Quelque part...
North Blue
Leur approche était excessivement prudente. Pourtant, ce n'était pas une bombe qu'ils s'apprêtaient à désamorcer mais juste un navire à aborder. Ils n'étaient pas moins d'une cinquantaine d'hommes et de femmes lourdement armés répartis sur une flottille de canoës. Le navire dont ils avaient débarqué prit position en face, les canons prêts. Ils jetèrent des grappins pour accrocher le bastingage et commencèrent l'abordage. Tout était anormalement calme, autant la mer que le navire. Sur son flanc droit était inscrit en grosses lettres dorées "La Cour des Grands". Comme il tanguait peu, ses trois étages furent faciles à grimper. Dès qu'ils touchèrent le pont, l'horreur les assaillit. Des morts, partout. Le parquet autrefois en rosier blanc était maculé de sang séché. Les cadavres étaient enchevêtrés, les uns sur les autres, morts dans des positions diverses. Quant à l'odeur... Indescriptible. Ils furent tous surpris de n'en avoir pas perçu les relents avant de monter. Le chef de file s'entoura le nez d'un mouchoir et ordonna à ses hommes de se disperser, de vérifier tout le navire. Mais déjà, Silvio savait ce qu'ils y trouveraient. Que des morts. Ses poings se contractèrent, il bouillit de colère. C'était l’œuvre des Confédérés, mais de quelle faction ? Il l'ignorait. Avec précaution, il enjamba les trainées de sang, les cadavres et les centaines de douilles laissées là. Ils étaient venus pour tuer, les morts portaient toujours leurs parures d'or et leurs bijoux.
- M'sieur ! V'nez voir, s'youplait.
Le sbire le conduisit dans les entrailles de la bête. Partout, il y avait les traces de la violence qui s'était déchainées là. Silvio révisa son jugement. Ils étaient venus pour tuer et pour couler leur affaire. Les machines à sous, les flippers et toutes les machineries indispensables au fonctionnement du casino avaient été endommagés, irrémédiablement détruits. Les assaillants voulaient s'assurer que rien ne remarche après leur passage. Le chaos était partout, les liasses de billets répandus sur les comptoirs, les bouteilles d'alcools dans les bars étaient brisées, les jetons par terre...
Le sbire l'emmena jusqu'au dernier étage en dessous, dans la cale. La quille qui supportait l'ossature du bateau avait été minutieusement sectionnée en plusieurs parties. C'est bien ce qu'il pensait, quelqu'un était décidé à ce que La Cour des Grands ne serve plus jamais et il avait réussi. Silvio beugla une série d'injures et donna un coup de pied rageur dans le cadavre d'un croupier lacéré dans le dos. Dans la plus grande salle du premier étage, le crime avait été signé. Un Joly Roger décorait les murs.
[...]
Lavallière, Boréa
- C'est bon Loth, on a repéré un autre navire casino. Le Hasard croise en ce moment au large de Luvneel, déclara Émeline en déboulant dans le salon. On remet ça ?
- Qu'Elijah et ses gars s'en chargent. Donne-leur l'ordre.
- Bien compris.
- Où est Dena' ?
- Chui là, répondit-il, la tête émergeant d'une porte. Quoi ?
- Comment ça "quoi" ? Je t'ai confié un boulot depuis une semaine non ?
- Ah oui, l'Mur. N'est pas facile à trouver.
- Le quoi ? fit Émeline intéressée.
- Daemon Wall.
- Le pirate qui a tué Marscapone "Bouche Cousue" ainsi que le comptable des Tempiesta sur Manshon ?
- Je le recherche, j'ai une affaire à lui proposer.
- Et pourquoi je ne suis pas au courant ? rétorqua-t-elle d'une voix pleine de reproche.
- Tu avais beaucoup à gérer ces derniers temps, j'ai donc délégué, s'excusa Loth.
- Nan, je suis ta dauphine, je dois être au courant, même si je ne participe pas !
- Ça ne se reproduira plus madame, répondit Loth, sarcastique.
- Je suis sérieuse ! Et en plus, je suis pas d'accord ! Tu prévoies de t'allier avec un pirate ? Ce type secondait Mahach, un ancien saigneur. C'est pas le genre d'ami que je veux pour nous. C'est pas le genre que tu veux toi-même. T'as des codes !
- Certes. Mais c'est le genre de fou furieux que je lâcherai volontiers sur les Tempiesta. Je ne pense pas à une alliance mais à une collaboration ponctuelle. Il a tué des Tempiesta pour X raisons, je pourrais l'engager pour qu'il recommence.
- Nos hommes sont parfaitement rodés pour.
- Je prépare une opération à laquelle je ne veux pas mêler nos hommes. Lady Ombeline et ses Bêtes de l'Ombre sont de sortie depuis l'affaire dernière. Essayons de les éviter au maximum.
- Hmmmmm, marmonna-t-elle pas convaincue.
- Donc Déna’ ?
- Z'avez f'ni la dispute d'couple ? Bian. Donc, mes p'tits cafards m'ont causé d'une ruelle à Manshon, près d'l'allée des pendus. T'y sais, là où nos potes Tempiesta pendent haut et court leurs amis. On dit que l'Mur s'y cach'rait.
- Dans ce cas... Dis à Edison de préparer l'Antarès. Nous mettrons le cap sur Manshon dans deux heures.
