Et par une belle matinée aussi pluvieuse que les autres dans le magnifique royaume de Luvneel...
-Monsieur? Quelqu'un à l'appareil, pour vous.
-Ah?
Comme bien souvent, Sigurd Dogaku avait décroché avant même que la première sonnerie de son Denden ne cesse de retentir. En bonne partie parce que, comme bien souvent, le plus célèbre marchand du pays était plus occupé à jouer avec son escargophone qu'à traiter de ses affaires.
-Il prétend vous connaître. Et il insiste bien. Il se dit commodore. De la marine mondiale.
-Uh?
-Le colonel capslock.
-QUOI?! Mwarharharh, énorme! Passez le moi, j'approuve!
Dogaku afficha un sourire étincelant, et rit de bonne humeur. En face de lui, un peu plus loin dans leur grand bureau partagé, Evangeline lui jetta un regard curieux. Enfin... Evangeline... hihi. C'était moi. Il se contenta de mettre son Denden en haut-parleur pour lever la question. Car cette voix tonitruante et souvent explosive, digne d'un mégaphone, identifiait aisément la personne.
-SIGURD, C'EST VOUS?
-Ouaaaais! Énorme! Ça fait méga longtemps. J'trop content de vous entendre, z'allez bien?
-TOUT À FAIT, JE VOUS REMERCIE. ET VOUS DONC?
Pour ceux qui avaient un doute... le colonel Capslock portait très bien son nom. Ce qui était absolument insupportable aux yeux - et surtout aux oreilles - d'un certain nombre de personnes.
-C'est nickel. Y'a Haylor avec moi, pour info.
-MES RESPECTS MADEMOISELLE.
-Pareil pour elle, répondit-il en me voyant acquiescer. Quoi de neuf?
-IL Y A, attaqua droit au but l'officier, QUE JE CHERCHE À QUITTER LA MARINE POUR REJOINDRE LA RECHERCHE CIVILE. ET QUE JE CHERCHE CONSEIL. JE ME TOURNE DONC VERS VOUS.
D'un geste, je fis signe à Sigurd d'aller suspendre son Denden à l'autre bout du bureau, du coté des armoires. Capslock parlait bien assez fort pour que l'on puisse converser à distance, non?
-Vous quittez la marine? Pourquoi ça?
-VOUS LE SAVEZ SÛREMENT. LA MÊME CHOSE QUE TOUJOURS. BEAUCOUP DE LASSITUDE. AVEC L'ÉTAT MAJOR. L'IMPRESSION D'ÊTRE À CONTRECOURANT ET DE DEVOIR ME BATTRE CONSTAMMENT POUR FAIRE RESPECTER MON ÉQUIPAGE ET...
Bon... arrêtons nous un peu.
Il y avait quelques choses à savoir sur Capslock. Ou CAPSLOCK, comme il s'appelait toujours. Mais je n'aime pas crier. Nous avons rencontré cet homme il y a deux ans de cela, peu après le terme de notre parcours dans la milice de notre pays. Et peu avant que nous ne venions sur Luvneel pour monter notre affaire. Cet interstice correspondait très exactement au moment où un dénommé Santa Klaus -qu'aucun de vous ne doit connaître maintenant, mais bon... bonnet rouge, barbe blanche, "Ho! Ho! Ho!" et beaucoup de muscles- fit un appel à l'aide pour mener une équipe de volontaires à la rescousse de Panpeeter. Une île de dix milles âmes, fonctionnant essentiellement autour de trois mines de sel qui s'exportent très bien, eeet... qui avait été prise tout entière en otage par une flotte de pirates. Et une flotte, je vous dis. Pas une de ces sempiternelles brutes accompagnées de vingt pions malveillants pour faire joli avec. Une vraie flotte. Deux mille hommes, trois gallions, le triple de frégates, des équipes de spécialistes en soutien. S'y étaient notamment distingués leurs dresseurs de requins marteaux, dont les bêtes avaient complété avantageusement le verrouillage de l'île. Ils avaient les dents pour déchiqueter la chair, et la tête pour éventrer les coques des navires qui tentaient de s'échapper. Et leurs magiciens des communications, spécialistes Denden, qui avaient surclassé leurs homologues de la marine mondiale au point de transformer leur canal sécurisé en simulacre de messagerie rose pour mieux prouver le point.
Tout ça aux ordres du capitaine Crachin, un homme qui ne voulait qu'une seule chose en échange de ces dix mille vies : récupérer le fruit du démon que la marine avait confisqué à un de ses équipages capturés, ainsi que l'équipage lui même. Ce que l'état major de la marine avait fermement refusé. Allez savoir pourquoi.
Je vous épargne les détails. Gardez juste à l'esprit qu'à chaque fois que Sigurd se vante d'avoir sauvé tout le monde ce jour là, il est encore modeste. Parce que oui : il a sauvé tout le monde. Sans lui, sans les événements et les acteurs qu'il avait activement orientés vers la meilleure issue possible, tout devait être un drame. Chacun a eu son utilité, bien sûr. Certains bien plus que d'autres. Je n'ai qu'à peine aidé. Mais lui, c'était juste impossible. Il a fait des miracles.
Capslock l'avait lui aussi remarqué. Encore colonel à ce moment, il était responsable du blocus et de la libération de l'île. Et fut celui à qui les chevaliers de Nowel, ete mon blondinet en particulier, remirent toutes les clés pour débloquer la situation inextricable de Panpeeter. Par la suite, il lui rendit hommage, et à plusieurs reprises.
Notamment en nommant toute une ligne de tanks au nom de Dogaku.
