G4 QG de la Marine, South Blue
- Fumier !
La colère qui anime le sous-amiral atteint de nouveaux sommets. La commandante d’Élite Thémis n'est pas en reste. Un officier supérieur de la Marine sur les terres de Rhétalia ! S'il se fait attraper, c'est la crise assurée. Comble des circonstances défavorables, il vient juste d'informer les Rhétaliens de la possible séquestration d'une commandante d’Élite sur leur sol. S'ils en viennent à capturer Euron Bear, n'accuseront-ils pas la Marine de double jeu ? A coup sûr, l'incident diplomatique éclatera, les politiques s'en mêleront, tous les notables et gouverneurs ayant un quelconque intérêt sur cette maudite ile également. Rhétalia est connue pour faire tout un plat de la moindre incartade aux Principes Fondateurs. Ils feront remonter la violation jusqu'au plus haut point possible dans la hiérarchie politique de la Fédération, saisiront la plus haute autorité en ce sens sur les Blues : l'archigouverneur. A cette pensée, Sierra est pris d'une vague de nausées. Quelle salissure serait-ce sur son parcours de recevoir un blâme de la part d'une si haute personnalité ? Bien qu'appartenant à la branche politique, un archigouveneur représente le Conseil des Cinq Étoiles sur un air géographique défini, a la charge d'administrer les iles sous drapeau Fédéral, de veiller l'expansion du Gouvernement et au maintien des relations commerciales avec les nations non fédérées.
- Vous paranoïez, trancha la commandante.
- Ah bon ?! Moi je trouve que vous n'avez pas encore idée des retombées possibles de cette bombe ! Vous devriez plus vous en faire, moi on m'accusera juste de ne pas avoir su exercer mon autorité, étant au courant des intentions de cet équipage. Mais ce sont des Élites avant tout, sous votre responsabilité pleine et entière ! C'est sur vous que tombera la plus grosse merde !
- S'il y a merde. On peut envisager d'autres scénarios. Qu'Euron trouve Lady, la délivre sans se faire attraper. Tout n'est pas obligé d'aller de travers.
- Ha ! Ha ! Ha ! Ha ! hurle le sous-amiral cornu, secoué d'un rire hystérique. Allons ma chère, mettez-y plus de conviction, reprend-il, et je vous promets que j'y croirais ! On a tous lus les états de services de cet équipage. Citez-moi une seule de leur mission qui se soit déroulée sans accrocs ? Même les plus simples, ils trouvent le moyen de les rendre hors de contrôle ! Ils sont sacrément efficaces en fin de compte, oui, je le reconnais volontiers. Mais ce sont des fléaux ! Seul ou en bande ! La seule fois où ils ont été dans cette posture, obligés de libérer un des leurs, c'était l'an passé, dans la principauté de Brœnany quand Euron Bear fut capturé par les Révolutionnaires de la cellule Seagul Blood. Résultat ? La capitale totalement ravagée, quatre cent cinquante morts dans les combats qu'ils ont engagés de front avec la Cellule.
- Euron est un homme seul, dit Thémis, peinant à cacher l'anxiété dans sa voix.
- C'est justement ça qui m'inquiète. Il est seul. Il va s'adonner à des actions plus désespérées que ce à quoi ils sont habitués.
- Qu'est-ce qui pourrait arriver de pire ? On aura qu'à....
