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Les chasseurs sachant chasser le livre

Avec la mésaventure qu'il venait de vivre sur Logue Town, Mochi n'avait pas franchement l'intention de s'y éterniser. Néanmoins, il avait eu vent d'une rumeur qui allait retarder son départ. En effet, il avait entendu dire qu'un exemplaire d'un livre extrêmement rare se trouvait sur l'île. Ce livre, n'était autre que "Les pérégrinations d'un médecin". Il avait entendu parler de ce livre par le vieux Niasu, son mentor, qui lui avait raconté des tas d'histoires sur le sujet. Son existence lui était sortie de la tête, mais quand il eut écho de la possible présence d'un exemplaire sur l'île, sa curiosité fut éveillée et le désir de découvrir l'oeuvre s'empara de son esprit.

Selon la légende, il n'existerait que sept exemplaires de l'oeuvre. Plus qu'une oeuvre, ce serait un chef-d'oeuvre ! Le livre serait un roman, peut être autobiographique d'un médecin voyageant à travers le monde, des Blues, jusqu'aux contrées les plus obscures du nouveau monde. Son côté technique en ferait une oeuvre principalement destiné aux professionnels de la santé, néanmoins l'oeuvre attirerait également philosophes, sages et plus simplement passionné de littérature, d'une part pour la portée spirituelle de l'oeuvre, mais également pour son style singulier et, dit on, d'une justesse à en faire pâlir les plus grands. Mais sa rareté en faisait plus un mystère qu'autre chose, rare étaient ceux à réellement savoir ce que contenait le texte. Tout, autour de cet oeuvre respirait le mystère, voir même pour certains, le mysticisme. Certaines études et commentaires prétendument exégétiques circulaient, mais il était très difficile de démêler le vrai du faux. Et ces mystères s'étendaient jusqu'à l'auteur lui-même, dont l'identité, qui demeurait à ce jour, inconnu, avait fait l'objet de tout un tas de théories toutes plus farfelues les unes que les autres. L'une d'elle qui semblait plutôt crédible aux yeux myope du binoclard, attribuait l'oeuvre à un certain Crocus. Mais en réalité l'oeuvre semblait bien plus ancienne.

Qu'importe en réalité la provenance de cette légende, c'était sur cette chimère que Mochi avait désormais jeté son dévolu. Et comme la rumeur sur le sujet ne disait rien de plus que "Un exemplaire se trouverait sur l'île", le toubib ne savait pas vraiment par où commencer. Aussi se décida t-il à faire le tour des libraires de la ville. Ce qui ne s'avéra pas franchement reluisant. Oh, bien sûr tous avaient entendu parler du livre, tous avaient entendu parler de la rumeur, mais nul n'en savait plus. Après des heures de recherches, il tomba sur une petite librairie tenue par un vieil homme et son épouse, tout aussi vieille. Tout un tas de livres mal rangés trônaient sur des étagères où la poussière régnait en maître, donnant à l'ensemble un air d'érudition, laissant rêver à ces écrivains solitaires renonçant à la gloire et à la richesse au nom de l'art et de la poésie, acceptant pour cela des conditions de vie misérable.

Comme il était impatient de trouver le livre,  le toubib ne prit même pas la peine de chercher et se dirigea tout de go vers le comptoir derrière lequel se tenait les deux vieillards.

"Avez-vous entendu parler de la rumeur comme quoi un exemplaire des 'Pérégrinations d'un médecin" trainerait quelque part sur l'île ?"

Le vieux se leva précipitamment, l'air grave. A l'entente du titre du livre il s'était mis à trembler. Mochi fut ravi, enfin, il semblait tenir une piste sérieuse, il approchait peut être de son but. Alors qu'il se mettait à rêver de lui câlinant la couverture cuivrée du bouquin tant convoité, le vieillard leva la tête, laissant apparaître un visage plein d'émotion comme s'il avait attendu ce moment toute sa vie. Emu, il se retourna vers sa compagne.

"Qu'est ce qu'y dit c'lui là mamy ?!" Cria t-il

"Il cherche un livre qui s'appelle La récréation du tintouin !!!" brailla t-elle à son tour, satisfaite.

"De quoi ?!"