Des tanks.
Des chars d'assaut blindés, oui. On a introduit ça, sous la forme de chariots renforcés aux allures de hamsters surdimentionné. Lui a reprit l'idée, avec plus de moyens. Fonctionnant par machine à vapeur, car Capslock était quelqu'un de joueur. On disait de lui qu'il était tacticien et stratège, quand on parlait de lui. Dans la marine et dans ce qui circulait. Et c'était une erreur d'imbécile, basée sur un simple constat réducteur : Capslock n'était pas un homme fort. C'était un bon soldat, mais pas à hauteur de ce qu'un commodore ou même un colonel devait être capable de faire. Près de deux mille dorikis attendus ; il en était très loin. Oui, je sais ce que c'est. Do. Ri. Kis. J'ai lu tout le règlement. Mais qu'importe.
Si Capslock était faible, il avait néanmoins mérité ses galons. Ce qui le différenciait de ses pairs, c'était le soin qu'il attachait à la formation et à l'équipement de ses escouades. Je ne parle pas de marins disposant d'un meilleur équipement ou d'un peu plus de do... de vous-savez-quoi qu'un simple pion de base. Je parle de spécialisations. Capslock avait des commandos parachutistes, largués comme hommes-canons par des tubes d'artillerie adaptés. Il usait de plongeurs de combat avant même que la sous-marine ne voit le jour. En s'inspirant de nous, il s'était doté de tanks. Et puis, il disposait de D.R.O.N.E aériens. Qui venaient eux aussi de nous deux. Ce qu'il ignoait complètement le jour où il les avait adoptés. Ça remontait à plus loin. J'en reparlerai plus tard : ces D.R.O.N.E seront très importants.
Pour l'instant, et de la discussion que nous eumes avec le militaire, retenez simplement que :
1) Capslock est quelqu'un de faible -d'un point de vue combattant- mais qui se dote d'options. Parce qu'il y prend grand plaisir ; ce n'est pas une solution de secours, il adore et est fier de ce qu'il fait. Il suffit de l'entendre parler de ses parachutistes -ou mieux, de les voir en action- pour palper son orgueil tout bandé de fierté masculine, un peu comme... un biceps, bien sûr.
2) Le profil de Capslock ne correspond en rien à celui d'un colonel de la marine habituel. C'est un bon officier, il tient ses résultats. Mais c'est un mouton noir, pas un super guerrier. À l'inverse, il a beaucoup d'idées, sait cultiver les bonnes, mais pas de talents techniques en termes d'ingénierie ; aucune reconversion possible dans la scientifique. Et pourtant, tout le monde affirme qu'il y aurait sa place. Ou plutôt, tout le monde reprend ce raccourci idiot. Pour changer. Et ça aussi, ça l'exaspère beaucoup.
3) Forcément, ça lui pose des problèmes. Pour chaque nouveau projet, pour financer ses équipes, pour entretenir ses jouets, il doit toujours se battre. Pour se faire accepter, pour être reconnu. Pas juste lui : il y a aussi ses hommes. D'excellents éléments selon lui, ce qui est sûrement vrai. La majorité d'entre eux dispose d'un ou de plusieurs talents uniques qu'on ne trouve pas ailleurs. Des hommes canons adeptes des frappes de choc, ça paraît impossible. Mais pour l'état major, rien de tout ça n'est nécessaire. Les autres équipages de marines n'ont jamais eu besoin de ces jouets pour en venir à leurs fins, il n'y a pas lieu de les reprendre. La meilleure solution, c'est de prendre les plus forts, et il n'y a qu'un critère. Capslock ne le rempli pas. Alors il est hors-jeu.
4) Son cas est, dans l'absolu, une pure cause perdue. Voué à stagner en l'état, ou à ne progresser qu'à la marge. Probablement à s'affaisser, s'il perd tout son entrain. Et si, au début, tout le plaisir et la fierté de Capslock outrepassaient le reste, les choses se sont accumulées. Le commodore a maintenant plusieurs années de conflits et d'insatisfactions à son actif. La raison pour laquelle il appelle aujourd'hui, et nous explique tout ça, c'est qu'il est juste à bout.
5) Et tout ce schéma correspond à peu de choses près au parcours type de ce que l'on appelle "Nowel avant l'heure" au sein d'HSBC. La seule raison pour laquelle nous prenons ces missions, c'est parce que les clients l'ont demandé gentiment en nous agitant deux-trois projets amusants sous le nez - assez pour que l'on se laisse tenter. Aucune chance d'être rentable, à moins de faire très fort. Ce que voulait Capslock, c'était quitter la marine avec ses fidèles qui le suivraient pour, au choix, intégrer la flotte de Luvneel ou se mettre à leur compte et... il ne le savait pas. Il se voyait vaguement comme un indépendant, ce qui restait très flou. Mais ça, ce n'était pas un problème. Notre métier consistait précisément à avoir et donner des idées, avant de les mettre en place.
-Beeen... vous pourriez vous mettre à votre compte avec vos team d'ingés ou de bricoleurs et vendre vos inventions dans le champ de l'armement. C'est pas le plus valorisant publiquement -bonjour les marchands de mort- mais y'a moyen de faire des trucs cools. Comme les clients sont généralement des institutions ou des orgas qui ont beaucoup de moyens -ou de mauvais gestionnaires- ça rapporte beaucoup une fois que vous vendez. Je parle des états ou de milices privés ou de mercenaires ou... parfois même des pirates, ou de gros criminels. Mais si voulez faire ça, je peux pas vous aider. Je pense juste à voix haute.
