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L'héritage des poissonniers

Elle débarqua au petit matin. L'air était froid, épais, chargé d'une légère fumée blanche et d'une imposante odeur de poisson qui emplissait les narines jusque dans le cerveau.

Ça puait assez franchement, pour ainsi dire.

Quel choix pour une première mission depuis son acceptation au sein du CP9, c'était sûr. Le meurtre d'un notable, comme toujours, arrivait aisément à déplacer les détectives les plus zélés et les plus expérimentés au sein des différents CPs. Que l'assassinat eusse lieu à Marie-Joie, à Marineford ou encore dans l'une des grandes cités du Nouveau Monde, il y avait toujours des motivés. Mais quand il s'agissait de se rendre à Poiscaille... On préférait envoyer les néophytes.

Pourtant l'enquêtrice jouissait, de par sa couverture, d'une excellente notoriété, notamment dans les Blues. Ce qui ne l'avait pas plus aidée à refuser la mission. La seule, l'unique, celle qu'on lui avait présentée dès le départ. A peine arrivée lui avait-on demandé :

- Poiscaille, t'en penses quoi1 ?

Puis sans la ménager, on l'avait déplacée dans le premier bateau faisant le chemin jusqu'ici. Ou presque.

L'agente peinait à se défaire de son voile maussade aussi bien que de la brume appesantissant l'air ambiant. Pour couronner le tout, elle avait finalement dû changer de navire et monter à bord d'un bateau de pêche pour aborder les eaux territoriales. Une économie de temps et d'efforts selon les autochtones. Ce pourquoi elle gardait les yeux rivés sur les filets trainés par le chalutier qui constituaient un spectacle amusant, sinon le seul qui eusse pu valoir le détour, ici, à Poiscaille.

Une île où la bouffe à nageoires venait directement remplir les cales sans se soucier du danger imminent. A l'image des marins que l'agente méprisait pour leur simplicité, les espèces marines chassées par lesdits prédateurs n'avaient visiblement pas la lumière à tous les étages.

- C'est incroyable. ironisa-t-elle sans prêter garde à la proximité d'un cinquantenaire fier de son métier qui ne saisit pas la nuance.

- Ouep, l'est bien chouette notre boulot hein ma 'tite dame ? Pratiquement rien à faire, cé'ti pas beau.

Elle répondit par un grognement, estimant la distance qui séparait le navire de la côte.

- Allez, encore une demi-heure à tout casser. se dit-elle.

Mais c'était sans compter sur la surabondance de fretin qui continuait à alourdir le navire et le freiner drastiquement. Ce ne fut que lorsqu'elle se retrouva immobilisée entre deux tas de poiscaille encore frétillante et heureuse d'être sortie du Styx pour rejoindre la barque du Passeur qu'elle comprit son erreur.

Le chalutier avait pêché jusqu'à ce qu'il n'y eusse plus de place à bord pour quoi que ce fusse d'autre, pas même son unique passager.

1. Un coordinateur visiblement bienveillant peinant à passer les portes avec son fauteuil roulant était responsable de cet accueil. C'était, selon lui, une sorte de bizutage amical que de l'envoyer là-bas.
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On se calme, on se calme.
Je saurais pas trop dire ce qui passe pas, mais j'ai une crampe au bide comme pas permis. C'est pourtant pas mon genre de me faire mettre à l'amende par ma pitance. Y'a peut-être autre chose derrière. Sans doute.

- Monsieur ? Tout va bien ?

C'est que j'ai les mains cramponnées au lavabo, à me mirer dans la glace, soufflant comme un bœuf, je tremble. Y'a pas à chier, entre ça et l'image dans le reflet, j'ai bien compris que c'était pas la grande forme pour moi. Et puis merde, je sais bien que c'est pas la bouffe qui est responsable de l'état dans lequel je suis. La raison, je la connais. J'ose espérer être le seul à la connaître d'ailleurs.
On continue de tambouriner à la porte des W.C.

- Monsieur ? Vous êtes là ?

C'est qu'y z'en démordent pas. Tout ce que je demande, c'est cinq putain de minutes pour me ressaisir. Dès que je sortirai de ces putains de chiottes, les événements vont être houleux. Non, pas houleux, merdiques à souhait. Une pluie diluvienne de chiasse, et j'ai pas intérêt à boire la tasse. Peux pas me le permettre.

- Monsi...

- Ouais j'vous capte ! 'tendez deux m'nutes b'rdel !

L'heure est venue. Quand faut y aller, faut y aller. Mon petit Derrick, l'est temps de montrer ce que t'as dans le ventre en dehors du gras. Y'a du travail à effectuer, pour le gouvernement, mais surtout pour moi.
Violemment, la porte des toilettes s'ouvre, c'est moi qui l'ai poussée pour m'assurer que le larbin derrière se la prenne dans le naseau. J'ai rien contre lui, mais faut pas m'emmerder quand j'ai besoin de calme. Après une sortie aussi flamboyante, je me retourne vers lui qu'est à terre à se tenir le pif dans le creux de ses mains.

- L'addition.


***


Crevé dans son propre entrepôt. Au moins, il était à domicile quand ça s'est passé. Sont nombreux les gars à se faire buter loin de chez eux. Sûr, ça a dû lui faire une belle jambe de mourir ici plutôt qu'ailleurs, mais c'est un petit plus je trouve. De toute façon y va pas s'en plaindre.

- Désolé monsieur, vous ne pouvez pas approcher. La marine enquête ici.

Je "peux" pas approcher ? Un puceau aux joues roses avec son uniforme tout propre cherche à me barrer l'accès à l'entrepôt. Les jours de grande forme, j'en ai expulsé des plus gros que lui de mon colon.
On va voir si je "peux" pas entrer.

- Soldat, laissez-le passer. On a été prévenu.

Sauvé par sa hiérarchie. Putain, qu'est-ce qui m'arrive ? Je suis tellement à fleur de peau que j'ai failli cogner sur un marine. Calme-toi Derrick, calme-toi. Bientôt, toute cette affaire sera derrière toi.
C'est pas tout ça, mais faut prendre mes informations auprès du sergent qu'a repéré le corps. Parce qu'en définitive, cette enquête sur le meurtre de l'autre guignol, c'est pour ma pomme. La marine, c'est pas fait pour ce genre de travail. Eux, ils s'assurent des patrouilles, vont au contact avec les criminels, mais quand le mal est fait, ils remontent pas à la source. Un gars crève sans que personne ait vu son bourreau ? Tant pis pour lui, l'avait qu'à se faire agresser devant une garnison de mouettes.

Seulement là, c'est pas "monsieur Troudeballe" qu'on a rétamé, mais Bort Urgon. Le type est à la tête d'une des plus grosses entreprises de chalutage sur Poiscaille. Avec une économie locale qui repose sur la pêche, il a dû se faire des couilles en or. Enfin, des "couilles" en or, on pourrait pas trop dire : il a été ouvert de l'aine à la gorge et entièrement vidé.

- Votre administration a appelé la garnison, ils nous ont dit que ce merdier vous revenait.

- Vous ont dit qui j'suis ?

L'a le regard mauvais ce sergent, mais y m'a pas l'air du genre à chercher les emmerdes. Au fond, ça doit lui enlever une écharde du cul que je me charge de l'affaire. Ça tombe rudement bien, ça me fait très plaisir d'hériter du bâton merdeux.

- Non. Dans ce métier, on sait quand fermer sa gueule quand il faut. Ça a beau puer le poisson ici, mais je sais reconnaître l'odeur du Cipher Pol quand j'en renifle un...

Perspicace. M'enfin, c'est pas comme si je cherchais tant que ça à cacher pour qui je bosse. Dans ma ligne de travail, faut parfois faire état de l'administration pour laquelle on tapine quand on veut mettre en confiance certains partenaires et renflouer les caisses du gouvernement. L'important, c'est qu'y sache pas pourquoi je tiens à cette affaire.

- Seulement...

Tiens ? Je croyais qu'y savait quand y fallait fermer sa gueule. C'est pourtant bien ce qu'y m'a dit tout à l'heure non ?

- Y'a quelqu'un d'autre sur le coup. On nous a prévenu de l'arrivée d'un détective privé agrémenté par le G.M. Y devrait plus trop tarder.

Un détective privé ? C'est quoi cette connerie encore ? Merde, le gouvernement mondial devait vraiment tenir à cette petite chiure pour demander les services d'un professionnel extérieur... Et moi qui pensait pouvoir m'imposer et enquêter en solitaire.
C'est que j'aime pas trop qu'on vienne remuer la merde, surtout quand c'est la mienne.

- Ce s'rait pas Butterfly des fois qu'y z'envoient ?

Et l'autre sergent opine du chef. C'était à prévoir, le G.M a sorti l'artillerie lourde. Cette Elizabeth Butterfly, toujours à fouiner là où y faut pas. Avec une curiosité aussi malsaine que la sienne, c'est à se demander pourquoi elle s'est pas enrôler dans le C.P.
C'est qu'y a sûrement plus de fric à se faire en bossant à son compte, je vois guère que ça comme explication.

Voilà que j'ai encore mal au bide, mais pas comme tout à l'heure. Là, c'est comme un malaise, le genre qui vous scie les pattes et qui survient quand on vous annonce une mauvaises nouvelles, une très mauvaise nouvelle, de l'ordre de l'avis de décès. Quelqu'un vient d'entrer dans l'entrepôt.
Pas un bruit pourtant, démarche discrète au possible, mais je l'ai bien sentie arriver. Je me retourne, et je vois un bout de femme bien mignonne. Mais pour celle-ci, je risque pas d'avoir le béguin de sitôt.

- Eh bah ! On parle d'diable et on en voit la queue !

Elizabeth Butterfly vient d'entrer, sereine malgré la boucherie qui fait office de scène de crime. Jamais je l'avais vue avant et déjà, je sens que quelque chose tourne pas rond chez elle. Une démarche aussi discrète que la sienne, c'est suspect.
Mais faudra que je me soucie de ça plus tard. Pour le moment, la priorité, c'est de faire en sorte que l'enquête m'échappe pas, d'en conserver le monopole et de lui en laisser les miettes. J'y tiens vraiment.

- L'a un avis sur l'merdier la p'tite dame ?
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- La crème solaire ?

- C'est ok, répondit Scarlett.

- Les paires de lunettes de rechange ?

- C'est ok !

- Hmmm...les livres ?

- Polop ! Fit Ramsès en agitant une série de nouvelles.

- Bon c'est parfait, on a l'air d'avoir tout je crois !

- Ouep, on prendra des magazines une fois à l'hôtel. Vlogue, Aile, Kosmapolitain aussi.

- Oh oui ! Parait que des cosmétiques de Logue Town sortent une nouvelle gamme de fards et de rouges à lèvres.

- Ils présentent la nouvelle Miss Alabasta aussi. Paraît qu'elle fait déjà polémique !

Bien installés dans leur cabine, Myosotis et Scarlett se dirigeaient vers une nouvelle destination où ils allaient séjourner quelques temps en attendant leur prochaine mission. Un petit retour aux sources pour eux, Suna Land ! C'était là où ils s'étaient rencontrés, Scarlett avait essayé de le tuer et de s'emparer du coffre qu'avait trouvé Myo. C'était d'ailleurs dans ce coffre que se trouvait le fruit du Savon que Myosotis a fini par dévorer sous le nez de la belle ! Ils en avaient fait du chemin ensembles, et avaient convenu que c'était la destination parfaite pour se détendre un peu. Objectivement, c'était effectivement une destination parfaite pour n'importe qui ! Suna Land était une île estivale qui ne dormait jamais vraiment, remplie d'attractions, d'hôtels, restaurants et autres lieux de détente très prisé par la plupart des touristes fortunés des mers Blues.

- Elles sont vulgaires parfois les alabastiennes... cingla Scarlett.

- Je te le fais pas dire !

- Poloooop !

