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Aube carmin

Elle était encore là. Discrète, efficace, presque aussi professionnelle qu'un agent du gouvernement. Elle la suivait, encore, toujours et ça n'était plus aussi anodin.

Cela faisait deux jours qu'Anna était rentrée au camp et deux jours qu'une ombre fugace se glissait constamment à sa suite, où qu'elle allât. Plus qu'une simple épine dans le pied, cette filature venait la parcourir de soupçons et d'inquiétudes. Dans la mesure où il était grand temps de dévoiler à son supérieur toutes les informations récoltées et préparer le débarquement des troupes. Celles du vice-amiral censé lui venir en aide.

Maintenant plus que jamais.

Mais l'ombre demeurait, figée dans son sillon, comme liée à elle par un fil invisible. Si bien qu'elle s'était résolue à faire avec. Non, ça n'était pas un espion de la révolution, ça elle en était certaine, elle l'aurait lu dans les yeux de son partenaire de couche. Et cette capacité à rester dissimulée, quasiment hors d'atteinte de son empathie, venait ponctuer les faits : il n'y avait qu'une seule personne dans toute la base capable d'une telle prouesse et elle n'était pas là depuis très longtemps.

Hermione.

Au terme de son second jour de repos, l'agente avait pu distinguer quelques éléments spécifiques de l'aura du personnage et en déduire son identité. Elle aurait pu s'arrêter à un pronostic assez simple : la jeune femme cherchait probablement le moment adéquat pour lui sauter dessus et l'assassiner froidement. Mais les occasions n'avaient pas manqué et la blonde demeurait là, indemne, tandis que l'autre la suivait toujours. Le constat était finalement sans appel : elle l'espionnait.

Et elle n'ignorait pas tant que cela pour quel compte, c'était même assez logique. Car en procédant par élimination dans la grande variété de choix possibles, il ne restait plus que lui. Ethan McKlayn.

N'aurait-elle pas remarqué qu'elle fusse suivie et ç'aurait été tout le plan qui serait tombé à l'eau. Par chance, ce n'était pas au vieux singe que l'on apprenait à faire la grimace. Et plutôt que de saisir la chose comme un inconvénient, il était encore plus évident de s'en servir comme d'un avantage.

Ainsi le troisième jour fut celui où Anna s'isola avec son escargophone spécial. Celui-ci ne pouvait joindre qu'une seule personne, et ce peu importât la distance. Sa coquille striée de blanc et de noir renfermait un précieux animal vêtu d'un smoking ajusté et de cheveux soigneusement gominés. Persuadée d'être "seule" dans les ruines de l'antique cité surplombant la base révolutionnaire, l'agente entama son appel.

La voix grave de l'escargophone se faisait aussi discrète que possible, mais semblait toutefois résonner dans la minuscule pièce de la maison abandonnée occupée par l'albinos. Enfin, jusqu'à ce qu'une présence extérieure ne vienne déverrouiller silencieusement la porte d'entrée et ne se glissât dans l'une des pièces adjacentes. Elle écoutait.

- Pulu pulu pulu pulu... gronda le machin, jusqu'à finalement se stopper dans un ultime et énigmatique : Katcha.

Puis ce fut à une nouvelle voix, plus aigüe, plus aristocrate, de prendre le relai. Celle de l'administrateur du CP9.

- Ah, Anna ! J'espérais justement avoir de vos nouvelles. Dites-moi : où en est cette révolution ?

- Elle avance. La Vox s'est alliée avec un pirate du nom d'Ethan McKlayn. Il s'est proclamé Maire d'Alsbrough, un port de pirates au sud du pays. L'attaque est prévue pour dans trois jours, j'aurai besoin de renforts par la suite pour reprendre les choses en mains.

- Et c'est tout à fait ce qui était prévu, ma chère. Il me semble justement que l'un de vos proches amis vice-amiraux soit disponible, je lui fais envoyer une missive dès que possible.

Il évoquait désormais le vice-amiral Fenyang, c'était certain. Anna n'entretenait aucun autre rapport avec la Marine, si ce n'était par le biais de ce beau diable. Elle souffla, espérant juste qu'il ne demanderait rien en échange de sa venue. Elle commençait à le connaître. Toutefois elle n'aurait pas pu espérer mieux que lui pour venir lui prêter main forte dans sa mission, ce qui la soulagea quelques peu. A terme, elle en était venue à apprécier sa présence, comme celle d'un bon ami... peut-être même d'un frère.

- Message reçu. Je vous transmets le reste des informations par escargofax.

Le reste des informations dont une partie posséderait une seconde lecture, au cas où les murs auraient des oreilles. Et ils en avaient, ça oui. Ses derniers échanges avec Alvaro ne s'étaient plus faits que par ce biais là et elle savait que si l'administrateur ne parvenait pas à décrypter sa lettre, l'homme en fauteuil roulant, lui, réussirait. C'était capital.

- Parfait. Ah et... vous avez des nouvelles de l'agent Pong ? Je l'ai envoyé à vos côtés un peu après votre départ dans le but de surveiller les agissements de ce pirate dont vous m'avez parlé... Ethan McKlayn, voilà.

Derrière son escargophone, la mine de l'agente s'assombrit au point de penser que celle de l'animal du côté de son interlocuteur devait être aussi terrifiante. L'assassinat de son camarade demeurait encore frais, ce fut pourquoi elle évoqua la chose avec une voix brisée. Les oursins évoluaient toujours dans sa trachée, quand elle pensait à cette traîtrise.

- Chang Pong est mort, McKlayn m'a forcée à le torturer jusqu'à ce que mort s'en suive. Je suis désolée, je n'avais aucune autre alternative.

Un long silence enchaîna la révélation. Mais ce fut une voix neutre, presque insouciante, qui vint ponctuer ce-dernier.

- Quel dommage... je veillerai à ce que sa famille soit au courant le plus vite possible. Vous avez fait ce que vous deviez faire, Anna. Beau boulot et à bientôt.

Ce-dernier mot, lui, semblait empreint de doute. L'homme d'affaires savait que son coup de poker était risqué : le Nouveau Monde n'avait rien d'un océan tranquille comme l'étaient les Blues ou encore la première partie de Grand Line. Non, il avait envoyé deux agents en territoire ennemi et venait d'en perdre un. Il avait des raisons d'être inquiet, même s'il avait fait l'effort de ne rien montrer.

Son pion le plus fidèle était en plein milieu de l'échiquier, menacé par les pièces ennemies. Et l'une d'elle épiait les moindres faits et gestes de la Cavalière.

Celle-ci se résolut à envoyer le fax dans la minute qui suivit, grâce à un ingénieux système qui lui échappait : l'escargophone hors de prix possédait cette option et elle s'avérait efficace. Il lui suffisait ainsi de parler à l'animal pour que celui-ci enregistrât le message et que celui à l'autre bout du fil l'imprimât sur une feuille de papier. Le procédé se faisant, bien évidemment, à travers l'orifice buccal de la bête, il était probablement conseillé de ne pas savoir comment la chose fonctionnait.


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Ven 24 Fév 2017 - 17:47, édité 2 fois
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Le temps était écoulé. Un délai assez court qui avait pesé son lot de stress dans le bureau du Leader. Beaucoup de choses étaient à prévoir, beaucoup de stratégies à fignoler et finalement la course contre la montre s'était révélée traîtresse.

Et puis il y avait eu les imprévus.

Tandis que l'agente s'équipait avec ses confrères dans la bâtisse encombrée tenant lieu d'armurerie, elle le vit arriver. Le teint blafard, les yeux éclatés, la démarche de guingois. Ses longs cheveux bruns semblaient coller à son visage couvert de sueur tandis que le moindre effort prenait une ampleur considérable pour chaque geste à effectuer. Et pourtant il était là, parmi ses hommes, comme si de rien n'était, à s'équiper.

