Tout inconscient qui osait baver "c'était mieux avant" relevait du bourgeois déclassé. Pour la vermine, rien n'était jamais mieux, ni avant, ni après. Seize-cent quinze, en ce temps là, le cafard n'était pas encore le cafard, il n'était que Joe, ou "Toi là, avec ta gueule de puceaux". On devenait davantage pirate par bêtise que par vocation, et seule la jeunesse pouvait constituer une manne de crétins suffisamment prolifique pour fournir les ponts branlants de la flibuste.
Dix-huit ans seulement, jeune et con, Joe avait dégusté déjà trois ans de délices corsaires. Scorbut, dysenterie, plaies infectées, famines récurrentes à bord, le récit du pirate fier et flamboyant avait été bien vite écorné par son expérience personnelle. Ce qu'on gagnait en pillant, quand on avait cette aubaine, finissait immanquablement par glisser des mains pour refaire le plein de poudre à canon et de munitions, sans compter les frais de docteurs. Et quels docteurs, savoir seulement amputer des membres et désinfecter des plaies suffisait en soi à détenir le rang prestigieux de médecin de bord.
Dans la dèche et bientôt sans le sou, le jeune boucanier au visage encore angélique en ce temps comptait les berrys rescapés de sa bourse. La fortune n'était pas bien opulente, huit cent berrys répartis en monnaie s'étalaient sur la paume de sa main droite tandis que la gauche était occupée à masser ses tempes pour éradiquer la migraine lancinante qui accablait sa cervelle. Sa cervelle elle, baignait dans un jus douteux. Attablé depuis deux heures dans un rade de Rokade, Joe noyait ses méninges dans le whisky bon marché afin de se réchauffer.
L'hiver était rude, d'autant plus impitoyable que les traversées en mer se faisaient plus rares en cette saison. Le gibier maritime moins abondant, bien des boucaniers prenaient leur mal en patience sur la terre promise de la piraterie d'ici à ce que les beaux jour reviennent.
Hiberner avait beau être dans l'ordre naturel des choses pour bon nombre de mammifères, ces derniers n'avaient pas à se reposer sur le berry tout puissant afin de survivre à l'hiver. Pour Joe, c'était une autre affaire.
- Comment est-ce que je vais bien pouvoir m'en sortir maintenant putain ?....
Visage maintenant enfoncé dans les paumes de ses mains, coudes posés la table branlante de l'établissement devant son godet à moitié entamé, le bougre était en pleine contemplation, ou en tout cas, en pleine lamentation. Autour de lui, on grognait, on chantait, on buvait à son saoul. Il y avait , il faut croire, encore des gaillards suffisamment hardis et chanceux pour risquer leur peau sur les flots et se renflouer les poches sans mal.
- À... À la... à la santé d'pakitaine Falzar !
- C'est Zalfar abruti !
- Ouais, s'tu l'dis *hips* d'ailleurs.... Où qu'est-ce qu'il est not' grand manitou ?! C'pas raisonnab' d'laisser ses hommes tous seuls, on pourrait faire des b'tises sans surveillance Warfwarf !
Zalfar était une de ces têtes brûlées assez insouciantes pour braver les patrouilles de marine qui, l'hiver venu, reprenaient leur droit sur South Blue pour assurer le plan de "trêve hivernale" désiré par l'état major. Les bouchées doubles étaient de mise niveau effectifs, mobiliser à tout va afin de simuler un sentiment de sécurité absolu mais éphémère un quart de l'année et justifier la ponction des contribuables par le gouvernement mondial. Cette période de l'année était plus propice au zèle de la marine, de par le fait, rares étaient les pirates qui, avec en plus des intempéries fréquentes et une température mortifère, osaient braver le gel pour semer la désolation. Ils préféraient attendre que la mer soit plus chaude, la misère était - paraît-il - moins pénible au soleil.
- Dire que si j'avais été un tout petit peu moins con j'aurais postulé chez lui y a un mois.... Chiiiiiiééééé....
La plupart des hommes de l'équipage où s'était retrouvé Joe avaient mis suffisamment de côté pour se repaître grassement des plaisirs variés à portée de main de tout pirate qui se respecte sur la Rokade. En bon bizut, celui qui serait amené à être appelé le cafard s'était toujours fait rafler le pactole sous le nez. Des économies, il n'en avait pas suffisamment pour tenir encore deux jours. Même dans l'infâme taudis dans lequel il s'était agrégé à la masse afin de se réchauffer, le vent s'engouffrait et glaçait chaque extrémité de son corps. Seul un alcool suffisamment agressif et rance suffisait à lui procurer la chaleur dont il avait désespérément besoin. Toutefois, le carburant venait à manquer comme le constata Joe, ses yeux ternes et cernés rivés sur son verre à moitié vide.