Le petit poulpe rouge, mascotte de l'équipe, s'avançait vers ses amis en agitant un prospectus dans l'une de ses tentacules. Dessus, on pouvait y voir un grand hôtel ressemblant à un château avec une demoiselle toute pimpante et son compagnon à ses côtés, au sourire blanc aussi brillant que des diamants. Myo' s'en sait saisi en remerciant l'animal qui partit se glisser sur le sac du jeune homme, prêt à débarquer dans quelques minutes et s'amuser sur une nouvelle terre ! L'androgyne, quant à lui, déplia la brochure encore une fois pour la lire avec son équipière.

- Alors alors...Par quoi on commence ? Les bains thermaux ou la promenade en yagara le long de la plage ?

- Hmmm j'hésite, j'avoue que faire leurs bains m'intéresse ! Ils ont un bain spécial avec des plantes médicinales. Ça a l'air gé-nial ! Mais leur restaurant spécialisé dans les salades et brochettes me séduit aussi...

- Et pourquoi pas leur petit jardin botanique ?

- Il a l'air plaisant en effet. Ils ont ouvert un nouvel espace bonsaï, on peut même apprendre à tailler soi-même un arbuste pour pouvoir s'agencer sa propre collection !

- Oh ouiii ! Et une serre remplie d'orchidées ! Bon, c'est décidé, on fait ça en premier !

- Poloooop !  

Le poulpe frétillait, tout heureux de pouvoir découvrir de nouveaux horizons, et surtout se dorer la pilule sur la plage avec ses amis ! D'ailleurs ces derniers étaient déjà en tenue, prêts à s'affaler sur une serviette et bronzer pendant des heures ! Scarlett arborait un plantureux maillot, un fin foulard noué autour de la taille ainsi qu'un chapeau de paille tressée décoré de fleurs rosées. Myo, de son côté, avait choisi quelque chose de plus décontracté mais restant néanmoins fidèle à son style habituel. Il avait une fine chemise noire avec un ruban lavallière autour du coup, un pantalon court et un canotier en guise de couvre-chef. Ses manteaux de fourrure lui manquaient déjà, mais le garçon ne se priverait pas pour en racheter d'autres ! Il avait néanmoins prit soin d'en prendre un dans sa valise, son somptueux manteau blanc et noir en fourrure de woks.

- Qu'est ce qu'ils disent sur les boutiques ?

- Voyons voir....Ils ont une galerie marchande juste à côté de leurs thermes. Là-bas, on trouvera un sushi-bar, un magasin de prêt-à-porter, une boutique de souvenirs, un styliste avec des créations originales, un magasin de jouets, un peintre-sculpteur et une confiserie.

- Hmm...on va pas avoir grand chose à se mettre sous la dent avec ça..

- Oh ! Un casino !

- Aaah là ça me botte mieux ! Quels jeux ?

- Roulette, baccarat, poker, le Suna-Jack, la crapette, le crabe menteur, et le sirop.

- Le sirop ?

- Un jeu luvneelois. Y a des règles simplifiées visiblement.

- Poloooop !

La sonnerie du bateau finit par retentir, preuve qu'ils étaient enfin arrivés à destination ! Excités comme des puces, les compères s’empressèrent de rassembler leurs affaires avant de se ruer hors de leur cabine. Visiblement personne ne se trouvait dans le couloir, sans doute les autres passagers du navire étaient déjà descendus, attendant sur le pont en admirant Suna Land de loin...Ils étaient en tout cas au terminus, pas de temps à perdre ! Ils devaient être les premiers au bain à remous ! Remontant le couleur vers le pont, ils croisèrent un mousse en train d'astiquer la cabine des toilettes. Le bougre les remarqua et les fixa d'un regard incrédule. Qu'est ce qu'il leur voulait celui là ? Il avait jamais vu des vacanciers ? Et même après que le trio dépassa les cabinets, il sortit sa tête pour les regarder continuer leur chemin tout en ricanant. Le personnel...plus aucun respect !

- Qu'est ce qu'ils nous veut cet imbécile ?

- Aucune idée...Sûrement un simplet.

En arrivant sur le pont, ils ne croisèrent pas plus de vacanciers que dans les couloirs. Et, là encore, d'autres marins se retournèrent dans leur direction, certains amusés, d'autres circonspects. Attisant encore plus la curiosité des agents. Ces derniers, beaucoup trop pressés et ayant passé leurs lunettes de soleil sur le nez, ne firent aucunement attention à eux et descendirent du bateau pour enfin arriver sur le port. Ce qui commença par contre à piquer leur attention, ce fut tout les caissons remplis à ras-bord de poissons rutilants...et odorants.

- Euh...c'est quoi cette odeur de poisson ?

- Et il fait froid en plus...Depuis quand Suna Land c'est aussi pourri ?!  



Un simple coup de tonnerre, et des trombes d'eau leur dégringola sur la tête à la seconde suivante. Ramsès, apeuré, partit se réfugier dans le sac de Myosotis, tandis que ses deux amis trempés finirent par tomber avec un immense panneau situé sur leur droite annonçant : « PORT DE POISCAILLE ».

- Hein ?! Mais...Et Suna Land ?! C'EST QUOI CE MERDIER ?
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Le détail qui faisait la différence, qui l'éloignait d'Annabella Sweetsong maintenant qu'elle n'était plus borgne. La teinture des cheveux ça pouvait encore s'expliquer, même si elle n'en avait pas envie... mais l'oeil en plus, ça ne regardait pas le public.

Annabella réajusta à la va-vite son patch avant de faire son entrée sur les lieux du crime, traversant le bandeau de sécurité invisible délimité par les quelques soldats plantés comme des arbres autour de la scène.

Un entrepôt, n'y avait-il donc que ce genre de lieux pour commettre un crime ? Quoi que, ça changeait des bastons dans les tavernes, vint penser l'agente sur le moment. Rapidement, un individu pouvant se résumer à un tas de bourrelets sur pâtes surmonté d'une bouche à vous dévorer vivante une dinde sans avoir besoin de deux bouchées... l’accueillit. Ou plus précisément : il l'introduisit.

Ici, l'identité de l'enquêtrice n'était pas secrète. Elle était même bien populaire et elle ne fut pas surprise de voir que l'énigmatique bonhomme obèse la connusse, moins que de voir un civil à un tel endroit. Conclusion : il n'était pas là sans raison. D'autant plus qu'on ne l'avait pas mise au courant de sa présence, l'obligeant ultimement à rétorquer au moment où celui-ci trouva la bonne idée de lui demander si elle possédait un avis :

- Peut-être. Qui êtes-vous ?

Sa démarche l'avait lentement menée jusqu'au cadavre, tandis que sa tête s'essayait à résoudre le torrent de questions qui la traversaient. Bien que la chose fusse naturelle, elle n'appréciait pas d'avoir de la compagnie dans ses enquêtes : cela l'empêchait bien souvent de trouver une issue qu'elle pouvait concevoir par elle-même, si le coupable venait à manquer. Ou bien que ce ne fusse pas la bonne personne.

Elle eut une pensée fugace pour la créature de Logue Town qui la fit frissonner d'horreur.

- Pouvez bien m'app'ler Derrick. Inspecteur Derrick, 'chanté d'faire vot' connaissance. sourit l'énergumène de toutes ses horribles dents dans sa monstrueuse bouche.

Elle réprima une envie de vomir devant l'horreur de l'expression du gaillard dont le visage, aussi bien que la corpulence, ne lui revenaient absolument pas. A vrai dire, il lui fallait même un temps d'adaptation. Eusse-t-elle été Annabella Sweetsong, elle l'aurait dit sans ciller. Mais Elizabeth Butterfly était quelqu'un d'humain et de plus ou moins empathique. En tout cas dans les limites de l'humanité.

- De même. A quoi avons-nous à faire ?

Comme toujours, un médecin légiste était venu opérer dès que possible, avant que le corps ne soit remorqué à la morgue pour une analyse plus en profondeur. Littéralement. Le jeune homme à la voix fluette bégaya maladroitement sa réponse : concentré dans son travail, il n'avait entendu la question que bien après et venait de rencontrer le regard légèrement courroucé de l'enquêtrice.

- La victime semble être décédée des suites d'une hémorragie. La mort a dû survenir il y a environ six heures, mais il est possible que la "torture" ait commencé bien avant.

- La torture ? souleva la jeune femme en se rapprochant de l'officier médecin.

Trop près. Celui-ci ne put s'empêcher de faire une mimique en subissant les effluves de poisson qui venaient parfaire le parfum léger et désormais dissimulé de la jeune femme... poisseuse. Elle n'avait malheureusement pas eu le temps de se changer depuis le débarquement : le destin avait voulu que le chalutier misse un temps infini à atteindre les quais et s'y amarrer. Pour une demoiselle, sentir la marée n'était décidément pas une bonne chose, quand bien même la ville entière évacuait les mêmes flagrances.

Elle s'éloigna d'un pas léger et courtois, tout en restant à proximité du corps sur lequel elle posa enfin les yeux pour la première fois.

Il était vide.

Comme un poisson, on lui avait retiré ses entrailles grâce à une entaille pratiquée du sternum jusqu'à l'aine. Des entrailles que l'agente remarqua par la suite en la présence d'un petit tas informe de couleur rouge-rose non loin.

Cette fois-ci elle manqua de justesse de rendre son repas, parvenant difficilement à le garder à l'intérieur. Elle resta toutefois coi pendant de longues minutes et ce fut l'inspecteur Derrick qui prit la relève sur l'enquête.

- C'pas bien joli tout ça, p'têtre un peu trop costaud pour une d'moiselle ? 'Fin bon. Quelqu'chose sur le profil de la victime, 'savoir c'qui lui a valu ça ?

Le gros lard finit avec un clin d’œil adressé à l'albinos. Elle comprit que lui savait, mais lui laissait une occasion de le rattraper dans la course. Une fois de plus, le médecin légiste mit du temps à comprendre que la question lui était adressée et dut encaisser les regards insistants des deux détectives. Ce fut son supérieur qui vint répondre, dans la mesure où le médecin légiste n'était pas là pour subir un interrogatoire. Et qui s'empressa ainsi de faire le paon devant la jeune femme tout en ignorant son partenaire improvisé, comme s'il ne faisait pas partie du tableau, bien que ce fusse lui qui eusse posé la question.

- Ahem. Sergent Fedekais, pour vous servir Miss Butterfly. J'ai beaucoup entendu parler de vous et-

- Venez-en aux faits Sergent. Qui est ce pauvre homme ?

- Mes excuses, Miss. Il s'agit de Bort Ugon, l'un des grands patrons locaux. Il supervise une grande partie des chalutiers du coin.

- D'où l'aspect fantaisiste du meurtre donc. pensa l'agente avant de demander : Et ce monsieur Ugon, il avait des ennemis dans le coin ?

- Probablement oui, des tas même je dirais. La concurrence est sans pitié ici. Mais pour cela je suppose que nous pouvons faire appel à une personne plus experte sur le sujet...

L'officier s'interrompit : voyant que le médecin légiste commençait à plier bagage, il fit signe à ses subordonnés de venir glisser la carcasse et ses boyaux dans une grande poche, direction la morgue. L'enquêtrice exprima le besoin urgent de connaître l'identité d'une telle personne :

- Donc... qui ça ?

- Ah, pardon... Sa femme, oui, voilà. termina le sergent tout en venant fouiller dans l'une des poches de son manteau et en retirer un petit carton.

Une carte de visite qu'il tendit à l'enquêtrice.

- Patty Ugon, psychothérapeute pour enfants ?

***

La nuit commençait à tomber, les rues à devenir malfamées. Avec le précédent meurtre, la réputation de petite île tranquille de Poiscaille venait d'en prendre un sacré coup, si bien que les habitants avaient fini par être rattrapés par la peur, l'angoisse. Celle que l'on croisait aux détours des rues dans les grandes villes, qui hérissaient les poils sur la nuque. Alors les portes claquaient, les volets se refermaient et les serrures se verrouillaient à double tour tandis que la jeune femme en était venue à chercher une auberge.

Qu'elle trouva grâce au tintamarre produit par une petite équipe d'olibrius occupés à se chamailler devant l'entrée. Vêtus de tenues estivales, comme des vacanciers, ceux-ci n'avaient visiblement pas atteint la station balnéaire prévue dans leur agenda, mais avaient tout de même réussi à trouver plus facilement un hôtel que ne l'avait fait l'agente en plus de deux heures de déambulations. Car leurs discussions prêtaient à penser qu'ils étaient désormais là depuis plusieurs bonnes heures eux aussi.