Anna ne pensait même pas l'avoir vu se tenir debout, droit, sans quelque chose à quoi s'accrocher pour ne pas sombrer définitivement. Fragile, comme s'il était composé de cristal, on aurait aussi bien pu dire qu'un courant d'air aurait suffit à le déstabiliser et à l'emporter dans l'au-delà. Mais il n'en était rien, malgré les apparences le gaillard tenait bon, demeurait solide. Et ça n'avait rien de naturel.

Ce n'était pas la prescription journalière de son ancien adjudant qui avait temporairement amélioré l'état du malade, ça l'agente l'avait découvert : il ne s'agissait pas d'un poison mais au contraire d'un remontant. Tandis que Richards aurait gagné à tuer son supérieur hiérarchique depuis longtemps, le bon ami avait en fait secrètement tout fait pour qu'il restât en vie. Au moins jusqu'à ce moment. Et voilà désormais que Blake participait à la bataille.

Le leader était-il au courant ? Probablement. Cautionnait-il cela ? C'était moins sûr, cependant on ne pouvait pas forcer un homme à ne pas se battre pour ses convictions. Et c'était bien l'unique chose que respectait la jeune femme dans la révolution : la ferveur et l'espoir qui animait les hommes corrompus par des idéaux mensongers. La Vox en était l'exemple le plus cuisant et ceux qui connaissaient la véritable histoire le savaient. Les autres étaient innocents.

Alors comme si de rien n'était, les préparatifs furent bouclés et les hommes armés en l'espace d'une demi-heure avant que Richards ne pointât le bout de son nez. Une ultime réunion avait été décidée au sein du QG, dans la salle de conférence ou ce qui y ressemblait le plus. Et l'homme était déjà là, prêt à lire sa tirade.

S'éclaircissant la voix, accueillant certains confrères venus l'embrasser et l'accueillir de mots forts, il ne s'autorisa toutefois qu'un court retard avant d'empoigner son pupitre et faire porter sa voix à l'intérieur de l'escargomicrophone. Ses yeux semblaient flamboyer tandis que sa bouche s'ouvrait pour expulser les premières syllabes de sa première phrase, d'une voix embrumée par l'émotion... et l'angoisse inévitable de la guerre.

- Mes amis, mes frères. Aujourd'hui nous voilà fin prêts pour accomplir ce que nous avons tant attendu. Nous voilà sur le point d'honorer la mémoire de ceux qui sont tombés et de ceux qui tomberont après que l'aube s'est levée. Quand le sang des Bourgeois et de leurs Limiers serviront à bâtir les fondations d'une nouvelle république. La Nouvelle Arcadia mes frères, vous l'avez tant souhaitée. Vous l'avez pleurée en marchant parmi les morts dans les rues de la Capitale. Vous l'avez probablement priée. Mais tous vous y avez contribué jusqu'à aujourd'hui, jusqu'à ce jour béni. Non, nous aurons encore des difficultés, peut-être y aura-t-il encore des obstacles. Mais aujourd'hui, fiers camarades de la Vox Dystopia, il est venu le temps de combattre notre plus grand ennemi à armes égales et d'en finir une fois pour toutes. Il est venu le temps de destituer la Bourgeoisie qui corrompt cette île et se pavane sur les cadavres desséchés d'enfants rongés par la faim et la maladie. Car ils ont beaucoup trop profité de la corne d'abondance qui leur était offerte, car ils se sont abreuvés jusqu'à plus soif du lait insipide produit par l'infâme mamelle de l'esclavage. Aujourd'hui, compagnons d'armes, il est venu le temps de leur en faire payer le prix !

Les hourras plurent alors brutalement dans l'assemblée tandis que les mains venaient brutalement s'entrechoquer pour produire un maximum de bruit. Le discours du roi avait atteint son apex.

Typique de la révolution, celui-ci reflétait parfaitement les émotions traversant les hommes dont les armes hautes levées et les voix scandant un hymne inconnu semblaient caricaturales d'une sorte de cri de guerre. Anna avait déjà eu l'occasion de voir des révolutionnaires prôner des valeurs creuses comme la liberté ou la révolution durant de longues, longues minutes, mais jamais avec une ardeur aussi magnifique. Elle-même ne put rester de marbre face à tant de piété et suivit le mouvement. Un mouvement uni que seule une paire d'yeux continuait à observer sans exprimer le moindre sentiment. D'autres auraient pu prêter cela à son sérieux solennel depuis plusieurs jours, mais Anna connaissait la vérité désormais.

Tout comme l'agente, la traîtresse attendait son heure.

***

Ce fut un convoi de près de trois cent âmes qui sortit de la Cavité par le chemin menant jusqu'à la côte, au Nord. A la file indienne ou presque, les hommes suivaient les officiers en tête qu'Anna secondait. Devant elle se tenait la carriole transportant la carcasse de l'ancien chef, sous prétexte qu'il devait ménager ses forces. De temps à autres, celui-ci lui lançait des regards noirs, mais entretenait régulièrement la discussion avec Hermione, marchant à ses côtés.

- S'il savait la vérité... pensa la CP9 avec un sourire en coin, tandis que ses pas la menaient vers son amant, en tête.

Celui-ci discutait stratégies et plans. La jeune femme n'osa pas l'interrompre et à la place écouta ce qu'il avait prévu pour la suite des opérations. Elle fut toutefois surprise de découvrir qu'une bonne partie de la victoire tenait de la présence des pirates plus que de la véritable ingéniosité des révolutionnaires. Et le tout était, finalement, assez simple. Trop simple même.

McKlayn entretenait des rapports très cordiaux avec la Maire du Seizième et était souvent convié au sein de la citadelle pour venir y acheter des esclaves. Cette relation lui avait visiblement permis de fixer un rendez-vous dans la matinée, lui accordant ainsi le droit d'entrer dans la ville et d'y infiltrer secrètement des hommes pour qu'ils pussent prendre le contrôle des portes.

- Si tout se passe comme prévu, lorsque nous arriverons, les portes de la ville seront d'ores et déjà sous contrôle. La majeure partie de l'armée de McKlayn attend au-delà des murs, ses éclaireurs sont chargés de donner le signal aux hommes infiltrés dès notre arrivée. Nous n'aurons plus qu'à entrer et rendre justice. conclut le Leader avant de jeter un regard dans la direction de sa compagne.

Celle-ci posa une main réconfortante sur son épaule. Visiblement elle tombait à point nommé.

- Ah, Elanor, tu es là, parfait. Je te cherchais justement. J'ai une mission un peu spéciale à te confier.

- J'suis toute ouïe. avoua-t-elle, les yeux comme illuminés par le besoin simulé de rendre service.

Ce n'était pas tant cela que la soif de sang qui la fustigeait depuis près d'une semaine. Depuis la mort de Chang. L'illusion était toutefois parfaite, son jeu d'acteur sans faille ; le révolutionnaire sourit.

- C'est tout ce dont j'avais besoin. Ce que je vais te demander est très périlleux alors si tu ne te sens pas prête, dis le moi maintenant.

C'était grandement la sous-estimer, aussi passa-t-elle l'une de ses mains dans les cheveux de son interlocuteur pour le déstabiliser légèrement.

- Crache l'morceau, beau brun. Ou j'vais devoir m'en charger.

Il déglutit difficilement, comme si la tâche lui demandait un effort considérable. Et venait l'accabler d'un stress supplémentaire. Une goute de sueur plongeait le long de sa tempe quand il demanda enfin :

- Eleanor j'ai besoin... que tu captures la maire du Seizième : Fleur Joliteint.

Et cette fois-ci ce fut au tour de l'agente de dévoiler ses quenottes blanches dans un sourire... secrètement monstrueux pour qui la connaissait vraiment.


