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Une première mission un peu Rock&Roll

Base secrète du Cipher Pol, quelque part, 1627

-CA COMMENCE A BIEN FAIRE !!!!!!
-Mais... Chef...
-CETTE ILE AUX ESCLAVES EST UN VRAI GRUYERE !!!!
-C'est vrai que...
-Nous avons eu pas mal de pertes l'année dernière...
-Sans parler des révolutionnaires infiltrés de partout...
-DES MILLIERS D'ESCLAVES EN LIBERTE !!! CASSANDRE YONESKU A PERDU UNE DE SES PIECES LES PLUS PROMETTEUSES !!!!
-C'est sûr qu'elle n'était pas contente...
-On a bien failli tous y passer sur ce coup...
-Des têtes ont roulé. Fort heureusement, nous avons réussi à ce que ce ne soit pas les notres...
-SI CA SE REPRODUIT, NOUS SOMMES MORTS !!! ET ON NOUS SIGNALE PLUSIEURS DIZAINES D'ESCLAVES MANQUANTS TOUS LES MOIS !!!
-C'est sûr, il faudrait faire un peu de ménage là-dedans...
-Virer les révolutionnaires infiltrés...
-Sans compter les marins corrompus...
-MAIS NOS AGENTS N'ONT PAS QUE CA A FOUTRE, BORDEL!!!!
-Effectivement. Ce serait dégradant...
-Un agent du Cipher Pol qui fait du gardiennage...
-Ca fait mauvais genre...
-IL Y EN A BIEN QUI SERVENT A RIEN, NON ?!
-Ca doit pouvoir se trouver...
-Qui accepterait ça?
-Bof... Un glandu chez les nouveaux...
-TROUVEZ MOI LE PLUS GLANDU DES GLANDUS ET ENVOYEZ LE EN MISSION SUR LE CHAAAAAMPS !!!!!!!!



Marie-joie, Grand Line, chambre de Dan Ki Qong, 1627

La lampe ocille dangereusement au plafond, laissant pendre une ampoule récemment brisée. Un faible rayon de lumière filtre sous le store baissé de la fenêtre. La pièce, plongée dans la pénombre, sent le renfermé et le reflux gastrique. Dans un coin, un simple lit, recouvert de bouteilles, tachés par différents breuvages renversés et aux draps à moitié déchirés. Une étagère contre le mur supporte quelques rares bouquins sur des notions de médecines, raturés à la main. Contre le mur, une grande cage contenant des larves gluantes et baveuses qui se promènent lentement sur les barreaux. Au milieu de la pièce, un corps inerte, étalé dans son propre vomi.

Quelqu'un frappe.

En l'absence de réponse, un petit sbire se permet d'entrer et porte la main à son nez et à sa bouche, retenant un haut-le-coeur. Il s'approche, pensant avoir affaire à un cadavre. Il donne un coup de pied dans la masse et s'apprête à donner l'alerte lorsqu'un grognement retentit.


-Mouarf.

On ouvre un oeil péniblement. La bouteille posée devant notre oeil rend le monde flou. On la pousse d'un geste las, mais le monde reste toujours flou. A-t-il toujours été ainsi? C'est bien possible, putain... On finit par recevoir un second coup de pied.  En faisant attention à ne pas avaler de gerbe, on fait savoir à l'inconnu que le prochain coup dans nos magnifiques côtes marquera la fin du splendide couple que forme sa jambe droite et sa jambe gauche. Ca veut pas dire grand chose mais l'autre con semble comprendre qu'il s'agit d'une menace et il attend patiemment. La vache... Cette dernière préparation était ultra puissante. Ne pas nourrir les larves avec des feuilles d'absynthe. Très mauvaise idée. Ou alors il faudra modifier les proportions mais là... Ouh! Mal de crâne... Notre bras finit enfin par répondre et se plie pour tenter de nous relever mais en vain. On parvient seulement à rouler sur le dos. Quelques gouttes verdâtres coulent de notre joue. On les essuie d'un revers de main avant de tout envoyer gicler au loin d'un mouvement sec. Le sbire est toujours là, nous regardant écoeuré, avec un air de pitié dans les yeux.  

-Qu'est-ce que tu me veux, toi? Tu vois pas que je bosse?
-Vous... Bossez?
-Ouais, je mets au point une potion de relaxation. Mais c'est pas super au point, beurp!
-C'est ça, c'est ça. Enfin bref, vous avez reçu un ordre de mission du QG.
-M... moi? Mais je suis même pas encore validé.
-Ba écoutez, Don Ki Qong, c'est vous, non? Bah c'est ce qu'il y a de marqué.

Le type balance le papier dans notre direction et s'en va en refermant la porte. On se relève difficilement et on s'asseoit. Un rapide coup d'oeil autour de nous pour estimer les dégats. Ca aurait pu être pire. Au moins on a pas foutu le feu à la piaule mais clairement, c'était trop fort. Et cette migraine qui repart... D'un coup de main rageur, on tente d'ouvrir le store pour y voir plus clair mais on ne réussit qu'à l'arracher et à se manger un immense rayon de lumière super vive en pleine face. On pousse un hurlement en plissant les yeux et on se redresse rapidement. Après quelques secondes, on finit par retrouver le sens de la vue. La papier flotte dans le dégueulis. On le ramasse délicatement et on l'essuie entre le pouce et l'index. C'est pas des conneries. On part réellement en mission.

Assurer la sécurité de l'île aux esclaves? C'est un peu bizarre comme mission, non? Enfin il y a des chances qu'on commence toujours par des missions un peu bidon de ce genre là quand on est encore en formation. Enfin, sûrement. Le problème c'est qu'il y a pas vraiment d'objectif défini. On veut bien assurer la sécurité, mais jusqu'à quand? A moins qu'il n'y ait une attaque prévue dans les prochains jours, difficile de définir quand cette mission se terminera.

Pas envie de se prendre la tête maintenant, on part en mission et ça, c'est plutôt cool. C'est l'occasion de faire nos preuves sur le terrain, de montrer qu'on peut faire mieux que cette mission à la con avec les trois voleuses de bonbons. Si on veut monter en grade et devenir un véritable agent, il va falloir se montrer digne de cette honneur qui nous est fait. C'est absolument exceptionnel de recevoir une mission en totale autonomie en étant encore en formation. En plus, on avait plutôt l'impression d'être détesté par les instructeurs ces derniers jours. Faut croire que non, hein.

