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Il tue des gens et ça le rend fier, c'est un genre de fou

Ma copilote pour une virée en Enfer
Dans l'épisode précédent.


Dans l'épisode précédent, on a gratté Dead End et le pus a commencé à en couler.
Moi ça m'a fait bien rire. Mais des gens trouveraient ça de très mauvais goût.

Une vie de gladiateur s'élève pas beaucoup plus haut qu'une vie de bousier.
Le bousier fait rouler sa crotte, ses dimensions seront proportionnelles à la gloire qu'il en tirera. Il s'en sert pour bâtir son avenir : elle lui assure pitance et abri. Cette crotte, donc, je le rappelle, est sa Gloire : elle est toute son existence, si vous lui retirez il redevient un paria fragile indigeste même pour les corbeaux.

Cette crotte lui est si capitale qu'il lui emprunte son nom : bousier, comme la bouse, vous voyez ? Des gens ont estimé que cette crotte était si centrale à sa vie qu'elle devenait partie intégrante de son identité.

Le Gladiateur est dans une situation similaire. Sans gloire, sans argent, sans supporters, c'est un bouton d'acné sur la figure de notre civilisation adolescente.

Vous savez ce qu'on fait aux boutons d'acné. On en éclate un, puis dix ressortent derrière.

Si je n'étais pas gladiateur, je serais un vachement gros bubon. J'ai pas d'âme ni d'honneur. Juste un statut, et un rêve : celui de répandre mon adoration de la Souffrance, pour rappeler à chaque être vivant son Bousier Intérieur.

Sans vos possessions, votre confort, votre famille et vos amis, vous n'êtes rien.
Sans Douleur je ne suis rien.

Merci Nadia, de m'avoir ouvert les portes de l'Arène !

***
Pas trop stressé ?
Non.
Ta première bagarre. L'ennemi est pas un tendre. J'l'ai rappelé à Nadia, mais elle tient à t'offrir un baptême de feu.
Génial.
Je connais bien ton adversaire. Tu veux quelques conseils stratégiques ?
Non. Ça gâterait l'adrénaline.
Jolie mentalité, guignol, peut-être que tu mourras pas trop tôt.
Je te laisse ici. Avances, et amuses-toi bien !
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La lumière des projecteurs suspendus au-dessus de l'arène trouent de nouveaux soleils dans le ciel, arrose ces lieux saints d'un blanc immaculé que le sable absorbe en brillant. Le fumet abominable du sang et de la sueur séchés et des rêves brisés m'emplit les naseaux : c'est le parfum des victoires impitoyables !

Et puis le rugissement du public, ce millier d'âmes qui comptent pour un ce soir, martèlent d'ovations mes tympans douloureux.

C'est comme naître. Découvrir la lumière et le bruit, sortir du liquide amniotique. Une nouvelle fois, laisser ses poumons se gaver d'air à s'en déchirer les alvéoles.
Doppio, né en 1627 au coeur de l'arène de Dead End. Démarre son existence par quelques joyeux meurtres offerts à la rage populaire.

Dans les tribunes, ils scandent son nom :
Texas Chainsaw Massacre, le chevalier aux dents rutilantes.

Il tue des gens et ça le rend fier, c'est un genre de fou Chainsaw_knight_by_bored_drawfriend-daem57b

Oyé, oyé, que de peuple attiré aujourd'hui par la mise à mort d'un profane !

M'est avis qu'ils sont surtout rassemblés autour de nous pour voir luire les reflets pourpres de mon fluide vital dans sa belle armure. Parce qu'il est la star ici, et moi, le faire-valoir.

Doppio, est-ce bien ton nom, petit alevin ? Connais-tu le contenu profond de tes tripes ?
Aujourd'hui, dans un sens ou dans l'autre, tu le découvriras.


ALORS, LES COPAINS ?!
ÇA VOUS DIT, UNE PAUSE DÉTENTE ?
DES RONDELLES DE ROOKIES ?
UNE FRICASSÉ DE RÊVES AU KETCHUP ?


Le public répond au commentateur enragé par une hola et un torrent de bave bouillante.

TEXAS CHAINSAW MASSACRE CONTRE...
DOPPIO...
Putain, cet amateur a pas d'épithète ?
DOPPIO... LE... BOURBIER !


Eh, mais c'est le surnom de Craig Kamina ça. J'en ai assez de lui drainer son identité. Laissez moi forger ma propre âme, dites, je la veux fraîche et phosphorescente, qu'elle illumine la nuit et qu'elle soit le soleil de leurs journées. Brave public ! Il continue à chanter anarchiquement des hymnes agressifs à base de "manger le poisson" ou "éplucher son cadavre et le lancer à la marmite". De braves gourmets.

Quant à Texas Chaintruc Machin, il fait vrombir sa tronçonnette.

BRRRRR
Ta mort sous ces projecteurs est un bien fol honneur pour toi, mon ami.
Ton silence outrecuidant gâte l'introduction de notre joute sacrée.

J'ENTENDS RIEN ! TA TRONÇONNEUSE !
BRRRR
Enfin tu te décides à remuer les lèvres ! Mais tu devras hausser d'un ton si tu veux disserter plus fort que ma fougueuse et assoiffée Dame Martine !

Et là il lèche le manche de sa tronço d'un air très lubrique. Franchement, je n'approuve pas un tel comportement, surtout dans le cadre d'un spectacle bon enfant.
Marrant ça, il entretient une romance avec sa tronçonneuse ? J'aurais eu plus tendance à considérer ces machines comme des armes mâles.

ALORS LES MECS, VOUS ATTENDEZ QUOI POUR VOUS ENTRETUER ?