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Mer 22 Fév 2017 - 0:10, édité 1 fois
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Approximativement près de deux heures de marches séparaient la Cavité du Seizième lorsque l'on ne traversait pas la Capitale. Un temps nécessaire pour laisser à la nuit l'opportunité de se découvrir et à la lumière de l'aube celle de reprendre le flambeau des torches qui s'étaient peu à peu éteintes.

Une aube chargée de sang, telle qu'elle apparaissait : rougeoyante sous une épaisse couverture de nuages, comme le pays avait l'habitude de les connaître. Le jour restait sombre toutefois, tandis que le soleil faisait son apparition. Qu'on devinait son lever fainéant et ses rayons ne perçant les épais cumulonimbus qu'à moitié. Non, à vrai dire, le vent avait été plus prompt à réagir que le soleil.

C'était comme cela que ça fonctionnait à Arcadia.

Les bourrasques soufflaient fort sur la route, obligeant l'agente à se réfugier dans les plis de sa veste révolutionnaire, de son uniforme chaud. La charrette de Blake fournissait un bon abri face au vent, elle avait donc conservé sa position sans toutefois lever les yeux vers le voyageur à son bord. Celui-ci semblait ne pas sentir la différence entre avant et maintenant. Pâle comme un linge, il semblait déjà être mort... mais quelque chose empêchait son âme de passer de l'autre côté. C'était un spectre et Anna détestait les spectres, aussi bien que l'inexplicable et le surnaturel dans leur ensemble. Elle n'aurait donc pu dire si le guerrier allait tourner berserk une fois posé au beau milieu du champ de bataille. Elle ne pouvait que l'espérer, pour le bien de l'opération. Pas le sien, évidemment.

Tandis que les étranges lueurs rouges conféraient aux terres arides et aux plantes mortes environnantes une impression d'enfer sur Terre, le bataillon progressait en direction de la ville désormais bien visible à l'horizon. Nettement séparée, celle-ci affichait le conglomérat de taules et de briques en ruines que l'on appelait la Capitale. Puis un vaste désert au centre duquel trônait une couronne de remparts. La citadelle, comme on appelait autrement le Seizième, représentait à la fois la peur et la mégalomanie des Bourgeois qui l'habitaient.

Pendant des dizaines d'années, ces hommes et ces femmes avaient vécu au-dessus de tout, régnant en maîtres sur ces terres désolées, profitant de ressources que les aliénés extérieurs ne pouvaient obtenir. Et même plus. Et désormais ils étaient loin de se douter que cette aube carmin venait sonner leur glas.

Puis ils les virent, un peu avant le commencement du no-man's-land, dissimulés derrière une épaisse colline de débris, vêtus de haillons aux couleurs similaires. Tel un regroupement d'hommes-déchets, telle une marée hideuse, l'armée pirate attendait les ordres. Un rapprochement des deux groupes permit à Anna de voir que celui qui était à la tête du millier d'hommes alliés n'était pas le second du capitaine, non, mais un curieux énergumène à la peau verte et aux crocs sortis et limés en pointes. Ce-dernier avait d'ores et déjà entrepris de chevaucher dans leur direction, sur son fidèle destri... sur son fidèle sanglier.

Il ne tarda pas, toutefois, car sa bête était bien plus rapide que l'on aurait pu l'imaginer. Tous deux étaient couverts de peintures de guerre blanches et noires. Finalement, une fois assez à proximité de la colonnade de révolutionnaires en marche, il chercha des yeux celui qui correspondait à la description qu'on lui avait faite du Leader. Et le trouva à la tête du bataillon, tout naturellement.

Du point de vue d'Anna, les salutations furent brèves. L'un dit "Zogzog", l'autre ne sut quoi répondre. Puis tous deux échangèrent sur les événements à venir, brièvement une fois de plus. Et le chevaucheur de sanglier s'en repartit trois minutes après, le sourire aux babines, d'ores et déjà victorieux. Il fonça jusqu'à mi-chemin entre les deux groupes et freina brutalement des quatre fers sans raison valable.

Puis, tirant d'une main sur les rênes de sa monture, portant son pouce et son index à sa bouche de l'autre, il émit un long et bruyant sifflement qui résonna à travers toute la plaine.

L'instant d'après, quelque chose semblait s'être activé au loin. Une lueur perça depuis l'un des murs, probablement celui qui surplombait la porte du fort. Et un long et pénible grincement retentit tandis que les pans de bois gigantesques pivotaient sur leurs gonds pour laisser la voix libre aux envahisseurs. Puis ce fut au tour d'un nouveau bruit de résonner : celui des hurlements des pirates donnant la charge. Et à nouveau l'hymne révolutionnaire dans lequel Anna se voyait transportée, tandis que tous pressaient la marche, se mettaient à courir presque. Elle soutint l'allure sans grande difficulté, portant Demi à sa bouche et Quart dans sa main droite.

Elle fonça ainsi jusqu'au mur d'enceinte le plus proche du haut duquel ne tardèrent pas à abreuver des balles et des boulets tirés par les sentinelles. Sentinelles qui donnèrent aussitôt l'alarme, ponctuant le brouhaha crépusculaire d'un humble bruit de cloches.

Puis vinrent les gémissements des premiers blessés et les odeurs caractéristiques du souffre, de la poudre à canon et du sang, tandis que des colonnes de fumée montaient depuis les cratères creusés par les obus et que des giclées de sang venaient parsemer les vêtements de ceux qui entraient et entraient encore en flot continu à l'intérieur de la ville. Où les cris apeurés des quelques civils levés de bon matin et de ceux sortant tout juste de chez eux précédèrent les pleurs d'enfants et de bonnes femmes hurlant de détresse, de peur, de chagrin.

La perpétuelle machine de la guerre était en route et Anna savourait la chose comme un bon bol d'air frais, les poumons gorgés d'air souillé par le sang et les flammes... tandis que ses lames venaient pourfendre et trancher tour à tour ses cibles : essentiellement des Limiers se mettant sur son chemin. Ceux-ci commençaient à affluer depuis les baraquements qui leur tenaient lieu d'habitation, dans une panique toutefois totale.

Jusqu'à ce qu'un vrombissement sonore ne vienne soudainement saturer l'air et stopper net les combats pendant quelques secondes.

De ce que pouvait voir Anna, le hurlement émanait de la corne de brume d'un individu grand et inquiétant, à la stature bestiale et à la carrure imposante. L'homme venait vraisemblablement de sortir de sa demeure et portait l'uniforme des Limiers, avec quelques ajustements supplémentaires. Au vu de sa trogne, il était inutile de douter une seule seconde du fait qu'il fusse le chef de la bande de bras cassés qui, après son arrivée, ne le furent plus véritablement. Assez étrangement, sa peau n'était pas blanche, ni jaune, ni noire... mais grise.

L'appel de la corne eut pour effet drastique de réorganiser les troupes ennemies en bataillons efficaces menés par des sous-officiers similaires à celui qu'Anna et Hermione avaient battu deux semaines plus tôt. Et désormais les deux armées luttaient au coude à coude.

Tandis que l'agente progressait donc en direction du bâtiment central similaire à une sorte de cathédrale sans symbole religieux apparent, un événement majeur vint soudainement retenir son attention. Ou plutôt sa curiosité. Le corps en sang, le sien aussi bien que celui de ses victimes, Blake se trainait douloureusement en direction de celui qu'il avait identifié lui aussi comme le Commandant des Limiers. Absolument pas en état de se battre, l'homme rampait droit à la mort, mais semblait n'en avoir cure. Difficilement redressé, il brandit alors son sabre en direction de l'ennemi, le provoquant en duel. Ce qui fit exploser le géant gris d'un rire tonitruant...

...avant que l'une de ses haches brunes ne surgît instantanément de nulle part pour venir frapper l'une des cuisses de l'ex-Leader et le précipiter à terre.

Et l'instant d'après, Blake n'était plus, la hache jumelle enfoncée dans le sommet de son crâne.
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Seizième, peu de temps avant la bataille...

