Enfin tranquille...
J'avais trouvé un coin de table pour m'assoupir, dans le réfectoire, afin de ne plus entendre les jérémiades de l'intendant Bounder. Celui-ci avait enfin accepté que je débute ma formation de Marine, après quelques semaines en tant qu'homme de corvée. Je n'avais que treize ans, mais être le fils du colonel Kristian Frost, officier à l'Ambassade de Luvneelgraad, rendait les choses plus simples. Surtout lorsqu'on passait son temps à fouiner dans les bureaux administratifs et les archives afin de parfaire ses connaissances de la Marine et du Gouvernement Mondial.
Mes épaules endolories se relâchaient doucement, mon corps s'affaissait de plus en plus sur le bois. Celui-ci sentait le chêne et le vin... Je baillai, la tête entre les bras.
- ARHYE FROST !
Un vent hurlant me tira de mes songes tandis que mon corps se faisait de plus en plus léger. Lorsque je pris conscience du toucher effectué par les mains de l'énorme Boris sur mes hanches, je compris que j'étais sur le point de m'envoler. Et en effet je volai au dessus d'une table, puis d'une deuxième... pour atterrir violemment contre le mur d'en face, le dos en premier. Je lâchai un hoquet de douleur et de surprise. Sonné je tentai de me redresser. L'intendant Bounder m'y aida, sans me ménager le moins du monde. Sans me lâcher, il vociféra :
- Tu crois que c'est le moment de roupiller ?! Que dirait ton père s'il voyait ça ? Une honte, gamin !
- Punaise, Boris... Tu m'emmer...
- C'est MONSIEUR BOUNDER pour toi, gamin ! Ici nous sommes dans MA réserve ! Avec les hommes affiliés à la surveillance de l'Ambassade et la protection de ses alentours. C'est du sérieux ! Les paresseux finissent soit recalés, soit décédés sans les honneurs sur le terrain ! Pigé ?!
- Oui oui... Enfin c'est pas un balai qui va me tuer non plus...
- Tu veux jouer les malins ? Cinquante tours de la caserne.
- Qu-quoi ?! Mais elle est énorme ! Plus grosse que toi !
BAM ! Un nouveau coup sur le sommet du crâne me rappela à l'ordre.
- Discute pas et grouille-toi ! Tu t'entraînes avec Lady Crow ce soir, je te rappelle.
Ah c'est vrai. Maman...
J'étais aussi le fils de Lady Orenna Crow, matriarche de la famille du même nom, fondatrice d'une entreprise commerciale vieille de plus d'un siècle maintenant, et d'un art martial de plusieurs centaines d'années. Un style héréditaire, transmis de génération en génération, qui n'a jamais été utilisé par quelqu'un d'autre que les Crow. Leur réputation au sein du royaume de Luvneel leur a permis d'élever rapidement leur rang social jusqu'à obtenir il y a vingt ans un titre de noblesse.
Mais je n'avais pas vraiment le temps d'y penser davantage, car déjà Boris me soulevait d'une main et me jetait au dehors.
Après cinquante tours de caserne, trois heures d'efforts et plusieurs litres de transpiration étalés sur des kilomètres, je me laissai choir au sol, le nez dans la poussière et les mains tendus vers les jambes de l'intendant ventripotent.
Ce type était un ancien officier, affilié maintenant aux affaires administratives. Mais malgré un goût prononcé pour les pâtisseries du coin, qui entraîna irrémédiablement chez lui une prise de poids conséquente, et l'affreux caractère d'un ours mal léché, Boris restait un excellent soldat, un meneur d'hommes compétent et un bon ami de mon père. Et dire qu'il m'avait connu dès le berceau...
Après avoir recouvré quelques forces, je finis par me redresser tant bien que mal et m'asseyais à côté de l'intendant. Celui-ci avalait goulûment l'un de ses croissants aux groseilles. Il m'en tendit un, sans détourner ses yeux de l'horizon visible au-delà du muret de la réserve. Le soleil commençait à descendre. Il devait être aux alentours de dix-sept heures... Je m'entraînais dans deux heures.
Je pris la viennoiserie et mordis dedans. Je souris. Y avait pas à dire : j'adorais ça et je remerciai chaque jour l'inventeur de cette recette, pourtant simple.
Le gros Bounder tourna enfin la tête vers moi :
- Tu sais, Arhye... tu as beau être agaçant, c'est fou ce que tu ressembles à ton père.
Je l'observai sans trop comprendre pourquoi il me disait ça, d'un coup. Il ferma les yeux un moment puis soupira. Il se gratta le sommet du crâne, par dessous sa casquette d'officier :
- Ouep... toujours à voir le meilleur côté des choses, même quand personne ne veut y croire... Et toujours à trouver la merde sans jamais la chercher.