Rentrer, partir, quitter l'île était la clé du débat mais tandis que l'une prônait le départ immédiat à bord du premier chalutier venu, l'autre préconisait de voir ça le lendemain matin. Et un poulpe de venir ponctuer la conversation de curieux "Polop".

La scène avait quelque chose de comique qui vampirisa l'albinos sur place, l'obligeant à observer les touristes avec un regard vide, parfois interrogatif.

Jusqu'à ce qu'ils remarquassent enfin sa présence.
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Un gugusse vidé comme une carpe et elle a quasiment posé aucune question. Juste le blabla de routine histoire de marquer le coup. Pis après qu'elle ait eu des informations sommaires, elle parle d'aller causer à la veuve. En solitaire évidemment.
La suivre ? Hors de question. La filature à l'autre blondasse, ça doit la connaître. Pis, soyons honnêtes, j'ai pas le gabarit pour la suivre incognito.

Cette enquête, j'y tiens. Dans la mesure où j'ai plus ou moins une idée définie de qui est l'assassin, je préfère qu'elle s'en mêle pas, que ça reste mon affaire à moi seul. Des affaires de C.P comme ça, ça pourrait la dépasser.

Faut quand même que je la perde pas de vue, histoire de vérifier qu'elle furète pas où y faut pas. La veuve ? Elle peut aller jacter avec autant que ça lui plaît, mais y me semble qu'elle est au courant d'aucune affaire de son mari. Dans la meilleure configuration possible, elle sera même foutue de mettre Butterfly sur une fausse piste. Je demande pas mieux.

Fait déjà nuit. Je m'en rends compte avant tout parce que ça commence à frire du poisson partout dans le canyon plus qu'à cause du soleil qui se couche. L'enquêtrice a pas tenu à m'adresser la parole plus que ça tout à l'heure, on s'est très vite quittés après avoir inspecté l'entrepôt.

C'est pas très correct de forcer la porte d'une église. J'ai beau pas avoir la fibre bien religieuse, ça la fout mal. M'enfin un Vendredi soir, y'a rarement foule. Pis c'est pas par vice que je viens crocheter la serrure. Si ce n'est quelques appartements de luxe, y'a guère que le clocher qui soit assez haut perché pour avoir une bonne vue de toute la ville.  
Bordel... La cage d'escalier est tout juste assez épaisse pour que je m'y engouffre. Évidemment, les murs sont en pierre. Souvent dans les églises faut dire. C'est pas avec mon marcel que je vais me protéger du frottement. C'est que ça m'arrache de la peau rien qu'à force de m'y frotter. Qu'est-ce qui faut pas faire pour avoir une vue imprenable.

J'en ai chié pour arriver tout là-haut et d'autant plus pour pas péter ma longue vue. Pas le temps de soigner mes petits bobos, j'ai perdu Butterfly de vue depuis trop longtemps, faut que je la capte. Quand l'est partie, elle se dirigeait plutôt en périphérie. Me semble même qu'elle venait tout juste d'arriver à Poiscaille quand elle est venue enquêter. Pas de doute, à cette heure-ci elle doit chercher une piaule.

- Bâbord toute.

J'oriente la longue vue d'Est en Ouest sans la trouver. Ça a jamais été très gai l'ambiance par ici, mais avec la mort de l'autre ponte local, surtout vu les circonstances, personne sort quand la nuit commence à poindre. Faut dire qu'y s'est mis à pleuvoir en journée, ça prédispose pas aux sorties dans ce foutu bled.
Et si blondine sort pas, ça va être dur de la capter. Vingt-et-une auberge où aller roupiller dans le coin, je peux pas tout surveiller.

- Tiens... Ça s'agite d'côté d'l'auberge des Trois Grenouilles.

Qu'est-ce que c'est que ces zigotos qui gueulent ? J'ai peau savoir lire sur les lèvres, la lentille de ma longue vue est pas optimale, et fait plutôt sombre. Et pis qu'est-ce que ça peut me foutre ce qu'y disent ? Et qu'est-ce que ça peut foutre à l'autre blonde qui vient leur taper la causette aussi ?

- Nom de... B'tterfly ! J't'ai trouvée sale chienne !

L'est attirée par les engueulades de rue comme une mouche par du miel celle-là. Trop curieuse, ça lui jouera des tours. Là faut que je fasse gaffe à ce qu'ils se disent. Le petit avec son poulpe sur la tête parle trop vite. L'est comme excité ou fou furieux et sa rouquine est trop dans l'ombre pour que je vois ses lèvres. Si on ajoute à ça le fait que Butterfly est de dos, je bitte pas grand chose à la discussion.

- "V'cances".... "M'vais bateau".... "Pluie".... D'quoi y parlent les cons là ?

Manifestement, c'est pas des complices à la Butterfly, ça sent plutôt le touriste. Des touristes à Poiscaille ? Ouais, à moins d'aimer le hareng ou de s'être gouré de bateau, effectivement, ça me semble assez peu probable. Là je crois qu'y discutent de l'auberge.

- "Trop cher"....

D'après le contexte, y trouvent pas où crécher, et là où y'a une piaule de libre, c'est trop cher pour eux. Passionnant, juste... passionnant. Et pourquoi il est en bermuda l'autre ? Y doit bien faire en dessous de dix degrés. C'est des timbrés ces gens là. C'est le poulpe sur la tête qui m'a un peu mis sur la voie.
Et vas-y que ça papote trop vite. Jusqu'à ce qu'enfin, l'autre androgyne lâche le mot qui fâche.

- "Enquêteur" ?... L'a pas dit ça ?!

Concentre-toi Derrick. Oh putain voilà que je commence à suer. J'ai dû mal interpréter c'est pas possible autrement. Non, pas de doute, y l'ont répété plusieurs fois, même Butterfly a l'air étonnée. Ces deux manches, c'est des enquêteurs eux aussi. Oh la poisse, voilà qu'ils se multiplient les cons. Des renforts appelés par la borgne ? Non, elle aussi est surprise. Et pis elle s'est un peu tournée, j'arrive à la voir causer de profil.

- "Partager une chambre"... Oh ça sent pas bon c't histoire. Et ça vient pas juste d'poisson...

Et comment que ça sent pas bon. Voilà qu'elle vient de se choper des alliés qu'elle même n'espérait pas. Rien n'est joué, elle leur a peut-être pas encore parlé de l'enquête.
À qui je vais faire croire ça moi. Tout le monde dans le patelin parle que du meurtre là, et Butterfly est réputée partout comme étant une enquêtrice hors-pairs. L'autre en bermuda et sa rousse auront vite fait de faire le rapprochement.
Moi qui pensais être tranquille pour ce coup là, on a vite fait de se retrouver à quatre sur le même steack. Maintenant, y s'engouffrent dans l'auberge. Et cette manie qu'y z'ont tous dans cette ville à fermer tous les volets...
Au moins je sais où ils crèchent, c'est déjà ça de pris.


- Ah la vache !

Je gueule sans m'en rendre compte et je me bouche les oreilles. Voilà qu'on sonne les matines quand je suis juste à côté de la cloche. Je pense pas que ce soit raisonnable de crécher à l'église pour les espionner. Faudra que je trouve un autre moyen de les avoir à l'œil.
Ouais, le mieux, c'est de les capter demain matin, chez la veuve de l'autre quand Butterfly et ses petits congénères iront lui rendre visite. Si y doit y avoir un interrogatoire avec tout ce petit monde réuni, je tiens à en être. On en sait jamais trop.

Quelle galère.
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- Qu'est ce qu'elle nous veut l'albinos là-bas ? Glissa Myo à sa comparse.

- Pfff...Visiblement elle a l'air intrigué par notre accoutrement...Comme la plupart des passants.

- Les abrutis...Comment ce bateau a pu nous emmener ici plutôt qu'à Suna Land ?! C'est quoi cet endroit pourri ? Il fait gris, il fait froid, ça empeste le poisson partout...

- Bienvenue sur l'île de Poiscaille mon cher. Cette la plaque tournante du commerce de poisson et autres produits de la mer, donc c'est normal que ça empeste le poisson partout. Mis à part ça, y a rien de grandement intéressant sur cette île.

- Mais qu'est ce qu'on fait alors ? Nous faut un navire pour Suna Land !

- MONSIEUR ! MONSIEUR ! Fit une voix derrière eux.

En se retournant, Myo et Scarlett virent le capitaine du navire duquel ils venaient de débarquer, c'était un gros type avec des yeux tellement petits qu'on les voyait à peine sous ses gros sourcils broussailleux et grisonnants. Dans sa main droite, il tenait une bouée circulaire avec une tête de cygne. Myosotis ne pouvant pas nager à cause de la malédiction de son fruit du démon, il fallait bien qu'il trouve une combine pour pouvoir quand même profiter de la piscine de l'hôtel dans lequel ils étaient supposés séjourner. Le gros capitaine agitait la bouée de gauche à droite en affichant un sourire satisfait tandis que la moutarde remontait au nez de Myosotis...

- ALLEZ VOUS FAIRE FOUTRE !! Cria-t-il avant de lancer une aiguille de savon pour percer le cygne gonflable avant de tourner les talons.

Ils étaient dans une situation bien coquette, en regardant sur les docks, ils ne remarquaient pas d'autre navire susceptible de les transporter loin d'ici et les emmener à destination. Les navires de pêche s'alignaient les uns à côté des autres, des travailleurs à la carrure imposante déchargeaient des caisses remplies de poissons argentés tandis que d'autre mettaient de l'ordre dans leurs filets. Parfois, des petits crustacés qui avaient été emportés par les mailles s'empressaient de se ruer vers la mer avant d'être intercepté par un pêcheur. Les pauvres n'avaient pas envie de finir cuits pour le plus grand plaisir des gourmets de Poiscaille. De l'autre côté, plusieurs hangars frigorifiques qui servaient à entreposer les prises ramenées afin qu'elles soient conservées au frais puis acheminées sur les différents points de vente. Tout était parfaitement organisé pour que la main d’œuvre travaille rapidement, et que les produits soient mis à la disposition des clients le plus vite possible ! Une vraie fourmilière à échelle humaine.

- Qu'est ce qu'on fait maintenant ?

- Il faut qu'on se rhabille déjà, on va attraper froid...Il nous faut une chambre dans une auberge, en attendant de trouver un bateau pour Suna Land.

- Polop !

Ramsès pointait la jeune femme albinos qui, à quelques mètres d'eux, continuait de les regarder d'un air intrigué. Elle portait un cache-œil, Myosotis déglutit en se rappelant de mauvais souvenirs. Lui n'en avait plus, fort heureusement pour lui. Elle possédait une chevelure parfaitement immaculée, aussi blanche que la neige. Le jeune androgyne n'en avait jamais vu avec ce coloris, c'était pas franchement discret en tout cas. Histoire d'encore plus être vue, elle portait un manteau cramoisie par dessus sa tunique noire. Le reste de ses vêtements étaient noirs de toute façon, son pantalon de cuir ainsi que ses bottines.

- Elle continue de nous fixer...C'est quoi son problème ?

- Faut dire qu'on est pas en tenue appropriée...

- Il lui en faut peu pour être impressionnée ! Elle a jamais vu des gens en tenue de bain ?

- Huhu, avec son teint de lait, elle sûrement pas dû passer sa vie sur les plages...

- Ça lui ferait pas de mal pourtant, ça lui évitera d'avoir l'air d'un spectre ambulant. Allons la voir, elle se rendra utile au lieu de rester là à nous reluquer.

S'avançant vers la demoiselle, ils remarquèrent que celle dernière se raidit subrepticement, ne s'attendant pas à les voir engager le pas vers elle. Sa raideur ne dura qu'à peine deux secondes, se décontractant à nouveau en mettant ses mains dans ses poches et en les fixant s'approcher d'elle. Ramsès, le petit poulpe, retourna se réfugier dans le sac de Myosotis par peur d'être pris pour une prise de pêche. C'est que le petit n'avait pas pour projet d'être mangé ! Bien calé dans le sac, il allait se mettre à piquer un petit somme en attendant, laissant Myo et Scarlett faire ce qu'ils savaient faire de mieux : attirer l'attention.

