- Ecoute-moi bien, petite merde : je ne sais pas d'où tu viens, ce que tu fais, ce que t'aimes dans la vie, je ne sais pas ce que tu veux, ce que tu crois faire en venant me voir, ni même si t'es zoophile ou gay. A vrai dire je m'en bats les olives. Je fais même l'hélice avec mon poireau en gueulant un chant patriotique, juste pour oublier que t'es là ! Et si ça suffit pas : j'me fais une ceinture avec, histoire que t'aies bien la mort en plus d'être jaloux ! Alors la prochaine fois que tu viens m'emmerder avec tes "S'il vous plaît", pense à ce que j'vais te dire : on dit MONSIEUR avant de dire "S'il vous plaît"... D'ailleurs on ne dit pas "S'il vous plaît". Car non, ça ne me plaît pas. Même pas besoin de savoir ce que tu vas me demander. Rien que la gueule que tu m'tires donne pas envie. Va t'arranger un coup. On t'a jamais appris à être présentable pour des rendez-vous ? Ou pour sortir en général ! Tiens bah l'prochain coup, prend rendez-vous ! Au moins je m'attendrai à voir débarquer un gringalet drapé comme un animateur de foire mis à la rue pour faillite venant m'emmerder en début d'après-midi, alors que tous ces connards d'ouvriers, d'artisans et de commerçants font leur pause, sur toute l'île de Rokade ! T'entends ce que je dis ?! TOUTE CETTE PUTAIN D'ÎLE ! Donc maintenant tu prends ce papier avec mes horaires. Tu choisis un créneau et tu te CASSES !
Le pauvre bougre d'en face ne répond pas. Déjà pas grand de base, il s'est ratatiné au fur et à mesure que je lui crachai mes quatre vérités à la figure. Un peu plus et il se pissait dessus ! Blanc comme un cachet d'aspirine, il recule en bredouillant quelque chose comme "seize heures", fait volte-face et quitte la pièce au milieu des brimades d'une clientèle moqueuse et bruyante à souhait.
Oui, je viens de foutre la honte à un client potentiel au beau milieu d'une taverne. Faut dire qu'il avait mal choisi son moment : la pause syndicale des mécréants de Rokade est sacrée. Mon verre de Granty double-dose sur le comptoir l'est encore plus.
Enfin bon, ça serait quand même con qu'il ait une requête sérieuse. Non pas que j'ai pitié des personnes vivant un drame, mais les appels de détresse rapportent toujours plus. Que voulez-vous ? Plus c'est grave, plus c'est cher ! Logique !
Après quelques mots avec le tavernier et deux verres de plus, je sors faire des courses avant de rejoindre mes appartements qui sont également mon lieu de travail. Lorsque je franchis le seuil, il est trois heures de l'après-midi.
Trois heures...
Bah ! M'étonnerait quand même que quelqu'un soit passé pendant que j'étais ailleurs. Et de toute manière, je ne suis pas le seul à m'occuper des affaires des autres. Y a aussi Tao "Sait-Tout", le détective. Même si je ne peux pas le saquer. Un vrai trou du cul. Quand je pense qu'il demande pas moins de 5M de berrys pour jouer les fouines ! Et moi avec mes forfaits situationnels... je me fais bien marrer tout seul. D'un rire bien jaune. Comme mon Granty.
On a aussi Igor l’Édenté, qui joue les gros-bras pour des petites tantouzes pas foutues de se défendre seules. Souvent des personnes qui se sont mises dans la merde jusqu'au cou, parfois des paranoïaques. Un jour, il a dit avoir rossé son client parce que celui-ci voulait qu'on protège son enfant et qu'on s'occupe de lui en son absence. Certains ont joué les choqués, mais moi je peux comprendre ce genre de réaction : je me vois mal faire la nounou pour un avorton et lui donner la becquée à table pour 5000 berrys l'heure alors que pour 100 000 je pourrai calotter un goujat et lui faire dire où il a caché la fille, ou la femme, d'un propriétaire terrestre. Surtout si la damoiselle en question n'est pas vilaine et suffisamment... ouverte et reconnaissante.