D'un coup sec, on déchire un morceau du drap et on s'en sert pour éponger une bonne partie de vomi avant de le balancer par la fenêtre. On verra plus tard pour le reste, suffit de bien aérer et ça ira. Un petit coup sur les fringues et on est parti. Direction le navire !
    L'île aux esclaves, West Blue, 1627

    C'est carrément bon tout ça. Avec l'ordre de mission, on a pu réquisitionner un navire avec un navigateur rien que pour nous, afin de nous rendre sur l'île aux esclaves. On est traité avec respect, comme un vrai agent. Personne ne pourrait s'imaginer qu'un type à peine en formation recevrait un ordre de mission tout ce qu'il y a de plus officiel, malgré les quelques tâches suspectes dessus et l'odeur étrange qui s'en dégage. A bord, il y a tout le confort imaginable. De la bouffe, de la bibine et des canapés super confortables. On s'est même fait masser par une femme-poulpe aux tentacules experts. C'est vraiment le pied d'être chez les pourris. Pas de raison que ce soit toujours les mêmes qui profitent de  choses bien mal acquises. On a eu notre dose de merde pour toute une vie ; maintenant, il est temps d'équilibrer la balance universelle et de récupérer toutes les bonnes choses que ce monde peut offrir.   Faudrait pas foutre en l'air le yin et le yang, hein. Alors par pur altruisme, en vue d'équilibrer les forces du bien et du mal, on se dirige vers l'enfer pour s'assurer que les pauvres victimes qui y souffrent restent bien à l'intérieur. Méhahaha! Quelle connerie !

    Une sonnette retentit. Une porte s'ouvre et une superbe créature au décolleté plongeant entre dans la pièce. Parfait, pile au moment où on finit notre verre. On repose ce dernier sur la table basse, on se lève et on commence à détacher la boucle de notre ceinturon mais la demoiselle se fixe et nous regarde étrangement.


    -Je suis juste venu vous prévenir que nous arrivons en vue de la côte. Nous accosterons d'ici cinq minutes.
    -Ouais, ahem, je m'en doutais. C'est pour ça, je me change. Faut mettre le costard pendant les missions.

    La femme claque sa langue contre ses dents et tourne les talons. La porte se referme sur la vision de ses petites fesses rebondies. Fait chier... On reboucle la ceinture et on se rasseoit en pestant. Petite allumeuse... Comme si on allait foutre leur costard à la con. On est censé être plus ou moins incognito ou en tout cas discrets. Pas grave, avec un petit bifton au maton, on pourra peut-être s'offrir un moment avec une esclave de là-bas. On verra bien. De toute façon, le navire ralentit, il est temps de descendre.

    A peine descendu du ponton, l'odeur qui règne nous emplit les narines. Ca sent la misère à pleine nez. L'urine séchée et le manque d'hygiène sont flagrants malgré la distance qui nous sépare des champs où travaillent les esclaves. On n'est pas du genre à beaucoup se laver mais là, quand même... C'est bluffant. Des marines s'approchent et lèvent leurs fusils mais ils baissent rapidement leurs armes en voyant le papier portant le sceau du Cipher Pol. Visiblement, ils attendaient la venue d'un agent car immédiatement, un homme surgit et s'approche. Emmitouflé dans un grand manteau dont les bords frôlent le sol poussiéreux, il arbore fièrement une barbe blanche bien fournie. Il a le regard serein et sévère de l'homme qui a déjà vécu tant d'aventures qu'aucune situation ne pourrait le surprendre. C'est le colonel Späre, l'officier en charge de toute la garnison et responsable de la sécurité des côtes. C'est donc avec lui qu'il falloir voir comment améliorer le système. Celui-ci ne semble pas franchement enthousiaste à l'idée qu'on vienne fouiner dans son organisation. Il nous tend une main franche et ferme mais la chaleur n'y est pas.


    -Jess Späre. Bienvenu à la Nouvelle Réa, monsieur.
    -Don Ki Qong. Visiblement vous avez des problèmes avec la sécurité. On m'a parlé de corruption des troupes et de révolutionnaires infiltrés.
    -Fort bien, je vous remercie. Un peu enrhumé mais ca va.
    -Non, je parlais des manquements qui ont pu être constaté chez vos...
    -Je trouve aussi. L'architecture est très bien pensée.

    Bon, okay, visiblement le premier problème a déjà été trouvé. Le gars n'entend que ce qu'il a envie d'entendre. Donc forcément, il a pas dû trop prendre en compte les précédents rapports qui lui ont été faits. A moins qu'il ne soit corrompus lui aussi. Ou même révolutionnaire. Il ne faut faire confiance à personne. C'est une mission de la plus haute importance et il ne faut pas se chier! Le colonel nous invite à le suivre dans ses quartiers pour un petit tête à tête. C'est pas tous les jours qu'on à l'occasion de se payer un verre de bon vin aux frais de la princesse alors on se fait pas prier. Les deux gardes qui surveillent la porte du bâtiment principal s'écartent et nous emboitons le pas à l'officier. A l'intérieur, on tombe sur un grand hall plutôt bien décoré avec des tapisseries rouges sur les murs, du carrelage blanc sur le sol et quelques peintures ça et là. Au milieu, un grand escalier en marbre, très large à la base et s'affinant au fur et à mesure qu'il s'élève. On dirait que ça paye bien le trafic d'êtres humains. Le colonel monte la première marche et nous invite à le suivre. En haut, une unique porte avec une plaque en métal sur laquelle est marqué le patronyme du colonel.

    On pénètre dans l'antre du barbu. Décoré avec beaucoup de classe, son bureau est à la fois chic et sobre. Une plante verte dans un coin dont il semble prendre grand soin, un tableau assez moche qu'il doit avoir fait dans son temps libre, un bureau en bois massif et une bibliothèque fournie. Accroché sur le mur, derrière le bureau, un cadre exhibe fièrement les nombreuses médailles que le colonel a amassé au cours de sa vie. L'homme s'assied dans son grand fauteuil de cuir et nous invite à l'imiter, ce que nous nous empressons de faire. On accepte le cigare et le verre de scotch de rigueur et on attend mais rien ne vient. Après quelques minutes, on finit par tousser pour briser le silence qui devient pesant.


    -Alors ? Vous n'avez rien à dire?
    -Que pourrais-je bien dire? J'ignore même pourquoi le CP nous fais l'honneur de sa présence.
    -Comment? Mais... Je suis là pour les esclaves. On ne vous a pas prévenu?
    -Les esclaves vont très bien, enfin. Et je ne vois pas en quoi cela concerne votre organisme.
    -Non, je parle des esclaves qui disparaissent très régulièrement de votre centre de détention ! Sans parler des évasions de masse qui ont déjà eu lieu. Désolé de vous le dire mais votre sécurité laisse à désirer, il semblerait.
    -Hum... Oui. C'est un whisky de ma résèrve personnelle. C'est mon péché mignon.
    -Okay... Ca me gonfle. Vous permettez au moins que j'inspecte l'enceinte du bâtiment ?
    -Mais je vous en prie. Faîtes comme chez vous.
    -Il me faudrait aussi les plans de l'île.
    -Aucun problème.