- Pardon, vous nous fixez depuis tout à l'heure. On aimerait vous demander quelques petites choses.

-

- Hm, pas très loquace n'est ce pas darling ? Aucune importance, on aime pas les ronds de jambe de toute façon. Vous savez où on peut trouver un bateau pour Suna Land ?

- Aucune idée.

- Aucune idée ?

- Nan, aucune idée.

- Mais c'est pas possible d'entendre des conneries pareilles ?! Mais tout les habitants de ce patelin nauséabond seraient-ils tous des abrutis juste foutus à charrier des caissons ?

- Je me demande même pourquoi on s'embête à poser la question mon cher...Il est évident que cette fille n'a pas toute sa tête.

- ...

- Toute sa tête....évidemment qu'elle a pas toute sa tête ! Elle a passé son temps à nous dévisager avec un air ahuri, mais par contre quand on arrive y a plus personne. Rideau, on a plus la moindre idée de ce qui se passe !

- Ah ça...Entre le personnel du navire qui nous conduit au mauvais endroit, aucun passant qui daigne venir nous aider ou ne serait-ce nous demander ce qui ne va pas, et ceux qui n'ont aucune idée de quoi que ce soit, on est bien garnis !

- Bon ça suffit ! Je travaille, je suis ici pour une enquête, venez pas me gonfler avec vos états d'âme et fichez moi la paix !

L'inconnue en avait eu assez d'être prise entre deux feux, elle n'était aucunement responsable de leur frustration mais en faisait malheureusement les frais. Et dieu savait que lorsque Myo et Scarlett se mettaient à cracher leur venin, rien ne pouvait les arrêter ! Rien, sauf peut être l'odeur des berries...Elle avait prononcé le mot enquête, et ça n'était pas tombé dans l'oreille de deux sourds. Ils s'arrêtèrent de cancaner entre eux pour reposer leur regard sur l'albinos, visiblement enquêtrice.

- Une enquête vous avez dit... ?

- …., elle ne répondait pas mais ses pommettes prirent une teinte rosée que les deux agents remarquèrent immédiatement.

- Oui oui mon cher c'est ce qu'elle a dit. Vous apprendrez ma chère que nous sommes mon ami et moi des détectives privés.

- Parfaitement. Amusant que nous nous croisions...le hasard sans doute...Mais sur quoi porte votre enquête exactement ? Je n'ai pas entendu quoi que ce soit concernant Poiscaille.

- …. l'investigatrice ne répondait toujours pas, ses joues toujours légèrement roses.

- Poiscaille...Ah mais oui !

- Tu as entendu parler de quelque chose darling ?

- Dans le journal oui, ça parlait d'un meurtre.

- Un meurtre ! Oooh, intéressant, fit Myo en fixant leur interlocutrice. Contenez votre joie ma chère, nous allons-vous prêter main forte !

- Mais c'est à dire que j'ai pas forcément envie ni besoin d'ai...

- Haha ! Coupa Myo, mais oui, mais oui, c'est cela.

- Je vous assure que...

- Soyez pas timide, on mords pas. Vous pouvez nous accompagner à votre auberge maintenant histoire qu'on pose nos affaires avant qu'on se mette au travail.

- Oui oui, aller au boulot ! Déjà qu'on est arrivés au mauvais endroit, faut pas qu'on se mette à traîner non plus ! Vous vous appelez... ?

- Hhh....soupira-t-elle en comprenant que les deux excentriques ne faisaient que l'ignorer, Elizabeth Butterlfy.

- Charmant. Moi c'est Myosotis, et voici mon équipière Scarlett. Vous verrez, fit le jeune homme avec un sourire hautain et satisfait, on fera du bon boulot.

Voyant qu'elle devrait endurer ces deux loustics et que ces derniers n'en démordraient pas, Ms.Butterfly continuait de soupirer avant de se diriger à leurs côtés vers l'auberge qui se trouvait non loin d'eux, un genre de boui-boui pas franchement reluisant mais qui ferait tout de même l'affaire. Myosotis et Scarlett, de leur côté, étaient on ne pouvait plus satisfaits ! Se trouver une occupation aux crochets d'une tierce personne, le pied ! Finalement, ils les auraient leurs vacances !
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Une dizaine d'heures, environ.

En près de neuf heures, Annabella avait traversé un véritable périple : de sa mission qu'on lui avait lancée à la figure jusqu'à la rencontre avec le gros lard en passant par le voyage à bord d'un chalutier rempli à ras-bord de poisson. D'ailleurs, elle se questionnait sur la faisabilité de la chose : si le meurtre avait eu lieu la nuit précédente, comment pouvait-elle d'ores et déjà avoir reçu sa mission, s'être déplacée depuis Marie-Joie et enfin débuter l'enquête ? En soupesant cette question dans sa tête, elle avait haussé les épaules, impuissante devant l'efficacité du système du CP9 ou des mystères qui gouvernaient ce monde de barjots. Non, elle se trompait dans son calcul... oui, tout ça, ça ne faisait que huit heures au total.

Car il y avait bien une neuvième heure très récente qui s'était rajoutée à l'opération, tandis qu'elle avait fait la rencontre de deux olibrius qui, en plus de lui avoir fait perdre du temps, étaient désormais bien décidés à squatter son enquête.

Son enquête bon dieu de merde, c'était pas compliqué.

Derrick d'une part puis les deux zigotos qui l'avaient considérée comme une abrutie de l'autre, elle se sentait prise au piège dans un étau toujours plus serré, une merde inextricable dans laquelle elle s'était empêtrée par maladresse. Quelle idée avait-elle eu aussi de divulguer la raison de sa présence aux phénomènes qui l'avaient accompagnée dans l'auberge, hein ? Oui, car Annabella avait bien essayé de garder une longueur d'écart entre elle et eux, les inconnus revenaient systématiquement à la charge.

Apparemment ils lui auraient donnés leurs noms respectif mais concrètement elle s'en foutait, elle les avait donc simplement numérotés par les doux sobriquets de "Clampin un", "Clampin deux" et "Poulpe".

- Polop !

- Rappelez-moi pourquoi nous avons choisi de faire chambre commune, déjà ? soupira-t-elle, brusquement arrachée à ses pensées par le vol plané d'une chaussette au-dessus de son lit.

Ils ne répondirent pas. Ils ne répondaient jamais, à vrai dire. Ses instances, ses questions, ses répliques ne faisaient pas mouche pour peu qu'elles fussent un tantinet désobligeantes ou bien exprimassent sa frustration. L'agente, qui avait pourtant pour habitude d'être le centre de l'attention sous sa couverture d'enquêtrice, fulminait désormais.

Ils n'avaient visiblement aucune idée de la personne à qui ils avaient à faire.

Cependant ses joues avaient déjà assez rougi comme ça pour devoir en rajouter une couche : comme deux vieux amis embourbés dans leurs conversations privées, les deux clampins n'étaient pas ouverts à la discussion sur le moment. L'une évoquait désormais ses problèmes de garde-robe et de climat, l'autre parlait loisirs et passe-temps : ce qu'on pouvait bien faire sur cette île, à Poiscaille, à part pêcher le poisson, dis donc ?

Elle tourna sur elle-même en essayant de faire abstraction de leurs voix et de leurs rires qui monopolisaient la pièce, comme si la journée n'avait pas été assez difficile comme cela. Mais comme le calme ne revenait visiblement pas, l'agente s'autorisa un petit écart, minime, que ses deux compagnons ne virent probablement pas. L'index et le pouce légèrement sortis de sous la couette, elle compressa l'air entre ses deux doigts d'une pichenette et envoya son projectile invisible dans la lanterne sur la table de chevet séparant les deux lits voisins.

Celle-ci éclata et s'éteignit, provoquant l'exclamation de Clampin deux et un léger cri de Clampin un. Le poulpe, lui, ne put qu'exprimer un pitoyable "polop" de frayeur. Ce sur quoi l'albinos conclut enfin, emmitouflée sous son paquet de draps sentant la sempiternelle odeur de poisson :

- On dort.

Ou l'équivalent d'un "bonne nuit" chez une personne un brin plus sociable.

***

Se lever aux aurores semblait une bonne idée à la base. L'occasion de prendre une douche avec de l'eau chaude, d'essayer de se débarrasser de cette odeur de poisson entêtante, voire même de se badigeonner de savon. Et surtout de fausser compagnie aux touristes et à leur animal de compagnie. Pourtant, quand la belle au bois dormant sortit de son lit, elle eut la mauvaise surprise de trouver les deux gugusses d'ores et déjà réveillés, lavés et habillés, prêts à aller interroger leurs premiers témoins : c'étaient là les mots exacts qu'ils avaient utilisés.

L'agente se serait contentée d'un simple "bonjour", auquel elle n'aurait pas répondu dans tous les cas.

La douche, froide de fait, puisqu'elle était la dernière à y passer, ne lui apporta pas autant de sérénité qu'elle l'aurait cru. Tout d'abord car il y avait une surabondance de savon, comme si quelqu'un s'était amusé à en mettre même sur les murs et sur le plafond. Comme si l'on avait essayé de nettoyer la salle de bain avec. Mais aussi car elle n'eut pas le loisir d'en profiter longuement avant de découvrir la présence d'un tentacule bien dissimulé sous un petit nuage blanc, dans un coin de la pièce.

Elle ne tarda que quelques minutes supplémentaires après avoir éjecté l'animal à grand coup de pied au derche. Côté positif : au moins elle ne sentait plus le thon, ce qui redorait légèrement son amour propre et lui éclaircissait les idées.

Sans un mot, toujours, elle s'engagea alors en dehors de la chambre, supplée par ses deux bruyants adjudants qui la suivaient en file indienne1. Dans le couloir, dans les escaliers, entre les tables de la taverne au rez-de-chaussée jusqu'au seuil de la porte d'entrée. Où un visage familier2 vint les rejoindre, les accueillir même, d'un sourire qui voulait dire ce qu'il voulait dire : qui sont ces deux là ? Mais à la place, l'obèse préféra considérer uniquement sa partenaire, à son plus grand soulagement.

Il ne fallait pas trop sortir les deux zigotos et demi du décors dans lequel elle les avait plongés, elle n'était pas sûre de pouvoir maîtriser la situation si ça devait dégénérer.

- Ah B'tterfly, j'pensais bien vous trouver ici ! M'suis dis qu'ça s'rait pas con d'vous attendre au pied l'vé pour aller interroger l'bonne femme d'Ugon... ensemble.

Et décidément, Anna ne s'était pas levée assez tôt.

1. Ainsi que leur poulpe, au déplacement plus aléatoire et donc moins propice au terme de "file indienne".
2. L'inspecteur Derrick dont le faciès ne choqua pas autant la jeune femme que la première fois qu'elle le vit mais les restes de repas dans les commissures de sa bouche, si.
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Le froid nocturne ? M'en faut plus pour m'accabler. Y'a bien l'absence de sommeil qui indispose en principe, mais rien que le café ne puisse endiguer sur le court terme. Ouais, j'ai pas fermé l'œil de la nuit. L'œil d'ailleurs, je l'ai gardé grand ouvert. Les deux même tant que j'y étais.
Pu question de perchoir maintenant que je savais où créchait Butterfly. La nuit durant, j'ai pas manqué de me loger dans une ruelle sombre adjacente à celle de l'auberge.
Pour la filature, j'ai encore quelques notions de patience à faire valoir. De toute manière je peux pas me permettre de baisser ma garde si je veux conserver un pied dans cette affaire.

De bon matin les premières lampes à pétrole se mettent à scintiller derrière les volets. C'est eux, j'en suis sûr. L'est jamais trop tôt pour me couper l'herbe sous le pied. J'ai bien senti que la blondinette avait pas trop envie de m'avoir dans les pattes, l'habitude d'enquêter en solitaire sûrement. Eh bah elle va changer ses habitudes mademoiselle Butterfly.