Le médecin, dépité, pivota sur lui-même et sortit de la librairie, abandonnant momentanément sa quête, il se mit à errer dans les rues de Logue Town, marchant de çà et là sans destination. Ce qui le décevait le plus, ce n'était pas tant qu'il n'ait trouvé aucune piste, c'était que personne ne semblait particulièrement enthousiaste à l'idée de pouvoir s'approcher d'un tel trésor, même chez les libraires. L'un d'entre eux, qui l'avait invité à cesser sa quête, l'avait même qualifié de "Drôle de rêveur", comme si ces termes cachaient en leurs seins une connotation péjorative.

Durant sa marche, il rencontra par hasard une nouvelle librairie. Sans grand espoir il s'y engouffra. Celle-ci n'était pas plus grande que la précédente, mais tout était ordonné et propre sur les belles étagères en bois massif, offrant à la pièce une fraîcheur nouvelle que celle du vieux n'avait pas. Les livres qui se succédaient sur les meubles, offraient un spectacle de couleurs qui égayait la pièce et en atténuait l'austérité. Comme il n'y avait personne, Mochi les examina. Il y avait là une petite étagère consacrée à la médecine, sur laquelle il trouva quelques livres intéressant, mais pas celui qu'il cherchait. Il était de toute façon plus ou moins exclu de trouver un livre d'une telle rareté ainsi exposé. Sur une petite table, avait été empilé plusieurs livres, probablement nouvel arrivage qui ne demandait qu'à être mis en rayon. Le boulonné s'en approcha, examinant la tranche des livres afin de les identifier. Mais, par maladresse, il donna un coup de pied dans le meuble, occasionnant la chute de la pile de bouquin.

"Merde !"

Et il se mit à les ramasser au plus vite, espérant tout remettre en ordre avant que quelqu'un ne le repère.


Dernière édition par Mochi le Mar 2 Mai 2017 - 22:33, édité 2 fois
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Autour d'un livre

Thomas Solomon

La journée de Thomas avait commencé sur les quais de Logue Town, bien avant que le soleil ne se lève. Il avait commencé ce travail récemment, pour financer le loyer de la maison après la mort de son père. C'était loin d'être une sinécure mais il avait au moins la possibilité de s'échapper de son domicile où sa mère avait plongé dans un alcoolisme sans borne. Il souffrait de cette situation qui pesait sur sa conscience en plus de cette cruelle réalité qui voulait que son temps sur terre soit rigoureusement compté. Lever des caisses lui permettait donc de libérer son esprit en mettant en action son corps. Cette nuit-là, un navire chargé de rhum était arrivé pour ravitailler les tavernes qui pullulaient sur la dernière île avant Grand Line. C'était presque une étape obligatoire pour tout les forbans qui marchaient dans les traces de Monkey D. Luffy ou encore avant lui, Gold D. Roger. Deux illustres pirates qui avaient éblouis leur époques de leurs exploits. Le jeune chroniqueur aurait rêvé d'appartenir à cette génération pour relater les aventures de chacun, mais il devait se contenter de la sienne. Et de toute manière il était bloqué sur cette île ad vitam aeternam. Le soleil commençait à poindre à l'horizon quand le jeune manutentionnaire passa les portes du port pour aller se reposer un peu avant de rejoindre son premier travail. Il rentra chez lui et ne croisa pas sa mère, sûrement endormie dans sa chambre après une éternelle cuite. Il put dormir quelques heures avant de se lever de nouveau et de se diriger vers la librairie.

Il entra par la porte de derrière et commença immédiatement à travailler. Madame Pomat n'étant pas encore là comme à son habitude, Thomas eut tout le luxe de commencer son activité doucement. Ils avaient reçu un arrivage tout récent de livre médicaux que le jeune homme commença à classer avant de les mettre sur l'étagère. Il les posa sur une petite table et commença à vaquer à ses occupations diverses. Son esprit n'avait pas tardé à être envahi par une discussion qu'il avait eu pendant son travail quelques jours auparavant avec son employeuse. Elle concernait un fameux livre, qui disait-on n'existait qu'en sept exemplaires à travers le monde. Un ouvrage, écrit par un illustre inconnu, qui portait comme titre "Pérégrinations d'un médecin." On disait que c'était un récit passionnant du fait de la plume extraordinaire de son auteur qui pouvait passionner spécialistes comme néophytes. Le jeune homme se trouvait dans la réserve quand la cloche de la porte d'entrée tinta légèrement. S'attendant à ce que la libraire se dévoile, il ne prit pas la peine de se déplacer dans la boutique en elle-même. Cependant, après quelle instants, il entendit un bruit de bouquins tombant au sol assortis d'un juron. Il passa la porte et tomba nez à nez avec un homme en train de ramasser les livres qu'il n'avait pas rangés. Il se précipita pour aider.