Tu marques un point, on attend quoi ? Je laisse gicler hors de ma cage thoracique une touffe bien garnie de tentacules boueuses, mimant de me casser en deux dans le processus. Mes guiboles s'effondrent en une grande flaque brune. Quand a mon torse désolidarisé, qui transporte ma tête, rappelons-le, voyons, c'est de l'anatomie basique, mon torse désolidarisé donc : il se sert de ses tentacules pour improviser une petite danse rituelle de joie et de bonne humeur.

Que fait ce démon ? Penses-tu qu'il essaye d'apeurer un preux guerrier tel que moi avec quelques tours de passe-passe, chère Martine ?
BRRRR !

Aucune idée vraie de ce que je fais. Mais j'avais les organes qui me démangeaient et maintenant je peux me soulager.
Non je rigole hihi. Mes organes ne sont qu'une grosse marmelade de vase dégoulinante. Personne ne voudrait gratter quelque chose d'aussi répugnant.
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Il essaye de tronçonner la flaque que mes jambes ont laissé. Pauvre idée, mes jambes sont au paradis des jambes pour le moment. Mes tentacules moites lui fusent aussitôt dessus pour essayer un ligotage, mais il est suffisamment vif pour tempérer à grands coups lestes leurs ardeurs. Malgré sa lourde carcasse, il frétille et sautille comme un petit crapaud dément.

Ce qui avait permis à Tonio de me cogner, il y a quelques jours dans la merveilleuse ruelle aux poubelles révélatrices, c'était le "haki", une force invisible née de l'union d'une détermination glaçante à blesser avec un esprit guerrier discipliné.

Je me demande si cette boîte de conserve avec ouvre-boîte intégré est dans la confidence du HAKI. Il faut que je fasse attention à ne pas perdre de morceaux. Souffrir oui, ok, c'est délicieux, mais me faire amputer ce serait quand même plus amer. Mon corps est le vaisseau avec lequel j'explore ce monde. S'il a une avarie c'est moi qui trinque !

Il mouline alors, sans trop savoir qui est quoi dans le tas de merde dont j'ai souillé le sable blanc. Qu'est-ce que c'est moi, qu'est-ce que c'est la vraie boue, qu'est-ce que c'est qu'est à moitié moi à moitié boue, c'est pas évident quand on VIT pas cette liquéfaction, qu'on sent pas notre conscience se diluer à travers le marais.

Ma conscience comme un poisson perdu dans l'océan !
Comme un bousier au centre d'un désert de crotte, qui fusionne avec son univers.

MAIS DIS DONC, ELLE A PAS VOLÉ SON SURNOM DE BOURBIER, CETTE DIARRHÉE VIVANTE !

Doppio le bourbier.
Doppio, le caca vivant.
Texas Chainsaw Massacre, sa lourde armure qui sombre petit à petit dans le caca. Il a du mal à se détacher des profondeurs qui lui lèchent les petons. Mes abysses. Il tente de s'avancer vers mon torse, toujours suspendu sur ses tentacules. Il se doute que comme tout le monde, ma tête constitue un point faible. Le seul tangible parmi cette boue. Il ignore que se débattre dans un marécage ne fait qu'accélérer le naufrage.

Et le naufrage de ce fier cuirassé ne m'arrange pas. Je veux du danger. Je veux de la peur. Je veux qu'il m'injecte des émotions à grands coups de tronçonneuse.

Alors je lui offre une ouverture. Pour qu'il m'aide à souffrir. Un petit chemin, étroit à travers le marais. Je le dessine avec amour.

MARTINE !
CE GOUJAT BAFOUE NOTRE DIGNITÉ DEVANT TROIS MILLES GENTLEMENS !
VA DONC LE CHÂTIER, VA !
BRRRRR !


Il plante sa Martine ronronnante de rage sur mes rails, elle se transforme alors en petit véhicule de mort, ses dents faisant offices de roues démentes levant des tornades de sable et de billes boueuses.

Martine fonce sur moi. Que faire ?
1/ Me propulser à l'aide de mes appendices d'amour sur le côté pour esquiver une trajectoire prévisible !
2/ Essayer de me la prendre de plein fouet pour voir ce que ça fait !
3/ Rien !
4/ Je mets mon clignotant.

Finalement j'opte pour un compromis. Je pars à la rencontre de la tronçonneuse.
Il semble avoir une influence sur la façon dont elle se dirige. Le chemin que je lui ai offert était très tourmenté, un peu bizarre moche et con, comme moi. Pas une pauvre ligne droite ennuyeuse. Si ça se trouve il la commande à distance, et s'il fait ça, ça serait très intéressant.

J'aimerais bien lui faire mâcher un gros pâté de boue bien épais, voir si ça la fait capoter. Genre si elle va dérailler.

Et quel meilleur pâté de boue que mon gros bide ?

Je me jette sur sa route, me liquéfie intégralement, la moindre pincée de mon être changée en particule élémentaire de marais, en atome de caca.
Je balance ce gros corps tout mou donc, sous ses dents, tandis que ma conscience part vagabonder ailleurs dans le marais.

IL A DES COUILLES CE ROOKIE ! DE DRÔLES DE COUILLES !
ÇA L'EMPÊCHE PAS DE PUER LA MORT !


Hola du public, rires, applaudissements. C'est moi qui assure le show maintenant, certainement pas ce pauvre tronçonneur sous sa coquille.

Revenons à ce qui nous fascine : la tronçonneuse + ma boue.
Ça crée un espèce de grand ouragan de caca. Raclant avec acharnement mon tas, la tronçonneuse le déchiquète en laissant gicler une grande quantité de cette substance pâteuse, gluante qui me caractérise. Si bien que ce brouillard brun, il finit par envahir notre petit coin d'arène, si bien que mes sens sont complètement dépassés par le vacarme et la shitstorm.