-EST-CE QUE VOUS ME SUGGÉREZ DE... VENDRE DES ARMES À TOUT LE MONDE?
-Pas forcément des armes, hein. Tout dépend d'c'que vous faîtes. Genre les hommes canons, c'était bien drôle aussi. Mais ptêtre un peu gimmick, ouais. Votre matos de plongée était cool par contre. Et chuis pas sûr que les pirates ou les mafieux se mettraient à acheter des tanks, mais...
-VOUS PARLEZ ENCORE DE CES GENS. EXCUSEZ MOI, MAIS JE NE SUIS PAS SÛR. EST-CE QUE VOUS ME SUGGÉREZ SUBTILEMENT DE LE FAIRE, OU BIEN...?
Et si c'était subtil, ça ne l'est pas resté.
-Hein? Naaaaan. C'était juste une blague, haha. Bien sûr que non. Et je ne dis pas ça parce que j'imagine que nous sommes espionnés sur ma ligne directe, ou encore que... je sais pas... c'est pas comme s'il y avait un CP dans mon placard occupé à me moucharder pour essayer de récup' la moindre info compromettante à notre suj...
Il ne termina pas. Au lieu de ça, il regarda autour, un petit sourire en coin, comme s'il cherchait quelqu'un. Il n'y avait que moi pour le voir, mais Sigurd espérait que le silence annoncerait son effet sur Capslock.
-Ouais en fait, maintenant que j'en parle, ça s'rait pas idiot de vérifier, mwarharharh. Imaginez qu'on ait un CP dans le bureau par hasard, juste pour rire. Ça serait drôle, hein?
-Je ne sais pas s'il faut dire oui ou non...
Ne vous y trompez pas ; Sigurd ne plaisante pas. Nous savons parfaitement que nous sommes espionnés sur une base régulière par des sbires du CP... et parfois d'autres rangs, quand ils sont motivés. Ce qui n'a rien de surprenant, et encore moins d'exceptionnel. Ils tiennent à s'informer, ils le font là où ils faut. Et nous sommes à la fois une source d'information et des acteurs difficilement conturnables, sur Luvneel comme au-delà. Même leur réseau d'informateurs a fini par comprendre qu'un bon tiers des idées stupides avancées en plaisantant par mon partenaire donnent lieu à des projets aussi invraisemblables qu'elles. Ils sont donc attentifs.
-"Quand le singe parle, le sage reste pensif", récita Dogaku.
-Vieux proverbe asiatique, certainement?
-Ça pourrait faire semblant.
Sigurd s'était levé, d'abord en direction de la fenêtre (mais il n'y avait guère que les révolutionnaires de l'Umbra pour nous espionner de ce côté-là), puis de la porte d'entrée. Il regarda ensuite au plafond, et puis au ras du sol, vérifiant les recoins, chercha même sous ma robe ("je confirme, c'est gratuit et idiot", sourit-il très bêtement en me chatouillant le mollet), et se planta enfin devant une grande armoire. Et lorsqu'il l'ouvrit... eh bien… dieu seul comment, mais oui, il tomba nez à nez avec une jeune femme en costume citadin et chevelure bien particulière -mi rasée, mi très longue, et d'une teinture rose- qui affichait une grimace aussi atroce que lui.
Et la réaction fut pour le moins immédiate.
-VOUS...!?
-NON MAIS N...
Par lui-même, il bondit en arrière, d’un sursaut effrayé. En même temps, elle le poussa très fort, l'envoyant basculer sur les fesses à deux mètres de ça. Puis fonça vers la porte, et recula aussi vite devant la marée de chaînes animées rien que pour elle, pour former comme une hydre de rets métalliques et lui barrer la route. C'était moi, ça.
Et à ce stade, notre nouvelle amie n'en menait pas bien large.
On ne fuit pas comme ça de chez nous, voyons. Et pas si facilement.
Un claquement de doigts plus tard, ma toile se propulsa sur elle. Mais l’autre fut plus rapide... comme à l'accoutumée... et se replaça plus loin. Au centre de la salle. Sûrement avec l'idée de ne pas s'enfermer dans un coin et finir vulnérable. Rêve toujours.
-MAIS C'ÉTAIT UNE BLAGUE!, s'exaspérait Sigurd. JE VOULAIS JUSTE JOUER LE COMIQUE, JOINDRE LE GESTE À L'IDÉE, MAIS JE PENSAIS PAS VRAIMENT... PUTAIN DE MERDE MAIS POURQUOI VOUS ÊTES LÀ?
Nooooon. Pourquoi, nous le savons déjà. Et lui aussi bien que moi. Aussi exaspérant que ça puisse être, mais à moins de les retourner par colis en petites pièces détachées à Marijoa avec ordre de ne jamais revenir, ça ne s'arrêtera pas... pire encore, ils saisiraient l'excuse pour mieux nous assigner sous surveillance renforcée, si ce n'est plus. Depuis presque un an, c'est un étrange jeu du chat et de la souris qui se fait entre nous. A fortiori lorsque l'on considère que nous faisons partie des rares à ne pas prendre de gants pour leurs présenter nos respects lorsque nous les repérons. Et les règles sont simples, même si personne ne les a jamais présenté de quelque manière que ce soit. Ils se retirent dès qu'ils perdent la partie, et nous ne... les abimons pas au delà du nécessaire.
C'est juste qu'en général, leurs agents prennent moins de risques. Celle là, je n'ose même pas savoir comment nous l'avons prise au dépourvue pour qu'elle se soit résignée à s'enfermer là dedans. La question que je me posais, du coup, c'était surtout depuis combien de temps est-ce qu'elle était là. Parce qu'il y a une heure, nous étions... tous les deux... occupés... à... complètement... autre chose...
