Un beau soleil
Tenko Sozen, Eikichi Suzuki
Un grand ciel bleu s'étendait au dessus de la tête de l'équipage depuis deux bonnes journées. Après un mois d'intempéries quasi-continuelles, la chaleur des rayons lumineux donnait aux matelot de la flotte marchande un entrain peu commun. Conversations et rires se faisaient entendre de la poupe à la proue et de bâbord à tribord. Tenko participait au ramdam joyeux qui avait pris place sur le brick qui se dirigeait vers Kage Berg. Ils avaient pour but d'approvisionner l'île en boisson pour la fameuse foire de la Vache, un événement incontournable de cette mer. Et la feuille de route leur suggérais de rester et de profiter un peu avant de reprendre la mer. Soudain un cri au milieu de tout les autres attira l'attention de tout les marins sur le pont:
"Weigh-hay and up she rises!"
Un court silence se fit entendre, presque religieux, puis d'une seule voix, à l'unisson, tout les hommes se mirent à chanter.
Le chant résonna dans tout le navire à mesure que celui-ci s’approchait des côtes de la petite île, croisant d'autres bateaux dont les passagers s'arrêtaient pour écouter les marins. D'autres équipages se mirent alors aussi à chanter et l'arrivée du Goléon sembla presque annoncer le début des festivités. Ils achevèrent leur chanson quand ils durent amarrer le brick et s'affairèrent à leurs tâches respectives. Tenko s'occupa de lancer les amarres aux dockers chargés de les attacher. Puis il s'assura que les ancres de proue étaient bien descendue avant de rejoindre ses collègues pour décharger les caisses.
Le navire avait été chargé à son tonnage maximal en prévision de la demande immense que représenterait la fête. Des barils de rhum étaient entassés par dizaines, à côté de caisses certainement remplies de viandes séchées et autres denrées communes pour les voyage en mer. Le jeune mousse ne connaissait pas l'identité du fournisseur mais présumait assez bien la somme l'argent que ce dernier allait retirer de la vente de tant de vivres. Il se saisit d'une caisse et la passa à un autre marin qui faisait des allers retours entre la cale et le pont pour transporter la marchandise.
"Ça va lui faire drôle à la bête de se sentir toute légère, pas vrai Tenko?"
L'homme qui venait de l'apostropher n'était autre que Johnny Pike, un marin d'âge mûr qui avait navigué toute sa vie durant sur les quatre mers bleues au service de la corporation marchande qui possédait le Galléon. Il était de taille moyenne et trapu, même si sa musculature laissait apparaître une force nécessaire pour manier les cordages. C'était un homme sympathique, toujours prêt à plaisanter ou à pousser la chansonnette sur le pont. Il ne s'était jamais rangé pour fonder une famille, prétextant que la mer et les marins étaient la seule famille à laquelle il désirait appartenir.
Tenko avait apprit un jour, au détour d'une conversation triste par une soirée morose, de la bouche de l'intéressé même, que son infertilité était la principale raison d'une carrière si longue à bord de la Marchande. Il avait rencontré une femme dans sa jeunesse mais leur échec à avoir un enfant l'avait repoussée loin de ses bras. Ses voyages fréquents n'avaient d'ailleurs pas aidés à faire de leur relation un amour stable. Des années plus tard, il avait découvert qu'elle avait refait sa vie et eu plusieurs enfants, confirmant donc son infertilité. Il avait donc blagué en beuglant qu'il était le plus vieux marin du navire à ne pas avoir trois gosses par port.
"Ça va faire un bail qu'on a pas navigué à vide ouais!"
Johnny lui lança un clin d’œil avant de lancer une beuglante sur deux marins qui avaient laisser échapper un baril. Pour être consciencieux, il l'était. Après une heure de travail, ils vinrent à bout des derniers contenants et purent se glisser hors de la cave humide sous le soleil chaud qui régnait en maître au dessus de Kage Berg. Tenko s'avança vers le bastingage en attendant que les dernières caisses soient descendues sur le quai. Un sifflement lui sembla destiné et il se retourna pour apercevoir une bourse remplie de Berry's arriver sur lui en décrivant une trajectoire en cloche.
Il la réceptionna et remercia le marin chanteur avant de descendre du navire à toute vitesse. Il rangea sa bourse à sa ceinture et glissa son haut par dessus, voulant éviter de perdre son salaire pendant les festivités. Des chariots étaient là, accompagnés de locaux qui chargeaient les vivres pour les acheminer dans les près où se tiendraient les festivités. Le capitaine de leur navire monta alors sur deux caisses pour surplomber ses hommes et leur donna leurs instructions.
"Messieurs, comme le trajet s'est déroulé sans encombres, je ne vois aucune raison de ne pas vous laisser profiter de la foire."
Des sifflements accompagnèrent les acclamations qui fusèrent à ces mots. Cela faisait des mois qu'ils travaillaient d'arrache-pied, et c'était là l'occasion pour eux de souffler un peu.
"Mais restez correct, je ne veux pas avoir à venir vous récupérer chez les mouettes parce que vous avez abusé de la binouse! Et essayez aussi de ne pas dépenser votre salaire dans des conneries."
Il allait descendre des caisses mais se ravisa et lança, sur un ton plus jovial:
"Et le premier qui me ramène une vache est de corvée de pont jusqu'à l'année prochaine!"
La plupart des marins, à l'instar de Tenko, s'éloignèrent en direction du village tandis qu'une poignée d'entre eux remontèrent à bord pour emmener le navire mouiller dans la baie. Le port de Kage Berg était petit et on était jamais à l'abri de collisions entre navires. Le jeune loup de mer se dirigea en hâte vers Kage Berg.