Posté Mar 30 Aoû 2011 - 4:04 par Damien Reyes
Passé un bon moment à siroter du lait vanillé, je commençais à trouver le temps long. Le court intervalle entre mon arrivée et le début des hostilités me paraissait s'éterniser. C'était un peu comme l'instant qui précédait l'ouverture des cadeaux de Noël, juste au moment de la distribution. On sait que l'on va avoir droit à son joli paquet sous peu, mais le temps ne passe toujours pas assez vite. Si les pirates devaient arriver sous peu, je commençais à me demander ce que pouvaient bien fabriquer les sentinelles censées surveiller l'horizon. En cette ère de piraterie, il était difficile d'imaginer une petite île tranquille sans poste avancé pour prévenir de l'arrivée de forbans.
Quel ne fut pas mon soulagement lorsque, enfin, l'un des habitants pénétra dans la taverne avec le souffle coupé et une indescriptible expression de peur sur le visage. Inutile alors de préciser l'état de panique dans lequel il se trouvait, juste avant qu'il ne hurle comme quoi un navire avec un pavillon à tête de mort se dirigeait par ici. D'après les informations qu'il fournit, il devait s'agir d'un équipage d'environ cinquante à soixante-quinze hommes d'après la taille du navire. Cela était généralement bon signe. Pour ma part, je me méfiais davantage des équipages ne comptant qu'une demi-douzaine de membres ou un peu plus, que des équipages disposant de trois millions d'ahuris ne sachant même pas tenir une épée.
Lorsque la sentinelle recommanda de se réfugier dans les montagnes en abandonnant le village, je finis par me lever, me dirigeant vers la sortie avant d'affirmer que je me chargeais de ces indésirables. Bien entendu, la réaction des clients fut sans équivoque. A la surprise finit par suivre le comportement moqueur, puis finalement affolé. Le tenancier, quant à lui, laissait apparaître de grosses gouttes qui perlaient sur son front alors qu'il me fixait avec insistance. Cette peur dans le regard et cette manière d'insister en me dévisageant... de la totalité des ahuris présents ici, je pense que c'était lui le seul à m'avoir reconnu. Après tout, j'étais parmi les nouveaux primés... et quelle prime ! Pour une première, atteindre les cinquante millions, ce n'était pas rien.
Je sortis de la taverne en entendant la discussion que venait de lancer le barman, dévoilant à tous qui j'étais. Enfin... pas le visage qui se cachait sous mon épais foulard, mais mon identité au sein de l'Armée Révolutionnaire. Sans doute montra-t-il l'avis de recherche, car dans l'instant qui suivit, plus un mot ne filtra du bâtiment. Suivi par Gehennos, je m'avançais alors de manière assez nonchalante vers le port, situé légèrement en avant de la ville, à environ deux cents mètres des premières habitations. Ces deux-cents mètres seraient la limite que je devrais empêcher aux pirates de franchir si je voulais réussir à protéger le petit village. Lors de ma marche, je vis plusieurs habitants chargés comme des mulets qui allaient dans la direction opposée à la mienne. Un gamin me demanda même si je n'étais pas fou, avant que son grand-père ne vienne l'éloigner de moi. Vu la manière dont ses lèvres tremblaient, lui aussi m'avait reconnu.
Finalement, je restais à une vingtaine de mètres du bord alors que l'embarcation approchait. Droit et immobile, Gehennos derrière moi, dissimulé par mon manteau battant au vent, je laissais le danger approcher pour mieux pouvoir l'estimer. Plusieurs passerelles sortirent brusquement depuis le pont, avant que plusieurs dizaines de pirates ne viennent mettre pied à terre. Au bas mot, ils étaient approximativement cinquante, peut-être un peu plus. Je n'ai jamais été très bon pour ce genre d'estimation à dire vrai. Mais quant à celle qui concerne leur quotient intellectuel, je pouvais m'avancer sans risque en affirmant qu'il ne brillait pas des masses. Un peu comme si l'étiquette "bêtes et méchants" était collé sur une banderole, derrière le groupuscule de chauve avec des dents cariées et de tatouages plus vulgaires les uns que les autres.
