– Tout est clair ?
L’endroit ne correspondait pas tout à fait à l’aspect secret de cette petite réunion. Une large pièce dont les grandes vitres laissaient passer pleinement les rayons du soleil. D’ici, la vue sur l’île était imprenable. La personne qui venait de terminer d’exposer la situation faisait face à l’une de ces fenêtres. Les bas-quartiers étaient presque invisibles.
– Parfaitement clair.
– Bien, partez. Et agissez avec prudence.
Maximilien, la seconde personne présente, tourna les talons avant de prendre la porte. Il avait l’allure d’un ancien soldats ; les quelques cicatrices qu’il arborait sur son visage lui donnait un air des plus sévères. Il avait le crâne entièrement dégarnis, et malgré ce que pouvaient insinuer ses rides, il n’excédait pas la quarantaine d’années d’existence. Il portait un uniforme d’un rouge plus sombre que le sang, loin d’être cérémoniel.
Les longues marches et les interminables couloirs qui le séparaient de la rue en contre-bas lui laissèrent le temps de remettre sa tenue en place, et de s’équiper de fin gants noirs de protection. Une fois en bas, il vérifia une dernière fois que son épée et son arme à feu étaient bien à leur place sur sa ceinture, avant de passer la grande porte, le vent frais du matin fouettant lentement son visage, et de rejoindre les hommes qui avaient été assignés sous ses ordres.
* * * * *
Lieu sombre. Un sous-sol, probablement. Les planches du dessus craquelaient sous le poids de l’âge. Le jeune homme qui se trouvait en ces lieux planta son couteau en plein dans le corps du rat qui passa près de lui. Un rat, c’était ce qu’il était devenu ces derniers jours. Blessé, et maintenant probablement recherché. Mais il avait toujours une mission à accomplir, et l’échec n’était absolument pas envisageable.
Ses blessures ne seraient bientôt plus qu’un mauvais souvenir, et heureusement pour lui, car la tâche qui l’attendait ne serait pas des plus faciles. Il lui faudra probablement être vif, rapide, et discret. Au dehors, les soldats grouillaient. Et pour cause ; le massacre de la vieille maison duquel il s’était échappé un peu plus tôt avait évidemment fini par faire du bruit. Ils n’apprendraient rien, mais leur présence restait un obstacle de plus pour le jeune homme. Sans compter le géant à qui il avait fait face. Était-il à sa recherche ?
Il frémit à cette idée. Mais prenant son courage à deux-mains, il se releva et prit la direction de l’échelle qui menait à la surface. Il s’était réfugier dans une vieille cabane, parmi les centaines que l’ont pouvait trouver dans les quartiers pauvres de l’île ; une sorte de bidon-ville évolué, crasseux toujours, mais plus vivable. Et bien sûr, pour lui, discret.
Il enfila sa cape et sa capuche, avant de sortir pour se jeter dans le froid de la nuit. Il prit la direction du port, marchant sur un chemin boueux simplement éclairé par la Lune. Il n’avait sur lui que son épée et sa dague. L’escargophone avec lequel il était parvenu à joindre les hauts-quartiers ne lui était plus d’aucune utilité, ainsi s’en était-il débarrassé, par peur de se voir tracer. Il n’était pas raisonnable de tenter de contacter qui que ce soit, et surtout pas ses camarades, ou pire, son patron. Il allait devoir procéder à l’ancienne, c’est-à-dire en personne. Il se dit qu’ils auraient dû prévoir un moyen détourné de communiquer, qu’ils auraient dû être plus prudent.
Chassant ces idées de sa tête, car il était de toute façon trop tard, il se faufila près d’un bâtiment qui marquait l’entrée du port. Bien moins actif qu’en journée, l’endroit n’était tout de même pas totalement désert. Ivrognes, mendiants, femmes de petites vertus ou encore travailleurs chevronnés – bien plus minoritaires que les autres –, patrouillait un groupe de soldat de la marine. Et ils n’étaient sans doute pas les seuls présents.
Depuis l’attaque de la mystérieuse maison, la surveillance de ce port avait doublé voir triplé. Sans doute pas par pure protection des citoyens, mais sûrement par soucis de ne pas effrayer les éventuels marchands et ralentir les échanges commerciaux. Si un groupe de bandit se cacher ici, ils allaient les arrêter. Ou du moins ils donnaient l’impression d’être sur le point de le faire.