A ce moment, un sous-officier entre en trombe dans la pièce. Il halète, une main sur un point de côté qui lui fulgure les côtes. Il s'excuse auprès des officiers avant d'annoncer une nouvelle qui fait défaillir Sierra. Même dans ses scénarios les plus pessimistes, il n'aurait pas pu deviner ça. Quant à Thémis, elle est aussi blême qu'un exsangue. Sans attendre la fin du rapport, tous deux se ruent hors du bureau puis dans la rade du QG où ils embarquent sur un petit croiseur taillé pour la vitesse. Rassembler l'ensemble des navires du G-4 avant d'y aller prendrait trop de temps, ils arriveraient très en retard. Malgré ses vingt nœuds, la fusée est trop lente pour le cornu qui s'impatiente, les mains crispées et croisées, un pied sur la figure de proue. « Plus vite... Plus vite ! » marmonne-t-il en recevant les embruns salés au visage. Une demi-heure plus tard, le navire atteint sa destination. Aucune trace d'une quelconque flotte, se dit Thémis qui scrute la mer à 360°. Selon leurs informations, ils devraient passer par là. A moins qu'ils les aient déjà ratés ? Impossible, pas avec cette vitesse-là. A peine cette idée lui effleure-t-elle l'esprit que son cœur s'emballe. Venant du septentrion, des silhouettes brisent la ligne d'horizon. De stupéfaction, sa bouche forme un "O" tant la scène lui parait surréaliste. Les minutes s'égrainent lentement et la flotte s'approche du croiseur rapide avant de s'immobiliser tout près. Après un échange escargophonique, l'amiral et la commandante sont invités sur le pont du navire amiral de la flotte, un énorme galion verdâtre arborant un arbre en figure de proue.
- Roi Gaiden Grantz II ! Que faites-vous ?! demande l'amiral sans préambule.
- Non. Vous, que faites-vous ?
- Je vous empêche de commettre un acte de démence qui aurait des conséquences sur le Gouvernement dans son ensemble ! On m'a informé que vous avez levé la flotte royale de Bliss et celle de la 19e Division ! C'est pas dans vos attributions !
- Relisez le traité d'établissement des deux divisions Blissoises, amiral. Contre la prise en charge intégrale des charges, en homme et en matériels des deux garnisons, le roi de Bliss -en sa qualité de chef suprême des armées se trouvant sur son sol- a le pouvoir de prendre le commandement desdites garnisons.
- Uniquement quand l'intégrité territoriale de Bliss est directement menacée ! rétorque le cornu.
- Uniquement quand les intérêts de Bliss sont menacés ! rectifie le roi calmement, adossé à un mat.
- Soit. Qu'est-ce qui vous menace en cet instant ? Vous êtes dans les eaux internationales, avec une flotte de quoi... quarante, voir cinquante navires ?
- Les intérêts de Bliss vont de paire avec ceux de chacun de ses citoyens. Loth Reich est naturalisé Blissois depuis qu'il nous a débarrassé d'
Ashura et du
Réseau Prometheus. Quand un seul Blissois est détenu contre son gré quelque part, je pars en guerre.
- Votre Majesté, s'avance Thémis, on est au courant de la situation globale ; on a reçu une requête de l'équipage de Lady Ombeline dans ce sens.
- Mais vous ne faites rien ? Une commandante esclavagisée et ça ne vous dit rien ?
- Mais tout le monde joue à "qui est le plus bouché" aujourd'hui ou quoi ?! On-ne-peut-pas-partir-en-guerre-sur-des-soupçons ! s'offusque Sierra en détachant chaque mot. C'est de la pure démence !
Roi Grantz, vous êtes prêt à mettre la stabilité et la prospérité de votre royaume en jeu pour un seul citoyen ?! Naturalisé qui plus est ?
- Regardez cette vivre card Sierra, elle appartient à Reich. Regardez comme elle se consume. Il se meurt. Peut-être que votre commandante aussi. Regardez bien la direction dans laquelle elle pointe et dites-moi ce qu'il y a dans ce secteur de South Blue, répond Jay, un index tendu vers le nord. Rhétalia. Si j'avais les preuves de leur implication directe dans ce rapt, je leur aurais déjà déclaré la guerre.
- Sans déconner ! Ben à quoi sert cette armada alors ? C'est quoi votre plan génial ?
- Les menacer. Bliss leur a envoyé un câble diplomatique signalant la séquestration d'un citoyen Blissois sur leur terre. Ce que je fais maintenant, c'est leur montrer que je suis prêt à tout pour le retrouver. Et qu'il a intérêt à être sauf. J’immobiliserai ma flotte dans les eaux territoriales Rhétalienne pour qu'ils comprennent bien que ce n'est pas du bluff.
