui importaient les raisons de l'autre tant que les deux suivaient le même chemin. Son sourire carnassier s'étendit.

- Elles ont frappé fort mais pas assez pour que la Vox réagisse. Toutefois, nous allons jouer à leur jeu. Comptez le nombre d'escouades qui ne seront pas revenues ce soir. Et là où vous les avez envoyées. M'est avis qu'elles vont nous donner du fil à retordre.

Il grommela en attendant la suite du plan. Elle avait une idée, c'était sûr.

- Demain, nous réitérerons le quadrillage de la capitale avec autant d'hommes sinon plus. A ceci près qu'au lieu de faire huit groupes, nous n'en ferons que quatre. Deux groupes en éclaireurs et deux autres en soutien avec des escargophones. Évidemment, mettez les plus faibles de vos hommes en éclaireurs, ils ne serviront que de chair à canon dans l'hypothèse où.

Comme à son habitude, le Commandant resta silencieux. Puis sa mâchoire finit enfin par se décrocher pour balancer hasardeusement ces quelques mots :

- Vous êtes sûre que ça va marcher ?

Ses prunelles s'enflammèrent. Il ne lui arrivait pas souvent de se tromper, alors remettre en question l'intégrité de ses décisions l'animait d'une rage mal contenue. Après plusieurs bonnes minutes d'un long silence gênant, elle sembla se rappeler qu'elle devait donner une réponse. De toute manière, elle n'avait pas plus de temps à accorder au Limier puisqu'une sonnerie lui intima l'arrivée d'un hôte. Un homme de prestige, vraisemblablement, avec lequel elle avait rendez-vous. Un pirate, pour être honnête, avec juste assez de bienséance pour passer inaperçu.

Elle conclut donc, en remettant ses lunettes sur son nez, en s'avançant sur son plan de travail tout en vrillant ses prunelles magnifiques dans le regard de son invité :

- Certaine.
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Et du côté de nos héroïnes.

Blom.

- Le dernier ?

- On dirait bien.

Le corps du bonhomme gisait au fond d'un trou, accompagné de ses collègues. Tous inconscients pour la plupart. Et nus, sans armes ni uniformes. Ainsi ils se réveilleraient le lendemain, probablement, collés les uns aux autres, à poil. Ce qui était important pour les deux jeunes femmes, ce n'était pas de se débarrasser uniquement de leurs chasseurs, mais aussi de fournir une leçon aux Bourgeois. Ainsi dépenaillés, les bonhommes feraient bonne publicité aux rebelles en montrant qu'elles n'avaient absolument pas peur de l'armée des nobliaux.

Au total, ils étaient une petite dizaine pour ce trou-là. Une quinzaine pour un autre, plus loin. Les deux groupes tombés l'un après l'autre dans des guet-apens soigneusement préparés. Deux sur les huit arpentant les différents quartiers de la Capitale. Torches à la main, les Limiers avaient fait le mauvais choix de faire ça de nuit. Bien qu'aux Arcades, la nuit et le jour n'eussent pas de grande différence, le ciel conservant toujours son aspect orageux et sombre. Le soleil ne passait tout bonnement pas.

- Ça va, ta jambe ? questionna la voleuse, se préoccupant finalement de la blessure de sa coéquipière.

Avec les rudiments, elles avaient plus tôt désinfecté la plaie par balle de l'agente. La peau avait été arrachée ainsi qu'une petite épaisseur de chair mais heureusement il n'y avait pas de gros dommages. Juste beaucoup de sang, c'était incontrôlable. Même avec le cœur artificiel, ça n'y changeait rien : elles avaient ainsi été obligées de penser à une stratégie en chemin, tandis qu'Anna trainait légèrement la guibole en semant des perles écarlates. Profiter de la blessure pour tendre des pièges.

Enfin, pièges, c'était vite dit.

Hermione connaissait les moindres recoins de la nécropole, cela n'avait pas été si difficile de trouver des coins particulièrement sombres et étroits. Où elles avaient pu embusquer les ennemis pour leur tomber dessus plus facilement et mettre fin à leur course-poursuite. Sauf que voilà, quand quasiment toute la mauvaise troupe s'était faite balayer par les deux jeunes femmes, un dernier type avait trouvé le moyen de tirer en l'air avec son fusil. Attirant ainsi le deuxième groupe qu'elles venaient de rétamer sommairement. Résultat des couses : Annabella avait écopé d'une entaille sous la joue durant la seconde bataille et d'une belle bosse sur le genou droit, tandis qu'Hermione avait reçu un coup sur la tête. Mais la dizaine de gaillard avait été maîtrisée.