Si bien que j'ai rendu notre bataille équitable. Tout le monde aveugle, tout le monde sourd. La foule au bord de l'émeute parce que le spectacle se déroule sous un épais cocon de boue dansante. Je réintègre forme humanoïde pour regagner au moins mon sens de l'équilibre. Le plus capital. Ce cirque dément se poursuit ainsi quelques secondes, durant lesquels j'attends en souriant, au milieu de nulle part. Au milieu d'une tempête de crotte dans un désert de merde. Bousier paumé, qui ne fait qu'un avec son univers.

Cependant une mélodie encourageante me parvient aux esgourdes. Sa tronçonneuse s'est éloignée, elle a dû finir sa cuisine. J'ai entendu son vacarme s'éloigner. Et là, je l'entends se rapprocher.

Le temps que la brume se dissipe, j'aurai peut-être été découpé et prêt à distribuer rayon poissonnerie exotique.
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L'amour du danger m'irradie, je me sens lover transi. C'est l'adrénaline qui me gicle par tout les pores, entraînée par toute cette boue. Devant ? Derrière ? Au-dessus ? En-dessous ? La tronçonneuse peut être n'importe où, eh oui. Ses ronronnements rebondissent en échos intenables à travers les restes de la tempête.

Je.
La.
Sens.
Arriver.
Maintenant !
Ah bah non.

C'est une silhouette qui surgit en premier du brouillard et me plante sa botte dans les cotes.

ESTOCADE ! MANGE, MARAUD !

Donc tu es sorti du bain de boue. Il existe des tonnes de façons de s'échapper d'un marais, il a du en piocher une au hasard. Pas de pot, mais ça me confirme qu'il est initié au haki.

Parce que ça craque dans mon thorax. Mes cotes chatouillant mes organes me font pleurer de rire. C'est que c'est sensible cette région là. Un bon shoot de douleur qui ne sera malheureusement jamais aussi planant que le tout premier. Ça suffit néanmoins à transporter mon esprit dans la stratosphère et à contempler mon corps se tordre sous le choc et valdinguer à travers l'arène ! J'apprécie le spectacle de ma petite carcasse se déformer hideusement à chaque rebond sur le sable chaud.

Je finis ma course en-dehors de la tempête, contre la rembarde de l'arène. Le public enthousiasmé de me voir débouler devant eux. Ils gueulent, pleins de fougues et d'amour, leur vision de mon style de jeu.

-On veut du sang !
-Moins de boue, plus de violence !
-Bouffe le !
-T'es un requin, bouffe le !
-Vas y, bouffe le !

C'était un coup de tapette. J'ai rien senti du tout.

Je reste ainsi assis contre le muret quelques secondes, le temps de savourer pleinement la souffrance qui circule dans mes canaux. Décevante par rapport à celle que Tonio était capable de m'administrer mais est-ce qu'on renvoie un bon petit plat en cuisine sous prétexte qu'on a déjà bouffé mieux ailleurs ?

Mon adorable ennemi m'a suivi dans ma trajectoire, bientôt le revoici brillant sous les projecteurs, perçant ma rétine de mille aiguilles de lumière. Il a récupéré sa Martine, toujours vibrante, très largement souillée par ma merde. Moi aussi, j'aimerais des amis aussi fidèles que cette tronçonneuse.

QUI DÉSIRE QUE JE LUI FASSE SAUTER LA CABOCHE ?

La foule en délire crie "Moi".

C'EST VRAI QUE C'EST PAS QU'ON EST PRESSÉS, MAIS IL Y A ENCORE BEAUCOUP DE CHACALS APRES VOUS QU'ON A HÂTE DE VOIR S'ENTRETUER !

Ça met mon partenaire de danse en confiance, en trop grande confiance. Parce que je vais le bouffer, c'est pas une bête idée. Ça devait être gravé en majuscule dans l'instinct de Craig Kamina mais sa mort l'a rendu moins lisible : je suis un requin hihi ! Un squale des marécages. Et ça, ça en jette quand même plus qu'un "Bourbier". Qu'avait dans la tronche celui qui lui a filé ce surnom ?

JE VIENS TE TRANSFORMER EN FONTAINE ÉCARLATE, MONSTRE !

Il joint la parole aux gestes. Se précipite sur moi, Martine en avant, faisant vibrer sa glotte d'un hurlement gras. Je me hisse sur mes deux guiboles, me grattouille mon centre de gravité, pointe du doigt Texas en souriant de tous mes crocs.

Le premier qui décapite l'autre a gagné, ok ?

J'adore lancer des petits jeux comme ça, je trouve que c'est ludique et ça renforce la bonne ambiance. Il ne répond pas mais je devine qu'il acquiesce sous son casque.

Ensuite il arrive à mon niveau, trop proche pour que mes sorts de marécagomancien, longs à incanter, me soient de grands secours.

Estoc, tranche haute, tranche haute retour, tranche verticale, Martine se trémousse en chantant.

BRRRR !

Ma seule défense est dans le recul. Ma sueur dans mon sillage changée en larges gouttes de vase qui créent une odorante constellation à travers laquelle nous semblons valser. Nos corps unis dans un même désir d'ultraviolence et de spectacle décadent. La quintessence de ce que notre nature a de pire à offrir à ce monde : ici dans cette arène, tout n'est qu'ordure. La Mort est un divertissement, la Vie d'un ennui mortel. Absolument plus rien n'a d'importance, nous sommes tous de très légères plumes emportées par une tornade, absolument plus rien n'a d'importance, car Mort rime maintenant avec Vie, réconciliées sous une bannière commune : le Fun.

Son existence va cesser d'une minute à l'autre, et ça n'aura d'écho que dans le cercle très privé de cette arène bondée de joyeux drilles. Je comprends ce que tu voulais dire, c'est un honneur. Tout ces gens vont assister à ton décès, certains peut-être vont te regretter, voire te pleurer, ou bien me détester parce que je serai ton assassin. Ta conscience s'éteindra sous les funestes acclamations du public. Combien de créatures ont cette incroyable chance dans l'univers ?