    D'un geste de la main, il nous invite à prendre congé après nous avoir remis une carte avec toutes les structures et les installations. Cet entretien n'aura pas été très productif mais au moins on sait qu'il faut pas compter sur ce gars pour prendre la moindre initiative et accepter la moindre nouvelle négative. On le remercie et on sort. Il va falloir se démerder tout seul sur ce coup-là. Un coup d’œil à gauche, un autre à droite. Bon... C'est où les chiottes?
      On a enfin accompli un acte qu'on s'était promis d'accomplir un jour. Poser la pire pêche que l'humanité ait connu dans des toilettes d'une propreté immaculée. On s'éloigne rapidement avant que quelqu'un n'arrive et ne puisse déduire qu'on est à l'origine de l'odeur. Bon, on va commencer par inspecter la totalité de l'enceinte du centre de détention. Si ça se trouve, il y a tout simplement une fissure dans le mur. Ouais, un peut naïf mais ce serait vraiment con de passer à côté d'un truc aussi gros. On sort alors du bâtiment, les mains dans les poches pour faire une petite reconnaissance du terrain. C'est notre première fois sur cette île, on n'a donc aucun repère. Derrière le grand bâtiment qui sert de porte d'entrée de l'île, le reste de la côte étant essentiellement de grandes falaises escarpées, il y a la nouvelle Réa. C'est une ville où on n'aimerait vraiment pas vivre. Les seuls occupants sont les marchands d'esclaves qui viennent proposer leurs services, les esclaves eux-mêmes et les marins qui s'occupent de les faire travailler. On trouve aussi quelques transporteurs qui chargent sur leurs navires le produit du travail forcé pour aller le vendre à travers les Blues pour un bénéfice quasiment total. Autant dire que ça respire pas la joie de vivre dans le coin. Il y a assez peu de chance que les esclaves disparaissent en passant par ici. Il serait absurde d'imaginer que les vendeurs d'esclaves soient dans le coup. Ce ne serait pas dans leur intérêt de faciliter les évasions.

      Inutile de s'attarder dans le coin. Il n'y a que des miséreux et des profiteurs. A vomir. On traverse la ville en buvant un bon sake et on se retrouve face à une immense grille de métal. Deux bulldogs en uniforme nous arrêtent en prenant leur air le plus imposant. Ils soufflent fort et nous repoussent l'épaule avec violence.


      -On ne passe pas.
      -Ouais. On ne passe... pas.

      Une petite gorgée pour se donner du courage et surtout supporter leurs haleines fétides et leurs gueules de cul.

      -Ecoutez moi-bien Tata et Yoyo. Je suis un agent du Cipher Pol. Je vous conseille de dégager rapidement de mon chemin si vous ne voulez pas que j'obtienne votre mutation pour aller recenser le nombre de diable des sables sur Amerzone !

      Les deux glandus se regardent en hésitant quelques instants mais la vue de mon ordre de mission finit de les décider. Ils s'écartent en maugréant quelque chose qui ressemble à des excuses. On finit enfin par entrer dans le vif du sujet : le lieu de détention. Grosse surprise ! En fait, après la ville, il y a une immense enceinte avec des champs de culture, des habitations, des postes de garde... Cela ressemble moins à une prison qu'à une petite ville de campagne, si ce n'est que l'ensemble est entouré d'un haut mur de pierre gardé par des miradors. Ca grouille de vie ! On pourrait presque croire qu'on observe une grande métropole à ceci près que la plupart des habitants sont vêtus de guenilles et sont maigres à faire peur. Et que certains autres ont des fouets aussi, petit détail.

      En tout cas, c'est immense. Ca va prendre des heures de faire tout le tour. On sent déjà la flemme nous gagner. Mais c'est le boulot. Par contre, les mécanismes de notre bras commencent à réagir lentement et notre vue baisse légèrement. Il n'y a plus de batterie. On connait la musique à force. On commence à lever le bras et on le laisse retomber mollement. Le mouvement met en route la dynamo et on utilise cette énergie pour faire un tour supplémentaire. Et un autre. Et encore un autre. Après une bonne vingtaine de moulinets, on ressent l'énergie revenir et se disperser dans les circuits. Ca c'est bon pour la mécanique, mais pour le reste du corps, l'organique, rien ne vaut un peu de bibine. Voilà. On est paré pour une longue marche.

      La progression est lente et fastidieuse. Autant l'intérieur de l'île est bien entretenu pour permettre d'être exploité au maximum, autant aux abords de la périphérie, on retrouve tous les rochers qui ont été dégagés lors de la création des champs. Des centaines et des centaines de pierres de toutes tailles s'entassent et il est très difficile d'y progresser sans risquer de se casser la gueule ou de se tordre la cheville. Après plus d'une heure, on en peut plus. Le souffle court, transpirant à grosses gouttes, on s'assied sur un rocher qui à l'air à peu près plat pour respirer un peu. Erreur de jugement. Il n'est pas plat. On a une pointe qui nous rentre dans le fion. On se relève d'un coup en hurlant mais on a pas le temps de se poser trop de questions. Une patrouille arrive et nous dévisage.


      -Qu'est-ce que tu fous là, toi ? Retourne bosser avec les autres !
      -Baisse d'un ton, mon gars ! Je suis un agent du Cipher Pol!
      -C'est ça prends nous pour des cons! Et quel CP exactement?
      -Hein? Heu ba je... Je sais pas trop encore...
      -Okay, emmenez-le.

      Deux gugusses nous foncent dessus et nous immobilisent avant que l'un d'entre eux ne nous balance une décharge électrique dans le ventre. Court-circuit dans le cerveau, complètement K.O. On est encore conscient mais totalement incapable de bouger. On entend simplement les voix des marins qui nous traînent sur le sol.

      -On a bien de vérifier les alentours.
      -Il y en a toujours qui tentent de resquiller.
      -Et si c'était vraiment un CP ? Les chefs ont pas parlé d'une visite bientôt?
      -On s'en branle. Il repartira pas d'ici de toute façon.

      Ils entreprennent une fouille de nos poches. C'est risqué, ils pourraient tomber sur des trucs bien dégueulasses. L'un deux tombe sur notre ordre de mission mais grogne que le document pue la gerbe avant de le déchirer en mille morceaux. Là, ça pue du cul...