- On d'vrait p'tet s'dépécher d'se barrer, t'as une idée ?

La gamine resta pensive quelques secondes, la main posée sur sa caboche à l'endroit maltraité. Puis elle finit par répondre, après avoir ouvert et refermé la bouche sans produire un seul son pendant une bonne minute.

- Il y a bien un endroit...

Pas sa planque, ça elle en était sûre. Et elles avaient bien fait de vider les lieux car désormais l'endroit devait être infesté de Limiers. Tout ce qu'elle avait pu prendre avec elle, elle l'avait pris. Non, par contre il existait vraisemblablement des ruines dans les plaines au sud de la ville où elles pouvaient être sûres de trouver la paix. Au moins pour un ou deux jours avant de changer de repère. C'était un coin auquel elle était sentimentalement attachée, en réalité. Mais plutôt que de perdre du temps à expliquer, elle se mit simplement à marcher en ponctuant d'un :

- Suis-moi.

Alors elles marchèrent. Déambulèrent une nouvelle heure au sein de la ville, à passer entre les mailles des escouades d'éclaireurs arpentant la zone de long en large. Se rappèrent les pieds sur des sentiers de bouts de verre, faillirent se gameler un bon nombre de fois en trébuchant sur des épais blocs de pierre. Il n'y avait décidément aucune route à proprement parler, ni avenue, ni rue. Juste une décharge à ciel ouvert, parfois garnie d'immeubles délabrés, parfois de terrains vagues recouverts de débris. Et parfois des corps et des dépouilles au croisement de certains sentiers, allongés et délaissés au bon vouloir des seuls charognards qui s'y intéresseraient. Alors après toute cette tristesse de paysage, elles retrouvèrent progressivement la présence d'une espèce de terre aride et sèche parsemée d'herbe jaunie. Nulles plantes ni arbres, aucune végétation pour parfaire le tableau. Un horizon vide qui semblait s'étendre sur plusieurs miles sans discontinuer, jaune et invivables. Parfois simplement garni de blocs de pierres et de structures primitives qui, lorsque l'on s'en approchait, étaient en réalité des ruines.

Dans leur plus vaste majorité, celles-ci n'étaient que les vestiges des fondations d'une maison, d'un village, d'un bâtiment qui auparavant devait avoir une taille symbolique. Des autels, des églises, des fontaines, désormais simples cailloux polis par le vent.

Puis elles arrivèrent à destination. Anna le sut lorsque leur trajet se ponctua par la découverte d'une habitation en pierre précaire, qui tenait encore debout. Et pour cause, c'était dans cette maison que Hermione avait vu le jour et grandi avec son père, avant qu'il ne disparaisse.

- Ton père ?

A vrai dire, les deux consœurs ne se connaissaient pas plus que ça. D'ailleurs Anna s'était rendue compte qu'elle avait commis l'erreur de ne plus jamais parler de son prétendu fils à sauver suite à la destruction des quais. Hermione n'avait pas relevé mais se doutait qu'il y avait quelque chose de louche derrière ses motivations. Elle avait gardé ça secret, oblitérant ses nombreuses questions pour laisser place au présent et au plus important. Et en échange de ce silence, elle était bien contente de ne pas avoir à répondre, cette fois-ci. Ignorant donc la demande de l'agente, elle prit temporairement racines devant la porte avant de réussir à la débloquer, habilement, par une combinaison de soulèvement et d'enfoncements. A un moment, Anna crut même qu'elle allait se démettre l'épaule à force, quand le battant émit un drôle de grincement et se déplaça lentement pour libérer la voie. Délivrant la vue de l'intérieur de la baraque : une pièce unique, pauvrement équipée en meubles et en ustensiles de cuisine. Une cheminée et deux paillasses pour fournir un minimum de confort, mais c'était presque tout.

- Bienvenue à la maison. Ça va faire des années qu'j'ai pas r'mis les pieds ici.

- Ca s'voit. fit Anna tout en dardant un doigt inquisiteur sur la surface de la petite table au centre de la pièce ; celui-ci était désormais en partie recouvert de poussière et d'une curieuse substance gluante qu'Anna peinait à identifier.

En plus de son odeur de renfermé, un parfum musqué n'était pas sans rappeler la présence de rongeurs qui avaient visiblement pris un malin plaisir à faire des trous dans les paillasses. Et chier dessus.