"Ne vous inquiétez pas, je vais les ranger! Si je ne les avaient pas laissé sur cette table ce ne serait jamais arrivé!"

Le chroniqueur en devenir attrapa les livres des mains du client et lui offrit un franc sourire ainsi que ses services. Il en profita pour détailler celui qui semblait être un scientifique. Il portait une blouse par dessus ses vêtements, bien plus classiques. Il était assez difficile, quand on portait son regard sur son visage, de ne pas remarquer l'espèce de vis qui sortait de son crâne ainsi que la cicatrice qui parcourait sa joue en passant à côté de son œil. Il ne s’attarda néanmoins pas sur ces détails. Il était lui aussi dans un sens un personnage étrange, encore plus pour un médecin. Ce dernier était resté silencieux, probablement gêné par la situation.

"Je suis Thomas, je tiens la boutique pour Mme Pomat! Je peux peut-être vous aider, monsieur..."

"Mochi! Je suis désolé pour les livres, je m'attardais devant votre étagère médicale et j'ai tout renversé..."

"Comme je vous l'ai dit, il n'y a pas de problème avec ça."

Le médecin sembla enfin se détendre et regarda les quelques ouvrages que Thomas s'était enfin décidé à ranger avant qu'un autre incident n'arrive. Il ne trouverait certainement pas le livre qu'il recherchait parmi ceux-là. Il se tourna alors vers le jeune libraire et sembla hésiter, presque déçu par avance de la réponse que pouvait lui donner Thomas. Il finit néanmoins par se lancer une bonne fois pour toutes.

"Je suis à la recherche d'un livre plutôt rarissime. "Les pérégrinations d'un médecin" si ça vous dit quelque chose?"

Le jeune assistant de librairie décrocha un sourire sans équivoque.

"Nous ne l'avons pas entre nos mains, cependant nous pourrions peut-être essayer de déterminer un moyen de le trouver?"

"Et qui tiendra la boutique pendant ce temps?"

Mme Pomat se tenait dans le cadre de la porte, un livre à la main. Elle avait ce sourire malicieux qui la caractérisait. D'un geste de la main elle invita les deux jeunes hommes à sortir de la boutique. Quand ils passèrent à son niveau, elle posa sa main sur l'épaule de son employé et lui donna un papier sur lequel elle avait griffonné quelque chose pendant qu'ils s'approchaient. Ils sortirent devant l'échoppe et se regardèrent. Thomas déroula le bout de papier et put y lire ces quelques mots:

"Chez le docteur Clio... Je crois qu'on a notre destination!"

Le chroniqueur en devenir adressa un sourire de plus à son compagnon d'aventure avant de mener la marche. Ils auraient le temps de sympathiser sur la route.

    Enfin, Mochi avait une piste, bien qu'il fut encore trop tôt pour la qualifier de sérieuse. En tout cas, cette Mme. Pomat avait de la ressource. Surprenante. Et déjà, les deux jeunes gens, alors qu'ils se connaissaient à peine, filaient vers le succès -du moins ils l'espéraient- de leur entreprise. Le toubib était ravi. Mais ce qui l'enchantait d'autant plus, c'était d'avoir rencontré Thomas, ce gosse à la chevelure blanche, ce jeune libraire, qui avait réagi au quart de tour à l'entente du titre convoité. Il l'avait trouvé, son libraire passionné, celui qui abandonnerait labeurs et rémunérations au profit d'une aventure dont l'issus était tout à fait incertaine. Un autre "drôle de rêveur", un autre assoiffé d'azur comme lui. Cette rencontre et ce départ précipité avait apporté une fraîcheur nouvelle et salutaire à cette quête de bibliothécaire. Revigoré, conforté dans ses attentes, le binoclard, suivit son nouveau compagnon qui le dirigea de rues en boulevards, dans cette ville qu'il semblait connaître comme le fond de sa poche.

    "Alors, comme ça toi aussi tu t'intéresses aux "Pérégrinations" ?"
    demanda le toubib, curieux, "D'où est-ce que tu connais ce livre ?"

    "C'est Mme. Pomat qui m'en a parlé, elle ne l'a jamais lu, bien sûr, mais d'après ce qu'elle en sait, ce serait une oeuvre écrite dans un style tout à fait remarquable ! L'oeuvre d'un homme ayant traversé le monde, il n'en fallait pas plus pour capter mon attention !"