Bon. Faudra quand même que je change mes forfaits. Trois suffiront : le forfait "Petit Service" à 100 000 berrys, le forfait "Service Standard" à 1M de berrys et le "Service Deluxe" à 10M de berrys pour les grosses affaires... Ouais. Ça me paraît bien comme ça.
- Hep ! Faudrait m'faire une nouvelle affiche avec ces prix-là ! Et qu'ça saute !
Mon secrétaire, Monsieur Personne, apparaît à travers le cadre sur ma droite. Y m'regarde avec le même air las que moi.
Normal : j'ai pas de secrétaire. Mais mon psy m'a dit que se parler à soi-même dans un miroir pouvait aider à la motivation et à la prise de conscience de soi, ainsi qu'à m'exercer pour la prise de contact en société... Autant dire que j'en avais rien à cirer. Sauf pour la motivation : ça marche du tonnerre ! Enfin quand mes jambes veulent bien se lever...
En l'occurrence, la chaise sur laquelle je suis assis, derrière mon bureau en bois sombre, éclairé par la lumière du soleil filtrant à travers la fenêtre grande ouverte sur le mur de l'entrée, suffit à me mettre à l'aise. Alors la publicité attendra...
En regardant autour de moi, je vois les deux photos suspendues devant et derrière moi. Des photos représentant les quais de Rokade et la Grande Roue de Suna Land. Ce sont les seules décorations de la pièce, si on met à part la plante en pot rabougrie dans le coin, près de la porte d'entrée. Juste en face, il y a une table basse avec deux chaises et quelques journaux datés. Paraît que ça aide à faire patienter d'avoir de la lecture.
Personnellement je préfère encore lire "Anarchie et Soulèvement" de Jacky Méyeurvi plutôt que ce genre de torchon. Même si l'idée de propagande n'est pas pour me déplaire...
C'est en voyant tout ça que je finis enfin par me ressaisir. C'est pas en restant planté là que je deviendrai Roi ! Ni de Suna, ni de nul part ailleurs ! Sauf que pour prendre le pouvoir, il faut de l'argent, des hommes, de l'influence et... de l'argent. Beaucoup, beaucoup d'argent. Pour cela, le plus concret reste de prendre le contrôle d'un maximum de commerces et d'entreprises, de se lier à des types au moins assez impressionnants pour susciter le respect sur une île et, bien entendu, trouver des larbins dévoués et suffisamment stupides pour suivre n'importe quel ordre.
Ironie, quant tu nous tiens ! Pour fonder un royaume, il me faut d'abord fonder un empire...
Toc. Toc. Toc.
Comme vous vous en doutez, on frappe.
Je regarde ma pendule... Seize heures. Je me réinstalle confortablement sur mon trône, prend un air sérieux et détendu et dis d'une voix grave :
- Entrez.
Un petit clin d’œil au miroir. Je ne me suis pas entraîné pour rien ! Ah, par contre niveau sourire c'est pas encore ça. Peut-être comme ceci ? Ou alors...
- Euh... Merci de me recevoir, Monsieur.
Hein ? Ah ouais le client. Encore à m'interrompre celui-là. Tu m'étonnes qu'il se fasse victimiser tiens. Mais en tant que professionnel, je ne peux me permettre de me montrer froid. Pas trop du moins. L'histoire de la taverne ne compte pas, évidemment.
- Assieds-toi donc ! Prend tes aises. Pas besoin d'paraître si coincé.
Je souris de toutes mes dents et, bizarrement, ça n'a pas l'air de le détendre.
- Qu'il est chiant c'con-là...
- Plaît-il ?
- Je disais : que puis-je faire pour toi ?
- Oh... Eh bien... Je...
- En abrégeant s'il te plaît. J'ai pas toute la journée.
Bah quoi ? Faut pas pousser non plus ! Du coup il s'active :
- Je suis le jardinier de monsieur Pika Tomi, responsable des finances de Rokade. Il m'a chargé de vous contacter pour que vous le rejoigniez chez lui, près de la Rupture & Delivery Bank. Il a du travail pour vous.