- C'est un peu sale, il faudra s'y faire.

De toute manière, ça n'était pas vraiment une surprise. L'environnement étant plus propice à la présence de nuisibles qu'ailleurs, Anna pouvait encore s'estimer heureuse que le coin soit assez sale pour que même les cafards n'osent pas y mettre les pieds. Quant aux rats, ils devaient avoir fichu le camp depuis longtemps ; du moins elle espérait intimement. Soulevant le tapis de paille avec son doigt, elle le secoua prestement avant de le reposer à terre. Ainsi débarrassé de sa poussière, il ressemblait déjà moins à un amas compact de terre séchée. Puis elle profita de la présence d'un endroit où s'asseoir, voire même ô folie s'allonger, pour refaire le pansement de sa blessure. Pour cela, Hermione avait dégoté des feuilles séchées qui ici faisaient office de papier. Ou quelque chose comme cela. C'était pas aussi efficace que du gaze, mais au moins ça stoppait l'hémorragie et ne venait pas rajouter une infection par-dessus. Même avec l'alcool versé sur la plaie, on était jamais trop sûrs.

La bonne nouvelle, c'était que ça commençait à cicatriser après un jour de blessure à vif.

Alors Anna boucla ses esgourdes de façon totalement naturelle pour s'isoler du bruit ambiant. Hermione qui secouait les marmites pour en récupérer une pas trouée ni trop sale et aller chercher de l'eau au puits. Le tintamarre semblait pourtant loin pour la CP9, qui n'avait pas dormi depuis presque quarante-huit heures.

Elle tomba comme une masse sans s'en rendre compte.
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- T'es sûre qu'c'est une bonne idée ?

- Non.

Comme si la réponse n'influait pas vraiment sur la suite des opérations, l'albinos grimpa sur un tas de décombres, bien en évidence. Derrière elle se trouvait la jeunette, tapie dans les gravats, le regard pénétrant sur la zone qui s'étendait devant. Devant donc, il n'y avait rien.

Enfin rien, pas vraiment, il y avait encore et toujours les mêmes ruines, mais celles-ci semblaient beaucoup trop inoccupées. Pourtant la jeune femme sentait le danger et identifiait bien les silhouettes tapies dans l'ombre ; seulement discernables grâce à son Haki. Celui-ci bien aiguisé, elle savait ; au moins aussi bien que Hermione savait, puisqu'elle aussi avait ce don. De fait, elles s'étaient déjà concertées sur le sujet. Et la seule idée qui avait pu ressortir de ces réflexions aussi intenses que précipitées était de les prendre de front. De tomber dans le piège, comme si elles n'avaient pas eu des yeux derrière la tête ou cette espèce d'omniscience due à l'Empathie que toutes deux maîtrisaient.

L'objectif de base était assez scabreux, il fallait le dire. Anna n'était pas trop sûre du plan de sa compagne, qui disait avoir prévu le coup quand elles avaient toutes deux remarqué être suivies. Ainsi, plus tôt, en plein milieu de la journée, elles étaient revenues à l'endroit où elles avaient mis la raclée aux Limiers le jour précédent. L'idée derrière tout cela, c'était... c'était...

- Essaye d'pas mourir !

Il n'y avait pas d'idée plus que de stratégie derrière tout cela.

Elles s'étaient volontairement jetées dans la gueule du loup pour faire essuyer de plus grosses pertes à l'ennemi, en supposant qu'Anna serait assez forte. Et Anna se savait assez puissante, si jamais elle devait utiliser certaines de ses capacités. Le Haki était déjà un bon début, évidemment, mais pour le reste elle devait procéder avec minutie. Quelques séismes à droite et à gauche ; Hermione finirait par se douter... Hermione qui, en vérité, se fichait un peu de perdre son pion, pour peu que l'agente fisse ce qu'elle lui demandait. Elle appréciait sa position de cheffe et Anna en profitait plus qu'elle ne le devinait, en réalité. Tant qu'elle avait un ou une responsable, on ne pouvait pas la soupçonner d'avoir un libre arbitre la ramenant à sa véritable condition, bien plus dommageable. Simple arme qu'elle était actuellement, elle se laissait manipuler et allait de l'avant sans se poser trop de questions. Au pire, elle trouverait l'occasion de se débarrasser de l'aspirante révolutionnaire tôt ou tard.