Comme à chaque occasion, la jeune femme s'était préparée à accueillir son visiteur aux aurores. Elle s'était levée tôt pour brosser ses longs cheveux blonds et mettre sa plus belle tenue, pour recouvrir sa peau d'une fine couche de particules parfumées, en plus de l'odeur de pêche naturelle qui émanait de son épiderme soigné. Près d'une heure de préparations dans sa salle de bain, au final.

Elle était Maire tout de même, elle se devait d'être un minimum présentable.

Comme à chaque fois, son invité l'attendait devant les grandes portes. Sous le ciel encore constellé d'étoiles, la cité bourgeoise dormait. Ses larges chemins et ses hautes bâtisses fournissaient un panorama superbe à la Maire qui évoluait dans les ténèbres, uniquement épaulée de deux Limiers. Pour la forme, évidemment. Elle n'avait rien à craindre des pirates, mais se devait d'être protégée en toutes circonstances. C'était dans la politique des Bourgeois.

Ils avaient des soldats à leurs bottes, autant en profiter que de les laisser se tourner les pouces. Même si les deux abrutis qui l'efflanquaient n'étaient probablement pas capable de compter sur leurs doigts et puaient fortement la vinasse. L'un d'eux, tel un zombie, avançait de manière pataude, sans même regarder devant lui. Les yeux en trou de...

- Ah, ma dame, vous voilà ! Il y a des visiteurs à la...

- ...à la porte, oui, je suis au courant. Eh bien, qu'attendez-vous pour ouvrir ?

Elle comprenait l'importance du geste : il était finalement assez rare que l'on laissât entrer des gens dans la citadelle. Il était, en revanche, plus courant de les laisser sortir. Toutefois l'officier était nouveau et ne semblait pas au courant des pratiques de la Maire, ni du pédigrée de l'homme qui se trouvait à l'extérieur, patientant autant que faire se pusse. Les pirates n'étaient pas réputés pour leur sang froid... et encore moins leur patience.

Mais celui-ci était différent. Il était malin et la jeune femme appréciait s'entourer de telles personnes. Ce pourquoi elle considérait chacune de ses visites comme un cadeau venant briser sa mortelle routine. Tout du moins, quand elle n'avait rien à chasser.

Par mesure de précaution, encore une fois, l'on entrouvrit simplement les portes histoire de laisser passer le barbu et quatre autres de ses compères. Les gardes du corps habituels et son quartier-maître, elle connaissait leurs noms désormais.

- Ah, McKlayn, comme je suis heureuse de vous voir ! accueillit chaleureusement la blonde tout en gardant toutefois des distances de sécurité avec l'invité.

Celui-ci retira son couvre-chef, affichant un sourire habituel. Un sourire carnassier qui évoquait à la Maire le sentiment de se trouver en présence de l'un de ses congénères. Là, maintenant, elle se sentait d'aller chasser... uniquement avec lui. Mais ses obligations et son rang l'en empêchaient, malheureusement. Dans une autre vie sûrement... dans une autre vie elle aurait été pirate, c'était certain. Même si elle dépréciait certaines de leurs habitudes dégoutantes et la façon avec laquelle ces rustres pouvaient traiter les femmes de bien comme elle.

Mais McKlayn, lui, n'était pas comme ça. Et en quelque sorte, elle avait fini par lui faire confiance au fil du temps.

- Ma foi, bien content de vous voir aussi, ma dame. répondit-il dans l'instant suivant sa révérence, ses prunelles noires rivées sur le visage de la louve.

Elle détourna les yeux.

Assez pour voir la garde personnelle du Maire d'Alsbrough entamer des discussions amicales avec les hommes tenant la porte. Normalement les Limiers n'étaient pas censés discutailler, mais cette fois-ci elle n'intervint pas par peur de froisser ses invités. Non, ils étaient venus pour sa dernière cargaison et même si celle-ci était relativement mince à cause des récents événements, les pirates avaient l'avantage de payer grassement. Elle n'allait pas cracher là-dessus.

Tournant donc le dos au portail, elle accompagna fièrement son interlocuteur jusqu'au Capitole où se trouvait son bureau et ses administrations, le bras enroulé autour de celui du pirate. Évoquant en chemin les dernières nouvelles, ce qui se faisait de bon, la pluie, le beau temps et les dernières prises au large du port.

Les récits les plus sanglants la fascinaient réellement.

***

Haute tour vissée sur un large socle, ancien lieu religieux réhabilité depuis le temps, le Capitole servait d'hôtel de ville aux Bourgeois depuis près d'un siècle. C'était là que de nombreuses grandes décisions avaient été prises, si bien que pour les nobles l'endroit avait quelque chose de symbolique, de pur. La position de Maire venait d'ailleurs compléter cette impression, comme si le simple fait d'avoir à passer sa vie dans cet endroit blanc et vide relevait d'une élection divine.

Il n'en était rien, la Maire s'y ennuyait à mourir.

Il y avait assez de place et assez de pièces pour pouvoir inviter nombre de partisans, seulement la jeune femme ne savait pas avec qui discuter sans tomber de sommeil au bout d'une demi-heure. Elle s'était finalement résolue à rester seule, bel et bien seule, à gratter le papier et, de temps à autre, prendre l'air.

Amener toutefois dans les locaux un invité prestigieux capable de lui parler de sujets réclamant toute son attention la comblait de bonheur, secrètement. C'était si rare... qu'elle se languissait des transactions et de leurs marchands devant transiter dans les parages.

- Suis-je bête, peut-être voulez-vous voir la marchandise avant de régler ? demanda-t-elle, brusquement déboussolée par sa propre impertinence, sur le palier de ses quartiers.

- Vous ai-je déjà importunée avec des soucis qualitatifs de ce genre, ma dame ? Vous pouvez bien me refiler des vieux, des jeunes, des malades ou des puceaux, cela ne fait aucune différence étant donné ce que je compte en faire...

- C'est vrai. dit-elle tout en déverrouillant la serrure de son bureau et en poussant hâtivement la porte. Alors si vous voulez bien entrer, mon ami.

Le capitaine McKlayn arrivait facilement à hauteur des poutres apparentes dans la petite pièce au sein de laquelle la Maire avait aménagé ses affaires. C'était un choix personnel qui s’accommodait avec la luminosité de l'endroit : le matin, c'était ici que la lumière entrait plus que nulle part ailleurs dans le Capitole. Le reste du bâtiment avait la fâcheuse tendance de baigner dans l'ombre, ici au moins elle ne se sentait pas évoluer dans des souterrains humides et froids.

Le géant referma donc la porte et prit place, le dos légèrement courbé durant la démarche, tandis que la dirigeante retirait son manteau et venait s'asseoir sur son siège confortable derrière le bureau. S'équipant, au passage, de lunettes de vues descendant coquettement sur le bout de son nez avant de saisir les trois feuilles de papier traînant sur le bureau méticuleusement rangé.

Elle commença la lecture traditionnelle des termes de l'échange... quand un bruit de cloche résonna soudain. Puis une myriade de coups de feu ponctués de tirs de canons, non-loin.

- Mais qu'est-ce que... commença-t-elle tout en se tournant vers l'une des nombreuses fenêtres cloisonnant la pièce depuis lesquelles elle possédait une vision sur toute la ville et le terrain vague qui la bordait.

Elle repéra d'abord sans difficulté la masse sombre qui progressait rapidement vers les remparts... et qui se précipitait vers les grandes portes désormais grandes ouvertes. Puis elle vit les uniformes des envahisseurs et, pour certains, leurs tenues de camouflage.

Son sang ne fit qu'un tour, lui permettant d'esquiver à temps un coup de garde d'épée ciblant le sommet de son crâne. Le capitaine l'avait trahie.

Une intense déception l'envahit. Puis de l'amertume et finalement de la colère, tandis que les poils sur sa peau se hérissaient. Et grandissaient, venant bientôt recouvrir l'épiderme tout entier de la tête aux pieds. Ainsi que grandissaient ses ongles soigneusement limés et finalement ses dents.

