- Kage Berg… Pourquoi y retourner ? Serait-ce le lieu de mes derniers bons souvenirs avec Stanislas ? Je m’efforce de rester fort, mais c’est bien plus dur que je ne l’imaginais, c’en est presque insurmontable. La majeure partie de mon aventure a été effectuée seul, sans jamais le moindre soucis émotionnel, sauf que cela me paraît maintenant impossible. Les psychologues disent que l’être humain remplace toujours ce qu’il perd, que ce soit des objets ou des êtres aimés, toujours… Aussi horrible que ce soit, je suis forcé de leur donner raison, tout le monde le fait.
Maintenant que je me trouve ici, je ferais mieux de rapidement retrouver les gens avec qui nous avions sympathisé. Non pas que je crains de dormir dans les forêts de cette île, mais seul un idiot le ferait en sachant que l’on peut l’héberger. Pour l’heure, il me faut impérativement éviter la garnison présente sur l’île, elle me reconnaîtrait sans aucun doute. En effet, après l’incident survenu il y a peu, je m’efforce de croire que les mesures de sécurités ont légèrement été modifiées.
Je marche assez lentement, j’essaye de repérer des éventuels pièges, le lieu où se trouve la garnison, les mouvements des soldats… Le tout en prenant soin de bien rester caché derrière la haute végétation. Une fois le plan plus ou moins fait dans ma tête, après avoir pris quelques notes, je me retourne vers la direction où se trouve le petit village où je logeais.
Rien n’a changé. Toujours ces petites maisonnettes de fortunes, faites essentiellement de bois, bien que les plus récentes sont maintenant en pierres. D’ailleurs quelques pavés - toujours de pierre - commencent à être posés le long de l’allée principale. Finalement, rien ne reste vraiment inchangé, sauf peut-être le coeur des Hommes.
Pour tout vous avouer, j’appréhende les premières retrouvailles avec ces gens, notamment avec les évènements passés avant mon départ, sans compter ma prime… Après pour ça, il se peut qu’aucun d’entre eux ne lisent les journaux, c’est plutôt l’agriculture et les vaches qui priment ici. Alors je marche timidement, les mains dans les poches, la tête baissée, quand une voix vient brusquement me surprendre.
« Ragnar ! C’est bien toi ? »
J’hésite à me retourner… Je ne sais pas si l’on peut vraiment parler d’hésitation, c’est plus de l’appréhension, de la peur, peur de me retrouver face à ces gentils gens. Le pire c’est que j’ai reconnu la voix de mon interlocuteur, il n’y a que lui pour me reconnaître aussi rapidement, celui qui m’a hébergé pendant tout ce temps : Alfred.
« Où étais-tu passé tout ce temps ? Tu as disparu tout à coup, nous étions tous inquiets, on t’a cherché durant des semaines. Stanislas n’est pas avec toi ? »
La question que je redoutais tant. Stanislas était probablement le plus intégré de nous deux, tout le monde l’écoutait racontait ses nombreux périples… Il a toujours eu ce don de rassembler les gens à sa table. Je n’ai pas ce tact légendaire qui, après beaucoup de recul, faisait finalement sa force mais pas face à certaines enflures. Mon visage se sert de plus en plus, je commence à trembler, puis des larmes finissent finalement par s’échapper. Je ne contrôle plus rien.
« Suis-moi l’ami, allons nous reposer autour d’un bon thé. Tu tombes à pique, j’en faisais justement cuir avant que je ne sorte prendre l’air et que je finisse par te croiser. »
Merci. C’est le mot qui tente de s’échapper pour la chaleureuse invitation et la grande compréhension de mon ami, mais aucune parole n’arrive à sortir. Alors quoi ? C’est tout ? Pour l’heure, je dois commencer par me calmer et me remettre de mes émotions, c’est pas possible de pleurer constamment à chaque fois qu’on prononce son nom. Un verre de thé, hein ? C’est exactement ce qu’il me faut.