Pour en revenir au guet-apens, donc. En réponse aux signalements de la vingtaine d'hommes qui avaient retrouvé et suivi les deux brigandes depuis qu'elles étaient revenues en ville, deux autres groupes avaient rapidement encerclé les positions ; ils attendaient patiemment, les crocs à peine découverts. Quand Anna frappa du plat de la main dans un mur de l'un des nombreux édifices menaçant de s'écrouler.

- Une petite onde sismique par ci... se dit-elle en faisant vibrer les fondations de la gigantesque baraque.

Au milieu des éboulis, elle put distinctement entendre les cris des hommes qui s'étaient dissimulés dans la bâtisse ou ses environs. Beaucoup ne comprirent pas ce qui leur tombait dessus et n'eurent pas le temps de réagir, perdant brutalement la vie ; écrasés par les décombres.

Un nouveau tas de gravats vint rejoindre ceux déjà existants dans la zone.

Et de la poussière montèrent les premiers cris, de ceux qui comprirent que leur couverture venait de partir en fumée, quand la jeune femme réussit, on ne sait trop comment, à leur faire tomber un bâtiment délabré sur la tronche. Les balles suivirent, fusèrent dans toutes les directions, mais aucune ne toucha la CP9. Puis les premiers moulinets des escrimeurs cherchant à se confronter à la seule femme contre qui ils se battaient. Sur ce champ de bataille déséquilibré ; clairement pas dans leur avantage, quand on savait à quel énergumène ils faisaient face. Un balle cueillit le premier venu en pleine tête avant même qu'il n'eusse le temps d'abaisser sa lame.

Hermione avait défini son rôle dans la bataille en tant que tireuse embusquée. Cela collait avec sa condition de simple être humain quand elle avait deviné chez l'autre olibrius une force surnaturelle. La voleuse n'avait pas ça, mais elle pouvait toujours correctement se débrouiller avec un fusil.

Le combat se déroulait donc de façon totalement unilatérale, avec des pertes uniquement pour les Limiers, quand la chair à canon commença à laisser place aux grands pontes. Officiers, hommes d'armes expérimentés, des types qui démontraient bien que dans le Nouveau Monde, il existait un monstrueux écart creusant les hommes lambdas des seigneurs de guerre. Ceux-ci esquivaient les balles et eurent plusieurs fois l'occasion de toucher Anna sans qu'elle n'eusse pu rendre la pareille. Elle fut rapidement prise à dépourvu ; à l'instar d'Hermione qui ne pouvait qu'abattre les corps escaladant sa montagne de briques usées, là où elle s'était postée. Mais n'était plus en capacité de prêter main forte à sa compagne.

- 'Sont trop nombreux !!

- Trop forts surtout... rétorqua l'autre, entre deux esquives et une parade au couteau.

L'agente était bloquée dans certains mouvements. Si elle utilisait le Rokushiki, ne serait-ce que discrètement, il en était fini de sa couverture. Si elle utilisait le fruit des séismes, bah... Et puis à un moment, elle n'eut plus d'autre choix ; pour se libérer de l'étreinte d'un soldat lui comprimant les côtes, quand un officier chercha à la décapiter sans sommation. Elle fut bien obligée de secouer l'ennemi avec ses ondes. De lui briser les os pour se dégager puis de disloquer le crâne de son second adversaire avec un coup de poing chargé de frustration. Et une onde de choc fit bientôt vibrer le sol tout autour de sa silhouette, occasionnant un spectacle fantaisiste pour la tireuse qui s'arrêta quand un gouffre déchira subitement la terre comme si c'était du papier ; Moloch. Stoppée nette dans son élan, voyant ses cibles prendre soudainement la fuite dans une débandade aussi désordonnée que honteuse, elle ne put s'empêcher de dénoter un geste. Un mouvement de sa compatriote, dans la mêlée. Celle-ci finissant tout juste de relever sa jambe, brutalement enfoncée dans la croute terrestre et prestement retirée.

Pour Hermione, il n'y avait plus aucun doute à avoir. Anna avait provoqué cela.

Comme tout droit sorti des profondeurs abyssales, la gorge déployée d'un monstre tellurique, le trou gigantesque n'avait pas perdu en temps pour avaler ses victimes. Certaines se débattaient encore sur le fil de ses dents granuleuses et pleines de racines. D'autres plongeaient dans un puits sans fond, leurs cris de désespoir accompagnant leur chute. Mais pour une bonne partie des soldats, il y avait eu plus de peur que de mal. Si les bâtiments aux alentours n'avaient pas commencé à vaciller et à s'abattre sur eux, venant invariablement reboucher le trou. Refermer la faille.