- Donc vous avez sérieusement l'intention de... Je ne vous laisserai pas faire ! aboie le cornu.
- On peut se calmer ? intervient Thémis.
- Qu'allez-vous faire donc, sous-amiral ? riposte le roi en avançant vers lui. Si je laisse un seul de mes citoyens se faire martyriser au su de tous alors on s'en prendra aux Blissois partout où ils sont. Vous voulez m'en empêcher de protéger les miens ? Essayez donc.
Sur le pont, la tension est électrique et palpable. A moins d'un centimètre l'un de l'autre, les deux hommes se toisent avec la plus grande révulsion. Le cornu fait plus de deux mètres, idem pour le jeune roi dont le sang est métissé avec celui des premiers géants s'étant établis sur South Blue. Il n'est en rien impressionné par la prestance de l'amiral, les Grantz sont des rois guerriers. Mais plus que tout, ce que teste Jay-jay, c'est la détermination de Sierra. Après une minute à se jauger, il esquisse un sourire de satisfaction. Ses soupçons trouvent confirmation, Sierra ne fera rien. Il est trop carriériste, trop effrayé à l'idée de voir figurer sur son joli CV la mention de l'agression du plus influent souverain de South Blue. Les Grantz ont un tel poids dans l'appareil politique Gouvernemental que s'en serait fini de sa chère carrière. Le cornu a un point faible trop facilement exploitable, regrette le jeune roi. Malgré cela, l'amiral ne s'avoue pas vaincu et à défaut de s'en prendre physiquement à Gaiden Grantz, il tente de mutiner ses troupes. La main en porte voix, il s'adresse à tous les Marines composant la flotte Blissoise. Entre menaces de radiation et de passage en cours martiale, il les exhorte à rentrer dans leurs casernes car, explique-t-il, l'action du roi est illégale. Après une dizaine de minutes de vaines philippiques, il comprend dépité que nul ne le suivra. L'emprise du Blissois est totale.
« Amiral, vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi Bliss n'a jamais été infiltrée par la Révolution ? La loyauté coule dans nos veines ! » commente la princesse Davina Grantz amusée par la situation. En plus, se rend compte Sierra avec horreur, les citoyens Blissois composent plus quatre-vingt dix pour cent de l'effectif des deux garnisons... Cette forte adhésion fut un temps utilisée par la Marine comme vecteur publicitaire pour encourager l'intégration des autochtones dans les pays où elle installe ses bases. Aujourd'hui, il a peine à croire que ça se retourne contre eux. Le cornu se mordille la lèvre de rage et de regret. Il lui est impossible de stopper cette armée. S'en prendre au roi n'est même plus une option, l'oserait-il qu'il se ferait ennemi de ces milliers d'hommes, marines y compris. Avec un seul croiseur, il n'a aucune chance. Si seulement il avait la flotte du G-4 ! Il aurait eu les arguments pour les arrêter ! Malheureusement, ses croiseurs et cuirassés sont ancrés dans la baie du QG, à plus d'une demi heure d'ici. « La décision de réagir fermement face à Rhétalia ne vient pas uniquement de moi mais du comité de sécurité interne de Bliss que j'ai réuni juste après avoir appris la nouvelle. Mes frères et sœurs, mes oncles, mes cousins, et les pairs de mon royaume adhèrent totalement et ne veulent ne rien céder face à ces esclavagistes. » détaille le roi.
[...]
