Tout cela avait commencé des années auparavant. Il était impossible de mettre une date, un lieu. Tout était confus, seule la résolution était là. Depuis quand la pomme était rongée par les vers ? Nul ne pourrait le dire. Il avait été stupide de penser que les hommes demeureraient droits. Si le conditionnement, l’éducation n’avaient pas fonctionné, que restait-il ? La purge. La purification des ouailles. Chez les assassins, il n’y avait pas d’autre façon de fonctionner. Chez les révolutionnaires, c’était une autre histoire. Mais pour détruire une organisation comme l’Umbra, il fallait jouer à un tout autre jeu. Un jeu qui impliquait d’être aussi retors qu’eux, un jeu qui se dessinait en trames d’ombre, et qui avait commencé bien loin d’ici.
Un éclair frappa un arbre, non loin de l’assassin. La pluie battante coupa le feu avant qu’il ne prenne. Il souffla, assura sa prise. Les embruns avaient affaibli ses pouvoirs, il était de nouveau contraint à grimper à la force de ses bras. Sa capuche noire, de son habit de maître, cachait son visage. On distinguait le crâne des criminels, ayant troqué l’apparat révolutionnaire pour celui de ses ennemis. Il les attendait, il savait ce qu’il lui restait à faire. La foudre brisa un rocher en contrebas. Sa détermination semblait faire écho avec la colère des dieux. Il avait juré de réserver un monde meilleur à ses enfants, à sa femme. Pourtant, le voilà qui se hissait à la rencontre d’une froide vengeance. Une revanche nourrie par une décennie de meurtres sanglants. Mais pour faire tomber la tête, il devait s’assurer d’en couper les doigts.
« Vous êtes sûr que la cible est ici ? »
« Mon très jeune apprenti, tu as encore beaucoup à apprendre. C’est ici que la patrouille sera, et que notre cible viendra. Nous avons des consignes très précises, raison pour laquelle on nous paye si cher. »
« Mais, maître, il n’y a pas âme qui vive à des kilomètres de cette tour. »
« Tu es bien impatient, mon apprenti. »
« C’est une perte de temps. Allons trouver notre cible et … »
« Il suffit. »
Rafaelo était accroché un peu en contrebas, guettant l’échange à travers la meurtrière de la tour de guet. Détériorée par le temps, elle n’avait pour sommet qu’un étage sans plafond. Sans perdre de temps, profitant du couvert procuré par l’averse, l’assassin se hissa plus haut. Maître ou apprenti, cela ne l’inquiétait pas. Il était celui qui avait enseigné son art à Uther. Et si Uther s’était montré doué, il n’avait fait que le copier. Il était passé maître de ces techniques, nul ne pouvait le prendre à son propre jeu. Il se hissa à l’étage, glissant par-dessus le parapet en silence. L’eau ruisselait sur sa tunique imperméabilisée. Quelques gouttes s’étaient infiltrée dans les replis, mouillant ses articulations et son dos. Rien de grave, simplement désagréable.
« Maître, je vois une lanterne, là. »
« Tu vois, je t’avais dit d’être patient. Monte à l’étage, préviens-moi quand il sera à portée. »
Un pas léger s’ensuivit, gravissant les marches avec empressement. Un nouvel éclair retentît, faisant vibrer la maçonnerie. La lumière se refléta sur le métal d’une lame, perçant à travers un gantelet serré. Le premier pas de l’apprenti à l’étage fut aussi le dernier. Une main gantée se resserra sur sa gorge tandis qu’une pointe de métal acérée perçait son plexus. Elle perfora sa bronche puis trouva son cœur par le côté. La vie le quitta avant qu’il ne puisse comprendre qu’il était mort. L’assassin rengaina sa lame et allongea son corps par terre. Son sang se mélangea à la pluie, ruisselant à travers les pierres disjointes de la tour. Une rapide inspection du corps ne révéla rien d’intéressant, ce n’était qu’un apprenti. Le bas de gamme.