    Voilà donc en quoi le jeune libraire était intéressé par l'oeuvre, sans doute rêvait-il d'écrire lui aussi. Sans doute écrivait-il dores déjà et sa passion pour la littérature le conduisait à s'y intéresser toujours plus et à découvrir des choses nouvelles. La perspective d'une oeuvre que l'on décrivait en des termes si favorables ne pouvaient être qu'alléchante, du moins dans l'hypothèse où elle remplirait les désirs du lecteur. Et ils seraient mis à grande épreuve. Le risque quand on glorifie trop une chose, c'est d'en finir déçu. Mais Mochi préférait ne pas envisager cette hypothèse là, qui mettrait un sacré coup à sa motivation.

    "Et toi ? Tu es médecin n'est-ce pas ?" le questionna Thomas, comme pour déterminer si c'était en cette qualité qu'il s'intéressait au livre.

    "Oui" répondit le toubib en opinant, "C'est par mon professeur que j'ai entendu parler du livre"

    Et, tout en arpentant la ville de Logue Town, ils continuèrent à discutailler, apprenant plus l'un sur l'autre. Si chacun, par pudeur, ne s'attardait pas sur les détails les plus intimes et les plus personnels de leur vie, le toubib put néanmoins apprendre que son jeune compagnon était loin d'avoir une vie facile, cumulant deux emplois, il trouvait difficilement le temps pour écrire. De son côté Thomas put apprendre que Mochi venait de loin, de North Blue, aussi s'empressa t-il de poser des questions sur l'île natale du toubib, ce à quoi le médecin répondait fort volontiers. Réponses marquées par un brin de nostalgie que le jeune libraire remarqua aussitôt.

    Tout en discutant, Thomas Solomon ne perdait pas pour autant le fil de leur déambulation et comme le temps s'écoulait rapidement -comme c'est le cas lorsque l'on s'emploie à une conversation intéressante- les deux protagonistes arrivèrent très vite, leur semblait-il, devant la demeure du docteur Clio. Sans être tape à l'oeil, ni particulièrement grande, on devinait pourtant que le docteur était financièrement à l'aise, c'est du moins ce que laissait paraître le petit jardin, extrêmement bien entretenu, richement décoré d'une jolie petite fontaine taillée dans le marbre, ainsi que la sculpture à tête de dragon qui siégeait royalement au-dessus de la porte d'entrée en bois massif.

    "Tu le connais au fait ce gars ?"

    "C'est une connaissance de ma patronne, mais je ne l'ai jamais vu ... Et je suis pas sûr qu'il ait déjà entendu parler de moi ..."

    Un temps d'hésitation. Puis, décidé, Thomas toqua à la porte. Une fois. Deux fois. Alors qu'il s'apprêtait à toquer une troisième fois, ils entendirent du bruit en provenance de l'intérieur, du couloir, du hall d'entrée. Une jambe lourde et le bruit d'un bout de bois frappant le sol se rapprochaient. Une canne, probablement. On ouvrit. Derrière la porte un vieillard plutôt chétif fit son apparition, patte folle et canne en main, il était grand et son visage aux airs sévères avait de quoi rebuter Thomas et Mochi dans leur démarche, comme elle aurait rebuté à peu près tout le monde, même les plus téméraires. Pour autant, il était hors de question de s'arrêter en si bonne voie. Faisant abstraction de ce physique particulier et menaçant, Mochi allait prendre la parole, mais il fut coupé par le vieil homme.

    "Bonjour" dit-il poliment, "Je peux vous aider ?" demanda t-il sur un ton qui contrastait totalement avec ses traits autoritaires.

    "Hmm, je travaille pour Mme. Pomat, c'est elle qui nous a donné votre nom et votre adresse ..."

    "Ah ! Je vous en prie entrez, entrez donc" répondit le vieux, toujours plus sympathique "Vous voulez boire quelque chose ?"

    Les deux gamins, d'un signe de tête, répondirent que non. Le vieillard les invita à entrer dans son salon, deux canapés, une table basse et une énorme bibliothèque, jonché de livres en quantités astronomiques,  plus ou moins bien rangés. La présence de cette masse considérable de bouquin avait de quoi être rassurante. Jetant un vif coup d'oeil, le boulonné se rendit compte qu'il y avait là tout un tas de manuel de médecine. Gêné de l'hospitalité du vieux, ils n'osèrent resister lorsqu'il les invita à s'asseoir et s'exécutèrent sans mot dire.