Résidence d'été des Von Vaughn, Médicis, South Blue
Pour la première fois depuis le début de l'année, Son Excellence a troqué son costume officiel contre un polo en cachemire, un pantalon de coton et une casquette. Il se sent étrangement léger dans cet accoutrement, comme si le poids de la responsabilité qui lui incombe s'est envolé avec sa tenue militaire bardée de médailles dont certaines créées de toute pièce pour le récompenser. A sa décharge, jamais en vingt ans de service en tant qu'archigouverneur, il ne fut à l'initiative d'une telle pitrerie. Il abhorre l'auto-récompense et préfère laisser le soin aux autres de flatter son égo. Un vent léger et agréable souffle le green. Les mains serrées sur le manche de son putter, son regard est fixé sur la petite balle et la ligne imaginaire qu'elle suivra jusqu'au trou. Au moment opportun, il frappe et donne un effet à la balle qui décrit un arc de cercle avant de finir dans le trou. Des applaudissements retentissent, il vient de finir le parcours avec six coups sous le par. Le record établi sur ce même terrain par Panther Hoods est de dix-huit coups sous le par. C'était il y a quelques années déjà et depuis, Lars n'a cessé de s'améliorer, avec l'objectif de battre le record homologué du meilleur joueur au monde. S'il s'adonnait à l’auto-flatterie, il dirait que sa marge de progression est impressionnante, sachant qu'il n'y consacre que quelques jours par an. Mais voilà, Lars Von Vaughn est un éternel insatisfait qui ne s’embarrasse jamais d'excuses.
- Oh sapristi ! J'ai encore perdu ! s'exclame de dépit le voïvode de Terre-Vieille.
- Avec onze coups au-dessus du par ? C'est un euphémisme, commente l'Excellence d'une voix moqueuse. C'est à vous, reine Ekaterina.
La souveraine n'a pas le temps de putter qu'arrive à bride abattue le chef de cabinet du Gouvernorat Général de South Blue. En l'absence de l'archigouverneur (pour jouer au golf entre autre), c'est lui qui gère les affaires courantes. Rare est de le voir aussi tendu et échevelé. Von Vaughn hausse un sourcil d’incompréhension puis autorise son subordonné à parler en présence des invités. Ordre qu'il regrette immédiatement tant la teneur du message est alarmante. Bliss part en guerre contre Rhétalia. « Hein ? Il a fumé de la farine ou quoi Gaiden Grantz, putain !!! Qu'est-ce qu'il va nous faire comme coup fourré ?! Merde, j'ai toujours haï ces Grantz et leur amour de la confrontation ! Rhétalia vient juste de faire concession d'une mine de diamant à Terre-Vieille ! » que crache le voïvode, indigné et estomaqué. La reine Ekaterina est quant à elle mortifiée, plus que des liens commerciaux, c’est la survie du royaume d'Ekaterinbourg que détient le Pays aux milles pyramides. « Lars, il y a cent experts Rhétaliens en gaz et forage actuellement à pied d’œuvre dans mon royaume ! Vous avez personnellement chapeauté la signature de cet accord de transfert de technologie ! Ils sont les seuls au monde à savoir extraire le gaz de schiste sans le faire exploser ! Vous avez de la chance ici sur South Blue, d'avoir du soleil toute l'année ! Le soleil, nous ignorons ce que c'est nous, dans le Nouveau Monde, près du cercle de l’Éternel Hiver ! Pour réchauffer Ekaterinbourg, nous devons apprendre à exploiter ce gaz dont regorge son sous-sol, nos mines de charbon sont épuisées ! Si ce blanc-bec de Grantz contrarie Rhétalia et que leurs scientifiques se retirent, mon peuple mourra de froid ! Lars, c'est votre devoir de l'en empêcher ! » se lamente-t-elle.