- Eh bah ma mignonne on se fait du mouron ?
Immobile, figé, glacé même, ladite "mignonne" ne quitta pas son verre du regard avant de réaliser enfin qu'un homme de Zalfar venait lui chercher querelle. L'alcool avait cette propriété incroyable qui consistait à combler des carences en sociabilité en exacerbant la connerie de son homme.
- Laisse-moi d'viner, "bouhouhou ! J'pas d'argent pour t'nir l'hiver ! Ma maman me manque". J'pas raison ?! Warfwarfwarf !
Toujours engourdi par le froid, semblant avoir annihilé toute forme de spontanéité chez lui, Joe mit encore quelques secondes avant de répondre. Parce que jeune et insouciant, il pensait encore que répondre à une provocation de boucanier pouvait n'occasionner aucune conséquence néfaste pour sa santé.
- C'est l'idée ouais... À peu de chose prêt que c'est pas ma maman qui me manque mais la tienne.
L'important dans ce genre de situation était de ne surtout pas baisser le regard, et pourtant, Dieu sait qu'en cet instant le jeune pirate venait de réaliser à quel point il avait risqué gros en prononçant ces mots, ne souhaitant que s'enfuir le plus vite et le plus loin possible.
- De... Que... Parbleu Alcide... T'as entendu ce qui vient de m'dire ce p'tit con ?
Suffisamment désemparé par une impertinence malvenue, le grognard vint chercher le soutien de ses camarades en renfort pour faire taire cette jeunesse impétueuse qui ne s'écrasait pas quand il fallait.
- Quoi donc ? Qu'y s'farcirait bien ton tromblon d'mère ? Ouais, j'suis témoin. C'est vrai qu'il a bien du courage ! HAHAHAHAHAHAHAHA !
Et l'assistance accompagna ce rire gras et disgracieux, la plupart des hilares ignorant même pourquoi ils riaient, préférant se joindre à la foule par conformisme. C'est l'instinct grégaire du pirate qui voulait ça, ils n'étaient solidaires entre eux que lorsqu'il s'agissait de s'unir contre un bouc émissaire.
Enragé par ses collègues, il ne restait au boucanier qu'à s'adonner à l'esbroufe pour tenter de récupérer les bribes de sa dignité que les saoulards venaient de piétiner.
- Merdeux va ! S'foutent tous d'ma gueule maint'nant. T'vas casquer sévère.
Arrogant et enhardi par les rires de l'assemblée, Joe eut dans l'idée de poursuivre son chemin dans sa lancée rhétorique.
- Fais vite alors, je morfle déjà suffisamment rien qu'à te regar...
Ceux qui prétendaient que les mots faisaient aussi mal que les coups n'avaient jamais tenté d'arrêter un poing à coup de répartie graveleuse. Annihiler en faisant de l'esprit, cela se faisait dans les salons bourgeois, mais en taverne à la Rokade, un bête gnon suffisait à couper court à ce genre d'exercice mondain. Le temps n'était plus à la joute verbale, mais à la raclée. L'homme de Zalfar abattit ses phalanges à un rythme frénétique sur le visage de sa proie. Cela fit autant rire le petit peuple alcoolisé que la remarque précédente de la victime.
Tabassé en guise de correction pour avoir eu la simple audace d'exister là où il ne fallait pas, le jeune garçon fut rapidement éconduit à grands coups de pied au cul pour s'affaler dehors, face contre terre.
Gueule encastrée dans la roche rouge et glacée sur laquelle était bâtie Rokade, Joe, avant même de se soucier de ses blessures se lamenta pour toute autre chose.
- La carne ! Il m'a même pas laissé finir mon verre...!
Une brise tranchante soufflait, amenant le rebut de la taverne à se frictionner les bras. S'il ne voulait pas crever de froid sur place, il avait alors intérêt à s'activer. Tout penaud, il s'en alla traîner ses guêtres jusqu'aux docks dans un ultime espoir de trouver un équipage prêt à l'accepter et lui permettre de tenir l'hiver.
Là-bas, jetant un oeil furtif à son reflet dans l'eau, il vit son oeil droit violacé et sa joue bleutée contraster avec le sang séché s'étant écoulé de son arcade jusqu'à son menton imberbe.