-Vous vous trompez complètement. Je ne suis pas une CP, je suis une...
-Ouais ça va hein, on me la fait plus merci. Vous seriez une révo, vous seriez entrée dignement par la fenêtre ou les égouts comme tout le monde. Pis vous sentiriez la paille parce que vous adorez les nids d'aigle au point d'en installer sur tous les toits pour vous synchroniser à l'aise, et vous seriez moins bien nourrie que ça. Ca se voit que vous avez l'habitude de manger de la fondue de Dédé tous les mercredis et que vous ne mangez pas à la cantine le jeudi parce que vous tenez à esquiver les frites pour rester mince.
-Bien sûr que non, la fondue c'est seulement le...
-LE VENDREDI, OUI JE SAIS, triompha le blondinet. ET CA, IL N'Y A QU'UN CP POUR LE SAVOIR!
-ET COMMENT VOUS VOUS LE SAVEZ DANS CE CAS?!?
-BEN JUSTEMENT ON DEVRAIT PAS, CA VOUS MONTRE A QUEL POINT ON A L'HABITUDE DE VOUS AVOIR SUR L'DOS!
La pauvre cipher pol. Elle devait s'imaginer que, comme dans les entraînements et les simulations, les excellentes cachettes restaient d'excellentes cachettes, surtout lorsqu'on s'en servait aussi brièvement que possible. Malheureusement, la réalité comportait beaucoup plus d'aléas que ces simulations. Et là, l'espionne était en train de maudire intérieurement le grand karma universel pour un tel coup du sort. Jamais elle n'aurait anticipé, en se faufilant parmi nous, que des pitreries suffiraient à la débusquer, ni qu'elle aurait été indentifiée aussi facilement que ça. Alors, elle commença naturellement à paniquer, et...
-M. Capslock?, indiquai-je en reprenant la ligne téléphonique. Nous vous recontacterons au plus vite. Juste le temps de...
-TU T'APPROCHES JE TE SHIGAN!
-AH CA COMMENCE DE SUITE PAR DU TU VEUX T'BATTRE? ATTENDS QUE JE...
-HEY! LES ARMES A FEU C'EST D'LA TRI...
-LOUPE! À MON TOUR, MAINTEN...
-... régler certains imprévus, remettre de l'ordre dans nos affaires, et... OH NON, ARRÊTEZ CA TOUT DE SUITE!
Trop tard. Les multiples lames d'air envoyées par notre intruse aux cheveux roses se dispersèrent dans toutes la salle -elle visait comme un pied en plus?- en me passant notamment de part et d'autre sans que je ne bouge d'un doigt. Sigurd? Les lames d'airs le ratèrent tout autant alors qu'il était presque en face de cette vermine. Et au vacarme monstrueux que firent ses lames en se fracassant contre... MES MURS ET MES ARMOIRES ET MES DOSSIERS DE TRAVAIL, JE POUVAIS VOUS ASSURER QUE...
-OUI OUI OUI OUI OUI, JE VOUS CONFIRME QUE NOUS EN AVONS LARGEMENT BIEN ASSEZ DE VOUS VOIR PAR ICI, MADEMOISELLE CIPHER POL. AU CAS OU VOUS N'AURIEZ PAS REMARQUE, LE REGLEMENT INTERIEUR AFFICHE EN VINGT-QUATRE EXEMPLAIRES DANS NOTRE HALL D'ENTREE ET SES COULOIRS, ET PARFAITEMENT APPLICABLE AUX VISITEURS, INTERDIT EXPRESSEMENT L'USAGE DU RANKYAKU ENTRE CES MURS, ALORS JE VOUS PRIERAI DE...
-RANKYAKU!
HHHHHHHHHHHHH... POURQUOI EST-CE QUE PARMI TOUS LES AGENTS DU CIPHER POL QU'ILS DEVAIENT ENVOYER, ILS EN ONT CHOISI UNE QUI NE MAITRISE QUE CE COUP DE LAMES D'AIR? CETTE FOIS CI, CA NE SERA PAS...
-HAYLOR! ON A DIT PAS DE DIALS! SURTOUT PAS DE BOULES DE FEU DANS L'BUREAU OU...
-RHAA GEUH DIEU MAIS JE VAIS L'INCINER...
Ou pas. Il se jeta sur moi, me cadenassant de ses mains et s'asseyant sur moi pour que je - mais laisse moi attraper mes coquillages bon sang, et je nous la vais...
-LACHEZ-MOI!
-PAS DE BOULES DE FEU, C'EST AUSSI DANS LE REGLEMENT ET...
-Sigurd, Eva, il se passe quelque chos...?
Trois regards se tournèrent en arrière. Et par la porte de notre bureau, trois fois plus de personnes qui avaient été attirées par tout notre boucan. Ils avaient l'habitude. Tant et si bien qu'il ne leur fallu que deux grimaces appuyées pour comprendre que la troisième personne présente dans ce bureau était du bureau secret de Marijoa, et se joindre à l'unisson pour lui sauter dessus et la maîtriser et tant pis pour leurs dix dorikis chacun, parce que cette misérable espionne fut tout de suite écrabouillée sous la pression cumulée de onze civils et que attends de voir ce qu'on va te réserver comme joyeusetées, ma petite! Mwihihi hihi hihi!
Euh, mais ça ne vous concerne pas.
Et c'était une énorme digression. Aucun rapport avec quoi que ce soit.
Au suivant.
-Monsieur? Quelqu'un à l'appareil, pour vous.