Lars Von Vaughn L’habit fait le moine. Lars Von Vaughn prend quelques minutes de répit pour s’habiller, comme s’il revêt une cuirasse à l’épreuve de l’immense responsabilité qui est la sienne. Ekaterinbourg n'est pas un cas isolé malheureusement ; ce que s'apprête à faire Bliss, c'est de bousiller trois siècles de relations inextricables entre Rhétalia et différentes composantes du Gouvernement, pense-t-il sombrement. Un sourire fugace étire ses lèvres. Aux Rhétaliens, il reconnait une fantastique habileté de parasitage. Outre les relations commerciales à larges plus-values, ils ont su tisser et développer de précieux liens, se rendant indispensables, vitaux même dans certains secteurs extrêmement sensibles. C'est ainsi, qu'ils se sont assurés d’être intouchables. Du moins, pour quiconque raisonne de manière sensée. Ce qui n'est pas le cas des Grantz de Bliss. Déclarer la guerre pour un seul citoyen ? Voir éventuellement deux ? Risible, considère gravement l’archigouverneur. La politique du Gouvernement a toujours été de sacrifier un pour en sauver un million. Moins de dix minutes après qu'il fût informé de la situation -et eût congédié ses hôtes scandalisés tenant à défendre leurs bouts de pains- les escargophones se mettent à sonner en désordre. Dire que les Blissois ne sont même pas en vue des eaux Rhétaliennes que ça devient déjà nerveux ! Tout le monde veut parler au décideur, plaider sa cause, invectiver la folie de Bliss et proférer des menaces. La bureaucratie de la fédération mondiale dans toute sa splendeur. Dans cette cacophonie, il choisit d'abord de répondre au vice-amiral Mont-Victoire Eustache "Barbe d'acier", commandant suprême de toutes les forces Marines sur les quatre Blues.
- Éminence, j'ai le sous-amiral Sierra en conférence, introduit Mont-Victoire Eustache.
- Très bien, c'en sera plus facile. Qu'est-ce qui se passe Sierra ?! s'enquiert-il sèchement.
- Le roi Gaiden Grantz est devenu fou, répond-il. Il a...
- Je sais ce qu'il a fait, ce qui a engendré ça. Le sens de ma question c'est pourquoi vous ne l'en avez pas encore empêché ? Comment a-t-il pu mobiliser les deux garnisons sans qu'aucune alerte ne vous parvienne ? Pourquoi l'avez-vous su uniquement quand il était déjà à mi-chemin ?!
- Le fort taux de natifs Blissois dans les rangs...
- Il y a eu des défaillances graves et une enquête
a posteriori situera les responsabilités, intervient le vice-amiral, mais on a d'autres priorité pour l'instant. Il faut gérer ce merdier.
- Que voulez-vous donc faire ?
- Si je puis me permettre... Si vous me donnez l'ordre d'arrêter le roi par tous les moyens... Si vous déclarez que son action est une traitrise, on pourrait avoir toute latitude pour le stopper. En plus, en ce moment, Bliss doit être plutôt vulnérable, Grantz a du mobiliser la plus grande partie de sa flotte... Le Gouvernement peut définitivement s'emparer du pays... propose Sierra avec hésitation.
- Wow ! Dites-moi Eustache, votre subordonné est-il fou ou fou ?! ironise Von Vaughn. Vous suggérez de nous aliéner les Grantz de Bliss ? De faire un coup d'état... Comment osez-vous proposer un stratagème aussi imbécile ?! demande-t-il d'une petite voix qui a le don de ratatiner le cornu.
- Sierra se base juste sur le passé. Ça a déjà été fait. En vingt ans, Lars, combien de nations et d'iles avez-vous transformé en gouvernorat après en avoir liquidé les dirigeants légitimes ? rétorque le vice-amiral sans gène, apparemment le seul à pouvoir tutoyer l'illustre politicien.
- Trente-six. Mais aucune de l'importance de Bliss. Connaissez-vous l'histoire de ce royaume, ce qu'il représente pour notre bannière ?
- Je sais qu'il y a huit cent ans, le Gouvernement peinait à s'imposer sur South Blue. C'est alors qu'ont débarqué du Nouveau Monde, les ancêtres des Grantz. Des géants et demi-géants. Ils furent les premiers êtres de grandes tailles à s'allier au GM et sous leur férule, nous avons conquis presque toute la Blue.