- Moins pire que ce que je croyais.
À Rokade, on pouvait toujours s'attendre au pire. Et manifestement, l'air vicié qui s'insérait dans ses poumons à chaque bouffée d'air qu'il inspirait lui donnait l'impression que le pire était encore à venir.
Dix-huit ans seulement, jeune et con, Joe avait dégusté déjà trois ans de délices corsaires. Scorbut, dysenterie, plaies infectées, famines récurrentes à bord, le récit du pirate fier et flamboyant avait été bien vite écorné par son expérience personnelle. Ce qu'on gagnait en pillant, quand on avait cette aubaine, finissait immanquablement par glisser des mains pour refaire le plein de poudre à canon et de munitions, sans compter les frais de docteurs. Et quels docteurs, savoir seulement amputer des membres et désinfecter des plaies suffisait en soi à détenir le rang prestigieux de médecin de bord.
Dans la dèche et bientôt sans le sou, le jeune boucanier au visage encore angélique en ce temps comptait les berrys rescapés de sa bourse. La fortune n'était pas bien opulente, huit cent berrys répartis en monnaie s'étalaient sur la paume de sa main droite tandis que la gauche était occupée à masser ses tempes pour éradiquer la migraine lancinante qui accablait sa cervelle. Sa cervelle elle, baignait dans un jus douteux. Attablé depuis deux heures dans un rade de Rokade, Joe noyait ses méninges dans le whisky bon marché afin de se réchauffer.
L'hiver était rude, d'autant plus impitoyable que les traversées en mer se faisaient plus rares en cette saison. Le gibier maritime moins abondant, bien des boucaniers prenaient leur mal en patience sur la terre promise de la piraterie d'ici à ce que les beaux jour reviennent.
Hiberner avait beau être dans l'ordre naturel des choses pour bon nombre de mammifères, ces derniers n'avaient pas à se reposer sur le berry tout puissant afin de survivre à l'hiver. Pour Joe, c'était une autre affaire.
- Comment est-ce que je vais bien pouvoir m'en sortir maintenant putain ?....
Visage maintenant enfoncé dans les paumes de ses mains, coudes posés la table branlante de l'établissement devant son godet à moitié entamé, le bougre était en pleine contemplation, ou en tout cas, en pleine lamentation. Autour de lui, on grognait, on chantait, on buvait à son saoul. Il y avait , il faut croire, encore des gaillards suffisamment hardis et chanceux pour risquer leur peau sur les flots et se renflouer les poches sans mal.
- À... À la... à la santé d'pakitaine Falzar !
- C'est Zalfar abruti !
- Ouais, s'tu l'dis *hips* d'ailleurs.... Où qu'est-ce qu'il est not' grand manitou ?! C'pas raisonnab' d'laisser ses hommes tous seuls, on pourrait faire des b'tises sans surveillance Warfwarf !
Zalfar était une de ces têtes brûlées assez insouciantes pour braver les patrouilles de marine qui, l'hiver venu, reprenaient leur droit sur South Blue pour assurer le plan de "trêve hivernale" désiré par l'état major. Les bouchées doubles étaient de mise niveau effectifs, mobiliser à tout va afin de simuler un sentiment de sécurité absolu mais éphémère un quart de l'année et justifier la ponction des contribuables par le gouvernement mondial. Cette période de l'année était plus propice au zèle de la marine, de par le fait, rares étaient les pirates qui, avec en plus des intempéries fréquentes et une température mortifère, osaient braver le gel pour semer la désolation. Ils préféraient attendre que la mer soit plus chaude, la misère était - paraît-il - moins pénible au soleil.
- Dire que si j'avais été un tout petit peu moins con j'aurais postulé chez lui y a un mois.... Chiiiiiiééééé....
La plupart des hommes de l'équipage où s'était retrouvé Joe avaient mis suffisamment de côté pour se repaître grassement des plaisirs variés à portée de main de tout pirate qui se respecte sur la Rokade. En bon bizut, celui qui serait amené à être appelé le cafard s'était toujours fait rafler le pactole sous le nez. Des économies, il n'en avait pas suffisamment pour tenir encore deux jours. Même dans l'infâme taudis dans lequel il s'était agrégé à la masse afin de se réchauffer, le vent s'engouffrait et glaçait chaque extrémité de son corps. Seul un alcool suffisamment agressif et rance suffisait à lui procurer la chaleur dont il avait désespérément besoin. Toutefois, le carburant venait à manquer comme le constata Joe, ses yeux ternes et cernés rivés sur son verre à moitié vide.
