Alors ça c'était fort.
D'abord Boris, l'officier intendant affilié à la réserve à Luvneelgraad, qui m'avait mis un fusil entre les mains, histoire de m'entraîner au tir avec les autres recrues. Ensuite ma mère qui m'avait mis une dérouillée phénoménale lors de nos séances du soir, m'obligeant à porter une attelle tout le long de la semaine. Sans parler des excuses de Lars.
Les excuses.
De Lars !
Son père était venu nous voir, son fils sous le bras. Une discussion qui se voulait formelle avec mes parents, moi-même... une poignée de main, quelques regards baissés... Mais une tension palpable. Depuis ce qu'il s'était passé il y a un an, alors que j'avais appris les penchants révolutionnaires de sa famille et après avoir failli nous entre-tuer, Lars et moi ne nous étions plus revus. J'avais cependant appris que le colonel Frost, mon propre père, était au courant de leur situation. Ma mère semblait aussi impliquée. Alors pourquoi n'étaient-ils pas arrêtés ? Mon vieux ne voulut rien dire, espérant toujours que je sois dans l'ignorance.
Enfin le plus fort, c'était que j'avais eu droit à un croissant aux groseilles. A 18h37. Peu avant l'heure de l'entraînement et du souper. J'étais là, devant la viennoiserie, bouche bée, assis sur ma chaise dans le grand salon. Mon père me regardait, fier de sa surprise :
- Alors ? T'en bouche un coin, pas vrai ?
- Mais... Il en restait ? A cette heure-ci ?!
- Bah un peu qu'il en restait ! Je l'avais fait garder de côté jusqu'à ma sortie du bureau !
- Merci beaucoup, mais... Pourquoi ça ? Pourquoi maintenant ?
Je parlais toujours bel et bien d'un croissant aux groseilles. Rien d'exceptionnel en soi. Si ce n'était les circonstances : soucieux de mon éducation, strictes et réglés comme de véritables horloges, mes parents ne laissaient que peu de place aux petits plaisirs ou aux signes d'amour matériels.
Alors je me doutais bien que s'il était devant moi, à me susurrer doucement de le croquer, c'était pour une raison bien précise. L'officier souriait de toutes ses dents et j'aimais de moins en moins ça :
- Ce soir, tu ne t'entraîneras pas avec ta mère.
- Quoi ? Une pause ?
- Oui... Et non ! Je m'occupe de toi aujourd'hui.
"Braoum !" fit l'orage grondant dans mon esprit à cet instant. S'entraîner avec papa... cela sonnait presque comme une punition.
- Forfait ! Je m'avoue vaincu t'as gagné !
- Hahaha ! Désolé fils mais ça ne prendra pas ! J'ai vraiment hâte de ressentir tes progrès... Et nos poings causent plus que nos gueules pour ce genre de choses.
- Mais je suis encore convalesc...
- Fais pas ta tarlouze ! Ton bras va beaucoup mieux et tu poses ton attelle dès MAINTENANT ! Alors bouffe ton croissant, enfile ta tenue et on s'y jette !
Quand le colonel oubliait vocabulaire et formules de politesse, mieux valait obéir. Et sans broncher. Surtout sans broncher. Un jour, l'un de ses hommes eut l'audace de broncher et il lui en colla une devant tout le monde, par simple "réflexe" d'après lui, l'envoyant rebondir contre un mur.
Je ne pris pas le temps de savourer la douceur entre mes doigts et déjà je mettais mon habit d'entraînement. Je rejoignis alors mon père dans la cour où j'avais l'habitude de suer littéralement sang et eau avec ma mère. Il portait toujours son uniforme, bien que la chemise soit ouverte, laissant paraître un débardeur bleu ciel et une ceinture noire à boucle argentée. Ses bottes, usées, étaient couvertes de tâches brunes suspectes. Il croisait les bras.
Kristian Frost me dit :
- Prêt, gamin ?
- Puisqu'il le faut père.
Hé oui, puisqu'il le faut...
- Alors c'est parti.
PAF !
Avant même de comprendre quoi que ce soit, le temps de me mettre en garde, l'officier s'était jeté sur moi à une vitesse fulgurante pour me décocher un coup de poing en pleine poire.
Je terminai ma chute affalé contre les marches menant au bâtiment principal de notre propriété, trop sonné pour ressentir une quelconque douleur. Papa me fixait d'un air sérieux que je ne le connaissais pas.