C'est que ce froid m'a un peu engourdi les articulations, sans le trop-plein de graisse pour me tenir chaud, j'aurais pas mal morflé cette nuit. Ouais, faut se bouger. Histoire de l'attendre au pas de la porte quand elle sortira, ça fait toujours son petit effet de montrer qu'on a une longueur d'avance. Là au moins, elle devrait piger qu'on peut pas se débarrasser de moi quand j'ai une idée en tête.

- Eh bah, on dit pas b'jour ?

Bah non, elle dit pas bonjour. J'ai droit à un regard noir. Tant mieux, ça prouve qu'elle a compris qu'à moi on la fait pas à l'envers. En revanche, pour l'enquête en binôme, faudra repasser, y'a toute la compagnie qui sort de son ombre.
Je les montre d'un signe du menton.

- D'collègues à vous ?

On dirait qu'elle sait pu où se mettre.

- C'est plus compliqué que ça...

- Myosotis !

- Scarlett !

- Enchantés ! On est en vacances, mais puisque mademoiselle Butterfly a demandé notre aide pour cette enquête, on s'est gentiment proposés. Ça nous faisait plaisir.

Y'a la blondasse qui fait "non" de la tête quand l'autre avorton dit qu'elle a demandé après eux. Je veux bien la croire. Des emmerdeurs qui sautillent partout dès le matin, je vois pas qui voudrait ça pour son enquête.
Mais du moment que ça la gêne, c'est bon à prendre. Au moins, c'est pas des alliés à elle, ça m'ôte une épine du cul. Avec un peu de chance, y seront assez manchots pour saloper l'enquête.

- Et vous êtes ?

Machinalement je sers la paluche qu'y me tend.

- Ouais, j'suis.

Hop, une petite blagounette, ça me donne un air sympa et ça me permet d'éluder. Z'ont pas l'air de comprendre, je le vois à leurs grands yeux vides. Moi ça me fait soupirer les gens aussi lents d'esprit, j'y peux rien.
Autant passer à autre chose. Plus tôt on s'y mettra, plus tôt on en aura fini avec cette histoire de meurtre à la con.

- Allez ! Allons battr' l'veuve tant qu'l'est encore chaude !

Là encore, personne rigole. Mes copains du temps de la marine d'élite ça les aurait fait rire gras. Au moins eux z'avaient un sens de l'humour, et pis y me faisaient pas chier surtout. L'élite me manque.
En fait non, elle me manque pas. Ça devenait de plus en plus tendu leurs affaires, tôt ou tard, j'aurais fini par crever dans l'exercice de mes fonctions. M'enfin, des pépins comme j'en ai avec les intrigues du Cipher Pol, c'est aussi pas mal gratiné dans le genre.

- Patty Ugon sera interrogée plus tard. Il faut d'abord recueillir les témoignages des personnes qui étaient à proximité du hangar.

- Sans parler de toutes ses connaissances.

- Un entrepreneur aussi influent que lui, il devait avoir des ennemis.

- Polop !

Merde. Voilà qu'y se mettent à quatre, enfin non, à trois, pour me les briser. Les deux autres ont l'air d'à peu près savoir ce qu'y faut faire pour des enquêtes de ce genre. On va se disperser je le sens.

- Sépar....

- 'ttendez une m'nute.

Butterfly a bien pigé comment se servir des deux zigotos comme alibi pour qu'on se sépare, histoire qu'elle puisse mener son enquête de son côté pendant qu'elle nous envoie chier avec le grouillot pour qu'on vienne pas la gêner. Seulement à moi, on la fait pas.

- L'boulot là, l'est d'jà fait. Tous l'rapports d'témoignage sont à l'garnison locale. J'donné des directives au Sergent d'la d'rnière fois. Ses hommes ont d'jà r'cueilli les informations d'tous les z'habitants d'la rue du hangar.

- Et ses concurrents, qu'est-ce que vous en faites ?

Petit impertinent à la mord-moi-le-nœud, t'espère me faire passer pour une quiche ? L'autre borgne a l'air d'abonder en son sens, elle cherche la moindre faille pour se débarrasser de moi et des deux autres.

- Pareil. Soy Laine T. Grine Comp'ny, Pêchi-Pêcha, Mérou va le monde, l'trois plus gros concurrents d'Ugon ont eu droit à l'interr'gatoire d'rigueur. Eux, et leurs z'employés. Pareil p'r ses c'llabor'teurs. Pas un oubli dans l'tas. M'suis assuré que l'sergent m'appelle quand y z'auraient tout r'cueilli. D'après eux, rien d'concluant, mais on peut aller v'rifier en p'rsonne.
Tous les quatre...


- Polop.

- Tous les cinq !

Longtemps que j'ai pas fait de brochettes de poulpe. Mais à bien y réfléchir, je préférerais encore faire cuire l'autre androgyne à la broche. Ouais, je préfère encore la paix de l'esprit à un repas complet.
Butterfly est imperturbable, elle reste là, froide à rien dire. Ça cogite en dedans, sûrement qu'elle cherche un autre moyen pour que je touche pas à "son" enquête.

- Le sergent hein...

- Ouais, v'l'avez vu hier sur l'scène de cri....

- Et... Par simple curiosité. Pourquoi un sergent de la marine régulière obéirait à vos injonctions ?

Me regardent tous. Avec la gueule que je dois tirer, j'ai sûrement à peine l'air suspect. C'est vrai que la blondasse et moi on a pas trop fait connaissance. Faut dire que je bosse jamais sous couverture et que je cache pas trop qui paie mon salaire d'habitude, ça permet d'avoir la confiance de partenaires éventuels pour garnir les caisses du G.M. Mais là, l'autre avec son œil affûté, j'ai pas trop envie qu'elle s'approche de trop près de mon curriculum vitae.

- J'jamais dit qu'j'avais filé d'ordre...

- Vous avez dit "directives".

C'est bien ma veine, voilà que ces fumiers ont une mémoire de damnés. Faut éclaircir le malentendu.

- D'ccord, d'ccord... V'vous imaginez bien qu'le gouvern'ment mondial v'pas v'laisser enquêter sur une mort aussi s'rieuse sans qu'y ait un contrôle derrière. Aussi simpl' qu'ça.

Le prétexte est simple ouais, pis pertinent surtout. Personne devrait trouver à redire à ça. Je m'en assure en les regardant chacun dans les yeux. Butterfly a pas battu un cil. Elle m'énerve à être calme comme ça, j'arrive pas à savoir ce qu'elle pense.

- Vous êtes de la marine alors ?

La question est aussi simple que mon prétexte, et plus efficace encore.

- Je suis du gouvern'ment mondial...

Si l'est pas trop conne, elle devrait piger les sous-titres, savoir grosso-merdo pour qui je bosse. Peut-être qu'en se disant qu'y a un C.P qui les chapeaute, elle posera moins de questions.
Ou qu'elle en posera encore plus en fait... Un C.P dans une affaire de meurtre, c'est suspect en soi. Tiens, les deux autres sont plus sérieux eux aussi. On dirait qu'y savent lire les sous-titres aussi. Tant mieux, comme ça tout le monde sait à quoi s'en tenir.

- Et quel bureau on peut appeler pour contacter votre supérieur et discuter de l'enquête ?

D'accord.
D'accord, d'accord, d'accord.

Y'a une ligne dans mon esprit. Une sorte de barre que seuls de très rares athlètes peuvent franchir en sautant assez haut. Le genre d'athlètes si performants, si bons, qu'y z'en deviennent dangereux pour moi. Cette foutue ligne, c'est la ligne rouge. Certains appellent ça le point de non retour.
Bah cette ligne, y viennent de sauter par-dessus à l'instant. Faut jamais poser trop de questions. Moi je le fais pas en tout cas. C'est comme ça que j'ai vécu aussi longtemps.

- J'pas filer c'genre d'info à un c'vil.

Sont tous plus méfiants à mon égard maintenant.
La blonde reste stoïque, mais je sais qu'elle en pense pas moins.

- Dans ce cas, si la régulière a fait tout le travail, allons voir Patty Ugon. Elle aura sûrement des choses à nous dire.

- Faisons ça...

Personne ne le dit, mais tout le monde le sait. C'est plus une enquête qu'on mène ; c'est une guerre froide pour une vérité qui dérange.
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- Fufufu....Mais dis donc, on avait presque failli pas vous reconnaître !

- Hm ?

- En effet, une enquêtrice qui s'appelle Butterfly...J'en connais pas deux ! Petite cachottière, vous auriez pu nous dire que vous étiez une star !

- Tss...Et vous auriez pu vous même...

- T-t-ttt ! On nous la fait pas à nous, vous aviez cru passer inaperçue hein ! Mais vous devriez pas garder cet air ahuri, ça vous trahi, on vous reconnaît pas tellement.

- Vous en faites pas, c'est pas grave. On saura rester professionnels même avec une enquêtrice performante comme vous.

- Oui oui, vous verrez.

- Pff.... soupira l'intéressée accablée par l'agacement.

Miss Butterfly avait accéléré le pas pour devancer l'infernal duo ainsi que l'imposant personnage qui les avait rejoint. Myosotis comme Scarlett l'avaient trouvé immédiatement repoussant, et les deux rivalisaient d'ingéniosité pour lui donner des qualificatifs peu mélioratifs. Le premier l'avait qualifié de masse informe tandis que la seconde n'osait poser les yeux sur lui de peur de déglutir. Ramsès, apeuré, restait parfaitement à l'abri dans le sac de l'androgyne. Il avait bien trop peur de se faire croquer par ce gros type qui n'avait même pas prit la peine de donner son nom. Un calembours qu'il avait fait à la place ! Et en plus de ça il parlait en mâchant ses mots, en même temps entre tout ces plis de graisses ça devait être compliqué d'articuler ne serait-ce qu'une phrase...Ses lèvres étaient sûrement confites à l'heure qu'il était...Son crâne luisant brillait au soleil et les billes noires qui lui servaient d'yeux scrutaient avidement les alentours en quête d'une quelconque pitance à se mettre sous la main. Décidément, ce type ne leur disait rien qui vaille, mais ils feraient avec pour les besoins de l'enquête s'il le fallait.

- Mon dieu, darling...Comment est-ce qu'il arrive à se déplacer ? Je savais même pas ça possible d'être aussi gros... chuchotait Myo aux oreilles de son amie.

- Va savoir, j'irai pas lui demander. Je suis certaine que son haleine empeste l'alcool bon marché et la sauce au fromage...

- Polop... fit le poulpe en signe d'acquiescement.

Le petit groupe s'était arrêté face à une bâtisse plutôt vétuste, à colombages, avec plusieurs gerbes de géranium roses et bleutées disposées sur les fenêtres afin de la rendre plus accueillante. Le jardin était cependant plutôt triste. Bien qu'entretenu, il n'y avait pas vraiment de fleurs afin de le colorer et de l'égayer. Un arbuste peinait à pousser au milieu de la pelouse parfaitement taillée, à côté de quelques buissons de bruyère. Le climat de Poiscaille qui ne laissait probablement pas grand chose d'autre pousser librement.

- Nous v'là arrivés. C'là qu'vit Patty Ugon.

- Qu'est ce que c'est laid...Bon, allons-y.

Frappant à la porte, ils furent très vite accueillis par petite dame bouffie au visage de poupon. Elle était vêtue d'un tablier par dessus sa robe grise et coiffée d'un petit turban blanc qui lui cachait les cheveux, c'était la bonne de la maison et ils l'avaient visiblement interrompu en plein travail étant donné qu'elle tenait nigaudement un plumeau entre ses mains. Elle n'était pas bien jouasse, son patron avait passé l'arme à gauche, il était évident qu'elle craignait pour son travail...Mais elle accepta néanmoins de les emmener à sa maîtresse. Ils traversèrent l'antichambre et furent menés dans un petit salon décoré d'un divan, un clavecin, une petite table ainsi qu'une bibliothèque. Assise sur le divan, Patty Ugon était en pleine réflexion face à plusieurs paperasses. Une paire de lunettes en demie-une posée sur son nez, elle leva à peine le regard lorsque les visiteurs arrivèrent dans le salon.