Je conclus notre ballet sur ma propre estocade alors qu'il commet la plus grave erreur de sa vie stupide : un mouvement trop leste durant une attaque.

Il me suffit alors de pencher la tête pour lui goûter le bras.
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Il hurle. Normal, se faire arracher le bras sans anesthésie est inhabituel et assez douloureux.

J'enchaîne en lui vomissant une cascade d'eau boueuse à la figure, histoire d'inonder son casque et le priver de sa vue. On joint l'utile au rigolo. On est dans l'esprit "spectacle", on s'éclate, on prend du plaisir et on en partage, c'est ça qu'on aime !

Alors là voilà, il sue déjà de panique, il tente de marmonner des mots mais c'est un gargouillis tremblotant qui s'exfiltre de sa visière. Il attise ma sympathie, ce pauvre bougre, il place du bois dans la cheminée de mon empathie ! Et ça fume, ça fume dans ma tête, je suis prisonnier d'un épais brouillard. Est-ce qu'il mérite une mort digne ? Ou dois-je l'exécuter comme un clébard malade qu'on pique parce qu'il n'est plus aussi attendrissant qu'avant ?

Le marais lui lèche déjà les pieds ! Le sang ruisselant de ses bras s'écoule en cascade dans mes abysses brunes. Il hydrate cette bouillie assoiffée pendant un succulant repas.

Sauf qu'il est l'heure du dessert. Et le dilemme est absolu.

Comment exécuter malicieusement mon premier partenaire ?
Comment partager ma gloire avec lui dans l'acte ?
Comment mettre en valeur son cadavre sous les projecteurs ?

La solution est évidente mon pote !

J'ignore s'il m'a entendu, lui qui titube en cherchant à tâtons ses sens qui l'ont quitté.
Faute de ma voix c'est mon marais qui l'informera du sort que je lui réserve. De gros tentacules bien dodus bien câlins s'agrippent à lui et cherchent à l'amener découvrir les profondeurs. Un peu comme quand on fait des blagues à la piscine en plongeant la tête des gens sous l'eau pendant qu'ils ont le dos tourné. Sauf que là ce n'est pas une blague.

Là c'est le meilleur moment de son existence. Ces quelques secondes précédant le grand rideau qui se ferme, où l'âme, consciente que son corps dépérit, lâche prise et fait un dernier tour parmi les souvenirs histoire de conclure l'acte final sur une réplique positive, genre "j'ai bien profité de la vie", ou bien "je ne regrette rien".

Il sombre dans le noir, au milieu de ma masse gargouillante. S'il était encore capable de percevoir un son sous son casque, c'est ce qu'il entendrait, un bruit de succion omniprésent. Interminable. Insaisissable. Éternel.

Son armure se craquelle, lentement. Elle ne le protègera pas bien plus longtemps de la pression exercée par cette quantité surnaturelle de vase. Une vase vorace, impatiente de lui boulotter la chair. De l'absorber jusqu'à sa moindre cellule.

Il sait qu'il est perdu, que ses souffrances avant l'éjection de son âme seront courtes mais intenses.

Texas Chainsaw Massacre consacre ses dernières pensées à Martine la tronçonneuse.
Tandis qu'il se débattait, il l'a lâché, il l'a abandonné, il aurait voulu passer ses derniers instants avec elle mais ça n'est plus quelque chose de négociable. Martine doit couler quelque part dans le Marais. Peut-être à quelques mètres, ou bien à des années-lumières. L'Espace est très relatif dans les

Abysses

Tout s'éteint.

***
Je forme un petit golem amusant qui patauge avec moi dans la gadoue. Mon doigt frétillant vient se planter dans sa joue et lui dessiner un grand sourire.

Sous les ovations du public, je pose au centre de l'arène, accompagné du golem, imitant trait pour trait le chevalier tronçonneur. Pas dégueu la bestiole, on fait la paire. Une forme de réconciliation avec le méchant de l'histoire.

GWAHAHAHA, EST-CE QU'IL VA NOUS OUVRIR UN MUSÉE DE STATUES ? REGARDEZ MOI C'TEXAS EN CROTTE ! PLUS VRAI QUE VRAI !
ACCLAMEZ DOPPIO, LE MARÉCAGOMANCIEN !
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J'erre dans les coulisses de l'arène, des longs couloirs quasi déserts tapissés de paille ensanglantée et de monticules d'une matière bizarre que l'obscurité m'empêche de bien identifier. Ces couloirs sont toujours envahis d'échos, ceux de l'arène, la pagaille des gradins et les sarcasmes rieurs du commentateur, parfois quelques tintements métalliques et des cris de douleurs. Ces couloirs sont l'antichambre de la gloire, on se sent encore un peu fier guerrier quelques instants avant de décrocher pour de bon.

C'était positif cette bagarre, je crois. Pour un début, c'était super, non ? Je me masse les cotes, elles sont encore un peu raides, je devine encore l'empreinte des bottes bien imprimée dans mon foie. Ça picote léger, une chatouille agréable. J'enfonce ma palme dans mon flanc pour raviver la douleur, en profiter avant qu'elle disparaisse pour de bon. Ça détend. J'ai aussi un caillot de sang sous les joues, qui paresse dans ma bouche depuis que j'ai mordu mon ami. Ce caillot, je le mâche, délicieux chewing-gum, très très épicé.

Je tourne la tête, regarde derrière moi.
Mon coeur s'emballe, l'arène me manque déjà, j'en suis tombé amoureux. Dès que mes premiers pas ont croustillé dans ce merveilleux bac à sable, j'ai su que je m'étais engagé dans la plus belle aventure de ma vie. Le bédouin du désert d'Alabasta a eu raison de m'envoyer ici. Il a lu en moi et m'a interprété à la perfection. Je suis ici dans un oasis intarissable de bonheur.