-Ah?
Comme bien souvent, Sigurd Dogaku avait décroché avant même que la première sonnerie de son Denden ne cesse de retentir. En bonne partie parce que, comme bien souvent, le plus célèbre marchand du pays était plus occupé à jouer avec son escargophone qu'à traiter de ses affaires.
-Il prétend vous connaître. Et il insiste bien. Il se dit commodore. De la marine mondiale.
-Uh?
-Le colonel capslock.
-QUOI?! Mwarharharh, énorme! Passez le moi, j'approuve!
Dogaku afficha un sourire étincelant, et rit de bonne humeur. En face de lui, un peu plus loin dans leur grand bureau partagé, Evangeline lui jetta un regard curieux. Enfin... Evangeline... hihi. C'était moi. Il se contenta de mettre son Denden en haut-parleur pour lever la question. Car cette voix tonitruante et souvent explosive, digne d'un mégaphone, identifiait aisément la personne.
Notre client du jour
-SIGURD, C'EST VOUS?
-Ouaaaais! Énorme! Ça fait méga longtemps. J'trop content de vous entendre, z'allez bien?
-TOUT À FAIT, JE VOUS REMERCIE. ET VOUS DONC?
Pour ceux qui avaient un doute... le colonel Capslock portait très bien son nom. Ce qui était absolument insupportable aux yeux - et surtout aux oreilles - d'un certain nombre de personnes.
-C'est nickel. Y'a Haylor avec moi, pour info.
-MES RESPECTS MADEMOISELLE.
-Pareil pour elle, répondit-il en me voyant acquiescer. Quoi de neuf?
-IL Y A, attaqua droit au but l'officier, QUE JE CHERCHE À QUITTER LA MARINE POUR REJOINDRE LA RECHERCHE CIVILE. ET QUE JE CHERCHE CONSEIL. JE ME TOURNE DONC VERS VOUS.
D'un geste, je fis signe à Sigurd d'aller suspendre son Denden à l'autre bout du bureau, du coté des armoires. Capslock parlait bien assez fort pour que l'on puisse converser à distance, non?
-Vous quittez la marine? Pourquoi ça?
-VOUS LE SAVEZ SÛREMENT. LA MÊME CHOSE QUE TOUJOURS. BEAUCOUP DE LASSITUDE. AVEC L'ÉTAT MAJOR. L'IMPRESSION D'ÊTRE À CONTRECOURANT ET DE DEVOIR ME BATTRE CONSTAMMENT POUR FAIRE RESPECTER MON ÉQUIPAGE ET...
Bon... arrêtons nous un peu.
Il y avait quelques choses à savoir sur Capslock. Ou CAPSLOCK, comme il s'appelait toujours. Mais je n'aime pas crier. Nous avons rencontré cet homme il y a deux ans de cela, peu après le terme de notre parcours dans la milice de notre pays. Et peu avant que nous ne venions sur Luvneel pour monter notre affaire. Cet interstice correspondait très exactement au moment où un dénommé Santa Klaus -qu'aucun de vous ne doit connaître maintenant, mais bon... bonnet rouge, barbe blanche, "Ho! Ho! Ho!" et beaucoup de muscles- fit un appel à l'aide pour mener une équipe de volontaires à la rescousse de Panpeeter. Une île de dix milles âmes, fonctionnant essentiellement autour de trois mines de sel qui s'exportent très bien, eeet... qui avait été prise tout entière en otage par une flotte de pirates. Et une flotte, je vous dis. Pas une de ces sempiternelles brutes accompagnées de vingt pions malveillants pour faire joli avec. Une vraie flotte. Deux mille hommes, trois gallions, le triple de frégates, des équipes de spécialistes en soutien. S'y étaient notamment distingués leurs dresseurs de requins marteaux, dont les bêtes avaient complété avantageusement le verrouillage de l'île. Ils avaient les dents pour déchiqueter la chair, et la tête pour éventrer les coques des navires qui tentaient de s'échapper. Et leurs magiciens des communications, spécialistes Denden, qui avaient surclassé leurs homologues de la marine mondiale au point de transformer leur canal sécurisé en simulacre de messagerie rose pour mieux prouver le point.
Tout ça aux ordres du capitaine Crachin, un homme qui ne voulait qu'une seule chose en échange de ces dix mille vies : récupérer le fruit du démon que la marine avait confisqué à un de ses équipages capturés, ainsi que l'équipage lui même. Ce que l'état major de la marine avait fermement refusé. Allez savoir pourquoi.
Je vous épargne les détails. Gardez juste à l'esprit qu'à chaque fois que Sigurd se vante d'avoir sauvé tout le monde ce jour là, il est encore modeste. Parce que oui : il a sauvé tout le monde. Sans lui, sans les événements et les acteurs qu'il avait activement orientés vers la meilleure issue possible, tout devait être un drame. Chacun a eu son utilité, bien sûr. Certains bien plus que d'autres. Je n'ai qu'à peine aidé. Mais lui, c'était juste impossible. Il a fait des miracles.
Capslock l'avait lui aussi remarqué. Encore colonel à ce moment, il était responsable du blocus et de la libération de l'île. Et fut celui à qui les chevaliers de Nowel, ete mon blondinet en particulier, remirent toutes les clés pour débloquer la situation inextricable de Panpeeter. Par la suite, il lui rendit hommage, et à plusieurs reprises.
Notamment en nommant toute une ligne de tanks au nom de Dogaku.
Des tanks.