D'abord Boris, l'officier intendant affilié à la réserve à Luvneelgraad, qui m'avait mis un fusil entre les mains, histoire de m'entraîner au tir avec les autres recrues. Ensuite ma mère qui m'avait mis une dérouillée phénoménale lors de nos séances du soir, m'obligeant à porter une attelle tout le long de la semaine. Sans parler des excuses de Lars.
Les excuses.
De Lars !
Son père était venu nous voir, son fils sous le bras. Une discussion qui se voulait formelle avec mes parents, moi-même... une poignée de main, quelques regards baissés... Mais une tension palpable. Depuis ce qu'il s'était passé il y a un an, alors que j'avais appris les penchants révolutionnaires de sa famille et après avoir failli nous entre-tuer, Lars et moi ne nous étions plus revus. J'avais cependant appris que le colonel Frost, mon propre père, était au courant de leur situation. Ma mère semblait aussi impliquée. Alors pourquoi n'étaient-ils pas arrêtés ? Mon vieux ne voulut rien dire, espérant toujours que je sois dans l'ignorance.
Enfin le plus fort, c'était que j'avais eu droit à un croissant aux groseilles. A 18h37. Peu avant l'heure de l'entraînement et du souper. J'étais là, devant la viennoiserie, bouche bée, assis sur ma chaise dans le grand salon. Mon père me regardait, fier de sa surprise :
- Alors ? T'en bouche un coin, pas vrai ?
- Mais... Il en restait ? A cette heure-ci ?!
- Bah un peu qu'il en restait ! Je l'avais fait garder de côté jusqu'à ma sortie du bureau !
- Merci beaucoup, mais... Pourquoi ça ? Pourquoi maintenant ?
Je parlais toujours bel et bien d'un croissant aux groseilles. Rien d'exceptionnel en soi. Si ce n'était les circonstances : soucieux de mon éducation, strictes et réglés comme de véritables horloges, mes parents ne laissaient que peu de place aux petits plaisirs ou aux signes d'amour matériels.
Alors je me doutais bien que s'il était devant moi, à me susurrer doucement de le croquer, c'était pour une raison bien précise. L'officier souriait de toutes ses dents et j'aimais de moins en moins ça :
- Ce soir, tu ne t'entraîneras pas avec ta mère.
- Quoi ? Une pause ?
- Oui... Et non ! Je m'occupe de toi aujourd'hui.
"Braoum !" fit l'orage grondant dans mon esprit à cet instant. S'entraîner avec papa... cela sonnait presque comme une punition.
- Forfait ! Je m'avoue vaincu t'as gagné !
- Hahaha ! Désolé fils mais ça ne prendra pas ! J'ai vraiment hâte de ressentir tes progrès... Et nos poings causent plus que nos gueules pour ce genre de choses.
- Mais je suis encore convalesc...
- Fais pas ta tarlouze ! Ton bras va beaucoup mieux et tu poses ton attelle dès MAINTENANT ! Alors bouffe ton croissant, enfile ta tenue et on s'y jette !
Quand le colonel oubliait vocabulaire et formules de politesse, mieux valait obéir. Et sans broncher. Surtout sans broncher. Un jour, l'un de ses hommes eut l'audace de broncher et il lui en colla une devant tout le monde, par simple "réflexe" d'après lui, l'envoyant rebondir contre un mur.
Je ne pris pas le temps de savourer la douceur entre mes doigts et déjà je mettais mon habit d'entraînement. Je rejoignis alors mon père dans la cour où j'avais l'habitude de suer littéralement sang et eau avec ma mère. Il portait toujours son uniforme, bien que la chemise soit ouverte, laissant paraître un débardeur bleu ciel et une ceinture noire à boucle argentée. Ses bottes, usées, étaient couvertes de tâches brunes suspectes. Il croisait les bras.
Kristian Frost me dit :
- Prêt, gamin ?
- Puisqu'il le faut père.
Hé oui, puisqu'il le faut...
- Alors c'est parti.
PAF !
Avant même de comprendre quoi que ce soit, le temps de me mettre en garde, l'officier s'était jeté sur moi à une vitesse fulgurante pour me décocher un coup de poing en pleine poire.
Je terminai ma chute affalé contre les marches menant au bâtiment principal de notre propriété, trop sonné pour ressentir une quelconque douleur. Papa me fixait d'un air sérieux que je ne le connaissais pas.