- Bravo, vous avez bien appris vos leçons, Eustache. Sûr que nous pouvons nous en prendre à Bliss et nous l'accaparer là maintenant. Mais nous causerions par la même une insulte à notre propre drapeau. Ce serait comme, je ne sais pas... renverser les Néfertari ? Et en dehors du symbole, connaissez-vous le nombre de Grantz dans les rouages de l'appareil politique, d'ici à Marijoa ? Mon prédécesseur qui officie maintenant en tant que conseiller personnel du Vénérable Kyozu Vagner est l'oncle direct de Jay-jay. Ils sont juste trop puissants, sans compter le pain béni que ce serait pour la Révolution si nous en venions à affronter les Grantz. Non, nous en avons trop à perdre. Je préférerai encore une guerre avec Rhétalia.
- Vous avez raison dans le fond, mais permettez-moi d'amender la forme.
- Ce qui signifie ?
- Ordonnez au sous-amiral de dépêcher tous les bâtiments disponibles du G-4 vers Rhétalia pour faire barrage à la flotte Blissoise.
- Pardon ? Qu'est-ce que je viens de dire ?
- Je ne compte pas les affronter, répond paisiblement le vieil vice-amiral de sa voix cassée. Vous n'êtes pas le seul à savoir cerner les Grantz, j'ai côtoyé et me suis battu à côté du père de Jay-jay. Ils ne connaissent qu'une chose, les rapports de force. L'erreur de Sierra, c'est de s'être laissé gagner par l'inquiétude. S'il avait analysé posément la situation, il ne se serait jamais précipité au devant d'une armada avec un simple croiseur. S'il avait rattrapé les Blissois avec la puissance du G-4 à ses côtés, la situation en serait tout autre à cette heure.
- Continuez.
- Les Grantz sont des hommes qui respectent la force, Éminence. Si la flotte du G-4 leur bloque le chemin, si on joue le jeu assez finement pour leur faire croire que le GM ne tolèrera aucune décision unilatérale pouvant entrainer d'autres nations -et la Fédération- dans la guerre, Jay y réfléchira à deux fois. L'influence et l'importance de son royaume y sont pour beaucoup dans l'assurance qu'il a. Si on s'oppose à lui, je pense qu'il se dégonflera un peu. Ils attachent énormément d'importance au Gouvernement.
- Vous voulez bluffer ?
- Il s'agit uniquement de gagner du temps. Plus longtemps ils retarderont leur assaut, plus on aura du temps pour trouver une sortie de crise pacifique.
- Et que se passera-t-il, interroge lentement Von Vaughn, si par malheur, nous ne venons pas à trouver la solution miracle ? Que Reich et Ombeline ne soient pas retrouvés, ou qu'ils le soient, mais morts ? Que Gaiden Grantz II décide de déclarer la guerre en représailles ?
- Ça, Votre Éminence, c'est une décision politique, répond le vieil homme.
Est-ce son conditionnement de marine qui le pousse à s'en référer à plus haute autorité que lui, ou Mont-Victoire Eustache vient-il de se laver les mains au cas où les évènements empireraient ? En tant que commandant suprême de toutes les forces Marines des quatre Blues, le vieil vice-amiral est quasiment l'égal d'un archigouverneur. Peut-être même est-il plus puissant, mais les textes ne le définissent pas clairement. Ce qui est certain par contre, c'est qu'il n'a pas le pouvoir de décider d'une offensive "majeure" de la Marine dans une Blue sans le consentement de l'archi' régent de cette zone.
A contrario de ce dernier qui peut déclencher des hostilités à sa guise en faisant bouger les Mouettes. Lars Von Vaughn se sait seul commandant à bord, et ce depuis vingt ans qu'il décide de la pluie et du beau temps sur South Blue. Mais c'est toujours désagréable, cette impression d'être lâché à chaque fois que ça devient critique. Il hoche subrepticement la tête, comme si ses interlocuteurs étaient en face de lui. « Si ça vient à empirer, la Marine a ordre de soutenir Bliss de toute sa puissance de feu. » ordonne-t-il. Plus tard, il en référera à son propre supérieur, le Monsieur Politique de Conseil des Cinq Étoiles, Kyozu Vagner lui-même. Mais il est quasiment certain que sa décision ne changera pas de la sienne, malgré les groupes de pressions qui se formeront. La bataille diplomatique risque d'être plus sanglante que celle des armes, si elle a lieu.