Des chars d'assaut blindés, oui. On a introduit ça, sous la forme de chariots renforcés aux allures de hamsters surdimentionné. Lui a reprit l'idée, avec plus de moyens. Fonctionnant par machine à vapeur, car Capslock était quelqu'un de joueur. On disait de lui qu'il était tacticien et stratège, quand on parlait de lui. Dans la marine et dans ce qui circulait. Et c'était une erreur d'imbécile, basée sur un simple constat réducteur : Capslock n'était pas un homme fort. C'était un bon soldat, mais pas à hauteur de ce qu'un commodore ou même un colonel devait être capable de faire. Près de deux mille dorikis attendus ; il en était très loin. Oui, je sais ce que c'est. Do. Ri. Kis. J'ai lu tout le règlement. Mais qu'importe.
Si Capslock était faible, il avait néanmoins mérité ses galons. Ce qui le différenciait de ses pairs, c'était le soin qu'il attachait à la formation et à l'équipement de ses escouades. Je ne parle pas de marins disposant d'un meilleur équipement ou d'un peu plus de do... de vous-savez-quoi qu'un simple pion de base. Je parle de spécialisations. Capslock avait des commandos parachutistes, largués comme hommes-canons par des tubes d'artillerie adaptés. Il usait de plongeurs de combat avant même que la sous-marine ne voit le jour. En s'inspirant de nous, il s'était doté de tanks. Et puis, il disposait de D.R.O.N.E aériens. Qui venaient eux aussi de nous deux. Ce qu'il ignoait complètement le jour où il les avait adoptés. Ça remontait à plus loin. J'en reparlerai plus tard : ces D.R.O.N.E seront très importants.
Pour l'instant, et de la discussion que nous eumes avec le militaire, retenez simplement que :
1) Capslock est quelqu'un de faible -d'un point de vue combattant- mais qui se dote d'options. Parce qu'il y prend grand plaisir ; ce n'est pas une solution de secours, il adore et est fier de ce qu'il fait. Il suffit de l'entendre parler de ses parachutistes -ou mieux, de les voir en action- pour palper son orgueil tout bandé de fierté masculine, un peu comme... un biceps, bien sûr.
2) Le profil de Capslock ne correspond en rien à celui d'un colonel de la marine habituel. C'est un bon officier, il tient ses résultats. Mais c'est un mouton noir, pas un super guerrier. À l'inverse, il a beaucoup d'idées, sait cultiver les bonnes, mais pas de talents techniques en termes d'ingénierie ; aucune reconversion possible dans la scientifique. Et pourtant, tout le monde affirme qu'il y aurait sa place. Ou plutôt, tout le monde reprend ce raccourci idiot. Pour changer. Et ça aussi, ça l'exaspère beaucoup.
3) Forcément, ça lui pose des problèmes. Pour chaque nouveau projet, pour financer ses équipes, pour entretenir ses jouets, il doit toujours se battre. Pour se faire accepter, pour être reconnu. Pas juste lui : il y a aussi ses hommes. D'excellents éléments selon lui, ce qui est sûrement vrai. La majorité d'entre eux dispose d'un ou de plusieurs talents uniques qu'on ne trouve pas ailleurs. Des hommes canons adeptes des frappes de choc, ça paraît impossible. Mais pour l'état major, rien de tout ça n'est nécessaire. Les autres équipages de marines n'ont jamais eu besoin de ces jouets pour en venir à leurs fins, il n'y a pas lieu de les reprendre. La meilleure solution, c'est de prendre les plus forts, et il n'y a qu'un critère. Capslock ne le rempli pas. Alors il est hors-jeu.
4) Son cas est, dans l'absolu, une pure cause perdue. Voué à stagner en l'état, ou à ne progresser qu'à la marge. Probablement à s'affaisser, s'il perd tout son entrain. Et si, au début, tout le plaisir et la fierté de Capslock outrepassaient le reste, les choses se sont accumulées. Le commodore a maintenant plusieurs années de conflits et d'insatisfactions à son actif. La raison pour laquelle il appelle aujourd'hui, et nous explique tout ça, c'est qu'il est juste à bout.
5) Et tout ce schéma correspond à peu de choses près au parcours type de ce que l'on appelle "Nowel avant l'heure" au sein d'HSBC. La seule raison pour laquelle nous prenons ces missions, c'est parce que les clients l'ont demandé gentiment en nous agitant deux-trois projets amusants sous le nez - assez pour que l'on se laisse tenter. Aucune chance d'être rentable, à moins de faire très fort. Ce que voulait Capslock, c'était quitter la marine avec ses fidèles qui le suivraient pour, au choix, intégrer la flotte de Luvneel ou se mettre à leur compte et... il ne le savait pas. Il se voyait vaguement comme un indépendant, ce qui restait très flou. Mais ça, ce n'était pas un problème. Notre métier consistait précisément à avoir et donner des idées, avant de les mettre en place.
-Beeen... vous pourriez vous mettre à votre compte avec vos team d'ingés ou de bricoleurs et vendre vos inventions dans le champ de l'armement. C'est pas le plus valorisant publiquement -bonjour les marchands de mort- mais y'a moyen de faire des trucs cools. Comme les clients sont généralement des institutions ou des orgas qui ont beaucoup de moyens -ou de mauvais gestionnaires- ça rapporte beaucoup une fois que vous vendez. Je parle des états ou de milices privés ou de mercenaires ou... parfois même des pirates, ou de gros criminels. Mais si voulez faire ça, je peux pas vous aider. Je pense juste à voix haute.
-EST-CE QUE VOUS ME SUGGÉREZ DE... VENDRE DES ARMES À TOUT LE MONDE?