Le jeune homme prit alors soin de les contourner, s’introduisant plutôt dans de petites ruelles sombres et hors du champ de vision des soldats. Ils ne connaissaient d’ailleurs probablement pas son visage, mais il ne pouvait pas prendre de risque. L’entrepôt n’était pas très loin, mais l’obligation de se faire le moins visible possible rendait cette distance subitement bien plus longue.
* * *
– Chef, nous avons fait le tour des entrées et sorties. Nous attendons vos ordres.
Maximilien, la main sur le pommeau de son épée, se contenta d’hocher lentement la tête de haut en bas. C’était là le seul résultat de leur enquête : un simple entrepôt. Les informations étaient minces, mais mais l’endroit et les transactions qui semblaient s’y dérouler étaient suffisamment suspectes pour valoir le coup d’œil. Des échanges non répertoriés, des valeurs qui ne correspondaient pas à la marchandise citée, en bref : des détails, ce fut tout ce qu’ils trouvèrent.
La vieille maison qui fut la scène d’un violent combat, fouillée et refouillée ne donna rien. Les quartiers pauvres étaient étrangement calmes. Et le Culte de la Miséricorde l’était tout autant. Et l’instinct du chef de la milice ne le trompait que rarement.
– Laissez une partie de nos hommes les investir. Le gros de nos -faibles- forces passeront par l’entrée principale. Nous sommes ici pour une inspection protocolaire. Tu restes ici pour surveiller cette sortie, mais si les choses se gâtent, ne rentre qu’après avoir envoyé ton rapport d’urgence à la Dame, compris ?
– Compris, chef.
* * *
– Inspection ? En quel honneur ? Fit le premier, qui se présenta comme étant le chef.
Bourru, recouvert de cicatrice et portant à la ceinture ce qui semblait être une masse, il n’y avait aucun doute quant à son rôle de méchant de cette histoire.
– Je veux voir votre mandat. Ou quel que soit le nom.
Maximilien ne se fit pas prier. A la milice privé, on ne faisait pas les choses à moitié. Encore moins dans une situation similaire. Il sorti de l’une de ses poches une feuille jaunie tout ce qu’il y avait de plus officiel. Ordre d’inspection. Tamponné et signé par les personnes en charge de la vérification des marchandises. Du moins, en apparence.
– Quel genre de marchandises entreposez vous ici, exactement ? Fit-il, toisant du regard les autres « employés » de l’endroit.
– Vous n’aviez qu’à consulter le registre. Des-
– Des matériaux de constructions, oui. Je voudrais les voir.
Le chef soupira de manière fort poussée avant de faire signe à ses hommes. Il invita les invités à le suivre dans la pièce qui se trouvait derrière eux : l’entrepôt en lui-même. Maximilien le suivi à tâtons, lançant à ses soldats un regard éloquent. Si il devait se passer quelque chose, c’était maintenant.
L’envoyé de la Dame n’attendit pas plus longtemps ; à la vue du premier mouvement brusque d’en face, il donna l’alerte. Ceux d’en face mirent peu de temps pour réagir, et chacun dégaina son arme avant que les miliciens ne parviennent à leur auteur, leur donnant une chance pour riposter. Sauf pour les quelques malheureux qui avaient subis de plein fouet les premiers échanges de coup de feu.
* * *
Le bruit des armes alerta soudainement le soldat resté à l’extérieur. Il savait ce qu’il lui fallait faire. L’escargophone en main, il composa le numéro qui le lierai alors au plein centre des haut-quartiers de Saint-Urea. Son interlocutrice ne se fit pas prier, et c’est en tentant de contrôler sa voix tremblante qu’il voulu commencer son rapport express, malheureusement trop tard.
L’appareil téléphonique tomba sur le sol boueux, laissant à l’autre bout du fil qu’un simple silence de mort. Les derniers étouffement du soldat ne se firent pas attendre, et la marre de sang s’amplifia sous son corps inanimé.