En moins de temps qu'il n'en faut pour dire ouf, le champ de bataille s'était transformé en cimetière, en vaste champ de ruines désormais assez bien élaguées pour laisser de l'espace à l'horizon. Un parterre gris et marron parmi les pâtés de maisons aux alentours, faisant germer des têtes ici et là. Une dizaine d'abord, puis une quinzaine et très rapidement davantage. Jusqu'à ce que ce fusse une main aux ongles jadis manucurés mais aujourd'hui terreux qui jaillisse, se soustraie aux nombreux débris. Bientôt récupérée par une seconde main plus secourable, celle d'Hermione, qui aida l'agente à sortir de terre comme un mort revenant à la vie.

- Eh bien...

Pour toute réponse, l'albinos toussa bruyamment.

- Les sales putes... fit une voix grésillante, venue de derrière la tireuse.

Elle semblait émaner d'une bouche torturée qui avait du mal à parler. Et pour cause, c'était celle de l'officier du port ; celui qui avait touché la belle à la jambe et l'avait coincée sur le conteneur. Il se tenait, là, sa tronche emballée dans tout un tas de bandages blancs. Mais dans ses yeux surmontés de paupières roussies, on lisait : la haine et la douleur. Il n'avait pas été qu'à moitié brûlé lors des derniers événements et en tenait personnellement rigueur aux bonnes femmes. En vrai, à qui d'autre sinon ? Sa main n'attendit pas plus longtemps pour se faire violence, projetant d'un revers bien envoyé le visage d'Hermione dans une toute autre direction ; la séparant de sa complice. Celle-là, il l'aurait après. Mais avant...

- J'vais t'bousiller la première. T'seras méconnaissable.

D'aussi loin qu'elle avait du mal à respirer, la diablesse trouva le moyen de rire. Elle s'enorgueillit même d'une petite galéjade, pour voir son adversaire changer de couleur à travers ses bandelettes.

- Le train d'tes insultes roule sur les rails d'mon indifférence.

Toutefois, rigola bien qui rigola le dernier, quand l'agente fut brutalement transpercée par un poing aussi froid et solide que du fer forgé. Et quand ses yeux se posèrent sur les doigts engourdis de l'ennemi venant de la faucher au niveau du bassin, elle identifia sans erreur les gants de fer qu'il portait ; qui lui avaient tordu les boyaux sans ménagement. Son rictus lui-même semblait fait d'acier noir.

L'homme maîtrisait le Haki de l'Armement.


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Sam 15 Oct 2016 - 15:55, édité 2 fois
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A maintes reprises, le brûlé barra les maigres assauts de la blonde, efficace dans ses mouvements malgré son rictus de douleur malsain affiché sur son visage. Il appréciait le jeu de pouvoir, se sentait supérieur. Et à raison, car la jeune femme avait écopé de nombre de blessures. Bien que celle qui l'inquiéta le plus fut une tâche pourpre à son flanc, sous ses vêtements déchirés. Elle gémissait.

- J'vais t'montrer c'que c'est la douleur, sale garce ! éructa l'officier en lui comprimant une nouvelle fois l'estomac.

Ladite garce dégobilla sa bile, sous le poids du poing renforcé, sans manifester la moindre esquive. Elle voyait trouble à cause du choc et peinait à retrouver ses esprits. Plus grande peine encore, sa camarade ne semblait ni pouvoir, ni vouloir lui venir en aide. L'autre faisait face à la dizaine de gusses qui s'étaient relevés d'entre les morts. Ceux qu'il restait. Et puis non, c'était un combat entre le Limier et elle.

Un premier poignard vola. Il l'esquiva de peu.

Mais ses bandelettes n'eurent pas cette chance, se décousant brutalement sous la tranche de la lame sur tout un côté du visage, elles dévoilèrent la chair à vif, presque putréfiée, difficilement dissimulable désormais. Avec les os de ses pommettes et de ses arcades saillants, ses lèvres rongées par les flammes, sa chair rouge suppurante... c'était un monstre. Et en voyant cela, elle ne put s'empêcher de sourire davantage.

La provocation était un point fort avec lequel l'agente aimait batailler. Faire le vide de ses émotions puis les relâcher au bon moment pour pimenter brutalement le combat, elle savait faire. Mais chez un adversaire plus humain, il était difficile de rester placide tout du long. Notamment lorsque les railleries entamaient aussi bien les veines que les flammes qui avaient pourléché le faciès de la victime. Il hurla de haine avant de se précipiter en une charge en direction de la bonne femme. Et parvint à la faucher sans peine... avant de remarquer la lame profondément enfoncée dans son épaule.