- Et il pouvait pas venir en personne m'en faire part ? J'suis pas assez bien pour qu'il daigne se bouger le cul jusqu'ici ?
- Monsieur ne voulait pas... attirer l'attention sur lui.
Ohoh... Ça suscite l'intérêt, ça.
- Je vois. Et quel genre de travail veux-t-il me confier ? Parce que je suis en train de refaire mes forfaits et j'aimerai savoir combien...
- Monsieur Tomi n'a pas souhaité m'en faire part.
PAF !
- Plus jamais tu me coupes la parole. Compris ?
- C-compris.
- Bien. J'suppose que j'ai pas l'choix donc. J'te suis jusque là-bas. J'espère que ça en vaudra la peine.
Le pauvre bougre d'en face ne répond pas. Déjà pas grand de base, il s'est ratatiné au fur et à mesure que je lui crachai mes quatre vérités à la figure. Un peu plus et il se pissait dessus ! Blanc comme un cachet d'aspirine, il recule en bredouillant quelque chose comme "seize heures", fait volte-face et quitte la pièce au milieu des brimades d'une clientèle moqueuse et bruyante à souhait.
Oui, je viens de foutre la honte à un client potentiel au beau milieu d'une taverne. Faut dire qu'il avait mal choisi son moment : la pause syndicale des mécréants de Rokade est sacrée. Mon verre de Granty double-dose sur le comptoir l'est encore plus.
Enfin bon, ça serait quand même con qu'il ait une requête sérieuse. Non pas que j'ai pitié des personnes vivant un drame, mais les appels de détresse rapportent toujours plus. Que voulez-vous ? Plus c'est grave, plus c'est cher ! Logique !
Après quelques mots avec le tavernier et deux verres de plus, je sors faire des courses avant de rejoindre mes appartements qui sont également mon lieu de travail. Lorsque je franchis le seuil, il est trois heures de l'après-midi.
Trois heures...
Bah ! M'étonnerait quand même que quelqu'un soit passé pendant que j'étais ailleurs. Et de toute manière, je ne suis pas le seul à m'occuper des affaires des autres. Y a aussi Tao "Sait-Tout", le détective. Même si je ne peux pas le saquer. Un vrai trou du cul. Quand je pense qu'il demande pas moins de 5M de berrys pour jouer les fouines ! Et moi avec mes forfaits situationnels... je me fais bien marrer tout seul. D'un rire bien jaune. Comme mon Granty.
On a aussi Igor l’Édenté, qui joue les gros-bras pour des petites tantouzes pas foutues de se défendre seules. Souvent des personnes qui se sont mises dans la merde jusqu'au cou, parfois des paranoïaques. Un jour, il a dit avoir rossé son client parce que celui-ci voulait qu'on protège son enfant et qu'on s'occupe de lui en son absence. Certains ont joué les choqués, mais moi je peux comprendre ce genre de réaction : je me vois mal faire la nounou pour un avorton et lui donner la becquée à table pour 5000 berrys l'heure alors que pour 100 000 je pourrai calotter un goujat et lui faire dire où il a caché la fille, ou la femme, d'un propriétaire terrestre. Surtout si la damoiselle en question n'est pas vilaine et suffisamment... ouverte et reconnaissante.
Bon. Faudra quand même que je change mes forfaits. Trois suffiront : le forfait "Petit Service" à 100 000 berrys, le forfait "Service Standard" à 1M de berrys et le "Service Deluxe" à 10M de berrys pour les grosses affaires... Ouais. Ça me paraît bien comme ça.
- Hep ! Faudrait m'faire une nouvelle affiche avec ces prix-là ! Et qu'ça saute !
Mon secrétaire, Monsieur Personne, apparaît à travers le cadre sur ma droite. Y m'regarde avec le même air las que moi.
Normal : j'ai pas de secrétaire. Mais mon psy m'a dit que se parler à soi-même dans un miroir pouvait aider à la motivation et à la prise de conscience de soi, ainsi qu'à m'exercer pour la prise de contact en société... Autant dire que j'en avais rien à cirer. Sauf pour la motivation : ça marche du tonnerre ! Enfin quand mes jambes veulent bien se lever...