-Pas forcément des armes, hein. Tout dépend d'c'que vous faîtes. Genre les hommes canons, c'était bien drôle aussi. Mais ptêtre un peu gimmick, ouais. Votre matos de plongée était cool par contre. Et chuis pas sûr que les pirates ou les mafieux se mettraient à acheter des tanks, mais...
-VOUS PARLEZ ENCORE DE CES GENS. EXCUSEZ MOI, MAIS JE NE SUIS PAS SÛR. EST-CE QUE VOUS ME SUGGÉREZ SUBTILEMENT DE LE FAIRE, OU BIEN...?
Et si c'était subtil, ça ne l'est pas resté.
-Hein? Naaaaan. C'était juste une blague, haha. Bien sûr que non. Et je ne dis pas ça parce que j'imagine que nous sommes espionnés sur ma ligne directe, ou encore que... je sais pas... c'est pas comme s'il y avait un CP dans mon placard occupé à me moucharder pour essayer de récup' la moindre info compromettante à notre suj...
Il ne termina pas. Au lieu de ça, il regarda autour, un petit sourire en coin, comme s'il cherchait quelqu'un. Il n'y avait que moi pour le voir, mais Sigurd espérait que le silence annoncerait son effet sur Capslock.
-Ouais en fait, maintenant que j'en parle, ça s'rait pas idiot de vérifier, mwarharharh. Imaginez qu'on ait un CP dans le bureau par hasard, juste pour rire. Ça serait drôle, hein?
-Je ne sais pas s'il faut dire oui ou non...
Ne vous y trompez pas ; Sigurd ne plaisante pas. Nous savons parfaitement que nous sommes espionnés sur une base régulière par des sbires du CP... et parfois d'autres rangs, quand ils sont motivés. Ce qui n'a rien de surprenant, et encore moins d'exceptionnel. Ils tiennent à s'informer, ils le font là où ils faut. Et nous sommes à la fois une source d'information et des acteurs difficilement conturnables, sur Luvneel comme au-delà. Même leur réseau d'informateurs a fini par comprendre qu'un bon tiers des idées stupides avancées en plaisantant par mon partenaire donnent lieu à des projets aussi invraisemblables qu'elles. Ils sont donc attentifs.
-"Quand le singe parle, le sage reste pensif", récita Dogaku.
-Vieux proverbe asiatique, certainement?
-Ça pourrait faire semblant.
Sigurd s'était levé, d'abord en direction de la fenêtre (mais il n'y avait guère que les révolutionnaires de l'Umbra pour nous espionner de ce côté-là), puis de la porte d'entrée. Il regarda ensuite au plafond, et puis au ras du sol, vérifiant les recoins, chercha même sous ma robe ("je confirme, c'est gratuit et idiot", sourit-il très bêtement en me chatouillant le mollet), et se planta enfin devant une grande armoire. Et lorsqu'il l'ouvrit... eh bien… dieu seul comment, mais oui, il tomba nez à nez avec une jeune femme en costume citadin et chevelure bien particulière -mi rasée, mi très longue, et d'une teinture rose- qui affichait une grimace aussi atroce que lui.
Et la réaction fut pour le moins immédiate.
-VOUS...!?
-NON MAIS N...
Par lui-même, il bondit en arrière, d’un sursaut effrayé. En même temps, elle le poussa très fort, l'envoyant basculer sur les fesses à deux mètres de ça. Puis fonça vers la porte, et recula aussi vite devant la marée de chaînes animées rien que pour elle, pour former comme une hydre de rets métalliques et lui barrer la route. C'était moi, ça.
Et à ce stade, notre nouvelle amie n'en menait pas bien large.
Une autre CP perdue (et qui va prendre cher)
On ne fuit pas comme ça de chez nous, voyons. Et pas si facilement.
Un claquement de doigts plus tard, ma toile se propulsa sur elle. Mais l’autre fut plus rapide... comme à l'accoutumée... et se replaça plus loin. Au centre de la salle. Sûrement avec l'idée de ne pas s'enfermer dans un coin et finir vulnérable. Rêve toujours.
-MAIS C'ÉTAIT UNE BLAGUE!, s'exaspérait Sigurd. JE VOULAIS JUSTE JOUER LE COMIQUE, JOINDRE LE GESTE À L'IDÉE, MAIS JE PENSAIS PAS VRAIMENT... PUTAIN DE MERDE MAIS POURQUOI VOUS ÊTES LÀ?
Nooooon. Pourquoi, nous le savons déjà. Et lui aussi bien que moi. Aussi exaspérant que ça puisse être, mais à moins de les retourner par colis en petites pièces détachées à Marijoa avec ordre de ne jamais revenir, ça ne s'arrêtera pas... pire encore, ils saisiraient l'excuse pour mieux nous assigner sous surveillance renforcée, si ce n'est plus. Depuis presque un an, c'est un étrange jeu du chat et de la souris qui se fait entre nous. A fortiori lorsque l'on considère que nous faisons partie des rares à ne pas prendre de gants pour leurs présenter nos respects lorsque nous les repérons. Et les règles sont simples, même si personne ne les a jamais présenté de quelque manière que ce soit. Ils se retirent dès qu'ils perdent la partie, et nous ne... les abimons pas au delà du nécessaire.
C'est juste qu'en général, leurs agents prennent moins de risques. Celle là, je n'ose même pas savoir comment nous l'avons prise au dépourvue pour qu'elle se soit résignée à s'enfermer là dedans. La question que je me posais, du coup, c'était surtout depuis combien de temps est-ce qu'elle était là. Parce qu'il y a une heure, nous étions... tous les deux... occupés... à... complètement... autre chose...