Alors il se stoppa dans sa course, bien que le mal fusse fait. Elle appuya et enfonça davantage avant de couper dans le vif et de remonter jusqu'au cou ; à partir de la clavicule. La coupure nette et précise du semi-meitou laissa l'impression d'une vivisection nette et sans bavure. Le sang n'influa qu'après, lorsque toutes les forces quittèrent le corps de la brute en même temps. Et quand dans un dernier élan de haine, il parvint à regarder son adversaire dans les yeux et lui beugler :

- J'te... baise...

Pour une fois, la demoiselle se permit de sortir de son jeu d'acteur pour répondre de la façon la plus condescendante possible :

- Désolant.

Le regard dirigé vers l'opposant agenouillé, la lame toujours fichée dans le cou, elle saisit l'instant critique où son corps vacilla vers l'avant. Saisissant au vol son poignard pour finalement laisser l'hémoglobine refluer à gros bouillon. Et tourna un regard impérieux en direction des complices qui assaillaient son amie. Deux avaient mangé la poussière, mais une bonne demi-douzaine demeurait. Ils l'avaient emprisonnée et s'apprêtaient à lui faire endurer les pires sévices qu'une femme puisse connaître. Bien que son visage ne laissait transparaître qu'un sentiment de vide intérieur. Pour une belle femme native de ce pays, Anna comprit que ça n'était pas la première fois. Mais que si elle laissait faire, ça serait forcément la dernière.

Pour une fois, plus par compassion que par réel nécessité, elle agit. Se transportant d'un Soru qu'elle espérait assez fugace pour ne pas être proprement discerné, elle prit ses adversaires par surprise. Disloqua la colonne vertébrale du premier d'un coup de paume, puis la nuque d'un second dans le même mouvement. Il en restait bien quatre pour lui faire face, tenant l'autre pauvrette comme otage.

- S't'avances, j'la bute pigé ?!

Pour toute répartie, un éclair blanc vola dans la direction du maître chanteur. L'instant d'après, son cou laissait apparaître une large entaille d'où s'échappait des gerbes de sang. Loin d'être sans défense, Hermione fit apparaître la lame dissimulée dans son pantalon et sectionna l'oreille d'un énième gusse cherchant à la réceptionner. Celui-ci recula maladroitement jusqu'à se trouver à portée d'Anna, juste sous sa main tendue en direction de son crâne. L'instant d'après, une fracture séparait l'os frontale du sale type, laissant échapper des petits bouts de cervelle malmenée.

Et pour les deux qui restèrent, la fuite sembla être l'ultime solution à leur yeux. Bien évidemment, leur course fut stoppée au bout de quelques mètres, quand l'un d'eux tomba à la renverse avec un poignard planté dans le crâne. Et quand l'autre, plus chanceux, parvint à se réfugier derrière une paroi de parpaings à nu.

Il eut tout juste le temps de signaler la défaite cuisante des Limiers et l'obligation d'amener des renforts, comprenant que sa vie arrivait à son terme. Au moins avait-il le mérite d'aller jusqu'au bout de sa mission. L'instant d'après, le mur contre lequel il était adossé explosa. Deux mains frêles et froides pour l'accueillir dans sa descente aux enfers pour lui tordre la nuque. Non pas celles de l'assassine, pour une fois, mais sa comparse qui avait agi de concert.

- Et maintenant, que fait-on ? conclut l'agente.

Hermione resta sans réponse. Ses yeux étrangement attirés par un élément brillant qui la tenait en joue, qu'elle regardait en chien de faiance, avant que ses bras ne se lèvent.

- On attend les ordres.

Un instant, elle eut un doute, en espérant qu'elle ne s'était pas trompée. Puis rapidement, une douzaine d'homme apparut. Leurs vêtements trahissant le fait qu'ils n'étaient pas des Limiers. Leur uniformes gris rappelant qu'ils étaient des soldats. Même si leurs visages pâles leur donnait une impression d'outre-tombe, Anna comprit sans explication supplémentaire.

Qu'elles venaient d'être accueillies par un bataillon de révolutionnaire qui s'étaient bien gardés spectateurs au cours de la bataille.

- Douce ironie. pensa l'albinos, avant de sentir une pression sur ses poignets et que sa vue ne soit recouverte par ce qui semblait être un épais morceau de tissu noir.
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