- A vos ordres, répond le vice.
- Du coup, je fais bouger ma flotte pour leur barrer le chemin ? Juste ça ? s'enquiert Sierra.
- Oui, interposez-vous entre eux et les Rhétaliens. Si Jay-jay est fidèle à ses mots, pour l'instant, il est juste en train de se positionner. Ça devrait laisser le temps à vos hommes d'arriver du G-4. Vôtre rôle est de veiller à ce que rien de fâcheux ne précipite les hostilités. Trop de guerres ont commencé sur des malentendus. Moi je vais me hâter de trouver une solution politique.
- Allez-vous joindre Gaiden Grantz ?
- Je peux mais je ne me beurre d'aucune illusion, Eustache.
Ce n'était qu'une demi-vérité. Debout devant le bureau de son supérieur tout au long de la conversation, le chef de cabinet Mike Spencer étire un petit sourire qui fait frémir sa moustache de morse. Depuis des décennies qu'il se tient à son service, quand Von Vaughn n'était qu'un politicien de basse engeance mais pétri d'ambitions, il connait le bonhomme sur le bout des cils. A ce moment précis, il visualise bien le caléidoscope de complots qui fourmillent dans l'esprit de l'illustre politicien. Et puisque les mots sont inutiles, il s'assied dans son fauteuil préféré en face de son maitre et passe plusieurs coups de fils. Stopper Bliss par la force serait pure folie, mais il existe d'autres moyens de les faire plier. S'il est vrai que les Grantz ne connaissent que les rapports de force, alors, ils auront plusieurs bras de fer à gérer en même temps. Malheureusement et tous deux le savent, leur solution de fortune ne saurait être efficace que dans la durée. Et plus persistera la crise, plus les voix discordantes se feront entendre et plus le spectre de la guerre se précisera. A l'image de la solution du vice-amiral, la leur ne sera bâtie que sur des fondations de bluff. Mais, se rassure Von Vaughn, si mentir est une seconde nature pour tout politicien, il faut l'élever au rang d'art pour accéder à un poste aussi prestigieux que le sien. Bluffera bien, qui mentira le dernier.
- Qu'est-ce qui se passe, Vance ? demande sèchement Spencer à un de ses secrétaires qui vient d'arriver en trombe.
- Désolé de faire irruption mais ça dégénère ! dit-il rapidement, affolé. La principauté de Taorminavie menace de soutenir Rhétalia si Bliss attaque !
- La Taorminavie ? Ce n'est qu'un rocher qui n'a pas une seule galère de combat ! réplique le chef de cabinet avec dédain. Ils ne pèsent pas un clou !
- Certes, coupe Von Vaughn, mais c'est le début de l'hémorragie, du bal des vautours. Il est des nations aussi puissantes que Bliss qui ont des intérêts vitaux à Rhétalia. Elles ne laisseront pas faire les Grantz.
- Smyrno, Terre-Vieille, Anacréon, Korell, Bubastis, Le Taldor... compte Mike Spencer sur ses doigts.
- Spence, Activez nos agents -dormants ou pas- dans tous ces pays, qu'ils désinforment du mieux qu'ils peuvent. Puis, mettez-moi en lien avec les Orys.
- Pas avec Jay-jay d'abord ?
- Non, ce sont les Rhétaliens qui détiennent la solution à la crise. Et le pire, vous savez ce que c'est ?
- Vous êtes convaincus que le kidnapping de Reich et de Santana a été piloté au plus haut niveau de leur gouvernement ? Et une partie de vous souhaite ardemment les canonner pour leur apprendre le respect ? Mais vous n'en ferez rien parce qu'il y a trop d'enjeux ?
- Parce que mon libre arbitre est depuis longtemps esclave des enjeux.