« Naga, que vois-tu ? »
Silence.
« Naga ?! »
L’écho chuintant d’une lame secrète.
« Rengaine ta lame, Sadow, je ne veux pas te tuer. »
Se retournant, le maître frappa le vide de son arme. Il jura entre ses dents puis dégaina sa rapière. Il inspecta les ombres, à la recherche de la voix. Son cœur battait la chamade. Il était tombé dans un piège, et il le comprenait à peine. Soudain, il le repéra. Son adversaire le toisait de toute sa morgue, n’ayant pas pris la peine de sortir ses armes. Il était revêtu de la tenue noire des maîtres, lui aussi. Une tenue similaire à la sienne. En tout point.
« Qu… Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’as-tu fait de Naga, enfoiré ? »
« Naga est allé brûler en enfer. C’est bien la seule place pour les traîtres. »
« Encore un abruti de l’Umbra qui veut nous faire la peau ? Tu vas échouer comme tous les autres, révolutionnaire. Votre vendetta est un non-sens, tout comme votre crédo débilitant. J’ai été formé par notre maître lui-même. Uther m’a tout appris … et je vais te montrer l’étendue de ma puissance. »
Joignant le geste à la parole, l’assassin fondit sur Rafaelo. Feintant de la pointe de son épée, il tourna sur lui-même pour enfoncer sa lame dans la carotide du révolutionnaire. Ce dernier posa le pied sur la lame de son adversaire puis intercepta son bras et bloqua son poignet d’une main. Il frappa sa poitrine du plat de son autre main. Le souffle coupé, le mercenaire se retrouva sur le dos. Il roula en arrière, se mit en garde. Il secoua la tête pour chasser les étoiles qui lui dansaient devant les yeux. De la chance, cela ne pouvait être que de la chance. Il fit un pas en avant puis chargea en zigzaguant. Une bombe fumigène jaillit de sa poche et éclata aux pieds de Rafaelo, le plongeant dans les ténèbres. Malgré ses efforts, le maître fut chassé du nuage, roulant jusqu’à l’extrémité de la pièce. Il s’écrasa lourdement contre le mur tandis que son épée rebondissait par terre. Il se redressa, s’assis dos à la pierre. La silhouette noire émergea alors de la fumée, auréolée de gris.
« Uther n’a visiblement pas retenu toutes ses leçons. M’attaquer avec de la fumée est la pire idée qui soit. »
« Non … c’est impossible ! »
« Alors il va falloir revoir la définition d’impossible. »
Le mercenaire releva son bras, un geste stupide dicté par la panique. Tirant sa propre rapière en un éclair, Rafaelo lui perça la chair et l’épingla au sol, entre deux pierres. Sa victime grogna de douleur, adressant un regard empli de haine au révolutionnaire.
« Peu importe que tu sois revenu, Uther a mené l’Umbra bien plus loin que tu n’aurais jamais pu le faire. »
Un sourire s’épancha sur le visage de l’assassin, qui s’accroupit en face de Sadow. Il posa ses coudes sur ses genoux et le regarda droit dans les yeux.
« Je n’en doute pas. Mais avec ses nouveaux intérêts, il y a une chose qu’il ne pourra jamais s’acheter. »
« Ah ouais, et c’est ? »
D’un geste foudroyant, Rafaelo dégaina sa lame secrète et l’enfonça dans l’épaule du maître assassin. Surpris, cette fois, il ne put se contenir et hurla de douleur pendant que le métal se glissait entre sa clavicule et son humérus.
« La loyauté. »
« Hgn … hgn. »
« Alors, comme je suppose que tu vas essayer de couvrir Uther, nous allons essayer d’estimer ton seuil de résistance à la douleur. »
Dernière édition par Rafaelo le Mer 23 Nov 2016 - 16:59, édité 1 fois