    "Ben dites donc, je connais votre patronne depuis un baille ! Sacré bout de femme ! Je l'ai rencontré deux jours après mon arrivée sur Logue Town. C'était en hmm ... 1608 si je dis pas de conneries, peut être 1609, me souviens plus ! Déjà à l'époque elle m'appelait le vieux ! C'est vous dire ! Ah, c'est une femme de caractère ! Je lisais un bouquin dans un pub, le ... le bar de l'échafaud je crois bien, ou pt'être le Bar du Seigneur des Pirates, me rappelle plus bien ... Bref, j'paye l'addition et là je me barre, sans demander mon reste. Figurez-vous, j'avais oublié mon livre, alors elle se débine pas et elle me court après pour me le rendre le ... heu ... J'ai oublié le nom du livre, heu, le ...  Bah pas important après tout, il était naze en plus et puis après, on a discutaillé, tout en marchant et ..."


    Mochi avait déjà décroché qu'il continuait à débiter toute son histoire, s'emmêlant toujours un peu plus les pinceaux sur les détails, au fur et à mesure que l'intrigue avançait. De son côté, Thomas, à la faveur de quelques trous de mémoires essayait de prendre la parole, mais le vieux ne lui en laissait pas la moindre occasion et à chaque fois qu'un mot sortait de la bouche du jeune libraire, le docteur Clio repartait de plus belle.  Totalement ostracisé, le jeune homme finit par renoncer à toute nouvelle tentative, laissant le vieillard soliloquer. Bien heureusement, son interminable discours prit fin et dans un élan de lucidité, comme s'il se souvenait enfin de la présence de ses interlocuteurs, il se tut et il les lorgna un instant.

    "Mais vous n'êtes sans doute pas venu ici pour m'entendre raconter toutes ces vieilles histoires ! Qu'est ce qui amène deux jeunes gens comme vous ?"

    Enfin, ils pouvaient en placer une. C'est le libraire qui s'y colla.

    "Nous sommes à la recherche d'un livre, les "Pérégrinations d'un médecin", vous en avez entendu parler ?"

    Le visage du docteur Clio se transforma, se décomposant littérallement, s'écroulant, comme si on lui annonçait là une nouvelle terrible, comme si on lui annonçait sa propre mort venir. Constatant son égarement et ne souhaitant pas faire montre de la moindre faiblesse, il se reprit, dignement et masqua ses craintes.

    "J'ai eu le livre en ma possession, oui" dit-il marquant une courte pause, pleine de gravité, avant de reprendre calmement "Je n'ai eu que le temps de lire le prologue, le premier chapitre ... Qu'il m'a été dérobé, dans ma propre maison ... J'aurais dû être plus discret ... Je n'aurais pas dû me vanter de l'avoir ..."

    Remarquant les visages dépités de ses jeunes interlocuteurs, il reprit.

    "Je ne suis pas sûr, mais je soupçonne Lord Kleptos de me l'avoir chouravé. Il est médecin lui aussi, un foutu génie. Et il s'intéresse beaucoup à la littérature médicale. Et ... Il a tendance à recourir à des méthodes peu scrupuleuses ... Voyez le genre quoi."

    "C'est lui qui vous l'a dérobé ? Où se trouve t-il ? Où vit-il ?"

    "Je n'ai malheureusement aucune preuve, des soupçons tout au plus ..."

    C'était déjà ça, c'était une piste, la seule qu'ils avaient et Mochi ne pouvait se résigner à l'abandonner, non, il ne pouvait pas et il le constata aussi dans le regard brillant de Thomas. Le jeune libraire non plus ne pouvait abdiquer maintenant, leur quête s'en aucun doute, ne faisait que commencer. Mais Clio ne semblait pas vouloir en divulguer plus, il avait terminé la conversation, il ne dirait plus rien, car il souhaitait préserver les deux curieux, il l'avait dit, Lord Kleptos n'était pas un tendre. Mais en réalité, c'était trop tard, il avait trop parlé. Qu'il se taise ou qu'il se décide à parler ne changeait pas grand chose. Il serait aisé maintenant de trouver ce Lord Kleptos. Et même s'ils rencontraient quelques difficultés dans cette recherche nouvelle, il finirait bien par mettre la main dessus, en espérant que les soupçons du vieillard s'avéreraient exacts.
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