Tout émoustillé, j'ai tellement à partager. J'aimerais inviter tout les êtres vivants de l'univers à venir ici pour se battre, des milliards d'adversaires, des tonnes de chair s'entrechoquant et un océan d'hémoglobine chaude dans lequel on jouerait à du waterpolo ultraviolent pour l'éternité.

Je suis un junkie en plein trip, l'adrénaline est mon carburant. Petit à petit je redescends, je reprends conscience de mon corps froid, mort et du silence qui le hante. Rien de pire pour un drogué de revenir à la réalité. Mais c'était un excellent moment, je veux pas le gâcher en regrets.

J'ouvre une lourde porte en ferraille rouillée. Elle sépare symboliquement le rêve de la réalité. Derrière s'étendent les vestiaires des gladiateurs, et au-delà on trouve la sortie. Les combattants se réunissent là avant et après leurs matchs, papotent parfois en s'échangeant des ragots, ou font du trafic. De longues rangées de bancs et de casiers grillagés. Une dizaine de fous de bagarre répartis à travers, qui m'adressent des regards curieux, méprisants, ou bien amusés. Je reconnais pas les potes de l'écurie de Nadia parmi eux. Ils doivent m'attendre dehors.

Eh.

Tu dis pas "Eh" c'est vraiment impoli d'interpeller les inconnus comme ça.

Il tue des gens et ça le rend fier, c'est un genre de fou Maxresdefault

Bonjour madame.
Monsieur.
Ah bon.
Pas mal pour une première, ta performance.
Merci.
Tu combats pour Nadia, c'est ça ?
Je combats pour moi-même.
Mais oui mais oui. J'apprécierais que tu lui fasses passer un message.

Elle, euh, IL tire une enveloppe de sous sa, euh, poitrine masculine.
Peut-être qu'il est mâle et femelle à la fois. Ce sont des choses qui arrivent.

Ça ne te gêne pas ?
Bof. De la part de qui ?
Central.
C'est un nom ça ?

Trop de mystères ça devient indigeste eh. Il faut parfois savoir se vider les intestins.

Je peux lire ce qu'il y a dedans ?
Si ça te chante, mais ça m'étonnerait que ça t'intéresse.

Oui il y a de grandes chances que je m'en branle.

De très grandes chances.

Oh. De quoi elle parle ?

De très grandes chances que tu t'en branles. Ne fais pas semblant de ne pas avoir compris.
Eh.

Caca. Prout. Gnhinhin. Tu entends ?

Je lis dans les pensées, oui.
C'est troublant.
Pas plus que tes pensées.

Petites secondes durant laquelle l'atmosphère s'alourdit d'une couche de malaise.

Bon. Je peux compter sur toi ?
Oui.
Merci. Je m'en vais, dans ce cas. Ciao.

Ciao.
Ageuh.
Foutu mentaliste. J'ai l'impression de m'être fait violer l'esprit.
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On fait des rencontres comme ça parfois. Normal dans ce genre de lieu qui concentre toutes sortes d'esprits tordus et cassés au-delà de toute compréhension. On est tous fous dans une certaine mesure, mais à des degrés différents. Un peu comme la température hein, ça monte et ça descend selon les saisons. Moi je suis dans mon printemps. C'est la folie tranquille, la folie douce qui verse dans aucun excès. Si la société posait une grande loupe sur ma tête et m'observait, elle verrait un fou improductif et dangereux. Mais de mon point de vue, je fais de mal qu'à moi-même et à des collègues de mon univers.

Une souffrance bien dosée, de la violence pour renforcer le corps et l'esprit, c'est ce que j'appelle un bon traitement contre les idées noires. Ce qui ne te tue pas te rend plus fort.
-Miaou

Chat de merde. Il fait celui qui comprend pour faire son malin et miaule en réponse de mon argumentaire. J'étais persuadé que ces bestioles savaient lire dans les pensées. Désabusé, je lui propulse un coup de botte dans le flanc.

-MIAOU !

Oui ben ta gueule.

C'est pas le tout mais je dois retrouver le chemin de la maison maintenant. Eh oui j'ai pas la carte de l'île scotchée au cerveau. Je suis perdu comme un enfant triste qui a fini son premier jour d'école mais qui voit pas sa maman l'attendre devant la grille. Avec un estomac vide, plus vide encore que ma vie émotionnelle. Après tout j'ai rien mangé depuis maintenant deux semaines, et mon bide réclame qu'on lui paie ses dettes. La Mort, ça creuse.

Une foule s'est amassée autour de l'arène, mélange de bon petit peuple amateur de bagarre et de guerriers. Ils sont organisés par poches de fans : un gladiateur, ses fans attroupés autour. Un autre gladiateur, ses fans attroupés autour. Un autre, encore un autre, un autre. Dans ces bulles, suspendues en dehors du temps et du bon sens, il n'existe que l'idole, qui devient le centre de l'univers connu pour chacun des crasseux réunis à côté. Ils lui posent des questions, blaguent, le touchent et le révèrent, ils en font un objet de culte, une statue de chair terrible et merveilleuse. Je suppose que dans quelques jours, semaines, mois, j'aurai mon propre troupeau de bousiers quand je sortirai de l'arène moi aussi. Un troupeau de bousier dont je suis la crotte inestimable.

Les nuits de Dead End sont chaudes et bruyantes, Dead End dort jamais vraiment. Une île insomniaque. Des petits bonhommes s'y agitent perpétuellement, un spectacle de marionnettes qui ne s'arrête jamais. J'ai ma propre marionnette maintenant ! Le Destin m'inclut dans sa grande histoire ! J'espère qu'il va me torcher un rôle sur-mesure et bien écrit.