- Et bien Martha, vous n'annoncez pas nos visiteurs ? Fit-elle, à peine intéressée par ceux qui foulaient le parquet de son salon.

- Euh...oui madame, ces messieurs-dames sont là pour vous voir au sujet de...et bien...

- Je vois. Fichez le camp Martha.

- Bien madame...

Patricia « Patty » Ugon,  psychothérapeute pour enfants et visiblement une grande emmerdeuse en puissance. Elle n'avait même pas pris la peine de lever ses yeux de ses papiers. Fière et impérieuse, elle savait pertinemment qui étaient ces gens et pourquoi ils étaient ici. Il fallait le voir pour le croire...Ses cheveux noir d'ébène noués par un ruban de soie blanche lui retombaient dans le dos. Veuve, elle était contrainte de porter du noir, protocole oblige. Ses longs doigts osseux tenaient le papier comme un aigle tient une souris. Elle semblait jeune, aussi jeune qu'Elizabeth et tout aussi éclairée. N'invitant pas le groupe à s'asseoir, elle restait là minauder en lisant le parchemin.

- Bien. Vous êtes venus admirer mon salon ou vous allez enfin entamer la conversation ?

- Madame Ugon, nous sommes là pour vous questionner au sujet de votre défunt époux.

- Je me doute bien. Vous n'êtes pas de la famille donc je doute que ça soit une visite de courtoisie. Et je suppose que vous n'êtes pas là pour une thérapie pour le jeune homme ? Rétorqua-t-elle en pointant Myo du menton.

- Hé mais... !

*La connasse.. ! Elle est exactement comme maman...et c'est déjà haut sur l'échelle de la saloperie... *

- V'zavez pas l'air bien chamboulée par l'décès d'votre mari... remarqua le graisseux.

- Devrais-je l'être ? Mon mari n'était qu'un imbécile. Si je n'étais pas là pour m'occuper des ristournes et négoces en arrière boutique, il n'aurait jamais eu la position qu'il avait.

- Le tacticien en coulisses en somme.

- Exactement. Ça vous pose un problème ?

- Pas vraiment, fit Scarlett. Votre mari avait-il des ennemis ? Vous devriez le savoir vu que vous mêliez votre nez dans ses affaires.

- Je suis spécialisée en psychologie infantile, je menais mon mari à la baguette. Je suis certainement sa plus grande ennemie. Fit-elle en reposant enfin son bout de papier.

- C'est à dire... ?

- Bort n'était rien d'autre qu'un grand enfant, toujours à s'émerveiller d'un rien. L'influencer pour ses décisions commerciales était aisé. Il me reprochait toujours de me prendre pour sa mère. Mais j'ai toujours sû parfaitement ce qui est mieux pour son business...

- Alors vous jouiez les conseillers financiers histoire de parfaire votre train de vie....

- Tout juste. Mais je ne suis pas responsable de la mort de mon mari. Non, ce soir là, j'étais avec plusieurs amies au théâtre de la ville. Vous n'avez qu'à leur demander, et j'ai encore les billets de la soirée.

- Et vous avez d'autres noms en tête ? Des adversaires commerciaux peut être ?

- Des adversaires commerciaux ? Vous rigolez j'espère...Il n'y a que ça sur Poiscaille des adversaires commerciaux ! C'est ici que le commerce du poisson est le plus important, sur cette île il n'y a pas d'allié qui tienne. C'est chacun pour soi.

- Donc n'importe lequel d'entre eux aurait pu en vouloir à votre époux....

- En effet. Écoutez, je n'ai pas toute la journée et j'aimerais reprendre mes activités. J'ai beaucoup à faire maintenant. Martha vous raccompagnera.

La gouvernante réapparu aussitôt après que le groupe salua la maîtresse de maisons. Ils n'avaient pas vraiment appris grand chose et un monceau de travail se dressait devant eux. Aller s'enquérir des témoignages de tout les commerçants de la trempe de Bort Ugon dans la ville, ça prendrait un temps fou, et il n'avaient pas toute l'année face à eux...

- Psst... !

C'était Martha, elle les avait laissé sortir mais n'avait pas fermé la porte. Se précipitant vers eux en dévalant les trois marches du porche.

- Messieurs-dames, attendez ! Madame ne vous a pas vraiment tout dit...

- Que voulez-vous dire ?

- Elle nous aurait menti ?! Quelle garce...

- Oh non pas menti mon bon monsieur. Elle vous a caché quelque chose.

- Allez-y dites nous.

- La veille de la mort de monsieur Ugon, il s'est disputé avec un autre homme à la maison. Madame était absente, mais moi j'étais là ! J'ai tout entendu !

- La bonne qui écoute aux portes...un grand classique. J'adore ! Qui était cet homme, de quoi parlaient ils ?

- Je l'ai déjà vu plusieurs fois, il s'appelle Armand Motière. C'est le propriétaire d'une galerie d'arts, près des docks. Et...C'était l'amant de Madame !

Patty Ugon, la harpie castratrice et méprisante qu'ils venaient de visiter avait un amant ! Myosotis et Scarlett ne purent retenir un petit rire narquois, ils tenaient à présent une piste intéressante. Et si le meurtre de Bort Ugon n'était que le résultat d'un triangle amoureux ? En tout cas, ils avaient leur prochaine étape.
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Armand...
Je l'avais oublié celui-là. C'est pas le fait qui tringle la rombière du père Ugon qui me dérange, c'est la nature d'autres liens qui m'emmerdent passablement. Y'a fort à parier que leur engueulade était plus motivée par le pognon que l'entre-cuisse de madame.

Voilà qu'on déambule dans la rue, côte à côte, tous les quatre. Y'en a pas un qui pipe mot. Ma main au feu que ce sera le petit con qui l'ouvrira le premier, y peut jamais s'en empêcher.

- Vous êtes sûrs que c'est par là les docks ?

Bingo. À qui y parle au fait ? Personne a vraiment trop décidé d'une direction faut dire, on marche sans trop savoir où on va. En fait moi je suis Butterfly, et les deux autres nous suivent par défaut. Ah bah ça... C'est l'autre blondasse qui mène la marche en fait !

- À cette heure-ci, son commerce ne doit pas être ouvert. Je vais faire un tour du côté de la garnison pour éplucher les témoignages.

Tout arrive. Moi qui m'imaginais qu'on partait déjà cuisiner Motière, voilà qu'elle me surprend une fois de plus en me prenant à revers. C'est qu'elle deviendrait raisonnable mademoiselle Butterfly. Trop raisonnable même.
Son côté "je compte pas me plonger corps et âme dans l'enquête", j'achète pas. Là c'est clair, entre elle et moi, le divorce est carrément amorcé, l'a si peu confiance en moi qu'elle compte sûrement m'avoir à l'usure et se réserver l'interrogatoire d'Armand pour elle seule.

En continuant à marcher, je lève un peu la tête vers le ciel. Même sous les nuages, ça fait du bien deux, trois rayons de soleil sur la trogne, surtout après la nuit blanche que j'ai passé, j'en ai besoin. Si j'étais à la place de cette pute borgne, je me contenterais d'être patient, je ralentirais le rythme de l'enquête jusqu'à ce que l'autre décroche ne serait-ce qu'un instant, et là j'en profiterais pour prendre les rênes de l'enquête en solo.

La Butterfly, elle a une nuit de sommeil d'avance sur moi. Une guerre d'usure, je suis sûr de paumer. Va falloir que je me montre imprudent et que je joue le tout pour le tout.

- D'témoignages hein ?

J'hausse les épaules.

- J'pense plutôt que j'vais aller grailler un morceau avant d'vous r'joindre. M'avez pas laissé l'temps d'prendre un p'tit déj', faut que j'rattrape l'temps perdu.

Personne répond. Y regardent tous droit devant eux en continuant d'avancer au même rythme. Mon histoire, personne y croit une putain de minute. Y savent tous autant qu'y sont que je vais pointer direct chez l'ami Motière. J'ai bien deux mots à lui dire à celui-là, et j'ai bien l'intention que ça se fasse entre quatre yeux, pas un de plus.

- À tout à l'heure alors !

Qu'y me dit l'autre tout guilleret. J'ai bien pigé que le côté candide, ça reste une façade. Entre la blonde et moi, il a choisi son camp pour savoir qui suivre pendant l'enquête, c'est du trois contre un cette histoire. Et voilà que je me détache de la petite trouve pour me diriger vers l'Ouest.
Les docks sont à l'Est je sais bien, mais faut au moins que je fasse mine de pas me ruer là-bas. Dès l'instant où je m'engouffre dans une rue adjacente, je les entend déjà qui tracent. Ouais, pas de doute, y z'y ont pas cru à mon histoire de petit déjeuner. J'ai pourtant trois-cent kilos de barbaque pour appuyer mon argumentaire, mais malgré ça, y se sont dit qu'y avait un autre motif derrière mon départ subit du groupe.

- Z'arriv'ront à sa boutique avant moi, y'a pas d'doute...

J'aime autant pas. Lui doit avoir des trucs intéressants à cracher, et je préfère être le seul à recueillir les postillons. Là je me palpe un peu le derrière. L'ennui avec des futals aussi larges, c'est que c'est chiant de fouiller jusqu'au fond des poches arrières. Ah ! Voilà mon Graal.

- Mais rien n'sert d'courir... Le tout c'est d'avoir une longueur d'avance.

Mon Graal, c'est un bête escargophone. Ma longueur d'avance, c'est que je connais déjà ce brave Armand, lui, et surtout ses références escargophoniques. Faut me croire, je me prive pas de l'appeler en vitesse.

- Allo Allooooo ? ♪

- J't'assure qu'quand j'vais t'dire c'qui vient chez toi tu vas êt' beaucoup moins enjoué !

- O...Oletto ? Je pensais que t'avais quitté l'île !

C'est bien ce que j'aurais fait s'y z'avaient pas envoyé cette chieuse à moitié aveugle. Qu'est-ce que je donnerais pas pour quitter Poiscaille. On a beau aimer grailler de la sardine, on se lasse vite de l'odeur, surtout celle des enquêteurs suspicieux.

- C'que tu penses j'm'en fous. Qu'tu sois à ta b'tique ou chez toi, j'm'en fous aussi. Où qu'tu sois, sors en vitesse et r'joins moi sur la côté au Sud, à la sortie d'la forêt.

- Mais... Pourquoi ? Qu'est-ce qui se passe ?

Niveau vivacité d'esprit, j'ai connu mieux.

- Y s'passe qu'y a un trio d'enquêteurs à l'con qui vient pour t'poser des questions. Et pas des amateurs. Alors tu t'grouilles de m'rejoindre et tu détruis ton p'tain d'escargophone avant d'partir.

Y répond pas. L'a les miquettes ce con. Y savait pourtant dans quoi y s'était embarqué en s'acoquinant avec Ugon et moi y'a quelques jours. Et surtout après le meurtre...

- Je... Je... J'arrive.

Conversation terminée, j'écrase mon escargophone dans ma pogne. Mieux vaut effacer toutes les traces qui me relient à lui et par extension à Ugon. Maintenant que les trois autres zigotos vont perdre sa trace, ça me laisse le temps de mener la danse. J'ai une balade en forêt qui m'attend.


***



Enfin j'entends des bruits de pas. Une heure que j'attends. Cette foutue côte est pourtant pas bien étendue, faut vraiment être empoté pour pas trouver un gaillard avec ma silhouette en deux temps trois mouvements.

- Par là !

Y se guide à ma voix et y me retrouve. L'est tout penaud le pauvre. Pâle comme pas possible, limite grelottant. Sous son imper qui tient fermé à la force ses mains, j'arrive facilement à voir le mousquet qu'il a pris avec lui. Pauvre vieux, c'est qu'y me faciliterait presque la tâche.

- Merde Oletto... Tu m'avais jamais dit que ça arriverait ! Tu te rends compte de ce que je risque avec tes conneries ? Tu peux être sûr que si je finis devant un tribunal, je.. je manquerais pas de dire à quel point le G.M est impliqué dans l'affaire ! Ça tu peux en être sûr !