      Dernière édition par Dan Ki Qong le Mer 28 Sep 2016 - 22:11, édité 1 fois
        La pioche s'enfonce d'un coup sec dans la terre sèche et rocailleuse. Le soleil tape dur et l'effort est intense. On pue la sueur à des kilomètres. Sans parler de la prothèse métallique qui est littéralement en train de rougir tellement il fait chaud. Ca brûle carrément la chair cette saloperie. Prenant appui avec notre pied, on retourne le petit lopin et ramassons les pierres pour les balancer au loin, en direction du mur. Comment est-ce que ça a pu merder à ce point ? La semaine dernière, nous étions des agents en formation de la plus prestigieuse agence gouvernementale. Et aujourd'hui nous sommes des forçats. On nous a tout pris. Tout enlevé. Nos possessions, notre liberté, notre nourriture, notre estime et même notre condition d'être humain. Ici, les esclaves sont traités comme des animaux. Non, c'est faux de dire ça. Les animaux ont droit à de biens meilleurs traitements. Des chiens ne sont pas affamés et fouettés pour travailler jusqu'à mourir d'épuisement. Les animaux ont le droit de dormir plus de quatre heures par nuit. Ici, ceux qui n'ont plus de liberté sont destinés à finir leur vie en s'effondrant à genoux, sans vie, des cordes autour de la taille et de profondes entailles dans le dos. En sept jours, on a déjà perdu au moins quinze kilos.

        Heureusement, les esclaves sont très nombreux donc il y a toujours moyen d'échapper durant quelques instants à la vigilance des gardiens. A l'intérieur de l'île, dans les tranchées qui séparent les différents champs, il y a une véritable petite société qui s'est établit. Les esclaves échangent et commercent entre eux au nez et à la barbe de leur maîtres. Bien évidemment il s'agit de babioles volées, d'instruments fabriqués avec des matériaux de récupération, de la nourriture pour ceux qui ont des maîtres plus souples, des services et surtout de l'alcool fermenté à partir des fruits pourris invendables. Heureusement qu'il y a ça. Après, on se débrouille tous pour manger deux trois légumes au moment de la récolte lorsque l'on peut. Mais des légumes crus, ça ne nourrit pas son homme. L'alcool qu'ils font est franchement pas terrible mais au vue des circonstances, il nous paraît aussi bon qu'un des meilleurs whisky de dix-huit ans d'âge de South Blue. Pas ceux de North -Blue, ceux-là ne valent rien, c'est connu. En échange de la boisson, on accepte de faire le boulot des revendeurs en plus du nôtre. On n'est pas là depuis très longtemps, on a encore de la force et de toute façon, quand on est bourré on ne ressent pas la fatigue.

        Il y a une véritable solidarité entre les travailleurs forcés. Par exemple, quand l'un d'entre eux décide de tenter une évasion, on essaye de faire une diversion de notre côté en déclenchant une bagarre générale. Nous sommes tous dans la même merde, alors on s'entraide. C'est un peu hypocrite pour nous, vu qu'à la base nous sommes ici pour les empêcher de s'échapper. Mais en attendant de pouvoir retrouver notre titre, on fait avec et on se débrouille comme tout le monde. On a d'ailleurs pu constater que les évasions d'esclaves qui ont été notées ne se passent pas comme ça. La plupart de ceux qu'ont a vu essayer ont foncé dans le tas, un couteau dans la main, plantant tous ceux qui se trouvaient entre eux et le navire. Ils ont tous été abattus après avoir poignardé un ou deux marins, pas plus. Il va falloir continuer à enquêter.

        Pour payer notre ration d'alcool, on est encore là, à piocher à vingt-trois heures alors que les autres sont tous rentrés. On doit préparer une nouvelle portion de terrain pour en faire un champ cultivable. Une vraie galère. Mais il faut ce qu'il faut. En tout cas, depuis une semaine, on essaye de retrouver les marins qui nous ont foutu dans cette merde. Ils étaient louches, c'est clair qu'ils sont la clef pour comprendre une bonne part des embrouilles qui se trament ici. Mais ils sont introuvables. Pas même une patrouille, de loin. A tous les coups, on retomberait dessus si on retournait là-bas, à côté du mur. Mais impossible, la surveillance est omniprésente, pas moyen de sortir du champs tant que le boulot n'est pas terminé.

        Enfin, on va bientôt pouvoir aller dormir, on a échangé cette bouteille contre trois heures de boulot, pas une minute de plus. Et dans à peine deux heures, il va être l'heure de se lever... Putain, c'est pas une vie.


        -Hey.

        On se retourne en sursautant. Un type avec un masque étrange sur les yeux nous observe à une dizaine de mètres. Il a de grands cheveux blonds et une sorte de cape. Trop bizarre. En tout cas, vu ses fringues et son attitude, c'est pas un esclave.

        -Ca va, j'ai finit de bosser. Vous allez pas me prendre la tête !
        -Yé né souis pas oune gardienne. Yé souis... JUAN! JUAN PABLO!

        Il fait des grands gestes en prononçant son nom.

        -C'est toi qué yé vu tournez vers la section interdite. Tou m'a l'air d'être un mec audacieux. Et sourtout... Tou m'a l'air d'être fort ! Tou n'a rien à faire dans un endroit comme ici.
        -Bah on m'a pas trop laissé le choix, figure toi.
        -Tou pourrais être beaucoup plouz outile ailleurs. Ca t'intéresse si yé té dit que yé pé té faire sortir ?

        Hoho... Là, ça commence à devenir intéressant. On s'empresse de répondre oui, car tout type normal aurait répondu sans réfléchir. Il ne faut pas éveiller les soupçons de ce mec plus qu'étrange. Alors on écoute. Et apparemment, il s'agit d'un révolutionnaire qui a un moyen pour faire sortir les esclaves qu'il juge utile à sa cause à conditions que ceux-ci s'engagent à intégrer l'armée révolutionnaire bien entendu. Génial! Non seulement on a une méga piste sur les disparition d'esclaves mais on a peut-être mis le doigt sur un véritable réseau révolutionnaire ! Ca va faire de ces jaloux à la promotion !

        -Okay, je marche!
        -Soupère!
          On n'y connait pas grand chose à la révolution pour être tout à fait honnête. On sait juste que c'est un groupe de gens qui sont contre le gouvernement mondial et qui voudraient le faire tomber. Ca peut se comprendre, c'est pas nous qui allons les blâmer. C'est un gouvernement complètement pourri et corrompu à tous les niveaux. Mais c'est un mal nécessaire. Sans le gouvernement, les crapules et les pirates sans scrupules pulluleraient et proliféreraient comme des rats. Ce monde est naze, c'est vrai, mais il y a une quinzaine d'années, nous avons pu avoir un aperçu de ce qu'est la véritable horreur. La guerre, le sang, le meurtre gratuit, la folie... Et surtout la perte d'êtres proches. Si le GM n'était pas là, il n'y aura pas d'ordre, pas de marines et de chasseurs de primes. Les crimes ne seraient plus punis, les morts ne seraient plus vengés. C'est impossible. Il faut tenter de diriger le gouvernement dans une autre direction, proposer des nouvelles idées, une nouvelle organisation. Mais ceux qui veulent le faire s'écrouler sont des fous inconscients des conséquences que cela provoquerait. Si on peut nuire à ce groupe, on ne va pas se gêner pour le faire.