Je vois Tonio qui brasse de l'air avec ses bras. Il me fait signe en sourcillant. J'hésite un instant à partir à sa rencontre. Lui aussi a sa bulle de fans. J'ai la langue un peu engourdie, de belles aventures à raconter mais la flemme de parler. Je me creuse un passage à travers sa foule, suante et grognante, elle entrave ma progression et est encore plus opaque et boueuse que mes marais, elle rouspète quand je distribue des coups d'épaule sans demander pardon, parce qu'on a pas à s'excuser quand on n'a rien à se reprocher.

- Tonio ! Un autographe !
- Tonio ! Tu poses avec moi ?
- Tonio ! On fait un bras de fer ?
- Tonio ! Je suis ton plus grand fan !
- Tonio ! Je...
Eh, Doppio !

Les regards convergent instantanément vers moi, je me retrouve prisonnier d'une vierge de fer sertie d'yeux acérés. Je leur pique l'attention de leur idole en muscles.

Excuse moi de pas t'avoir attendu aux vestiaires, j'ai croisé quelques fans sur la route. Ils sont adorables.
- Tonio m'a dit que j'étais adorable !
- Il l'a dit pour moi !
- Il m'a fait un clin d'oeil !
Au fait je croyais que tout le monde m'attendrait. Famille tout ça.
Oh, non, c'est pas contre toi. On est tous très occupés. On n'est pas tous comme toi, on néglige pas les devoirs du gladiateur en dehors de son arène.
Tu as vu ma bagarre ?
Le début. C'était bien. Tu as su faire mijoter le show.

L'enculé il a pas vu mon clou du spectacle. Ce petit numéro de nécromancie que j'avais soigneusement imaginé pour l'occasion. Je tombe de mes nuages pour plonger dans la frustration. Enculé va.

Je rentre voir Nadia. C'est par où déjà ?
Mais attends ! Tu vas pas voir tes fans ?
J'en ai pas.
Si, tu en as forcément. Pour un rookie, j'ai entendu dire que tu avais super bien géré. La plèbe aime les jeunes prodiges. Pas vrai que vous aimez ça ?
- Oh oui, Tonio !
- Un autographe, Tonio !
Fais un p'tit tour devant les sorties réservées au public. T'y pêcheras tes fans.
Non mais je veux rentrer à la maison. J'ai soif. J'ai sommeil. Et puis j'ai aussi envie de faire caca.
C'est trois rues derrière l'autre côté de l'arène.
Cool. A plus tard.
Mais va d'abord voir tes fans, j'te dis. Un gladiateur sans fanbase n'est qu'un chien enragé. Tu leur devras tout.

Mouais la flemme. C'est moi qui leur file des gourmandises sanguinolentes, pas l'inverse. S'ils veulent me voir ils auront qu'à avoir la chance de me croiser ces ploucs. Je retraverse la meute de Tonio en sens inverse, les coups d'épaule fusent, les grognements aussi.

Je vais rentrer au QG et me prendre un truc au bar. Genre sangria. Ou bien un jus d'orange sanguine. Ou de citron. Quelque chose qui me déchire les papilles gustatives.

Mes cotes ne me font quasiment plus mal et le caillot de sang dans ma bouche a perdu de son goût, dissolu dans ma bave. Autant dire que je peux décréter le plaisir terminé. Et que toutes mes pensées gravitent autour d'une façon de recommencer vite fait bien fait l'expérience. La recommencer sans lassitude, à l'infini. Encore et encore.
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Je suis accueilli par des relents de pisse sur le pallier du QG. Ils saluent brutalement mes naseaux. Heureusement que j'ai l'estomac bien accroché, la bile a failli en ressortir faire coucou au monde extérieur. Hihi non je rigole voyons j'en ai senti d'autre. Faut s'imaginer quel genre d'agression pour les sinus représente un cocktail de chair broyée et de boue.

La seule mauvaise odeur à laquelle je suis sensible c'est celle des emmerdeurs. Quand je passe triomphant la grande porte qui conduit au bar familial, Bagarre le barman me tire des missiles balistiques thermonucléaires avec les yeux, ils explosent ma bonne humeur illico.

Non mais eh hein j'ai gagné mon combat et la foule a scandé mon nom. Tu veux quoi de plus ?

Me regarde pas comme ça merde.
Hein ?
Je venais prendre un jus de fruit avec du lait peinard pour fêter ma victoire et toi tu m'agresses merde.
Tu débloques ? J'attendais juste que tu me dises bonsoir. D'où le regard un peu insistant.
Et toi tu aurais pu me dire bonsoir.
Je t'emmerde, c'est à celui qui pénètre l'espace de quelqu'un d'autre de dire bonsoir en premier. Politesse de base.
Bah bonsoir putain.
Bonsoir connard. Je te sers quelque chose ?

Oh ! Touchante attention. Je retrouve la convivialité sincère de ce temple.
Bagarre est un mec cool mais il lui suffit d'une étincelle pour s'embraser et faire grimper la température. Qu'il est susceptible !

J'aimerais bien un verre de lait avec des grumeaux de viande de phoque à l'intérieur.
C'est dégueulasse. Je te fais ça.

Car là est le secret d'un service impeccable : le client est roi est la cuisine son royaume. Il agence à sa guise son menu et s'il veut organiser des mariages forcés entre deux ingrédients récalcitrants, qu'il en soit ainsi ! Le cuistot s'exécute. Roi de l'arène, roi du show, roi de la cuisine. Je veux cumuler les mandats. La puissance est un met qui affame plus qu'il ne rassasie !

Donc, tu as gagné ?
Oui.
... Contre qui ?
Texas Chainsaw MASSACRE.
Un guignol. Ça a du être facile.
Oui ! Mais instructif. Un meilleur entraînement que tout ce que j'ai pu faire ici.
Et... tu l'as tué ?
Oui.
Tué, tué ?
Oui, oui.
Tué tué tué ?
Oui oui oui.
Hm.
Un problème ?
Aucun. Je reviens, je passe en cuisine te couper du phoque.