Je vous passerai le dialogue aussi classique qu'ennuyeux qui se résume à un "t'es qui ?", "Dégage", "On va te crever" et autres joyeusetés du même genre. De toute évidence, j'avais à faire à un équipage pirate de très bas étage. Bref, pas une très grande menace. Le capitaine, quant à lui, était aussi quelconque que ses hommes. Je doutais même qu'il soit plus fort que ces derniers. Par contre, lorsque l'un d'eux s'avança d'un peu trop près, Gehennos sorti de sa cachette en se relevant, pour me dépasser et se mettre entre moi et le bandit. Ce dernier fit soudainement pâle figure, à côté du molosse aux trois têtes dont la bave dégoulinait de chaque gueule, dévoilant de manière intimidante toutes ses dents en grognant sans s'arrêter. Il fallait bien avouer que le Cerbère avait un effet bien dissuasif chez les Pirates d'eau douce.
Le capitaine ordonna à une première dizaine d'hommes de se jeter sur moi et mon gardien, avec tout le courage qui incombe à un général planqué à cent bornes du front. Voilà qui allait pouvoir me permettre de sortir une autre carte, et intimider davantage les pauvres bougres. Sans me faire prier, je dévoilais le pommeau de Kurayami-Hime, encore dans son fourreau, posant ma main dessus sans rien faire d'autre. Enfin... rien d'autre, c'était vite dit. Sans bouger, je libérais une puissante aura meurtrière, donnant l'impression à mes assaillants qu'ils venaient de se faire transpercer par derrière, à l'instant même où ils s’étaient jetés sur moi. Le résultat fut sans équivoque. La dizaine de corniauds s'écroula, ainsi interrompus dans les airs, s'écrasant lamentablement sur le sol en se plaignant d'une douleur qui n'avait rien de réel, ne réalisant même pas que l'illusion s'était déjà dissipée. Le genre de guignol à dire qu'il va mourir parce qu'il a reçu une balle sans se rendre compte qu'il a juste été frôlé en somme.
J'avais pris soin de ne pas propager le Saki aux autres pour qu'ils restent dans l'incompréhension la plus totale. Cela avait pour effet d'accentuer le sentiment de peur qui commençait sérieusement à les titiller. Mais malgré leur air tant effrayé que dubitatif sur la vue de leurs camarades gisants à terre sans que je n'ai fait le moindre mouvement, ils suivirent tous l'ordre de leur chef lorsqu'il sonna la charge générale. Souriant derrière mon foulard, je m'amusais de voir la quarantaine de zigotos se ruer dans ma direction. Demandant à Gehennos de s'écarter, je sortais mes deux armes avant de les brandir, celle tenue à gauche sur ma droite, et inversement.
D'un coup, en frappant simultanément, je libérais l'attaque qui était pour ainsi dire ma signature en plein dans le tas. Un triple pont d'énergie déferla sur la place, balayant la vingtaine de pirates situés au centre de la mêlée, avant que le coup ne se loge violemment dans le navire des forbans. La marque du Tri-Edge s'incrusta dans le bois, coupant net plusieurs couches de ce dernier et restant ainsi sur le galion qui libéra un monceau de poussière et de sciure. Je n'avais pas la force de le couler comme l'aurait fait jadis le légendaire Mihawk, mais j'avais au moins laissé mon empreinte sur lui de manière indélébile. Il aurait fallu changer les planches d'un tiers du navire pour ôter la marque de coupure qui se trouvait sur son flanc.
Les bandits, eux, cessèrent net la charge en voyant la force du coup. Il fallait dire qu'aux vues de leurs piètres capacités, même un âne battée aurait compris que la différence de force était trop grande... surtout avec plus de la moitié de leurs effectifs en moins grâce au seul avantage de la surprise. Réaction générale ? Tous se tournèrent vers moi et... inclinèrent la tête en lâchant un "Gommenasaï" avant de faire demi-tour et partir en hurlant, retournant sur le vaisseau pour lever l'ancre dès qu'ils le purent. Regardant Gehennos avec un air dépité, je rangeais mes armes dans leurs étuis respectifs avant de reprendre le chemin de la taverne. La masse d'habitants qui n'avaient pas encore réussis à fuir avait assisté au spectacle de loin et semblait presque aussi surprise que les pirates.
Une fois dans le bar, il ne fut pas difficile de percevoir le regard des gosses, et même de certains de leurs parents, par la porte battante de l'entrée ou encore les quelques fenêtres du coin. Demandant au barman un autre lait vanillé, je sentais que ce dernier avait quelques mots sur la bouche, mais n'osait pas véritablement les prononcer. Buvant rapidement le breuvage, je finis par lâcher juste ces quelques mots, témoignant que je n'étais pas si méchant que la Marine voulait bien le laisser croire, et témoignant de mon caractère pacifique à la population.
- Y'a pas de quoi...