          Juan Pablo n'a pas bougé. On reste tous les deux, à se fixer. On sait pas trop ce qui est en train de se passer mais  l'homme masqué a l'air d'hésiter. Il penche la tête d'un côté, puis de l'autre en murmurant des trucs qu'on arrive pas à entendre. Il finit par nous faire signe d'approcher.


          -Qu'est-ce qui va pas?
          -Hum... Yé pét-être dis oune bêtise. La révoloutionne a besoin de membres outiles. Forts, intelliyents, tacticiennes... Maintenant qué yé té voit de prés yé mé dit que tou à l'air d'oune vieil ivrogne.
          -Hey ! Tu sais ce qu'il te dit le vieil ivrogne? Moi au moins j'ai pas l'accent d'un pays qu'existe même pas dans notre univers! Pour ta gouverne, je suis un médecin et je sais super bien me battre. Je pourrais être carrément utile!
          -Hum... Prouve le. Viens té battre.

          Une bagarre? Il est marrant celui-là, on est pas en état de faire quoi que ce soit. Ca fait des heures et des heures qu'on bêche un terrain composé à plus de 90% de pierres. On a plus une goutte d’énergie. Et puis sans nos bouteilles de SanSan, on pourra rien faire du tout... On essaye de l'expliquer au type aux cheveux blonds mais celui-ci plonge la main dans son pantalon, nous arrachant un sursaut en arrière. Il en sort alors un sabre de près d'un mètre cinquante. C'est insensé, la lame est plus longue que le pantalon lui-même ! Comment c'est possible ?! Et surtout, pourquoi il brandit ça ?! Hey ! Mais...

          *CLANG !*

          La lame de ce grand malade rebondit contre notre bras droit en faisant des étincelles bleues. Derrière son masque, on peut le voir nous faire un clin d’œil. On repousse le gringalet d'un coup sec et on tente de lui balancer une praline dans la gueule mais il esquive en se penchant en arrière quasiment à l'horizontal. Le fourbe tente un coup de pied "dans les cojones" mais on bloque son pied en serrant rapidement les genoux. Le révolutionnaire pivote alors sur lui-même et nous envoie son pied en travers de la tronche. La douleur est fulgurante. En  quelques secondes, on se retrouve au sol, à plus de dix mètres, la bouche en sang. On crache une dent et on s'essuie le coin des lèvres avec notre manche. Okay, petit trou de balle, si tu veux jouer, on va jouer...

          On profite d'être au sol pour ramasser des pierres et de la terre au creux de notre main. Alors qu'il s'approche, on bondit d'un seul coup et on lui balance de la terre dans les yeux. Alors qu'il titube en arrière, aveuglé, on lui enfonce un énorme chassé en plein dans l'estomac. Œil pour œil, dent pour dent, connard ! Alors qu'il voltige dans les airs, le blondinet plante son sabre dans le sol et s'immobilise avant de repartir avec autant de vitesse. Notre coup ne lui a presque pas fait mal ! C'est un malade ce type ! Il lance son sabre droit devant lui, on a tous juste le temps de l'esquiver en se jetant au sol. Quelques centimètres de plus et il nous transperçait sans se poser de question ! C'est quoi ces méthodes de recrutement, bordel ? Une fois au sol, on ne peut rien faire pour éviter le violent coup de pointe du pied dans l'estomac. Encore une fois, on crache un peu de sang. De notre main métallique, on lui attrape la jambe et on le mord au mollet de toute notre force. On sent nos dents s'enfoncer profondément dans sa chaire tandis qu'il hurle de douleur. Un violent coup sur le crâne nous force à lâcher prise. Nous nous relevons tous les deux simultanément. Ce bâtard a récupéré son épée.


          -T'as l'intention de me buter ou quoi?
          -Si yé dois en arriver là pour qué tou té sortes lé doigts dou coul...

          On le voit arriver à toute vitesse alors on garde les yeux fixés sur son sabre. Ce type se bat vraiment et si on se foire, on va vraiment y rester dans ce combat à la con. Mais visiblement, il l'a remarqué et en joue. D'un coup sec, il tend son sabre vers la droite et profite du fait qu'on tourne la tête pour nous mettre un uppercut. On s'envole littéralement dans les airs mais on a le réflexe de plier la jambe droite au même moment. Notre genou s'enfonce dans le nez de notre adversaire et on sent avec délice l'arête se briser. On atterrit sur le dos et notre souffle est coupé. Lui, hurle des insultes dans une langue étrange. C'est le moment idéal pour recharger notre bras. On mouline à toute vitesse. On aura besoin de toute notre énergie pour lui foutre notre prochaine ultime attaque.

          Mais il ne semble pas d'humeur à se faire battre. Visiblement, il est très énervé par ce qu'on vient de lui faire et on n'a même pas le temps de comprendre ce qu'il se passe. Ce salopard bondit dans les airs et on reçoit son talon sur le sommet du crâne. La puissance de la frappe est terrifiante ! On est jeté au sol, face contre terre et on perd presque instantanément connaissance.
            On ouvre lentement les yeux. Le ciel étoilé s'affiche fièrement devant nous. C'est pas cool, on a super mal au crâne et un goût métallique de sang séché dans la bouche. On secoue la tête et on se relève. Juan Pablo est toujours là. Assis en tailleur, son sabre planté dans le sol à quelques centimètres de lui, il semble nous regarder. Difficile à dire avec son masque et la pénombre mais on ne voit pas trop ce qu'il pourrait regarder d'autre. Par un effort titanesque, on parvient à se redresser sur les coudes, puis à s'asseoir. Il n'y a plus la moindre énergie qui parcourt notre corps. On devrait recharger notre prothèse mais... la flemme. Notre main attrape la petite bouteille restée miraculeusement à notre ceinture et on avale une bonne gorgée d'alcool. La bouteille est vide... Ca n'aura pas duré longtemps. A peine le temps de finir de la payer et il n'y en a plus. On jette la bouteille au loin et on explose totalement de rire.

            -BAHAHA! T'es un grand malade, Juan Pablo, on te l'a déjà dit?
            -Si! Mé il faut bien qué yé sache cé qué tou vaut. On n'a pas bésoin dé pleurnichard dans l'armée.
            -Ouais mais quand même. T'as bien failli me buter à plusieurs reprises.
            -Ceux qui né peuvent pas nous réjoindre préfèrent mourir qué dé rester ici comme des esclaves.