Un tribunal ? Putain, j'en rirais presque si j'étais pas aussi crevé. L'a pas l'air d'avoir très bien compris pourquoi je lui ai demandé de me rejoindre dans un endroit aussi à l'écart. Nan, pour lui, y'aura pas de tribunal, il en sait trop et ses menaces ne le mèneront nulle part sauf dans la tombe.

Je lève le nez et d'un coup je regarde vers la forêt. C'était à peine perceptible, mais y'a eu un bruit de branche craquée. Ça pourrait être un animal. Ouais... Ça pourrait...

- Dis-voir Motière... T'sûr qu't'as pas été suivi ?
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Il était visiblement inutile de faire durer la comédie plus longtemps.

Les trois agents n'avaient clairement pu se résoudre à laisser partir le mystérieux inspecteur Derrick pour une raison aussi pauvre. Non, depuis le début les trois gusses cherchaient à se tirer la couverture sur une enquête qui n'était pas exactement la leur et Anna sentait bien que certains plus que d'autres avaient besoin de reconnaissance. Le fuyard avait prétexté être du gouvernement mondial mais l'agente n'en croyait pas un mot. Il semblait évident que le bonhomme avait besoin de se faire une place et n'avait pas trouvé mieux pour briller. L'énigmatique Cipher Pol, une carte que les badauds s'arrachaient aisément quand il s'agissait de se sortir d'une embrouille. On ne le faisait pas à la blonde, ça non.

Un véritable agent n'aurait jamais dévoilé sa couverture.

Ainsi s'était elle mise en route vers la boutique du certain Armant avec ses deux complices, tâchant de combler la distance prétendue entre sa fine équipe et le gros lard qu'elle imaginait en train de la leur faire à l'envers. Qui devait courir étonnement vite malgré son surpoids puisqu'il avait fait preuve d'une agilité exemplaire pour leur échapper. A moins qu'elle se fusse trompée et qu'il eusse pris une autre direction. En attendant, les trois enquêteurs fonçaient à perdre haleine.

De toute manière, elle n'avait jamais véritablement eu l'envie d'interroger la garnison pour trouver quoi que ce fusse, mis à part percer la véritable identité de l'énergumène qui venait de disparaître quelques instants plus tôt. Elle ne pouvait pas prendre le risque de se trimballer un civil, un mythomane ou encore pire, un éventuel complice surveillant leurs moindres faits et gestes.

Leur arrivée à la boutique s'était manifestée par une porte close et verrouillée. Aucune trace de l'obèse, donc. Toutefois le Haki de l'Empathie ne mentait jamais sur la présence d'une silhouette en train d'escalader le rebord de sa fenêtre, de l'autre côté du bâtiment. Le propriétaire de la galerie d'art s'enfuyait. Elle fut tentée de laisser ses deux compagnons en plan mais ne trouva pas le temps de se répandre en explications défaitistes et prit directement le train en marche : l'individu s'échappait et plutôt que de l'interpeller bêtement comme l'auraient peut-être fait les deux corniauds qui lui battaient les flancs, il était plus pertinent de le suivre.

Ce fut ainsi que la fine équipe arriva à proximité d'une plage, à quelques kilomètres de la ville. Soigneusement camouflés derrière des fourrés, ils avaient visiblement fini par remonter la trace de leur proie et n'avaient désormais qu'à ouvrir les yeux et les esgourdes pour capter la discussion que celui-ci entretenait à présent avec... Derrick. Tandis qu'elle prêtait donc une oreille attentive à la situation en train de se dérouler du côté des fugitifs, elle fit signe à ses deux comparses de ne faire aucun bruit d'un index vigilant posé sur les lèvres.

Au même moment, le jeune androgyne se déplaça légèrement et posa l'un de ses pieds maladroits sur une branche sèche et cassante.

Crac.

Anna fusilla l'apprenti enquêteur du regard puis soupira. Tout se passa alors incroyablement vite.

La jeune femme sortit des fourrés, revolver à la main, prête à tirer, tandis que les deux autres venaient à sa suite. L'une tenant son arme à feu elle aussi, l'autre son... poulpe.

- Polop !!

- Vous deux, mettez vos mains où je peux les voir. Je le répéterai pas deux fois.

Le gros affichait un visage morne, neutre, mais ne tenta rien de stupide. Désormais c'était sûr, il avait définitivement quelque chose à voir avec toute cette histoire et sa présence n'était pas anodine. "Sois proche de tes amis mais encore plus de tes ennemis" pensa l'enquêtrice. L'autre, au contraire, semblait instable, tremblotant, la main dissimulée sous son imperméable. Son regard fuyant trahissait son esprit faible partagé entre la raison et la témérité. Ce fut finalement l'audace qui l'emporta.

Et avant même que le manche de son mousquet n'apparusse en dehors de sa veste, le coup donné par le colt de l'agente retentit. Puis son corps chuta.

Bien qu'Anna eusse visé l'épaule au départ, quelque chose semblait avoir dévié la balle de sa trajectoire. Celle-ci avait finalement terminé sa course dans la trachée du pauvre homme qui ne mit que quelques secondes supplémentaires à agoniser sous le regard non pas horrifié mais intrigué, légèrement désolé, de son comparse.

Le canon enfumé pivota alors dans la direction de ce-dernier.

- Si tu veux pas finir comme ton copain, t'as intérêt à faire tout ce qu'on te dit. Clamp... Monsieur De Ville, pouvez-vous saisir l'inspecteur Derrick ?
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Le corps d'Armand Motière gisait au sol, abattu d'une balle en pleine poitrine par l'inspectrice Butterfly, il était tombé en arrière et avait gesticulé quelques instants avant de lâcher son dernier soupir. Ses yeux vitreux et inexpressifs, il regardait en direction des chaussures de l'inspecteur Derrick tandis que son hémoglobine continuait de coaguler hors de sa trachée percée par le projectile de fer. Myosotis et Scarlett connaissaient à présent le nom du gros type qui les suivait depuis le début de cette enquête, Derrick. Un nom plutôt singulier, à la limite du banal, pour un homme au physique aussi inaccoutumé que son porteur. En tout cas ce dernier se tenait, las, à deux pas d'Armand, lui jetant un regard à la fois navré et mélancolique. L'amant de cette bique d'Ugon était décédé, elle ne risquait pas d'être bien enjouée de cette nouvelle. Ou alors avait-elle des cohortes d'amants...ça n'était pas invraisemblable comme hypothèse. En tout cas Butterfly avait intimé à Myo' d'aller cueillir Derrick et de l'empêcher de fuir, ça serait rapidement réglé !

- N'y voyez rien de personnel, fit Myo en marchant vers Derrick, mais bon l'enquête avant tout !

Myosotis tendit le bras vers l'inspecteur qui ne s'attendait visiblement pas à voir des bulles sortir de la paume du jeune homme. Tout c'était passé en quelques secondes, Myo' avait fait apparaître un fin filet de mousse pour le faire serpenter à toute allure droit sur les mollets du gros inspecteur qui avait écarquillé les yeux en voyant de la mousse filer vers ses jambes. L'albinos à la chevelure d'ivoire avait également affiché un regard plutôt intrigué à la vue des bulles, au moins l'androgyne avait fait sa petite impression ! La mousse envoyée par Myo' avait également fait son effet. Vidant les jambes de Derrick de leur énergie, ces dernières avaient également l'air plus lisses, plus brillantes et plus propres. Qu'il en profite, ça sera sûrement la seule fois de sa vie où il atteindra un tel niveau de propreté.

- Et voilà Butterfly, incapable de bouger, incapable de fuir ! Plus facile que de voler son biberon à un bébé.

- Poloooop ! Fit Ramsès en agitant ses tentacules pour acclamer son ami, comme s'il était un justicier venant d'attraper un criminel.

- Vous êtes sûr qu'il ne pourra plus bouger ?

- Évidemment, fit Scarlett en rengainant son arme. Croyez moi, il y a absolument rien à craindre.

Derrick avait néanmoins tenté de se mouvoir, mais sans succès. Il avait failli glisser en bougeant trop sa jambe gauche mais avait réussi à se stabiliser pour rester debout et éviter la chute. Il dardait Myo' avec les billes luisantes qui lui servaient d'yeux, son regard semblable à celui d'un escargot n'effrayait pas l'intéressé mais il tourna néanmoins la tête de dégoût. Sans doute son double menton qui ne le rassurait pas vraiment, ou alors les boutons qu'il arborait dessus...au choix.

- Qu'est z'avez fait ? C'quoi ce merdier ?

- C'est plutôt à nous de vous poser cette question...Vous comptiez fuir jusqu'où exactement ?

- J'parlais pas à toi l'maigrichon, mais à l'autre miss..

- Il me semble qu'il vient de vous répondre pourtant. J'aime pas bien quand on essaie de me cacher des choses.

- Z'avez cru que j'cachais des trucs ? Juste parc'que j'suis parti ?

- Bah c'est à dire que comme vous nous avez fait faux bon avec une vivacité plutôt singulière, on a donc quelques soupçons à votre égard.

- Arrêtez vot' cirque, j'cache que dalle.

- Alors qu'est ce que vous faîtes là exactement ?

- J'allais parler à Motière mais vous l'avez tué, bravo la championne !

Le regard d'Elizabeth se fit plus perçant, elle plissa légèrement les yeux. L'inspectrice n'appréciait visiblement pas ce petit pic lancé par le mastodonte immobilisé. Contrairement à Scarlett, cette dernière n'avait pas encore rangé son pistolet. Bien que baissée, elle gardait néanmoins son poing fermement agrippé à la crosse de l'arme.

- Vous alliez lui parler oui. Parler à un complice.

- Plutôt parler à un témoin.

- Vous croyez qu'on va gober ça ?

- Roh, laissez le en placer une quand même...Il a rien dit encore.

- Vrai que vous êtes plutôt versatile pendant vos interrogatoires darling. Restez zen, de toute façon c'est pas comme s'il pouvait aller bien loin...

- Oui c'est pas bien grave, il peut pas bouger, l'important c'est que vous restiez calme.

- Vous arriverez à rien si vous êtes toujours aussi crispée et tendue.

- Polop !

Soufflant d'exaspération, Butterfly grinçait des dents mais obtempéra néanmoins afin de laisser Derrick parler. Satisfait, ce dernier ouvrit enfin la bouche :

- Bon, j'suis quand même là d'puis plus longtemps qu'vous. J'connais Motière vu que j'suis friand d'art. L'aut' galerie j'l avais déjà vu.

- Elle est belle ?

- Nan, dégeu. Que des croûtes.

- Pas de digression.

- Bon bref, l'aut' Motière il a appris qu'on enquêtait sur l'décès d'Ugon. Il a fuit lorsqu'on allait l'questionner. J'l ai rattrapé à temps, j'm apprêtais à l'interroger mais l'avez tué ! C'malin...

- Alors ça serait l'amant qui aurait fait le coup... ?

- Ça se tient, d'après ce que l'autre harpie nous a adit, son mari était un type mou sans grande ambition qu'elle menait à la baguette. Motière voulait sans doute avoir Patty pour lui seul et a précipité Ugon dans la tombe.

- Hm... Elle avait l'air dubitative.

Myosotis dissipa la mousse qui entravait les jambes de Derrick en claquant des doigts. Ils ne pouvaient plus enquêter Motière, et il fallait avouer que la version des faits de l'inspecteur collait assez avec les circonstances de leur enquête. Ils n'avaient encore aucune preuve tangible, mais ce qu disait Derrick semblait plutôt convaincant. Motière se serait donc brûlé les ailes...
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- Voilà une affaire rondement menée.

Qu'y nous dit l'autre con de mouette derrière son bureau. En prononçant "rondement" l'a retenu un petit rire mesquin avec un regard qui m'était adressé. Si ça te fait plaisir de te foutre de ma graisse mon gars, tant mieux pour toi, je suis pas du genre facile à brimer. Par contre, si y continue de nous retenir dans sa garnison à la con pour nous faire son rapport, là, y'a peut-être moyen que je finisse par l'emplâtrer presto dans le mur.

