Je vais dire un truc que j’ai souvent répété mais c’est vrai : je me fous de tout ce qu’il y a autour de moi en ce moment. Avant, c’était parce que j’en avais rien à branler des peigne-cul, mais maintenant c’est parce que je savoure l’instant présent, je savoure ma liberté soudaine ! Je m’en fous que les locaux me regardent bizarrement parce que je cours comme un gamin heureux dans les ruelles, parce que je me laisse aller là où le coeur m’en dit. J’en ai fini de jouer les prudes bien rangés dans leur petite vie trop plate. Je veux cogner, me faire tabasser pour me ressouder les os à la bière, je veux pouvoir fumer comme un pompier, bouffer ce que je veux quand je veux.
Ouais, c’est tout ce que je veux. C’est pas comme si ça allait être tout rose tout le temps alors autant en profiter tant que je peux. Faut savoir profiter de sa vie, qui sait, je peux peut être buter sur un de ces pavés et me péter le crâne avant de crever comme un con dans l’instant qui suit ... Mais comme c’est pas arrivé, j’entre en furie dans un vieux rade, la double porte battante se rappellera de mon entrée fracassante, héhéhé !
- Mahach ! Qu’est ce que tu fais ici ... Spica t’a autorisé à boire, c’est ça ?L’est drôle le tavernier hein ? Je lui réponds à demi-mot, faudrait pas me griller trop vite.
- Ouais, si on veut. Une pinte s’teu plait !Pas bousculé par mes ardeurs le petit père, il prend tout son temps pour me servir. Il croit que ça va me calmer sûrement, mais tout ce que ça fait, c’est me faire trépigner. Mais pas d’impatience, je me frotte les mains en pensant à tout ce que je vais pouvoir refaire !
- Là ! Toute fraîche !Je fais valser une de mes dernières piécettes d’un coup de pouce, le vieux Tony la rattrape au vol, je peux enfin approcher le bock de mes lèvres avant de tout citrer d’un coup. Ah ouais ! J’avais oublié cette petite amertume, ces bulles qui pétille furieusement dans le gosier. EN deux secondes, la pinte se retrouve vite, je la claque sur le comptoir en bois.
- Une autre !Tony écarquille les yeux, moi j’ai un grand sourire sur la gueule. Ca prend un instant avant qu’il décide de me resservir, je lui laisse son dû aussitôt. Même l’entendre tirer sa bière pression est un putain de plaisir pour mes oreilles !
- Ben mon vieux, t’as une de ces descentes, j’aimerai pas me la taper, même en vélo !- Ouais ouais, et moi ça me remonte le moral tu peux pas savoir !Je crois qu’il hausse les yeux au ciel, mais je suis trop occupé pour savourer ma deuxième binouze.
Nan, je déconne, cul sec.
Enfin rechargé, je peux tourner les talons.
- La bonne journée !L’a même pas le temps de répondre que je suis déjà parti en direction du port. Le trajet est assez long, même en courant, alors je peux pas m’empêcher de penser à ma gonze. Enfin, au fait qu’elle ait pas cherché à me fusiller du regard ou me choper par la peau du cul ... J’aime pas trop ça ... Et le plus triste dans l’histoire, c’est qu’avoir un gamin m’a fait repousser un coeur. Ouaip ... Je m’étais séparé du mien parce que ce connard me faisait mal mais je crois qu’au final, je peux pas tellement lui échapper ... Du coup, si je pense à Spica, c’est aussi parce que ça me fait mal au fond. Et comme si je culpabilisais pas assez, je sens mon Den Den au fond de ma poche interne, comme si il me suppliait de l’utiliser ...
Rhaa, putain, je me hais quand je suis ça ! Ca et l’alcool qui me ronge le cerveau. C’est jamais bon quand y’a un truc qui va pas à ces niveaux là. Mais bon, en quelques mois de vie plus ou moins normale, j’ai pu me poser un peu et réfléchir à tout ça. Ma gonze et mon chiard, je les aime. Et autant avant mon coeur m’emmerdait parce qu’il m’empêchait de me détruire pour me sentir vivant, autant là il me rappelle que j’ai enfin quelque chose à perdre, et que ça vaut plus cher que toutes mes conneries.
Du coup ... bah ... du coup, je m’arrête cinq minutes dans un coin tranquille pour contacter celle qui me fait mal à ce putain de coeur.
- Allô ?- Oï, c’est moi.- ...- Tu dis rien ?- ...- Pourquoi tu dis rien ? Mais vas-y, parle ! Dis quelque chose ! Tu me fais encore plus flipper quand tu fais rien !- ... J’étais en train de dire à ton fils à quel point son père était un sale connard égoïste.Hahaha, elle a de l’humour, ça me rassure. Ca m’apaise un peu.
- Oï, Spica, je suis désolé ...Là encore elle laisse un vide, mais c’est moins pour me faire chier que pour me montrer qu’elle a de la peine malgré tout.
- Tu sais, au fond de moi, je savais que ce jour arriverait ...- Ouais ...- T’es pas fait pour la vie normale, c’est un fait ...- Bah, on se refait pas. Même si toi, t’as troqué ta crête contre ton ventre tout rond ... - Haha, elle est bien bonne. Toi aussi t’es plus que l’ombre de toi même ! Il est où le grand méchant pirate maintenant ? Hein ?- Je te l’ai déjà dit, j’ai pas envie que notre fils grandisse dans un monde de merde comme celui-là, alors je vais faire mon possible pour le changer à ma façon.- Par contre, si tu passes du côté des gris, tu remets plus jamais les pieds à la maison, tu m’entends ?Ca y est ! Elle a su me choper par les tripes ! Voilà qu’un sourire triste me fend la gueule ! Oh, je vais pas chialer non plus ! Reprends toi mec !
- Ca va pas la tête ?!- Mahach ?- Ouais ?- Pourquoi que tu ne veux pas rester ici ? Pourquoi tu ne veux pas prendre l’île et en faire notre petit paradis ? Je ne te dis pas de rester vivre ici mais juste assurer notre petit cocon !Pourquoi ? Pourquoi ?!
- Tu sais pourquoi. Quand je suis revenu ici, j’ai fait beaucoup de mal juste avant. Si je devais revendiquer Innocent Island comme mienne, ce serait le piège parfait pour m’attirer. Et on se servirait de toi, et de Liam. Alors je sais bien que c’est pas la joie tous les jours, mais l’île, elle a rien pour attirer qui que ce soit, et je préfère ça. C’est aussi pour ça que je m’éloigne de ce coin trop tranquille ... Et quitte à m’éloigner, autant faire les choses bien.Un ange passe. Encore.
- Mais tu me promets de revenir, hein ?- Promis.Katcha
Je raccroche. J’ai le coeur au bord des lèvres. Et c’est pas le moment d’être malade vu que je veux m’enfuir sur le voile de la grande Dame bleue.