            Pas faux. En gros, il propose une porte de sortie à tout le monde. Direction la liberté ou bien direction l'au-delà mais il ne laisse personne pourrir ici. C'est un point de vue qui se défend. En tout cas, on est bien content d'avoir pris la première option. Juan nous explique que même si on a perdu le combat, on est largement assez costaud pour être d'une quelconque utilité au groupe. C'est un compliment mais c'est dit d'une telle façon que c'en est carrément vexant. Enfin bref, passons. On se lève, bien décidé à le suivre jusqu'à ce tunnel. Mais il ne se lève pas, lui. Il se contente de nous regarder en riant. Apparemment, ce ne sera pas pour aujourd'hui. Le révolutionnaire s'étire et annonce qu'il sera là demain, à la même heure. On déglutit difficilement. Il est deux heures et demi du matin. Ce qui veut dire que même si on allait se coucher maintenant, on ne pourrait dormir qu'une heure et demi avant que l'autre connard ne vienne jouer de la trompette pour réveiller le camp. Alors en plus, un rendez-vous demain à la même heure... On va être complètement fracassé de fatigue.

            Mais visiblement, ce n'est pas une proposition. Le voilà déjà qui s'éloigne en direction du mur. C'est pas un esclave lui. On sait pas trop ce qu'il fout là pour être honnête. En tout cas, il va se payer une grasse mat' et pendant ce temps, on va trimer comme un malade. En plus, il y a plus rien à boire! La journée de demain s'annonce bien pourrie.


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            En effet, elle a été bien naze. Les travaux forcés, ben en fait, c'est aussi chiant que ça en à l'air. On a le bras en feu, le dos en compote, les yeux collés par la sueur, la gorge sèche et les poumons encombrés de poussière. Nos jambes flageolent et nos paupières se ferment toute seule. Il n'y a qu'un moyen de se maintenir éveillé : se prendre un coup de fouet. Alors on évite de s'endormir par tous les moyens. On se fout des baffes, on se met à sautiller ou encore on hurle un bon coup sans aucune raison. Et ça, jusqu'à ce que l'autre empaffé souffle enfin dans sa corne pour annoncer la fin du boulot. Dès que le son retentit, on s'effondre à genoux et on se laisse tomber au sol en soufflant. En à peine dix secondes, on dort.

            Mais le repos est de courte durée; Juan Pablo nous secoue et nous gifle. Putain quel emmerdeur... Aucune idée de combien de temps a duré la petite sieste mais une chose est sûre, elle a été bien trop courte.


            -Content dé voir qué tou é vénou, mon ami.
            -Hum... Ouais... On peut pas... en parler demain?...RRRRooonnnn....
            -Révéille toi, bordel ! Cé soir, si tout sé passe bien, tou sera déhors !
            -Ouais ! Ca ça me botte bien!

            On secoue la tête et on tente de retrouver nos esprits. La nouvelle nous a réveillé. On veut tout savoir. Comment va se dérouler l'évasion ? A quelle heure ? Il va falloir payer des gens ? C'est sûr comme plan ou il y a un risque de se faire chopper ou tuer ? Faut amener des trucs ? Faut corrompre des gens ? Juan semble légèrement effrayé par toutes les questions qu'on lui balance à la gueule sans même lui laisser le temps de répondre. On est tellement excité qu'on tente d'avoir le maximum d'informations pour pouvoir mieux le niquer par la suite. Hahaha, leur petit business n'en a plus pour très longtemps ! Dès qu'on aura trouvé le fin mot de l'histoire, il suffira de demander à voir le colonel Späre. Ce vieux con nous reconnaîtra et on pourra enfin se barrer d'ici la tête haute. Mais Juan ne semble pas aussi enthousiaste.Il fait une grimace.

            -Ecoute, il y a oune problème. Les derniers que j'ai libéré pour réjoindre le groupe de Louvneel ont été catastropiques. Des vraies chochottes.
            -Putain, ça va tu m'as déjà testé hier. Je te préviens, si tu veux te rebattre, tues moi directement. J'ai pas le courage de remettre ça, là.
            -Non, tou é fort. Mais ils l'étaient aussi. Mais ce qu'on veut aussi c'est... des COJONES! Et pour ça, yé oune sourprise pour toi. Tou n'aime pas le gouvernement, hein ?
            -Ba non.
            -Tout veu lé faire tomber, hein ?
            -Ba oui.

            Juan part alors d'un grand rire et se met à sautiller en gesticulant comme un taré. Il s'éloigne et passe derrière un rocher. On cherche pas trop à comprendre et on profite de ce petit répit pour reposer nos yeux fatigués. Lorsqu'on les rouvre, on sursaute en constatant que le révolutionnaire est revenu et est au beau milieu d'un petit speech. Aucune idée de combien de temps s'est écoulé pendant ce simple clignement des yeux. Toujours est-il qu'il y a un marin à ses côtés, ligoté et bâillonné. Ce dernier gesticule et tente de hurler mais nous sommes très loin des habitations. Mais comment il fait ce gars ? Déjà qu'il passe tout son temps à se balader sur l'île sans jamais se faire repérer, mais en plus il kidnappe un marin ? C'est abusé, sérieux ! Nous, on s'est prit un coup de matraque électrique entre les jambes juste pour nous être trompé de champs à labourer, hier !

            Visiblement, le problème qui s'est imposé aux membre du groupe de Luvneel c'est que les nouvelles recrues se sont dégonflées au moment de passer à l'acte. Ils n'ont pas eu le courage de porter le coup fatal à des représentants de l'ordre, ce qui  aurait potentiellement mit une prime sur leur tête. A cause de leur couardise, l'opération a capoté et plusieurs membres ont été arrêtés. On comprend rapidement le message. Alors que le blondinet continue son petit speech savamment préparé, on s'approche du marin qui couine, les larmes aux yeux. D'un coup de pied au visage, on lui fait perdre connaissance. D'un coup de talon, on lui brise le crâne contre une pierre. D'un seul mouvement, on vient de prendre une vie. Juan Pablo s'immobilise, les yeux écarquillés.


