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Une fois n'est pas coutume, Monsieur Edward Thatch, l'homme à la Barbe Noire, Capitaine pirate sévissant sur les Blues, dangereux forban n'ayant pas encore laissé en vie suffisamment de témoins pour qu'on puisse se mettre à sa recherche, est pourtant là, enfermé au fond de la cale du Queen Anne, caravelle de la Marine.
C'est un fameux deux-mâts, fin comme un oiseau, pouvant aller jusqu'à dix-huit nœuds, ayant une capacité de deux-cent tonneaux : chaque Marine est fier d'y être matelot. Il tient bon la vague, il tient bon le vent. Vous connaissez la suite.
Le Lieutenant Icéo Santiano, Capitaine du Queen Anne, est un soldat droit dans ses bottes. Plus intègre, tu meurs. Et Santiano, depuis quelques jours, il est fier. Fier d'avoir capturé non pas un, mais deux pirates ! Le premier, le vieux Ned, avait déjà été capturé et avait réussi à s'échapper assez rapidement, juste avant qu'on le confie à notre bon Lieutenant pour effectuer son transfert. Alors Santiano a fait son boulot, de manière brillante il faut bien l'avouer, et est parvenu en un temps record à capturer à nouveau le vieux Ned.
A peine arrivé en haute mer pour effectuer le transfert du vieux Ned, voilà qu'un ahuri barbu avait engagé un combat, à l'aide de l'unique canon qu'il manœuvrait seul à bord d'une coque de noix pourvue d'une ridicule voile carrée rafistolée de partout. Le pirate de pacotille avait ouvert le feu sans sommation sur le Queen Anne. La barque a été coulée en moins de temps qu'il en faut pour le dire, et le taré à la barbe noire a été envoyé directement à la cale, ferré, afin d'être remis à la prochaine prison rencontrée, c'est à dire la destination du vieux Ned.
Ainsi, les voilà tous les deux, Edward et Ned, enchaînés dans les cales de la caravelle.
« Vous êtes qui, vous ? »
Le vieux Ned, curieux vis-à-vis de son compagnon de geôle, fixe l'homme à la barbe noire d'un regard suspicieux. La tête baissée, Edward laisse un large sourire, dents apparentes, repeindre son visage. Il lève les yeux vers son interlocuteur et lui répond :
« Edward... Thatch... »
Le vieux est un peu surpris.
« Marrant vot' nom. M'fait penser à...
- Mmm ?
- Nan. Rien...
- Et vous, c'est quoi le vôtre ?
- Ned. Juste Ned. »
Puis, silence. Au-dehors, on entend les marins s'affairer aux tâches quotidiennes d'un bâtiment de la Marine. Contre la coque, le clapotis des vagues rythme le chant inlassable de la houle, dans une mélodie incessante. Ici, un peu d'eau suinte de la paroi. Rien d'inquiétant, un navire, c'est un être vivant dont il faut prendre le plus grand soin. Il a une âme, il a un corps, et tout doit être entretenu. Alors régulièrement, le calfat s'occupe d'améliorer l'étanchéité des panneaux de bois et de vider l'eau qui a pu s'accumuler au fond du bâtiment.
« Mon nom.
- Mm ?
- Il vous fait penser à "Teach" n'est-ce pas ?
- Mouais.
- Qu'est-ce que vous savez de lui ?
- Un traître à la piraterie. Pas envie de parler de cet incapable.
- Je ne vous parle pas de Marshall. »
Ned relève la tête, interloqué.
« Vous pensiez vraiment que j'avais choisi le prénom "Edward" au hasard ?
- Trop peu de personnes en ont entendu parler. Il a existé il y a bien trop longtemps.
- Donc, maintenant qu'on parle de la bonne personne... Qu'est-ce que vous savez de lui ?
- L'un d'mes aïeux a navigué longtemps à ses côtés... »
Cela, Edward Thatch le sait. En fait, il sait bien qui est le vieux Ned. Il savait qu'il allait se faire transférer. Il savait quel chemin emprunterait le Queen Anne. Il savait que c'était le seul moyen de rencontrer Ned avant qu'il soit à nous remis en lieu sûr. Et il savait qu'il allait trouver une solution facile pour sortir d'ici. Bien plus facilement que d'une prison terrestre. Et maintenant il est là, face à Ned.
« Des histoires traînent dans ma famille depuis longtemps, on se les raconte de père en fils... »
Le vieux détourne la tête et renifle.
« Mais ?
- Mais je n'ai pas d'enfant à qui conter ces histoires... »
Il est triste. C'est presque trop facile.
« Racontez-les moi. »
Ned relève brusquement les yeux, une lueur vacillante dans le regard. Mais il se ravise.
« Je ne sais pas... Non...
- Racontez-les moi. Que je puisse suivre ses pas. Racontez-les moi pour que des hommes de mon équipage puissent transmettre la suite de ces histoires à leur descendance. »
Thatch marque une pause.
« Racontez-les moi pour permettre à d'autres de faire perdurer ce que vous ne pouvez malheureusement pas accomplir. »
Mais le vieux Ned se retourne et ne dit mot.
* *
*
*
Le Queen Anne a beau bien tenir la vague, bien tenir le vent, quand une si grosse tempête se déchaîne, il fait comme tous les navires : il résiste comme il peut. Et quand on n'a pas le meilleur timonier des Blues - tout le monde ne peut pas se vanter d'avoir Joseph Hamil à ses côtés -, les dommages occasionnés à la coque sont considérables.
Alors, le Lieutenant Icéo Santiano est forcé de trouver une terre au plus vite, afin d'y accoster, hors d'un port, et d'effectuer d'importantes réparation à la seule force de son équipage. Le risque, s'il ne fait pas cela, c'est de rencontrer en mer des forbans qui profiteront de sa vulnérabilité pour s'en prendre à lui. Et ça, Santiano veut à tout prix l'éviter.
Le Queen Anne vire donc de bord, le capitaine ayant choisi sa destination sur la carte. C'est un bon, il a réussi à conserver son repérage en mer malgré le gros temps passé.
Dans la cale, tout a été mis sans dessus-dessous, puis remis en l'état par les matelots. Ned et Edward sont toujours là, dans la même cage, l'un en face de l'autre, mais ils ont désormais le cul dans l'eau. Faute de mieux, ils doivent s'en contenter. Ils n'ont pas souffert du remue-ménage, certainement l'habitude de la haute mer tumultueuse. De vrais marins inébranlables.
Pour on ne sait quelle raison, lorsque tous les matelots sont sur le pont et que les deux prisonniers sont tranquilles, le vieux se tourne vers Thatch :
« Ouvrez bien vos oreilles, monsieur "Thatch", j'ai beaucoup d'histoires à raconter... »
Sur le pont, on entend au loin le hurlement de la vigie.
« Terre en vue ! »
Alors Thatch se penche vers le vieux Ned :
« On doit avoir trois ou quatre heures, tout au plus... Allez à l'essentiel. »
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Dernière édition par Edward Thatch le Mer 3 Mai 2017 - 16:51, édité 3 fois