J'avais trouvé un coin de table pour m'assoupir, dans le réfectoire, afin de ne plus entendre les jérémiades de l'intendant Bounder. Celui-ci avait enfin accepté que je débute ma formation de Marine, après quelques semaines en tant qu'homme de corvée. Je n'avais que treize ans, mais être le fils du colonel Kristian Frost, officier à l'Ambassade de Luvneelgraad, rendait les choses plus simples. Surtout lorsqu'on passait son temps à fouiner dans les bureaux administratifs et les archives afin de parfaire ses connaissances de la Marine et du Gouvernement Mondial.
Mes épaules endolories se relâchaient doucement, mon corps s'affaissait de plus en plus sur le bois. Celui-ci sentait le chêne et le vin... Je baillai, la tête entre les bras.
- ARHYE FROST !
Un vent hurlant me tira de mes songes tandis que mon corps se faisait de plus en plus léger. Lorsque je pris conscience du toucher effectué par les mains de l'énorme Boris sur mes hanches, je compris que j'étais sur le point de m'envoler. Et en effet je volai au dessus d'une table, puis d'une deuxième... pour atterrir violemment contre le mur d'en face, le dos en premier. Je lâchai un hoquet de douleur et de surprise. Sonné je tentai de me redresser. L'intendant Bounder m'y aida, sans me ménager le moins du monde. Sans me lâcher, il vociféra :
- Tu crois que c'est le moment de roupiller ?! Que dirait ton père s'il voyait ça ? Une honte, gamin !
- Punaise, Boris... Tu m'emmer...
- C'est MONSIEUR BOUNDER pour toi, gamin ! Ici nous sommes dans MA réserve ! Avec les hommes affiliés à la surveillance de l'Ambassade et la protection de ses alentours. C'est du sérieux ! Les paresseux finissent soit recalés, soit décédés sans les honneurs sur le terrain ! Pigé ?!
- Oui oui... Enfin c'est pas un balai qui va me tuer non plus...
- Tu veux jouer les malins ? Cinquante tours de la caserne.
- Qu-quoi ?! Mais elle est énorme ! Plus grosse que toi !
BAM ! Un nouveau coup sur le sommet du crâne me rappela à l'ordre.
- Discute pas et grouille-toi ! Tu t'entraînes avec Lady Crow ce soir, je te rappelle.
Ah c'est vrai. Maman...
J'étais aussi le fils de Lady Orenna Crow, matriarche de la famille du même nom, fondatrice d'une entreprise commerciale vieille de plus d'un siècle maintenant, et d'un art martial de plusieurs centaines d'années. Un style héréditaire, transmis de génération en génération, qui n'a jamais été utilisé par quelqu'un d'autre que les Crow. Leur réputation au sein du royaume de Luvneel leur a permis d'élever rapidement leur rang social jusqu'à obtenir il y a vingt ans un titre de noblesse.
Mais je n'avais pas vraiment le temps d'y penser davantage, car déjà Boris me soulevait d'une main et me jetait au dehors.
[...]
Après cinquante tours de caserne, trois heures d'efforts et plusieurs litres de transpiration étalés sur des kilomètres, je me laissai choir au sol, le nez dans la poussière et les mains tendus vers les jambes de l'intendant ventripotent.
Ce type était un ancien officier, affilié maintenant aux affaires administratives. Mais malgré un goût prononcé pour les pâtisseries du coin, qui entraîna irrémédiablement chez lui une prise de poids conséquente, et l'affreux caractère d'un ours mal léché, Boris restait un excellent soldat, un meneur d'hommes compétent et un bon ami de mon père. Et dire qu'il m'avait connu dès le berceau...
Après avoir recouvré quelques forces, je finis par me redresser tant bien que mal et m'asseyais à côté de l'intendant. Celui-ci avalait goulûment l'un de ses croissants aux groseilles. Il m'en tendit un, sans détourner ses yeux de l'horizon visible au-delà du muret de la réserve. Le soleil commençait à descendre. Il devait être aux alentours de dix-sept heures... Je m'entraînais dans deux heures.
Je pris la viennoiserie et mordis dedans. Je souris. Y avait pas à dire : j'adorais ça et je remerciai chaque jour l'inventeur de cette recette, pourtant simple.
Le gros Bounder tourna enfin la tête vers moi :
- Tu sais, Arhye... tu as beau être agaçant, c'est fou ce que tu ressembles à ton père.
Je l'observai sans trop comprendre pourquoi il me disait ça, d'un coup. Il ferma les yeux un moment puis soupira. Il se gratta le sommet du crâne, par dessous sa casquette d'officier :
- Ouep... toujours à voir le meilleur côté des choses, même quand personne ne veut y croire... Et toujours à trouver la merde sans jamais la chercher.