- Eh bah ma mignonne on se fait du mouron ?
Immobile, figé, glacé même, ladite "mignonne" ne quitta pas son verre du regard avant de réaliser enfin qu'un homme de Zalfar venait lui chercher querelle. L'alcool avait cette propriété incroyable qui consistait à combler des carences en sociabilité en exacerbant la connerie de son homme.
- Laisse-moi d'viner, "bouhouhou ! J'pas d'argent pour t'nir l'hiver ! Ma maman me manque". J'pas raison ?! Warfwarfwarf !
Toujours engourdi par le froid, semblant avoir annihilé toute forme de spontanéité chez lui, Joe mit encore quelques secondes avant de répondre. Parce que jeune et insouciant, il pensait encore que répondre à une provocation de boucanier pouvait n'occasionner aucune conséquence néfaste pour sa santé.
- C'est l'idée ouais... À peu de chose prêt que c'est pas ma maman qui me manque mais la tienne.
L'important dans ce genre de situation était de ne surtout pas baisser le regard, et pourtant, Dieu sait qu'en cet instant le jeune pirate venait de réaliser à quel point il avait risqué gros en prononçant ces mots, ne souhaitant que s'enfuir le plus vite et le plus loin possible.
- De... Que... Parbleu Alcide... T'as entendu ce qui vient de m'dire ce p'tit con ?
Suffisamment désemparé par une impertinence malvenue, le grognard vint chercher le soutien de ses camarades en renfort pour faire taire cette jeunesse impétueuse qui ne s'écrasait pas quand il fallait.
- Quoi donc ? Qu'y s'farcirait bien ton tromblon d'mère ? Ouais, j'suis témoin. C'est vrai qu'il a bien du courage ! HAHAHAHAHAHAHAHA !
Et l'assistance accompagna ce rire gras et disgracieux, la plupart des hilares ignorant même pourquoi ils riaient, préférant se joindre à la foule par conformisme. C'est l'instinct grégaire du pirate qui voulait ça, ils n'étaient solidaires entre eux que lorsqu'il s'agissait de s'unir contre un bouc émissaire.
Enragé par ses collègues, il ne restait au boucanier qu'à s'adonner à l'esbroufe pour tenter de récupérer les bribes de sa dignité que les saoulards venaient de piétiner.
- Merdeux va ! S'foutent tous d'ma gueule maint'nant. T'vas casquer sévère.
Arrogant et enhardi par les rires de l'assemblée, Joe eut dans l'idée de poursuivre son chemin dans sa lancée rhétorique.
- Fais vite alors, je morfle déjà suffisamment rien qu'à te regar...
Ceux qui prétendaient que les mots faisaient aussi mal que les coups n'avaient jamais tenté d'arrêter un poing à coup de répartie graveleuse. Annihiler en faisant de l'esprit, cela se faisait dans les salons bourgeois, mais en taverne à la Rokade, un bête gnon suffisait à couper court à ce genre d'exercice mondain. Le temps n'était plus à la joute verbale, mais à la raclée. L'homme de Zalfar abattit ses phalanges à un rythme frénétique sur le visage de sa proie. Cela fit autant rire le petit peuple alcoolisé que la remarque précédente de la victime.
Tabassé en guise de correction pour avoir eu la simple audace d'exister là où il ne fallait pas, le jeune garçon fut rapidement éconduit à grands coups de pied au cul pour s'affaler dehors, face contre terre.
Gueule encastrée dans la roche rouge et glacée sur laquelle était bâtie Rokade, Joe, avant même de se soucier de ses blessures se lamenta pour toute autre chose.
- La carne ! Il m'a même pas laissé finir mon verre...!
Une brise tranchante soufflait, amenant le rebut de la taverne à se frictionner les bras. S'il ne voulait pas crever de froid sur place, il avait alors intérêt à s'activer. Tout penaud, il s'en alla traîner ses guêtres jusqu'aux docks dans un ultime espoir de trouver un équipage prêt à l'accepter et lui permettre de tenir l'hiver.
Là-bas, jetant un oeil furtif à son reflet dans l'eau, il vit son oeil droit violacé et sa joue bleutée contraster avec le sang séché s'étant écoulé de son arcade jusqu'à son menton imberbe.
- Moins pire que ce que je croyais.
À Rokade, on pouvait toujours s'attendre au pire. Et manifestement, l'air vicié qui s'insérait dans ses poumons à chaque bouffée d'air qu'il inspirait lui donnait l'impression que le pire était encore à venir.