            -Bon, on est bon au niveau des péreuves à la con où il va falloir encore que je décapsule une bière avec ma bite? Autant te prévenir, j'y arrive très bien.
            -Heu.. Yé... Yé croit qué ca ira comme ça. On va pouvoir y aller. Vamos, gringo !
              Juan nous guide à travers les habitations en silence. Tout le monde dort, mis à part les gardes qui surveillent la sortie du quartier esclaves. Aucun prisonnier n'est autorisé à quitter la petite circonscription qui leur est attribuée. Cela évite les évasions, mais surtout les assassinats des maîtres. Combien d'hommes et de femmes ici passent leur nuit à s'imaginer en train de planter une lame dans le cœur de ceux qui les oppriment ? Sur dix, disons dix. A peu près. On est obligé d'être discret. Le problème c'est que le campement est constitué d'une rue principale, le coupant en deux. Les vigiles surveillent la porte, certes, mais impossible de traverser l'axe principal sans passer dans leur champ de vision. Bien qu'il ne soit pas officiellement interdit de se déplacer au milieu de la nuit, les gardes ne manqueraient pas de s'interroger sur la raison de ces mouvements nocturnes. Les esclaves sont tellement épuisés en principe, à la fin de la journée, qu'ils ne manquent pas une seule minute de sommeil.

              Accroupis dans une tranchée, nous attendons que les deux marins en surveillance tournent la tête pour discuter. Juan Pablo fonce alors dans un silence absolu et traverse la rue. Nous n'avons pas son gabarit, impossible de courir aussi vite sans réveiller tout le monde. Il nous faut une diversion... On ramasse alors une pierre et on la lance le plus loin possible derrière les gardes. La pierre rebondit alors sur la grille dans un bruit métallique. Cela éveille leur attention mais le temps qu'il se demandent d'où cela pourrait venir, nous sommes de l'autre côté. On les entends se demander si le mur ne serait pas en train de s'effriter et on se marre. Mais l'autre gugusse commence déjà à nous semer, il zigzague entre les habitations comme un furet. Il finit pas se faufiler dans une ruelle minuscule, si petite que l'on serait passé devant sans même s’apercevoir qu'elle était là.

              On est obligé de se mettre de profil pour se faufiler dedans. Après quelques mètres, on débouche sur une toute petite place de deux mètres de long et un mètre de large, jonchée de feuilles et de saloperies. Apparement, il n'y a rien à faire ici mais Juan se baisse et ramasse un truc sur le sol. Un œil non avertit penserait que c'est un bout de bois, mais en vérité, c'est la poignée d'une trappe dans le sol. D'un mouvement ample, le révolutionnaire soulève la dalle et dévoile un escalier qui s'enfonce dans la pénombre.


              -Viens, on va prévénir Louvneel qué tou arrive.

              Nous descendons l'escalier qui semble ne jamais finir et arrivons dans une salle terriblement sombre malgré la lampe à huile qui brûle faiblement à l'entrée. Elle n'est pas très grande, juste assez pour contenir une dizaine de personnes debout. Dans l'angle au fond à droite, un bureau avec des dossiers et un escargophone. Quelques posters montrant des révolutionnaires célèbres sont placardés sur les murs. On en a entendu parler aux centres de formation. Ce sont des ennemis publics recherchés. On reconnait Minos, Kyoshi Okabe, Lilou B. Jacob, Rafaelo... Toutes ces raclures... Juan s'avance et s'empare du combiné de l'escargophone.

              -Hum... Yé né té pas demandé mé... Comment tou t'appelles?
              -Moi? Dan...
              -Hop hop hop ! Attention, tout doit mé donner un psédonyme.
              -Pourquoi?
              -Ba... Ca évite qué lé GM rétrouve ta trace, ta famille, tes amis... Tout ça.
              -Bon ba... "LE DIABLE" !
              -C'est déyà pris.
              -Ah merde. "La mort" !
              -Déyà pris.
              -"Le fou".
              -Déyà pris.
              -... "Le... terrible"?
              -Déyà pris.
              -Bon ça me saoule... T'as qu'à me mettre "Le plombier", tiens!
              -Déyà pris.
              -AAAARRRGGGHHH! "Le docteur", voilà!
              -Hum.... Yé crois que c'est libre. Parfait.

              Juan compose un numéro sur son DenDen Mushi et attend quelques instants. Le visage de l'escargophone se modifie et un masque noir apparait sur ses yeux. La voix qui s'élève est grave et semble brouillée. Il y alors un échange qui a lieu. Ils utilisent probablement un langage codé parce qu'on ne comprend absolument rien à leur charabia. Cela dure quelques minutes, pas plus. Alors qu'il repose le combiné, le révolutionnaire s'approche de nous et nous annonce que "Le Docteur" est attendu à Luvneel avant la fin du mois. Il nous tend également une carte avec un lieu de rendez-vous. Sur la carte, une grosse croix rouge est accompagnée de l'inscription : Au poney qui tousse.

              -C'est lé bar où tou séras attendou. Démande Manouelo et dit qué tout voudrais loui rendre la pétite coulotte dé sa pétite soeur.
              -Hein ?!
              -C'est youste un mot dé passe, né t'inquiéte pas.

              On grommelle que ça risque d'attirer plus de problème que de solutions un mot de passe à la con comme celui-là. Il suffit qu'on le donne à la mauvaise personne pour déclencher une bagarre en un claquement de doigts. Mais on évite de trop se plaindre, l'occasion qui nous est offerte est trop belle pour prendre le risque de la gâcher. Une porte d'entrée dans un réseau révolutionnaire ! C'est trop génial ! Sans parler de celui d'ici. Ca sent la grosse augmentation de salaire, bahahaha! On repère une bouteille de whisky posée sur une étagère et on la récupère discrètement. Tandis que l'autre est plongé dans des papiers, on s'enfile une bonne rasade. On tousse en déglutissant. Notre gorge s'est habituée à la merde concoctée par les esclaves. Du vrai alcool, du bon, ça fait bizarre.

              -Arrête dé picoler, bordel. On y va !
                Nous voici à nouveau à l'air libre. On a rarement été aussi fatigué qu'à l'instant présent. Chaque mouvement est un véritable effort. Seul l'adrénaline nous permet de tenir. La trappe est refermée et on se dirige vers le tunnel qui va nous permettre de sortir d'ici. On est quand même ennuyé, on a perdu toutes nos affaires et mine de rien, ça avait de la valeur. Nos bouteilles prennent des mois à macérer pour obtenir les effets escomptés. C'est des heures et des heures de travail et de gueule de bois qu'on a du endurer pour trouver le dosage parfait, la quantité de larve à broyer, le temps de macération et le degré d'alcool. On demande à Juan s'il saurait où on pourrait les récupérer avant de décoller. Il refuse de nous écouter. Pour lui, c'est absurde de retarder un plan d'évasion pour récupérer des bouteilles d'alcool. Dans la théorie, on aurait tendance à lui donner raison mais tout de même... On lui raconte ce qui nous est arrivé, sans mentionner qu'on était ici à la base pour enquêter pour le compte du CP, évidemment. Il semble un petit peu gêné.