Dans l'ombre d'un coin de la pièce où se trouvait jadis un beau brin de jeune femme, deux pupilles rouges dévisageaient le pirate qui, lui, souriait encore et toujours avec la même expression et le même regard. Il semblait ébahi, à la limite de l'hystérie.

- Alors ce que l'on dit est vrai. remarqua-t-il finalement...

...avant que la bête ne se jetât soudain sur lui.
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Petit à petit, les bâtisses disparaissaient sous l'épaisse fumée se propageant dans les rues. Même si la plupart d'entre elles semblait toucher le ciel, l'agente se voyait obligée d'avancer dans un brouillard lui obstruant les sens et plus principalement la vue. Ses oreilles, elles, sifflaient à cause d'un projectile tombé non loin qui avait provoqué des dommages considérables à l'un des immeubles. Puis son nez l'irritait atrocement, aussi bien que ses yeux, à cause des gaz présents dans l'air. C'en était finalement devenu aussi handicapant pour elle... que pour les pauvres âmes amenées à croiser son chemin.

Les cadavres tombaient sous ses lames, sans qu'elle pusse dire de qui ou de quoi il s'agissait. Elle vagabondait et se repérait aux silhouettes avançant à l'aveuglette dans sa direction. Perdue, elle cherchait le bâtiment qu'on lui avait décrit comme étant l'hôtel de ville où elle devait censément trouver sa cible. Plus facile à dire qu'à faire... surtout sans le Rokushiki.

Le handicap était réel et ça l'agaçait.

Finalement, après trois minutes de marche supplémentaires, elle parvint à un endroit où la brume semblait s'être levée. Car il était désert, car les canons ne le bombardaient pas et que, de toute manière, il n'y avait rien à bombarder. Il s'agissait d'une grande place rectangulaire où, autrefois, les étals de marché devaient venir s'installer pour vendre leurs produits frais. Celle-ci était bordée de bâtiments que la jeune femme pouvait désormais détailler.

Dans leur vaste majorité, ceux-ci étaient des maisons à colombages aux couleurs diverses, variées. Certains montaient sur de nombreux étages, d'autres au contraire n'en possédaient qu'un seul. Puis, lorsque l'on faisait le tour, on remarquait un bâtiment plus sobre, fait de pierre plus que de bois, qui avançait légèrement vers l'épaisse fontaine rocheuse située au milieu du plan. Semblable à une église, austère, vide ; l'agente venait enfin de trouver le fameux Capitole.

Un sourire dangereux marqua la joie de sa petite victoire sur son visage désormais couvert de crasse et de sang. Elle entreprit alors d'avancer à pas feutrés vers la bâtisse.

Vaste, presque plus grande à l'intérieur qu'on ne pouvait l'imaginer en la voyant de l'extérieur, celle-ci n'était nullement gardée ni défendue. L'impression de vide émanait principalement de l'absence de mobilier pour décorer l'endroit. Le minimalisme poussé à son maximum. Et le silence, pesant, confortait cette impression. Tout du moins jusqu'à ce que l'oreille de l'agente captât le capharnaüm s'échappant du dernier palier de l'escalier principal, qu'elle devinait provenant de la pièce exiguë appartenant à la tour surmontant la base de l'édifice.

Tout là haut, on se battait. Et ce fût en escaladant les marches qu'elle en découvrit l'une des premières victimes.

Défiguré par des traces de griffures monstrueuses, des lambeaux de chair violemment arrachés, des membres disparus : le cadavre du Limier aurait très bien pu prétendre être de la viande hachée bien saignante que la jeune femme n'aurait pas protesté une seule seconde. Et quand une telle vision d'horreur aurait suffit à épouvanter n'importe qui et le faire détaler au pas de course, la chose venait au contraire conférer chez la CP9 des frissons et une poussée d'adrénaline hors du commun. Elle grimpa donc les marches plus vite encore, gravissant palier après palier dans une frénésie incontrôlée, jusqu'à faire une nouvelle découverte macabre une fois arrivée au dernier étage. Celle-ci n'avait pas de tête ni de jambes. Elle se figea alors, remarquant dans l'atmosphère un changement perceptible : les bruits de combat, qui auraient logiquement dû être tout proches, venaient de cesser.

Sans prêter la moindre attention à la porte gisant sur le sol à sa droite, elle pénétra dans ce qui devait être à l'origine le bureau de la Maire. Mais qui était désormais un fatras sans nom de meubles renversés, tailladés, de débris de verre brisé et de feuilles volantes.

Là, dans un coin de la pièce baignant dans l'ombre, deux silhouettes se faisaient face... immobiles. Ce fut sans peine qu'elle reconnut le capitaine McKlayn dont la stature semblait désormais moins imposante tandis que celui-ci gisait au sol, acculé contre le mur. L'homme semblait avoir davantage souffert des affres de la guerre que son opposant : griffé et mordu à plusieurs reprises, les vêtements en lambeaux, le buste à découvert, le pirate pissait tout simplement le sang des pieds à la tête. Mais ce ne fut pas son état déplorable qui avait le plus interloqué la jeune femme, la laissant stoïque, là, sur le pas de la porte. Plutôt son ennemi, représenté sous une masse informe, noire, poile, dont les rubis rougeoyaient dans les ténèbres en la dévisageant.

Jamais on ne lui avait fait mention d'une telle chose dans le camp adverse.

Une voix sombre et grinçante retentit alors derrière les crocs effilés dépassant de la gueule du fauve. Semblables à des jappements, les mots parvenaient difficilement à s'en échapper et n'étaient reconnaissable qu'à la lenteur d'élocution du monstre.

- Tiens... tiens... une... nouvelle... proie...

Jusqu'à ce que la bête ne se misse à parler, le sang de l'albinos était resté figé. L'incompréhensible, le surnaturel étaient sa faiblesse et la seule chose capable de l'armer de ce curieux sentiment qu'elle ignorait le plus souvent : la peur. Mais le fait que le monstre fusse capable de prononcer des mots le ramenait simplement à la condition d'être humain raté. Et s'il ne s'agissait pas de la malédiction d'un fruit du démon, la véritable raison ne devait pas en être très éloignée.

Un monstre comme elle, maudit, qui ne pouvait pas nager et n'avait plus rien d'humain. Sauf que l'agente avait la chance de pouvoir garder cette particularité secrète. Ses muscles se dénouèrent alors, son souffle se relâcha, puis arquant sa bouche dans un pâle sourire elle demanda enfin :

- Qui es-tu ? Où est Fleur Joliteint ?

Ce qui collait le mieux à la description d'un loup-garou, comme dans les légendes, avançait dans sa direction, sur ses gardes. Le festin devait tellement avoir l'air à portée de main, pourquoi se hâter ?

- Tu... aimerais... le savoir... hein ? répondit la chose tout en arquant légèrement le dos, prête à traverser la distance séparant les deux interlocuteurs d'un bond.

Annabella en était désormais quasiment sûre. Entretenir la conversation plus longtemps relèverait d'une perte de temps. Et ici, à l'abri des regards, sinon de celui du pirate blessé, incapacité, elle pouvait enfin dévoiler l'étendue de ses pouvoirs.

La bête mi-homme-mi-canidé bondit. Mais la silhouette blonde avait d'ores et déjà disparu dans un courant d'air vif, rapide. Non, elle était juste derrière.

- Jugon.

L'équivalent du Shigan mais avec le poing, un coup capable de transpercer l'acier... que la bête arrêta de justesse à mains nues.

- Cipher... Pol. sourit cette-dernière avant de renvoyer la pareille.

Un simple coup de patte ciblant le flanc de la CP9. Qui brisa le Tekkai de l'agente comme s'il n'avait jamais existé.