Un bain de sang. Voilà ce qu’allait trouver le jeune homme en entrant. Voilà dans quoi il allait se jeter : un champ de bataille. Il savait ce qu’il devait faire. Pour sauver ses camarades restant, mais surtout pour sauver sa peau. Effacer les preuves, en lançant le plan plus tôt que prévu. Il venait de tuer son premier homme, et allait possiblement en achever une douzaine d’autres.
En rentrant par l’arrière de l’entrepôt, le jeune ne trouva rien d’autres que du sang, des armes au sol et quelques cadavres encore frais. Il pouvait voir, au loin, que des caisses avaient été fracassées. Elles étaient toutes vides. Mais celle qui l’intéressait était bien à l’abri, au sous-sol. Humide, sombre, il tâtonna quelques instants avant de trouver ce qu’il cherchait. Il ouvrit le conteneur à l’aide d’un pied-de-biche traînant non-loin de là, afin de découvrir l’objet que le bâtiment et ses employés défendaient. Il avait devant lui plusieurs bombes artisanal de taille imposante ; des explosifs suffisant pour faire sauter plusieurs bâtiment de grandes tailles, tel que celui-ci. Il activa le mécanisme de l’une d’entre-elles, et prit le chemin inverse le plus rapidement possible. Il pouvait encore entendre la violence des combats. Et la porte par laquelle il s’était faufilé dans le bâtiment était de nouveau le théâtre d’un violent affrontement. Poussé par la peur, il prit la direction opposé, et couru vers l’une des principales sorties, manquant parfois de trébucher sur un corps.
A l’extérieur, le soleil lui brûla la rétine. Il mit un certain temps avant de se rendre compte qu’il n’était pas seul. Maximilien, blessé et essoufflé et désarmé, reprit automatiquement consistance avant de se jeter sur le jeune homme qui n’eût pas le temps de s’écarter. Le plaquant contre le mur, le chef de la milice lui asséna de multiple coup de poing, avant que son adversaire ne parviennent à se dégager en lui plantant son couteau dans le bassin.
Le jeune se recula, le visage en sang. Maximilien, entraîné, n’hésita pas un seul instant à reprendre l’assaut. Il esquiva et écarta les attaques du jeune, avant de lui asséner un uppercut qui l’envoya au sol. Mais blessé, le chef n’eût pas le temps de l’achever et son adversaire en profita pour se relever tant bien que mal, dans le seul but de fuir le plus possible. Chose qu’empêcha Maximilien, en l’empoignant par la jambe pour le tirer à lui. Le jeune parvint tout de même à le frapper au niveau de sa blessure par le coude, afin de le repousser.
Ils se débâtèrent ainsi pendant de longues secondes qui lui parurent être une éternité. Jusqu’à ce que dans le chaos, il sente quelque chose de froid lui percer le dos. Il n’avait plus le couteau dans les mains.
Il tâtonna quelques instants, tentant de localiser de sa main la blessure, mais une voile gris lui recouvra bientôt la vue, et les derniers sons qu’il perçut signèrent sa fin.
Le temps était écoulé.
* * *
Tel un coup de tonnerre, l’explosion retentit et éclaira la totalité du port, ainsi qu’une bonne partie des quartiers pauvres. L’amplitude de l’explosion était difficile à percevoir, mais elle avait sans nul doute engloutie la totalement de son bâtiment d’origine, et éventuellement les quelques bâtisses environnantes. Ceux qui dormaient à poings fermés furent réveillés en sursaut, tandis que les comploteurs nocturnes furent détournés de leurs basses besognes.
* * *
– Chef…
– Je sais.
Dans le bureau sombre de celui qui se faisait appeler Siegfried, trois personnes se tenaient debout.
– Nos oisillons font ce qu’ils peuvent, mais il nous faut une aide extérieur, fit le chef du Culte de la Miséricorde. Numéria, appelle-le. Malmere, va me chercher Horlfsson. Et la fille, si possible.
Une première silhouette prit la porte et disparu dans l’obscurité du couloir. La seconde apporta à Siegfried un petit escargophone avec lequel elle venait de composer un numéro. Celui-ci le plaça à porté de voix et fit signe à Numéria de partir. Le denden sonna de longues secondes, avant qu’un son presque imperceptible indiqua que l’interlocuteur venait de décrocher.
– Il est temps d’honorer notre accord.