Que dire de plus ? J’me trimballais à l’aise sur mon chameau, battant le sable des dunes au pas. Le vent chaud de Nahohana soufflait sur nous. La mission était pas claire, comme toujours. Mais hé, y’avait longtemps qu’on avait pas suivi le chef dehors. C’était un gars taciturne, marqué par la guerre. On lui aurait donné quarante piges sans mal, mais paraît qu’il en a pas trente. Un bras robotisé, un œil en moins. Un vieux de la vieille, qu’avait dû connaître le feu du combat avant même de naître. Il avait l’habitude de partir seul en reconnaissance, mais aujourd’hui c’était différent. Depuis que la B.A.S. avait été mise en place, pas grand-chose n’avait bougé. On était resté cloitrés, on s’était entraînés. Les nomades le respectaient lui, mais ne faisaient que nous tolérer. Pourtant, nous aussi on était des héros. Mais dans le désert, mieux valait garder son phare allumé. Et mon phare, c’était le chef. J’étais pas fan des piafs de la Lune, trop loin de notre culture, de nos pensées. Mais ils étaient l’incarnation de notre lutte. Ils avaient tout perdu, et luttaient pour leur peuple. Ils étaient plus que vingt et un.
On partait vers la capitale, déguisés en bédouins. On avait bien sûr nos armes bien sur nous. On avait été choisis pour cette putain de mission parce qu’on était les meilleurs. Mais le chef nous regardait à peine, il avait un truc derrière la tête. J’étais juste jaloux de pas en faire partie. C’était ça qu’on attendait d’un leader chez les révolutionnaires. Un type charismatique, qui donnait envie de le suivre. Et lui, il l’était qu’à moitié. On nous avait dit qu’il avait vu plus de morts que le monde n’avait porté de vivants, et il le portait sur lui. Mais y’avait toujours ce petit truc qui me dérangeait chez lui. Ce truc qui me donnait l’impression qu’il nous testait en permanence. Une dune s’effondrait qu’il s’arrêtait juste avant. Des charognards s’avançaient qu’on comprenait qu’il avait déjà fait le détour pour les éviter. C’était flippant, et je me demandais à quoi je pouvais bien servir ?
Le temps de monter le campement arriva bien assez tôt, le désert était pas un truc à prendre à la légère. La nuit vous tombait dessus et vous glaçait comme un morpion à sa tige en plein goulag. Et les goulags, j’en avais connu. J’étais de Tequila Wolf, moi. Un rescapé, un vrai ! Mon cuir s’était fait à la neige, c’était peut-être pourquoi le sable me dérangeait pas. Lui par contre, il passait son temps à rajuster son keffieh. Et le vent, ça non plus il aimait pas. Je pouvais le voir aux rides autour de ses yeux. Au moins un truc sur lequel je me sentais un peu plus fort. C’est que le chef, je préférais le suivre en sachant qu’il était pas parfait. Qu’il était humain. C’était à ça que je me raccrochais, pour être sûr qu’il était vraiment sur notre échelle à nous. J’avais entendu les gars du désert l’appeler Génie des Sables. Qu’il aurait vaincu le Djinn à mains nues. Le Djinn mon gars, la putain de bête qu’on avait enchaînée derrière cinq portes blindées, dans les souterrains de l’oasis. Alors oui, le chef je le connaissais pas tant que ça, mais je le respectais. J’avais envie de la suivre.
Il le savait peut-être, que j’étais ce genre de gars. Parce que ce fut cette nuit-là que tout changea. J’étais pas un héros, j’étais pas quelqu’un qui sortait de la norme. J’étais juste un évadé de Tequila Wolf. Un frère de la cause, voilà tout. Mais il m’avait réveillé aux aurores, juste moi. Et il m’avait dit « viens ». Juste ça. Il m’avait préparé mon chameau, mes affaires. Je l’avais pas entendu, je l’avais pas vu. Je savais pas sur le moment si je devais être rassuré ou pas. Le chef, il était tellement loin de nous, il était tellement perché sur son nuage que je ne comprenais pas ce qui avait pu le décider à venir me parler. C’était un monde de fou. Mais c’était surtout notre monde. C’était ce que je m’étais dit pour me donner du cœur au ventre, pendant les dizaines de minutes à marcher sur les dunes. On avait quitté le camp sans un mot, nos gars allaient pas nous chercher ? Il bougeait juste de la tête pour me répondre. Je crois que son ordre avait été la seule chose qu’il ait jamais dite. Je l’avais vu droit dans les yeux à ce moment-là. Et j’avais remarqué qu’il les avaient pas de la même couleur. Ça m’avait marqué plus que je le pensais. J’avais l’impression de l’avoir connu le chef.
« Tu te souviens pas de moi, hm. »
Il s’était arrêté, attendant ma réponse sans se retourner.
« C’est mieux comme ça. C’est parfait. Attends-moi jusqu’à l’aube. Et ne répète en aucun cas ce que tu verras aux autres. »
Et je le vis disparaître, bordel ! Comme ça, dans un nuage de fumée ! Un véritable nuage qui s’envola dans les airs pour rejoindre les étoiles, en direction de la ville. Ce regard, putain, ces pouvoirs ! Je … je savais qui c’était ! C’était le gars-même qui m’avait sorti des bagnes, mais c’était dix ans plus tôt ! Ce gars, putain … Ce gars c’était Rafaelo Di Auditore. Le boucher de Goa, l’assassin le plus recherché des blues. Mort depuis deux ans et demi. Notre chef, c’était le maître de l’Umbra. Notre chef, c’était la pire ordure que le monde avait porté. Putain, notre chef, c’était … l'homme à qui je devais la vie. Moi, et des centaines d'autres.
Dernière édition par Rafaelo le Lun 7 Nov 2016 - 13:46, édité 1 fois