- Fort...très fort. pensa la jeune femme tout en étant projetée à l'autre bout de la pièce.

Ça n'était définitivement pas pour rien que tous ses prédécesseurs envoyés en mission dans les parages pour enquêter sur Joliteint n'en étaient jamais revenus. Elle comprenait bien mieux désormais pourquoi une femme aussi frêle et fragile était parvenue à se faire autant respecter de ses pairs. Seulement si elle pensait que la force de l'albinos s'arrêtait là, elle la sous-estimait grandement. Et il s'agissait là d'un avantage considérable pour Anna. Un avantage qu'elle comptait garder le plus longtemps possible dans sa manche.

Avant même qu'elle ne se fusse entièrement redressée, la silhouette aux cheveux immaculés s'était déjà évaporée, lui permettant d'esquiver un coup de membre inférieur dévastateur qui lui aurait probablement laissé des séquelles. Le monstre n'était pas juste puissant, il était aussi rapide. Et si la jeune femme n'avait pas été obligée de raccourcir son champ de vision pour décamper en vitesse, elle aurait juré que son adversaire avait adapté une autre morphologie le temps de se déplacer d'un bout à l'autre du bureau.

Sans avoir le temps de se poser davantage de questions, elle balaya l'air de sa jambe tout en se freinant dans sa course, cumulant l'élan pris par le Soru et la lame dévastatrice du Rankyaku. Celui-ci manqua de peu la gueule du loup... du lycaon ? Mais n'échoua pas à redessiner le paysage alentour. Allongé sur le sol, Ethan McKlayn dévorait la scène des yeux sans piper mot, encore assez robuste pour éviter de se prendre des balles perdues dans la trombine.

Brutalement scindés, les murs de pierre du bureau se désolidarisèrent du reste de la structure pour venir s'écrouler autour des belligérants, avec le reste du toit. Le découpage avait fini sa route dans un immeuble à l'autre bout de la place qui avait, lui aussi, sévèrement pâti de la puissance de l'attaque.

Devant la grandeur du défi et du combat qui s'annonçait, le loup-garou ne semblait que plus ravi. Tout comme l'était Annabella. Ainsi que leur unique spectateur dont le malin sourire prêtait à penser, pour n'importe qui ayant eu l'occasion de le voir un bref instant, que son rôle dans tout cela était loin d'être terminé.

Ainsi, ce fut avec le même sourire carnassier que les deux femmes bestiales se jetèrent l'une sur l'autre, dans un combat tout ce qu'il y avait de plus inhumain.


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Mer 22 Fév 2017 - 17:37, édité 1 fois
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Pendant ce temps, plus bas dans la ville.

Le révolutionnaire n'était pas certain de ce qu'il venait de voir. Ses yeux ne lui avaient pas menti, mais il se refusait à y croire, en quelque sorte. Puis les soldats ennemis avaient afflué et sa vue s'était embrumée de sang, alors il n'avait cessé de tuer pendant de longues minutes qui semblaient être une éternité. Mais maintenant il était proche du corps de son ami, dont les armes mortelles avaient brutalement été arrachées, emportant avec elle chair et morceaux d'os.

L'ancien Leader était tombé au combat comme il l'avait désiré et même si sa mort était imminente, Jim n'avait pu se résoudre à le laisser partir. Maintenant plus que jamais, un torrent d'émotions le bouleversait et le remplissait d'une amertume sans fin, d'une envie machiavélique d'en découdre. Il était recouvert du sang de ses adversaires, mais il fallait croire que cela ne suffisait pas. Ce n'était pas le bon. Le bon, lui, se battait à plusieurs mètres de là, entouré de ses hommes dont la vaillance et l'efficacité semblaient grandir à proximité de leur Commandant. Et devant eux grandissait aussi l'amoncellement de corps de pirates et de frères révolutionnaires.

Jim fonça sans réfléchir davantage, épée à la main, dague dans l'autre.

Il fit trois victimes sur son chemin avant d'atteindre le centre de la résistance. Ils étaient près d'une vingtaine à couvrir leur chef. Mais pussent-ils être dix mille que cela n'aurait rien changé : le révolutionnaire était bien décidé à faire danser ses lames. En le voyant dans cet état, une dizaine de ses frères l'avaient suivi pour l'épauler dans la tâche. Parmi eux figurait évidemment Malbouf ainsi que le Veau-Benoît. Un bref instant, le Leader se surprit à penser à son amante en espérant qu'elle n'eusse pas rencontré de difficultés. Puis son esprit se concentra uniquement sur sa cible.

L'ennemi se battait et il se battait bien. Mais jamais assez bien pour pouvoir faire face au rebelle et à ses plus proches guerriers. Rapidement il ne resta plus que la moitié des gardes du corps du géant gris, qui n'attendit pas plus longtemps pour faire face à son destin.

Une lame en rencontrant une autre, le combat entre les deux hommes débuta.

L'originaire d'Orquie était doté d'une force incommensurable avec laquelle il pouvait aisément broyer à mains nues un crâne humain. Imperturbable, il eut rapidement le dessus sur le représentant de la Vox qui cherchait ardemment la moindre faille dans la cuirasse d'acier de son ennemi. Après dix minutes d'échanges, il comprit qu'il n'y en avait pas... ou en tout cas pas pour lui.

Le combat se prolongea alors encore et encore, fatiguant le simple humain tandis que le bestiau de trois mètres de haut ne semblait souffrir d'aucune relâche. Puis vint le coup de pommeau de hache violemment porté à la tempe du Dystopien qui le fit vaciller et occasionna une ouverture. Une ouverture en or que n'importe quel combattant aurait saisi. La hache du Orquien n'échoua pas une seule seconde à se planter entre les côtes du dirigeant, l'envoyant brinquebaler à terre comme s'il ne s'agissait que d'un vulgaire sac de pommes de terre. L'homme crut l'instant fatidique arrivé quand la silhouette sombre du gris-de-peau le rejoignit et le toisa de toute sa hauteur, une seconde hache prête à finir le travail.

Jusqu'à ce qu'un projectile immense ne vînt balayer l'Orquien comme s'il s'agissait d'une poupée de son.

La dernière image qu'eut le blessé avant de sombrer dans un profond coma fut alors celle du chef de guerre pirate à la peau verte se précipitant à ses côtés pour venir récupérer quelque chose à terre... une hache immense faisant quasiment sa taille.

- Te méprends pas l'Orquien, c'moi ton adversaire !

Un Ogrois, évidemment.

Comment avait-il pu être aussi bête ?
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Ce n'était pas tous les jours que l'on assistait à un tel spectacle. Et à vrai dire, n'importe quel esclave ou agent du gouvernement pouvant être torturé ne valait pas le quart de ce qu'il était en train de se passer devant les yeux du pirate.

Allongé ventre contre le sol, l'homme regardait le combat qui faisait rage devant ses yeux depuis près d'une dizaine de minutes déjà. Alors que pendant ce temps ses sous-fifres nettoyaient le reste de la ville et foutaient le feu aux bâtiments, que les Limiers devaient commencer à prendre la fuite, lui restait là à contempler ce petit bijou d'action.

Le panorama autour affichait désormais la même place en proie aux flammes tandis que les cris s'étaient étendus jusqu'en contrebas du Capitole... où son plus fidèle capitaine échangeait coup sur coup avec le Commandant des Limiers. Un combat qu'il avait prévu au vu des origines des deux spécimens, mais pour lequel il n'avait pas d'yeux, non, pas le temps. Pas une seule goutte à perdre de la bataille qui faisait rage entre la prétendue Eleanor qu'il avait percée à jour grâce à Hermione et la Maire du Seizième. Ou de ce qu'il en restait.

Des esclaves, voilà ce qu'il en resterait. Des hommes et des femmes qui viendraient croupir dans ses geôles. Pas d'enfants, non, il ne voyait pas quoi en faire, aussi les libérerait-il dans la Capitale où les pauvres opprimés, eux, sauraient.