Ce type est si expressif que même moi je sais lire sur sa gueule la plus secrète et mesquine de ses émotions. Il a dû se rendre compte qu'il commençait à rougir et a vite battu en retraite pour laisser décanter le sang qui lui montait dans les joues. Bizarre. Je suis aussi connaisseur en nature humaine qu'en couture. C'est à dire que je sais vite fait tisser quelques liens mais rien de bien solide.

C'est pas que je me mêle de ce qui me regarde pas, je m'en fous dans le fond, c'est surtout que j'aime bien savoir...

Pendant ce temps.
Nadia est dans son bureau.
Avec Turo le caméléon.
Ça ressemble à l'intro d'une blague...

Quelle blague...
700 millions à se faire ! C'est pas une blague, c'est le jackpot !
Sacrifier mon meilleur élément, j'appelle pas ça un jackpot. Tonio est trop rentable pour que je le perde contre de l'argent de poche.
Roooh, mais il se fait vieux...
Tu rigoles ? Il est au sommet de sa gloire !
Oui mais euh, ouais, c'est vrai. En fait j'adorerais le tuer dans l'arène et prendre sa place de n°1.
Tu caches mal tes motivations.
Toi par contre tu es super douée !

Turo, de son vrai nom Turokyrkayz'tyuvart, ponctue son compliment d'un fou rire. C'est un bon vivant, doublé d'un chasseur de mouches hors pair. Un esprit simple, rudimentaire, gentillet, dans une mécanique bien bâtie. Tout le monde l'aime ici. Nadia aussi l'apprécie, car c'est le médaillé d'argent de son écurie. Et donc, une poule aux oeufs d'argent. Pas aussi rentable que Tonio mais tout de même très honnête.

Ça me gêne que tu te marres sans que je comprenne pourquoi.
Super douée pour séparer le grain de l'ivraie et dénicher du diamant brut !
Tu parles de Doppio ?
Un petit peu...
Il est un peu tôt pour que je sois sûre de ma bonne affaire le concernant.
J'avais des doutes lors de notre première rencontre, mais en fait c'est un bon gars.
Ravie de l'apprendre. Mais j'embauche pas "de bons gars" parce qu'ils sont "de bons gars".

Ce que Nadia ne dit pas, c'est qu'elle est toujours autant persuadée que Doppio = Craig. Strictement égal. Elle n'a pas du tout gobé son histoire d'amnésie zombie. Un conte à dormir debout pour hypnotiser les grands dadais niais comme Tonio. Elle n'est pas capable de se l'avouer mais c'est ce qui a grandement motivé le recrutement de la diarrhée. Dissiper ses doutes.

Un autre doute à dissiper : pourquoi cet ahuri de reptile se frotte à la fenêtre en compressant ses deux grosses mirettes globuleuses contre la vitre ?

Qu'est-ce que tu fous ?
Doppio est rentré, cool !
Déjà ?
Il avait pas l'air blessé, encore moins mort. Son combat s'est bien passé on dirait.
Il se croit chez mémé, ce fumier ? Il pense que je vais descendre lui apporter un chocolat chaud en lui demandant si tout s'est bien passé ?
Sois pas trop dure avec lui, il découvre notre monde !
On lui a MARTELÉ qu'il devait se construire une image positive le plus tôt possible. Et ce connard se tire comme un prince après avoir dépouillé un des crétins les plus populaires du moment ? Il se rend pas compte d'à quel point la plèbe va mal le prendre ?
Il est un peu simplet, c'est tout...
Toi aussi tu l'es. Vous vous comprendrez peut-être mieux entre simplets ? Va lui dire de retourner d'où il vient illico.
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Assez singulier comme goût, gerbant diraient certains, je lui trouve un piquant pas désagréable mais lorsque ça s'aventure dans la gorge, l'estomac a l'air d'être réticent à accueillir le breuvage.

Vraiment dégueulasse.

On peut pas juger sans y avoir goûté, c'est ma seule certitude.

Doppio !

C'est Turo qui descend l'escalier en sautillant. Je suis certain que sa langue raffinée saura repérer l'esthétique délicieuse de mon élixir au phoque.

Goûte ça.
Ah. Ouais !

Il goûte. Sa bouche ondule puis se transforme en sourire.

Pas mal. Mais c'était pas ce dont je venais te parler !
Tsssk. Amateurs de merde, vous avez les papilles gustatives disjonctées.
Ou juste innovantes. C'est moi qui ai improvisé la recette.

Eh oui. Un gisement de talents inexploités. C'est en cela que je me démarque de Craig Kamina le chirurgien dont l'essentiel des dons tournaient autour de la charcuterie.

C'est au phoque.
Oui j'avais reconnu le goût ! Mais...
Tu as déjà mangé du phoque ?

On a pas tous l'occasion de goûter du phoque dans une vie.

Oui oui, il y en a parfois qui s'échouent sur la plage au Sud, alors on en profite pour leur couper la bidoche !

Il serait temps de parler affaire. J'ai une enveloppe qui encombre mes poches. Mes poches devraient être réservées à mes palmes.

Je te laisse un peu, je dois passer voir Nadia.
Ah, à ce propos !
A ce propos quoi ? S'il y a quelque chose à ce propos autant que Nadia m'en parle directement.

La communication entre employé et patron doit se faire sans intermédiaire, c'est la base d'un esprit solide d'entreprise. La nature nous a doté d'un don de sociabilité, à nous autres bestioles intelligentes, et je suis expert en son utilisation. Ma sympathie n'a d'égal que mon charisme. Non je rigole hihi je suis un analphabète des âmes, je sais ni les lire ni les parler.