- L'enquête n'est pas terminée.

Ah la chieuse de concours ! Je l'attendais au tournant celle-là. Même le Myo et sa rouquine la regardent d'un drôle d'air. Pareil pour le sergent, continuer l'enquête, ça a plus l'air de le faire chier qu'autre chose. Dieu bénisse la fainéantise de la régulière.

- On a un meurtrier, on a le mobile, même plusieurs, on en demande pas plus Mademoiselle Butterfly. La hiérarchie a décidé de clore l'enquête. Armand Motière, concurrent de Monsieur Ugon et, qui plus est, amant de sa femme l'a tué, c'est l'évidence même.

Vas-y mecton, mords-lui les ovaires jusqu'à ce que mort s'ensuive à l'autre blondasse. Qu'elle arrête une fois pour toute de remuer la merde.

- Ce n'est pas que je cherche à en rajouter une couche Miss Butterfly, mais il faut dire ce qui est : tous les éléments sont là, nous tenons notre coupable.

C'est là que j'ai senti que l'autre albinos commençait à perdre patience. Dans la voix, dans sa tenue, y'a pas grand chose qu'a changé, mais le peu que j'arrive à percevoir, ça en dit déjà long sur son agacement. J'aurais bien aimé la voir fulminer, mais on se contente des récompenses qu'on peut, je vais pas cracher dessus.

- Tous les éléments sont là ? Où sont les preuves concrètes ? Il n'y a que des présomptions et des faisceaux d'indice bien maigres. Rien n'est terminé.

Z'ont tous l'air gênés de la voir s'obstiner l'autre. C'est qu'elle va pas tarder à passer pour une folle. M'enfin quoi qu'il en soit, foldingue ou pas, tous les crédits de l'enquête vont lui pleuvoir dessus. Sa réputation sera pas entamée, au contraire.
Sa réputation je m'en fous. Tout ce qui m'importe c'est de plus voir sa gueule éborgnée et glaciale. Butterfly, c'est un caillou dans ma godasse dont je me débarrasse avec plaisir.

- Des preuves concrètes ? J'sais pas... On a qu'à en d'mander à Motière.

Là-dessus je frappe mon poing dans la paume de ma main, juste histoire de bien mettre l'emphase sur à quel point je me fous de sa gueule.

- Ah merde ! L'est clamsé !

- On dirait que ça vous arrange Derrick.

Jusque là, elle gardait tout ce qu'elle pensait de moi en dedans. Là, elle commence à dégueuler ses soupçons, j'aime pas trop ça. Les allusions de ce genre ça pourrait titiller un peu ce con de sergent qui végète le temps qu'on s'engueule.

- Vu qu'c'est toi qu'l'a buté, j'aurais tendance à dire qu'c'est plutôt toi qu'ça arrange. J'dis ça... J'dis rien.

L'est mouchée l'autre. Elle sait que cette putain de balle elle aurait mieux fait de me la destiner.

- Bien, messieurs dames, il n'est de bonne compagnie qui ne se quitte, donc... vous allez foutre le camp de mon bureau. Merci pour votre travail tout ça, mais vous continuerez vos engueulades dehors.

L'a l'art et la manière de nous envoyer chier celui-là. Tant mieux je suppose, au moins ça prouve qu'il a pas mordu à l'hameçon tendu par la blondinette cendrée. On se magne de sortir de cette foutue garnison. La vache ! J'ai l'impression d'avoir un poids en moins sur la poitrine. Cette connerie d'histoire est dernière moi, allez, j'adresse mon plus beau sourire à Mâdemoiselle Butterfly.
Dans le cul la balayette ma grande !

- Mademoiselle Butterfly attendez-nous, vous marchez trop vi...

- J'ai besoin d'être seule.

Et elle nous largue, comme ça, s'en allant vers le soleil couchant. Bon, pas vraiment vers le soleil couchant vu qu'on est juste en début d'après-midi, et de toute manière avec les nuages chargés qu'on a, le soleil, on le capte pas. M'enfin elle se barre quoi ! C'est l'essentiel.
Y'a les deux autres zigotos qui restent plantés là comme des piqués. Le petit sait pas trop où se mettre.

- Désolé de vous avoir soupçonné Darling, mais j'ai bien cru que c'était vous le tueur sur la fin.

- C'est vrai que lorsqu'on vous a vu avec Motière, on s'est posés des questions.

Qu'est-ce que tu veux que je réponde à ça ?

- En tout cas, c'était une affaire bien plaisante.

- Un meurtre sanglant !

- Des tas de suspects !

- De l'adultère !

- De l'inattendu !

Et les voilà qui se trémoussent. Eux non plus je vais pas trop les regretter, je sais pas pourquoi. Si en fait je sais, parce qu'y me les brisent avec leur exubérance et leur poulpe qu'y bouffent même pas.

- Et z'allez faire quoi maint'nant ?

Y se regardent pis y me sourient de toutes leurs dents. Bordel, qu'est-ce que j'ai envie de les cogner. À ce point là, c'est physique !

- Le sergent nous a proposé de rejoindre la prochaine frégate qui part d'ici et de nous trouver un navire pour South Blue.

- À nous Suna Laaaaaaaand !!

- Polop.

Bah tant mieux pour eux écoute. J'espère que le sucre dans la barbe-à-papa les crèvera d'un diabète foudroyant. C'est en tout cas tout le bien que je leur souhaite.
On se quitte sur ces banalités. Longtemps que j'ai pas fait de gueuleton, mais j'ai même pas faim après tout ça. Nan, là tout ce qu'y me faut, c'est un bon lit.
M'en vais retrouver ma chambre d'hôtel derechef.

Pas un bonjour à la standardiste, je grimpe jusqu'à mon étage, je m'engouffre dans ma chambre et je m'affale sur le plumard qui s'écrase sous mon poids.
Rien à foutre des dégâts : faut que je roupille !

Mes mirettes attendent pas longtempts avant que mes paupières les voilent, toutes ces émotions ça m'a....

- RrooooOOOOoNnnNnFfFll...


***


[Deux heures avant que l'on ne retrouve le corps Bort Ugon]

- Bordel d'merde Bort ! T'm'as quand même pas fait v'nir pour pas m'ouvrir c'te foutue porte non ?!

L'autre mollasson vient enfin ouvrir. On le dirait résigné, ce con est encore en peignoir midi passé. Y nous ferait pas une petite déprime l'ami Ugon ? Quand y m'a contacté par escargophone, je le sentais assez terne.
Y m'invite à le suivre sans rien dire. Sa bonne femme est pas là, y doit la croire partie à son salon de lecture alors qu'elle est sûrement en train de se faire refaire le dedans par l'autre Motière.

Tranquille, y traîne les pieds en pantoufles sans piper mot jusqu'à se laisser tomber lourdement dans le fauteuil du salon. Y fixe devant lui, les yeux vides. Serait-y pas devenu sénile le père Ugon ?

- On arrête notre collaboration.

Ah ouais, pas de doute. L'est bien devenu sénile.

- T'me répètes ça p'r voir ?

Enfin y daigne bouger les globes humides qui lui servent d'yeux pour me jeter un regard bien noir. Le gars m'envoie des signaux depuis tout à l'heure, le genre qui clignote "emmerde" en rouge vif.

- La contrebande d'espèces menacées, le marché noir que t'organises, le blanchiment du pognon par Motière. Tout ça : fini !

J'arrive pas à le croire. Y'a encore quelques mois, quand je suis venu sur l'île pour la première fois, le type arrivait plus à gérer la concurrence. Là-dessus, sa majesté Oletto Ier arrive avec un plan en or pour lui sortir la tête de l'eau. Lui sortir la tête de l'eau, et accessoirement garnir un peu le passif du bilan de notre glorieux gouvernement mondial.
Tout était rôdé au poil de cul prêt. Des connaissances à moi se chargeaient de pêcher des dauphins bleus des profondeurs, la bête rare, le truc qui se vend bien dans certains milieux pas très légaux. Vu l'activité commerciale du père Ugon, ses cales sont jamais fouillées par les autorités. Y transite tout ça dans ses entrepôts, on donne rendez-vous aux acheteurs là-bas et à nous le pognon facile.

Ma part, elle allait droit au G.M, lui par contre, il avait besoin de blanchir tout ça. Faut dire que les liasses puaient l'espèce en voie de disparition, ça aurait pu lui créer des emmerdes, et par extensions, à moi aussi.
Ce fumier d'Armand Motière, dans le genre véreux, c'est un cas lui aussi. Pas été très dur de le convaincre d'entrer dans la combine.

Tout ce petit rouage fonctionnait très bien, les marchandises aussitôt acheminées étaient écoulées. Du gros revenu régulier et sans risque. Et là, l'a le culot de me dire qu'y veut pu de ça ? Comment y croit qu'y s'est pas fait racheter par la concurrence au juste ? Ce mec a vraiment pas le sens de la gratitude.

- Mais nan va ! T'broies du noir, on va t'remettre en selle. M'en vais t'amener deux-trois putes et tu seras à nouveau sur les rails. C'juste une mauvaise passe.

D'habitude quand je prononce le mot "pute" y part au quart de tour, mais là, y bouge même pas un cil... Ça sent pas bon cette histoire.

- Quand j'ai commencé mon entreprise à Poiscaille...

Nous voilà parti pour le long et fabuleux récit de la vie palpitante du grand Bort Ugon. Si y faut écouter ces conneries pour qu'y renonce à son idée de tout abandonner, je peux bien prendre sur moi. Mais qu'y se magne quand même.

- Je privilégiais une chose en priorité : le respect de la faune. Mon grand-père me disait tout le temps à quel point la mer était un environnement fragile qu'il fallait respecter...
Depuis que les dauphins bleus des profondeurs sont moins nombreux, ça a bouleversé tout l'écosystème sur West Blue. On a revu des espèces de prédateurs se mettre à pulluler et s'attaquer aux bancs de poissons comme des voraces.
Voilà ce qui arrive quand on bousille le rouage d'une horloge Oletto, on fout tout en l'air !


Est-ce qu'il a sérieusement cru que son petit pamphlet néo-hippie me tirerait une larme ? Le gars s'est gouré d'auditoire. Du poisson, j'en boufferais à la kilotonne si je pouvais, alors sa vie dans l'eau, je m'en fous bien, ça y peut me croire. Y'a que quand y sont dans mon assiette qu'y m'intéressent.

- T'es sûr d'toi ? T'le r'grett'ras pas ?

Y prends une profonde respiration avant de me répondre. C'est ça mon gros, réfléchis aux conséquences de tes actes. Si t'arrêtes, t'es plus rien.

- Ouais, je peux plus. Je suis vraiment désolé de te mettre dos au mur avec Armand, mais ça cogite depuis un moment. Ma décision est prise.


Une décision comme ça, c'est plutôt brutal dans le genre. Aussi brutal qu'une putain de lame de guillotine qui vient te scier le cou.

- Eh puis... j'ai cru comprendre que tu prenais une grosse commission sur les transactions. Si tu te mets à spolier le G.M en plus, cette combine finira par nous tuer toi et moi.

Ma commission sur les transactions... l'a remarqué. Ouais, j'ai été un peu gourmand ce coup-ci. Faut dire que j'ai comme qui dirait monté l'opération en solitaire, sans l'aide du bureau, alors forcément... Vu qu'y a pas tellement de contrôle sur mes activités, j'en ai profité.
L'a raison le con. Si le G.M apprend que j'ai un peu trop détourné du blé qui lui revient, je risque gros, très gros.
Et vu que c'est Ugon qui tient les comptes, c'est pour ainsi dire le seul qui pourrait prouver par A+B mes petits détournements de rien du tout.

- T'as p'têt' raison après tout. Fallait bien mettre le ola un jour ou l'autre. R'joins moi à l'entrepôt dans une heure. On écoule l'dernière cargaison, et on s'arrête là.

Y me sourit, l'a l'air rassuré que je sois si compréhensif. Pour le coup, ça me ferait presque culpabiliser vu ce que je lui réserve.
Rien de personnel Ugon, mais t'en sais peut-être un peu trop sur mes magouilles.
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