                -Yé crois que tou est tombé sour Pat et Enaf.
                -Pat et Enaf? C'est qui ça?
                -Cé sont les deux révoloutionnaires qui ont réoussi à être engagés ici et qui nous permettent de faire sortir discrètement des prisonniers. Ils ont un poste de Marins, mais en vérité, cé sont des révos. Ils ont pour mission dé répousser tout ceux qui approchent l'entrée dou tounnel.
                -Ettt.... Donc c'est eux qu'on va voir là?
                -Si. Mais pas dé problème, ils né té féront pas de mal, si tou est avec moi.

                C'est... la .... merde. Les deux connards qui nous ont foutu dans cette merde, aucun doute qu'ils vont nous reconnaître à la seconde où ils vont poser les yeux sur nous. Et encore, on a visiblement de la chance qu'ils n'aient pas parlé de nous entre eux. On serait probablement déjà six pieds sous terre à l'heure qu'il est. Mais comment on va se sortir de ce piège? Si les deux mecs disent à Juan qu'on est du CP, notre espérance de vie va être très, très courte... On ralentit la cadence mais il semble sans foutre royalement. A quelques mètres derrière lui, on cherche une solution à toute vitesse mais rien ne vient. Putain, putain, putain.... Tout va foirer à cause de ces deux cons ! On va peut-être même crever !

                On commence à apercevoir l'entrée du tunnel dans les décombres. Il reste plus qu'un dizaine de mètres, bordel, c'est la merde, c'est la merde... Soudain, on a une illumination. Juan nous a donné le lieu de rendez-vous, le mot de passe et a prévenu Luvneel de notre arrivée avec un nom de code. Voilà ! Ca tombe sous le sens. Il est temps d'agir comme un véritable agent du Cipher Pol. Comme une salope.


                -Juan?

                Alors qu'il se retourne, on lui file un puissant coup de poing dans la pomme d'Adam. Le révolutionnaire a le souffle coupé, il porte les mains à sa gorge en suffoquant mais on ne lui laisse pas le temps de s'en remettre. L'effet de surprise et la douleur ont raison de sa résistance. On le frappe en plein visage de notre poing métallique encore et encore. Il s'effondre au sol mais on continue de frapper jusqu'à ce que son corps s'immobilise, seulement agité de quelques soubresauts spasmodiques. On avait pas vraiment le choix. C'était lui ou nous. Pour affronter les deux autres révos, on va avoir besoin d'une arme. Avec un peu de dégoût, avouons le, on glisse notre main dans la jambe de pantalon du cadavre et on sent la garde du sabre. On l'empoigne et on tire dessus. Ouf, c'était bien la garde du sabre... On le retire entièrement et on continue de s'interroger. Comment un sabre d'un mètre cinquante peut-il être dissimulé dans un pantalon d'un mètre ? Ca n'a vraiment aucun sens...

                On continue d'avancer prudemment. L'entrée n'est plus qu'à quelques pas et on commence à entendre la conversation des fameux Pat et Enaf. Ils s'impatientent. L'heure du rendez-vous est dépassée et il ne comprennent pas pourquoi Juan, habituellement si ponctuel, est en retard.

                On se blottit derrière une grosse pierre. D'ici, on peut apercevoir les deux gars. On repère également nos bouteilles, posées avec négligence à coté de l'entrée. Il va falloir utiliser l'effet de surprise à nouveau si on veut éviter de se faire électrocuter et dénoncer. On donne une petite pichenette dans la pierre qui nous cache.

                -T'as entendu ? C'est toi Juan ?

                Il s'approche lentement, intrigué. On voit son ombre grandir au fur et à mesure qu'il s'approche de notre cachette. Au moment où on voit son pied, juste avant qu'il ait le temps de comprendre quoi que ce soit, on se relève et on lui tranche la tête, net et bien.

                -C'est quoi ce borde...

                Sans perdre une seconde, on lance le sabre qui va se planter au niveau de la cuisse du second garde. Celui-ci s'effondre en arrière, une expression de totale surprise sur le visage. On l'assomme sans difficulté. Bon... On a évité de sonner l'alerte, on éliminé trois révolutionnaires, ce qui est plutôt honorable et on a trouvé pourquoi les esclaves disparaissaient régulièrement des champs. On a envie de dire.... mission accomplie ! Non ? Il ne reste plus qu'une chose à faire. Récupérer nos bouteilles et nous barrer d'ici pour entrer en contact avec le colonel Späre. Lui serait capable de nous reconnaître.
                  Marie-Joie, Grand Line, Bureau du chef, 1627

                  -Voilà, c'est à peu près comme ça que ça c'est passé, chef.
                  -Ho là, tout doux. Vous allez pas vous en tirer avec une ellipse, hein ! Comment vous avez réussi à reprendre contact avec le colonel?
                  -J'ai simplement menacé de tuer le révo si on ne me laissait pas lui parler. Ils pensaient tous que c'était un marin.
                  -Pas mal, pas mal.
                  -D'ailleurs, ça m'arrangerait si vous pouviez mettre la mort de Juan Pablo et des deux révos sur le dos du marin qui est mort durant l'opération.
                  -Pardon? Pourquoi donc? Vous ne voulez pas en tirer la gloire?
                  -Disons que ça risque de poser problème pour d'autres plans.

                  Le chef nous regarde en haussant un sourcil. C'est vrai, on est petit nouveau et on est très fiers d'avoir réussi cette opération, c'est pas le problème. Mais avec les informations qu'on a obtenu, on a carrément un véritable laissez-passer pour infiltrer la révolution. Alors, il vaudrait mieux que la mort de Juan Pablo ne nous soit pas attribué. Même si on utilise un surnom par là-bas, vaut mieux pas prendre de risque.

                  -Hum, je vois. Ne vous en faites pas. Il y a de grandes différences entre la version officielle et la réalité chez nous. On dira qu'un des gardes de l'île aux esclaves a découvert l'identité d'un révolutionnaire, Juan Pablo et qu'il a réussi à le tuer, ainsi que deux de ses complices mais qu'il est mort durant l'affrontement. Ca passera. On enverra des fleurs à sa femme.
                  -C'est cool. Et du coup, je peux me rendre à Luvneel? J'aimerais beaucoup m'en charger moi-même.
                  -Ba ouais ! Et vous allez me faire le plaisir de rester discret et de remonter le plus haut possible. On cherche à faire tomber les leaders, pas les sous-fifre.
                  -Donc... Je suis agent ?
                  -Ouais. Vous allez rejoindre le CP6 et partir en mission sur le champ.
                  -Cooool ! Et c'est payé combien?
                  -De la merde. Mais quand même un peu mieux que ce que vous étiez payé en formation.
                  -Nickel, je prends.