Il se réjouissait de voir que tout se passait comme prévu. Voire même mieux que prévu.

D'ici quelques minutes encore il se redresserait pour empêcher l'une de tuer l'autre et les capturerait toutes les deux. Avec ça il était certain de devenir l'un des plus fidèles commandants du Malvoulant... autre chose que de faire semblant d'être larron en foire avec ce crétin de Frost.

Mais pour le moment, il valait mieux attendre. Oui, il était préférable.

Oui et continuer à sourire, ça aussi il pouvait.
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Un coup de croc dans son bras droit avait eu raison des mécanismes lui permettant de mouvoir la plupart des doigts à l'extrémité de ce-dernier. De nombreuses autres griffures et morsures parsemaient son corps. Elle tenait encore miraculeusement, mais plus pour longtemps.

Chaque attaque de l'ennemi avait comme dessein d'être mortelle. Mais la carapace du Tekkai lui avait de nombreuses fois permis de sauver sa peau tandis que le Kami-E venait compléter la souplesse de ses esquives. Elle n'était donc pas en si mauvais état que cela. De son côté, la bête elle aussi souffrait d'innombrables blessures. Des côtes comprimées par les quelques Jugon ayant passé sa garde, des trous dans la chair et de longues estafilades avaient fini par avoir raison de la vivacité de ses déplacements. Et désormais il lui était plus difficile de changer d'apparence en plein mouvement.

L'albinos avait le dessus, mais uniquement parce que son adversaire avait eu la malchance de devoir enchaîner deux combats et commençait à manquer de souffle. De temps à autre, il lui était même pénible de garder sa forme de Lycaon, ce qui prêtait définitivement à penser qu'il s'agissait là d'un fruit du démon. L'agente n'était plus terrifiée, elle exultait presque. Mais se réjouissait de voir que la fierté de son adversaire, elle, restait intacte en toute circonstance.

Elle méritait un final spectaculaire.

Car quand une étrange aura bleutée se mit à onduler autour des poings de la CP9, ses yeux s'agrandirent et elle comprit. Elle comprit qu'elle n'était plus de taille, pas après s'être autant fatiguée. Pas après un premier combat contre Ethan McKlayn qui l'avait laissée plus affaiblie qu'elle n'avait osé le montrer.

- Je... t'ai... sous-... estimée. peina à dire la louve, tandis qu'elle se remettait sur pattes pour fusiller la femme-séismes du regard.

Cette-dernière ne répondit pas, non, elle ne fit que lui dévoiler son plus magnifique sourire...

Avant de foncer vers la Maire d'un Soru, arrachant la moitié de la tour dans l'élan donné par l'appui du talon contre le sol. Et de lui asséner un Jugon magistral qui fit trembler les fondations de la bâtisse et celles des immeubles alentour. A quelques dizaines de mètres de là, une maison s'effondra brutalement. Le souffle de l'attaque ne laissa que des débris et pour cause : la maudite avait disparu.

- Merde. eut le temps de penser l'agente.

Avant que trois lames courtes, des griffes acérées, ne lui lacérassent le dos, l'expédiant dans la cage d'escalier devant elle où elle chuta de plusieurs étages. Prestement, elle évita heureusement le prolongement de la chute désastreuse d'un Geppou salvateur. Sous la puissance de ce-dernier, ce fut toute la base du bâtiment qui vibra, occasionnant fissures dans les murs et chutes de morceaux de plafond.

Anna avait commis la même erreur que son adversaire et était désormais en mauvais posture à cause de l'attaque portée dans son dos. Du sang ne cessait de s'échapper de ses muscles endoloris, tandis qu'une bonne partie de son corps demeurait paralysée par la douleur. Elle remonta toutefois grâce à un nouveau bond dans l'air, pour se hisser au niveau de la Maire qui n'avait pas daigné bouger. Moins faible qu'elle ne le paraissait réellement, elle l'était car elle économisait désormais ses forces au lieu de courir partout. Certains coups valaient la peine d'être reçus... mais pas ceux que la blonde pouvait porter avec cette étrange lueur bleue entourant ses poings. Et qui s'était désormais étendue aux deux poignards avec lesquels elle allait poursuivre le combat.

La louve ricana en voyant la taille ridicule des lames. Mais cessa dès que l'agente en fit démonstration, plongeant l'un des deux coutelas dans un mur isolé comme si ç'avait été du beurre, puis le retirant avant que la paroi ne se fissurât soudainement et ne s'effondrât. Le geste était annonciateur de l'issue du combat, vouée à être réglée dans les prochaines secondes qui n'avaient d'autre choix que d'être décisives. Car tout allait se passer très vite, tel que c'était désormais prévu dans le crâne de la CP9.

Ce fût donc une première lame qui vola soudainement en direction de la gueule de la bête, expédiée à une vitesse dépassant l'entendement. Puis juste derrière le projectile vint Annabella, dont le Soru poussé à son paroxysme la rapprochait inévitablement de son ennemie, déjà occupée à esquiver la première attaque. Et même si la rapidité du monstre était telle qu'il eut juste le temps de lever une patte garnie de griffes prêtes à déchiqueter l'assaillante, il ne put rien faire contre la seconde lame toujours reliée au bras de l'agente qui pourfendit sa cuisse.

Les griffes s'enfoncèrent sur un bon centimètres dans la poitrine de l'albinos finissant sa course, mais le poignard, lui, traversa le muscle de la Maire de part en part. Et lui parcourut le reste de la jambe de spasmes soudains créés par les vibrations venant broyer les os de l'intérieur.

Le lycaon défaillit instantanément, battu, vulnérable et désormais bel et bien de retour dans son corps d'être humain. Nue comme au jour de sa naissance, Fleur Joliteint se tenait recroquevillée sur elle-même au milieu des décombres, le visage rongé par la douleur et la défaite. Elle s’efforçait visiblement de ne pas hurler. Puis ce fut au tour d'Anna de s'écrouler sur ses genoux, face à la Bourgeoise. Car ses blessures n'avaient rien de superficiel et qu'elle n'avait réussi à vaincre son adversaire que de peu. Elle resta ainsi là à regarder l'autre maudite, attendant que quelque chose se passe, attendant de recouvrer des forces.

Et en effet quelque chose se passa.

Un bruit de chaînes tout d'abord. Puis une étreinte venue enserrer leurs deux corps, tel un étau. Et enfin un applaudissement, celui du Commandant des Sunset Pirates qui s'était relevé et se rapprochait désormais d'elles inexorablement. Aucune des deux n'était en capacité de lutter.

- Ça alors... Je dois dire que je suis bluffé, mes dames. exulta le bonhomme avant d'exploser d'un rire aussi bruyant qu'hystérique, avançant inévitablement dans leur direction.

Et les chaînes qui continuaient à les comprimer, à serrer toujours et encore. Jusqu'à ce que les deux femmes en perdissent leur souffle et commençassent à perdre conscience. Mais l'homme continuait de parler. Il savait qu'elles l'écoutaient.

- Ma foi, si j'avais su que j'allais tomber là-dessus. Sacrebleu, le fruit des séismes, ma petite Eleanor, pourquoi donc m'avoir caché ça ? Hein ?

Anna se surprit alors à perdre pieds, transportée dans l'air par les cordages de Haki qui l'entouraient et la suspendaient. Elle comprit davantage le phénomène quand elle le vit appliqué sur l'autre jeune femme, désormais dans les vapes. Mais l'agente pouvait encore résister quelques précieuses secondes. Grappiller de précieuses informations divulguées par l'égo du pirate. Car le bonheur lui faisait tourner la tête et il n'avait plus la langue dans sa poche. S'il les capturait, ce n'était pas juste pour les torturer en spectacle non. Il voulait visiblement récupérer leurs pouvoirs du démon. Mais pourquoi ? Pour qui ?