Je grimpe l'escalier mais Turo, tenace, continue à me bombarder de points d'exclamation.

Elle est très remontée contre toi !

Elle est bonne celle-là, on moissonne l'argent, la gloire et les âmes comme un bon petit gladiateur honnête et digne de confiance, mais ça trouve encore prétexte à ronchonner alors que ça a même pas assisté à ma fabuleuse prestation. Féerique prestation. Parce qu'elle était purement magique. Ma magie calmera-t-elle Nadia ? Peut-être pas, mais cette enveloppe si.

J'ai un cadeau qui va la consoler.
Ah ?

Eh oui. Ça soude son clapet. Pas parce qu'il est convaincu, plutôt parce que ça chatouille sa curiosité. Et Turo est quelqu'un qui déborde de curiosité. Si bien qu'il me suit à l'étage, sans plus de blablas.
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Et après je pousse la porte de bois peint qui pue l'amiante. La capitale du royaume de Nadia se situe derrière.

Tu fermes ta gueule.

Mais je l'ai pas encore ouverte !

Ce que t'as fais mériterait que je te refourgue à un putain d'esclavagiste. Et tu oses en plus te pointer devant moi avec ce sourire béat coulant sur ta sale tronche ? Turo t'a pas demandé de ma part de dégager ?
J'avais une enveloppe à te donner d'urgence.
C'est pour ça que je suis revenu.
Eh oui.

C'est faux en fait je suis revenu parce que j'avais envie de faire caca, souvenez-vous en.
Mais elle le sait pas.
Cette enveloppe est un peu mon passeport pour les toilettes.

Lettre urgente ? De la part de ?
"Central".
Fais voir.

Je lui passe l'enveloppe, elle la choppe en grognant. Pour un peu elle me mordrait en prime, je sens qu'elle en a envie. J'imagine que ma tendance à avoir réponse à tout est agaçante. Je suis à la fois un problème et sa solution, ça fait de moi une belle créature, quand j'y pense.

Nadia déchire l'enveloppe avec précaution.

Tu l'as lue ?
Non.
Hmm.

Turo, suspendu à l'intrigue, bave de curiosité. Ses yeux semblent vouloir gambader hors de leurs orbites pour venir lécher du regard l'appétissant courrier. Heureusement ses nerfs optiques c'est du costaud.

Va-t-en, Turo.
Quoi ?!
Besoin de paix.
Mais Doppio peut rester ?
Il peut oui. Ça te pose un problème ?

Ça lui pose si peu de problèmes qu'il se barre sans en placer une, même s'il transpire de frustration. Je le comprends. La porte claque derrière lui.
Quelques secondes de battement avant que Nadia ne reprenne parole.

Va vérifier.
Quoi ?
Qu'il est parti.
Fais gaffe. Il peut se rendre invisible.


Ouh oh. C'est du sérieux.
Je ressors dans le couloir. Personne. Comment contrôler la présence éventuelle d'un espion invisible dans un couloir ? Allez, la réponse est évidente. Je balance de la boue partout, dans tous les coins. Nadia me voit faire. Elle soupire mais devant l'intelligence de la technique, se tait.

Toute cette vase repeint les murs mais n'arrose personne.

Alors ?
Personne.
Reviens. Viens t'asseoir devant moi.

Je fais ce qu'elle m'a demandé, parce que j'ai pas de meilleures idées !

Depuis que tu es là, on a pas encore eu l'occasion de causer sérieusement.

J'ai pas mal de remarques à faire sur les insultes qu'elle distribue joyeusement à ses collaborateurs mais je m'abstiens.

Doppio ou Craig Kamina ?
Doppio.

Ça recommence.

Admettons. Cette lettre parle de toi. J'imagine que Central espérait que tu aies la curiosité de la lire.
Oups. Elle est mal tombée alors.
Il. C'est un mec.

Oups.

Tu sais garder des secrets ?
Oui, j'en ai moi-même plein.
Qu'est-ce que je dois comprendre ?
Que je tire jamais la chasse d'eau par exemple.
Craig Kamina était un homme-poisson aux secrets très bien gardés, et c'était aussi quelqu'un qui adorait jouer du sarcasme.
J'imagine que vu qu'on a le même cerveau, nos personnalités se croisent forcément.
Es-tu Craig Kamina ?
Non.
Soit.

Je suis pas quelqu'un qu'on agace facilement, eh non. Mais là elle commence à me gonfler. Ça devient un running gag cette histoire de craig.

Si tu ne l'es pas, voudrais-tu le redevenir ?
Certainement pas.
C'est un passé auquel tu as définitivement tourné le dos ?
On peut dire ça oui.
Rien de plus à te demander, pour le moment. Tu peux te casser.
Craig Kamina est mort, il va être temps de faire votre deuil.
Je t'ai dit de te casser.

Je fais ce qu'elle m'a demandé, parce que j'ai pas de meilleures idées.
C'était encore plus aigre que prévu, cette petite entrevue.
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Lorsque Doppio a projeté sa boue à travers le couloir, ni lui ni Nadia n'ont envisagé que Turokyrkayz'tyuvart le Caméléon possédait le soru, et qu'il était assez doué, réactif et silencieux pour esquiver l'arrosage sans produire le moindre petit souffle qui aurait pu le trahir. Une fois les suspicions retombées, il lui a suffit de revenir coller discrètement son oreille acérée à la porte pour capter la conversation de Nadia et Doppio.

Ne leur en voulons pas d'avoir été si imprudents, c'était inenvisageable que Turo soit un expert du soru.
Il s'avère que Turo a, comme Nadia et Doppio, d'importants secrets bien cachés sous son crâne.
Chacun ses petits secrets.

Dans la troupe de Nadia, tout le monde a ses secrets.

Chaque bousier protège jalousement sa petite crotte.
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