En l'occurrence, la chaise sur laquelle je suis assis, derrière mon bureau en bois sombre, éclairé par la lumière du soleil filtrant à travers la fenêtre grande ouverte sur le mur de l'entrée, suffit à me mettre à l'aise. Alors la publicité attendra...
En regardant autour de moi, je vois les deux photos suspendues devant et derrière moi. Des photos représentant les quais de Rokade et la Grande Roue de Suna Land. Ce sont les seules décorations de la pièce, si on met à part la plante en pot rabougrie dans le coin, près de la porte d'entrée. Juste en face, il y a une table basse avec deux chaises et quelques journaux datés. Paraît que ça aide à faire patienter d'avoir de la lecture.
Personnellement je préfère encore lire "Anarchie et Soulèvement" de Jacky Méyeurvi plutôt que ce genre de torchon. Même si l'idée de propagande n'est pas pour me déplaire...
C'est en voyant tout ça que je finis enfin par me ressaisir. C'est pas en restant planté là que je deviendrai Roi ! Ni de Suna, ni de nul part ailleurs ! Sauf que pour prendre le pouvoir, il faut de l'argent, des hommes, de l'influence et... de l'argent. Beaucoup, beaucoup d'argent. Pour cela, le plus concret reste de prendre le contrôle d'un maximum de commerces et d'entreprises, de se lier à des types au moins assez impressionnants pour susciter le respect sur une île et, bien entendu, trouver des larbins dévoués et suffisamment stupides pour suivre n'importe quel ordre.
Ironie, quant tu nous tiens ! Pour fonder un royaume, il me faut d'abord fonder un empire...
Toc. Toc. Toc.
Comme vous vous en doutez, on frappe.
Je regarde ma pendule... Seize heures. Je me réinstalle confortablement sur mon trône, prend un air sérieux et détendu et dis d'une voix grave :
- Entrez.
Un petit clin d’œil au miroir. Je ne me suis pas entraîné pour rien ! Ah, par contre niveau sourire c'est pas encore ça. Peut-être comme ceci ? Ou alors...
- Euh... Merci de me recevoir, Monsieur.
Hein ? Ah ouais le client. Encore à m'interrompre celui-là. Tu m'étonnes qu'il se fasse victimiser tiens. Mais en tant que professionnel, je ne peux me permettre de me montrer froid. Pas trop du moins. L'histoire de la taverne ne compte pas, évidemment.
- Assieds-toi donc ! Prend tes aises. Pas besoin d'paraître si coincé.
Je souris de toutes mes dents et, bizarrement, ça n'a pas l'air de le détendre.
- Qu'il est chiant c'con-là...
- Plaît-il ?
- Je disais : que puis-je faire pour toi ?
- Oh... Eh bien... Je...
- En abrégeant s'il te plaît. J'ai pas toute la journée.
Bah quoi ? Faut pas pousser non plus ! Du coup il s'active :
- Je suis le jardinier de monsieur Pika Tomi, responsable des finances de Rokade. Il m'a chargé de vous contacter pour que vous le rejoigniez chez lui, près de la Rupture & Delivery Bank. Il a du travail pour vous.
- Et il pouvait pas venir en personne m'en faire part ? J'suis pas assez bien pour qu'il daigne se bouger le cul jusqu'ici ?
- Monsieur ne voulait pas... attirer l'attention sur lui.
Ohoh... Ça suscite l'intérêt, ça.
- Je vois. Et quel genre de travail veux-t-il me confier ? Parce que je suis en train de refaire mes forfaits et j'aimerai savoir combien...
- Monsieur Tomi n'a pas souhaité m'en faire part.
PAF !
- Plus jamais tu me coupes la parole. Compris ?
- C-compris.
- Bien. J'suppose que j'ai pas l'choix donc. J'te suis jusque là-bas. J'espère que ça en vaudra la peine.
Dernière édition par Dorian Silverbreath le Ven 14 Avr 2017 - 19:22, édité 1 fois