- En tout cas... je connais un empereur qui va être drôlement content ! Oh ça oui, héhéhé ! Hahaha !

Un rire tonitruant, malsain. Et un empereur. Ce furent les dernières paroles qu'entendit l'agente avant de rejoindre le royaume des songes. Mais du plus profond de son sommeil, elle se surprit à sourire, goguenarde. Le gaillard pouvait rire, ça oui.

Mais il n'était décidément pas au bout de ses surprises.
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Bien plus tard au QG de la Révolution

- ...peut pas le laisser comme ça.

- Secourir les z'autres ? Non mais z'êtes malades. Z'avez jamais été à Alsbrough, ça s'voit. J'veux pas finir ouvert vivant sur un p'tain de poteau, moi.

- Alors on reste là comme des cons ? 'Croyez qu'il fera quoi, Jim, quand il s'réveillera hein ? 'Croyez qu'il restera là comme un con, lui ?

- Je crois... qu'il aimerait qu'on lui explique la situation... parvint difficilement à épeler l'homme fraichement sorti du coma.

Trois de ses compagnons l'encadraient, mais ce n'était pas tant leur présence que le lieu dans lequel ils se trouvaient qui retint l'attention du révolutionnaire. Dans la chambre du Leader... celle qui avait longtemps été celle de Blake avant qu'il ne laissât la vie, là-bas, au Seizième.

Que faisaient-ils là ?

Il attendit patiemment que les trois bonhommes perdissent leurs faces confites avant de poser la question. Il n'était toutefois pas sûr que la réponse pusse lui plaire. Mais même la plus mauvaise des suppositions pouvant traîner dans le crâne endolori de l'endormi était loin de la réalité.

Les vaillants combattants passèrent ainsi deux minutes supplémentaires à se regarder dans le blanc des yeux avant qu'un brusque rappel à l'ordre ne décidât auquel incombait la tâche de mettre leur supérieur au courant. Car après la courte victoire, la défaite avait été totale et le Leader, en le sachant, ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même. Et tous trois se faisaient du mouron pour leur camarade, dans l'hypothèse où il fusse au courant. Ce qui était irrémédiable.

Ce fut finalement Malbouf qui prit la parole, maladroitement. L'éclaireur avait écopé dans la bataille d'une longue balafre sur le côté du visage et celle-ci n'avait visiblement pas eu le temps de cicatriser. Deux jours seulement s'étaient écoulés depuis la révolte.

- Nous... nous avons tout perdu, Jim.

- Mais... nous avions l'ascend-aïe.

Chercher à se déplacer avec l'entaille que se trimballait le bonhomme dans le ventre était visiblement une mauvaise idée. De dépit, l'homme s'enfonça au plus profond de l'oreiller contre lequel il était adossé. Sa blessure, il s'en fichait, il cherchait à comprendre ce qui se dissimulait derrière les yeux de son adjudant.

- Oui. Et les Bourgeois ont été vaincus en un rien d'temps. Aujourd'hui l'Seizième n'est plus qu'un tas d'cendres et d'pierres noircies par les flammes...

- Mais... ?

- Mais y'a qu'cet enfoiré d'McKlayn nous a fait un joli coup d'pute ! intervint le Veau dont le sang semblait encore bouillonner de rage.

- Et l'autre garce aussi là... Hermione ! Elle nous a trahis.

- Hein ? Attendez ! Quoi ? Quel coup de pute ? Et qu'a fait Hermione ?

Décidément les deux lascars n'étaient pas doués pour faire ce genre de compte rendu. Et à vrai dire, personne n'était vraiment doué pour ce genre de tâche.

- On tenait la ville, les Bourgeois se rendaient... On demandait pas plus. Pis les pirates ont commencé à tout saccager. Les ordres apparemment, qu'y disaient. Z'ont commencé à capturer ceux qui s'rendaient, pis ceux qui leur revenaient pas, 'les abattaient sans sommation. Bien sûr, y'a eu une partie des Limiers qui s'sont carapatés, mais ça s'en foutaient. S'en prenaient qu'aux civils et à ceux qui s'rendaient, cherchaient pas à courir après les fugitifs. Et c'est quand leur chef est revenu...

Le récit semblait avoir atteint son apex mélodramatique, si bien que la voix du lascar s'étranglait dans son gosier et que les mots se hachaient dans sa bouche. Le tout restait difficilement compréhensible.

- Quand McKlayn est revenu 'vec le corps de la Maire enroulé dans tout un tas d'cordages... et celui d'Eleanor dans le même état. Il a précisément dit : Capturez les révolutionnaires et ceux qui refusent de se rendre sans résister... butez-les.

- Z'ont liquidé un bon paquet des nôtres comme ça ! Beaucoup qu'avaient déjà rendu les z'armes, putain ! intervint le troisième larron qui n'avait pas pris la parole jusque là.

- Heureusement que l'Veau avait senti le coup venir. Avec lui et deux autres gars on vous a récupéré dans un sale état... et on a fiché l'camp.

Le Leader n'en croyait pas ses oreilles. Sa céphalée était encore plus importante qu'à son réveil désormais et le sang lui battait les tempes et les joues. Il voulait refuser un tel état des faits mais devait se plier à la vérité établie : le pirate l'avait trahi. Et le pire dans tout cela... c'était qu'il s'y attendait.

Faire alliance avec un pirate n'avait jamais rien apporté de bon à la révolution, jamais sans de lourdes contreparties. C'était ce contre quoi il s'était battu durant une bonne partie de sa vie avant de prendre cette décision désespérée. Et aujourd'hui de nombreux frères d'armes gisaient encore sur le champ de bataille, dévorés par les charognards, et tout cela pour quoi ? Même pas pour un idéal de liberté car encore une fois la révolution n'allait pas pouvoir rattraper le coup, vu l'état dans lequel tout cela l'avait laissée... Non, tout cela, c'était juste pour se venger. Rien d'autre.

Dévoré par ce même sentiment qui s'était intensifié au lieu de complètement disparaître, il darda un oeil sombre sur les trois hommes à son chevet.

- Et vous au lieu de combattre, vous avez fuit ? Vous avez laissé vos frères et vous vous êtes barrés ? cracha-t-il au visage du plus proche.

Le pauvre Veau qui n'avait rien demandé et grâce à qui le Leader était encore en vie.

- Ben c'est qu'on est pas suicidaires, qu'ça aurait servi à rien et qu'maintenant on peut p'tet réfléchir à que'que chose, non ?

- Sauf qu'on ira pas très loin à cinq...

Le Leader ne pipa mot pour répondre à cette constatation. A la place, il se redressa à nouveau malgré la douleur et porta sa main sur l'épaule du boiteux, puisqu'elle était la plus basse. Celui-ci la supporta sans ciller, tandis que Jim se levait, les poings crispés, quasiment incapable de tenir debout sans aide. Il fit toutefois un pas, puis un autre, en se dirigeant vers la porte de la chambre menant sur la base révolutionnaire quasiment vide.

La cité cachée n'était pas dans un meilleur état : seuls les vieillards et les enfants étaient restés. Peu de femmes n'avaient pas pris les armes car la Vox les mettait sur le même pied d'égalité que les hommes. Toute paire de bras était bonne à prendre. Toutefois plus ça allait et plus le Leader regrettait de ne pas être parti seul. Sauf que comme l'avait dit Benoît, Hermione les avait trahis. Les pirates auraient donc su ce qui se tramait à la Cavité quoi qu'il advînt.

McKlayn l'avait roulé dans la farine de A à Z et il n'avait rien vu venir.

Arrivé à la porte, le révolutionnaire s'arrêta enfin, une main posée sur un coin de la porte. Non, ce n'était pas qu'il avait besoin d'aide pour l'ouvrir, mais il se demandait juste :

- Eh bien, qu'est-ce que vous attendez ? Nos frères et sœurs ne vont pas s'échapper tout seuls...
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