-Vous vous trompez complètement. Je ne suis pas une CP, je suis une...
-Ouais ça va hein, on me la fait plus merci. Vous seriez une révo, vous seriez entrée dignement par la fenêtre ou les égouts comme tout le monde. Pis vous sentiriez la paille parce que vous adorez les nids d'aigle au point d'en installer sur tous les toits pour vous synchroniser à l'aise, et vous seriez moins bien nourrie que ça. Ca se voit que vous avez l'habitude de manger de la fondue de Dédé tous les mercredis et que vous ne mangez pas à la cantine le jeudi parce que vous tenez à esquiver les frites pour rester mince.
-Bien sûr que non, la fondue c'est seulement le...
-LE VENDREDI, OUI JE SAIS, triompha le blondinet. ET CA, IL N'Y A QU'UN CP POUR LE SAVOIR!
-ET COMMENT VOUS VOUS LE SAVEZ DANS CE CAS?!?
-BEN JUSTEMENT ON DEVRAIT PAS, CA VOUS MONTRE A QUEL POINT ON A L'HABITUDE DE VOUS AVOIR SUR L'DOS!
La pauvre cipher pol. Elle devait s'imaginer que, comme dans les entraînements et les simulations, les excellentes cachettes restaient d'excellentes cachettes, surtout lorsqu'on s'en servait aussi brièvement que possible. Malheureusement, la réalité comportait beaucoup plus d'aléas que ces simulations. Et là, l'espionne était en train de maudire intérieurement le grand karma universel pour un tel coup du sort. Jamais elle n'aurait anticipé, en se faufilant parmi nous, que des pitreries suffiraient à la débusquer, ni qu'elle aurait été indentifiée aussi facilement que ça. Alors, elle commença naturellement à paniquer, et...
-M. Capslock?, indiquai-je en reprenant la ligne téléphonique. Nous vous recontacterons au plus vite. Juste le temps de...
-TU T'APPROCHES JE TE SHIGAN!
-AH CA COMMENCE DE SUITE PAR DU TU VEUX T'BATTRE? ATTENDS QUE JE...
-HEY! LES ARMES A FEU C'EST D'LA TRI...
-LOUPE! À MON TOUR, MAINTEN...
-... régler certains imprévus, remettre de l'ordre dans nos affaires, et... OH NON, ARRÊTEZ CA TOUT DE SUITE!
Trop tard. Les multiples lames d'air envoyées par notre intruse aux cheveux roses se dispersèrent dans toutes la salle -elle visait comme un pied en plus?- en me passant notamment de part et d'autre sans que je ne bouge d'un doigt. Sigurd? Les lames d'airs le ratèrent tout autant alors qu'il était presque en face de cette vermine. Et au vacarme monstrueux que firent ses lames en se fracassant contre... MES MURS ET MES ARMOIRES ET MES DOSSIERS DE TRAVAIL, JE POUVAIS VOUS ASSURER QUE...
-OUI OUI OUI OUI OUI, JE VOUS CONFIRME QUE NOUS EN AVONS LARGEMENT BIEN ASSEZ DE VOUS VOIR PAR ICI, MADEMOISELLE CIPHER POL. AU CAS OU VOUS N'AURIEZ PAS REMARQUE, LE REGLEMENT INTERIEUR AFFICHE EN VINGT-QUATRE EXEMPLAIRES DANS NOTRE HALL D'ENTREE ET SES COULOIRS, ET PARFAITEMENT APPLICABLE AUX VISITEURS, INTERDIT EXPRESSEMENT L'USAGE DU RANKYAKU ENTRE CES MURS, ALORS JE VOUS PRIERAI DE...
-RANKYAKU!
HHHHHHHHHHHHH... POURQUOI EST-CE QUE PARMI TOUS LES AGENTS DU CIPHER POL QU'ILS DEVAIENT ENVOYER, ILS EN ONT CHOISI UNE QUI NE MAITRISE QUE CE COUP DE LAMES D'AIR? CETTE FOIS CI, CA NE SERA PAS...
-HAYLOR! ON A DIT PAS DE DIALS! SURTOUT PAS DE BOULES DE FEU DANS L'BUREAU OU...
-RHAA GEUH DIEU MAIS JE VAIS L'INCINER...
Ou pas. Il se jeta sur moi, me cadenassant de ses mains et s'asseyant sur moi pour que je - mais laisse moi attraper mes coquillages bon sang, et je nous la vais...
-LACHEZ-MOI!
-PAS DE BOULES DE FEU, C'EST AUSSI DANS LE REGLEMENT ET...
-Sigurd, Eva, il se passe quelque chos...?
Trois regards se tournèrent en arrière. Et par la porte de notre bureau, trois fois plus de personnes qui avaient été attirées par tout notre boucan. Ils avaient l'habitude. Tant et si bien qu'il ne leur fallu que deux grimaces appuyées pour comprendre que la troisième personne présente dans ce bureau était du bureau secret de Marijoa, et se joindre à l'unisson pour lui sauter dessus et la maîtriser et tant pis pour leurs dix dorikis chacun, parce que cette misérable espionne fut tout de suite écrabouillée sous la pression cumulée de onze civils et que attends de voir ce qu'on va te réserver comme joyeusetées, ma petite! Mwihihi hihi hihi!
Euh, mais ça ne vous concerne pas.
Et c'était une énorme digression. Aucun rapport avec quoi que ce soit.
Au suivant.
Dernière édition par Evangeline T. Haylor le Sam 26 Aoû 2017 - 2:12, édité 7 fois