- NON ! tonna la jeune femme qui se rapprocha si près de Loth qu'il pouvait compter ces cils.
Tu te rends compte qu'il n'y a pas d'endroits plus dangereux pour toi en ce moment que Manshon ?
- Je vais me déguiser et si je me fais prendre, à la bonne heure.
- Arrête d'agir impulsivement, ça te ressemble pas.
- Je plaisantais, calme-toi. Je vais y aller quand même mais sans déclencher de grabuge. Je sais bien qu'ils sont des milliers de partisans Tempiesta là-bas. J'irai pour voir Wall, c'est tout. Nous avons fait pire, nous jeter dans la gueule du loup, c’est notre spécialité maison.
- Non, je crois pas.
- S'attaquer aux Lunes de Boréa ? A Ashura ? A Carcinomia ? Au Réseau Damam ? A...
- C'est bon, ça suffit, coupa-t-elle.
- En fait, on fait que des trucs d'timbrés, héhéhé. J'contacte ma source pour lui dire que t'y viens ?
- Non, personne à part vous deux ne doit le savoir.
- Et je peux savoir ce qu'est cette opération dans laquelle tu vas impliquer ce pirate ?
- Quand ce sera mûr, je t'en parlerai. Pour l'instant, je n'ai qu'une sorte d'ébauche en tête.
[...]
Manshon
Manshon n'était qu'une ville unique étendue sur l'intégralité de l'ile éponyme. Grâce aux mafieux qui en firent une sorte de terre sainte et de zone de non-agression, la ville prospéra pendant plusieurs années jusqu'en 1625 quand la guerre entre les organisations mafieuses de North Blue éclata. C'est à Manshon que naquit la discorde qui vint sous la forme du Gila, le maitre spirituel de Loth, celui qui l'initia et le forma dans l'underground. Quand il débarqua sur place pour négocier un traité entre les guildes mafieuses de South Blue et le crime syndiqué de North, la Marine l'apprit et imposa un blocus à l'ile. Le Gila n'était pas qu'un simple truand, c'était aussi l'oncle de l'Impératrice Pirate, Kiyori Tashahari. La Marine le voulait et somma les mafieux -qui bénéficiaient jusqu'alors d'un laisser-passer troublant- de le lui livrer. Ce fut la cause de la dissension qui mena à la guerre. Tout puissant parrain de North Blue à l'époque, Manuel Tempiesta alias Don Carbopizza préféra trahir le Monstre et sauver sa peau. Décision que contestèrent une poignée de familles liguées derrière la famille Venici. Ils réussirent à extraire le Gila des griffes de ceux qui voulaient le vendre puis le sortirent de l'ile grâce à l'intervention de la Triade des Quatre Bambous d'East Blue (que dirigeaient plusieurs élèves du Gila) et de Shoti Shota. L'action du commandant de la troisième flotte de Kiyori fut décisive en ce sens qu'elle réussit à briser le blocus donnant l'opportunité aux révoltés de fuir avec le Gila.
La confrontation entre marines et pirates, mafieux et mafieux conduit à la ruine de Manshon. Le port et les quartiers portuaires furent ravagés, les touristes autrefois nombreux à profiter des attractions de la ville la désertèrent, l'économie s'effondra. A tout cela, il fallait ajouter la révolte populaire, des gens du commun qui se soulevèrent pour afficher leur ras-le-bol des mafieux. Manshon n'était plus que l'ombre de lui-même.
Le submersible Antarès émergea dans une crique quelque part sur la côte septentrionale de l'ile. Manshon était aussi dangereux que Las Camp ces derniers temps, sujette aux règlements de compte entre truands, aux agressions diverses. Malgré nombre de revers subis au début de la guerre, les Tempiesta revenaient en force reprenant chaque jour la mainmise qu'ils avaient sur l'ile avant la venue du Gila. Émeline avait raison, se faire prendre ne serait pas fameux, il serait obligé de combattre et c'était le piège à éviter. Tout avait changé dans le coin, même la Marine. Autrefois conciliante avec les criminels en col blanc, le nouveau colonel muté à la tête de la garnison changea radicalement de politique. En tout cas il essayait, contre vents et marrées. Les racines des Tempiesta voguaient loin et ils tenaient dans leurs poches de puissants notables de cet océan à même de court-circuiter une opération Marine contre leurs intérêts.
La Marine ne devait pas le voir, se dit Loth, et ses ennemis non plus.
C'était simple, énoncé comme tel. Pour passer inaperçu quand on avait la célébrité de Loth, il fallait y mettre du sien. D'abord, faire appel au Retour à la Vie et stimuler sa capillarité. Concentrer les regains de vitalité sur le visage et s'y faire pousser une barbe drue, hirsute. Faire de même avec les cheveux pour que le résultat final ressemble à un homme des cavernes ou à un hipster. Loth était rodé à cette transformation. La partie la plus problématique de son anatomie étaient les longs-bras distinctifs de sa race. Même avec le Retour, impossible de ressembler à un humain "normal", aussi opta-t-il pour une cape dans laquelle il se draperait intégralement pour cacher le moindre morceau de peau. Et pour avoir le moins d'ennui possible, il rajouta un faux badge à l'effigie du drapeau du Gouvernement. Un mec, barbu, emmitouflé dans une cape par ces temps-là, pin's du Gouvernement sur le torse, se déplaçant furtivement, n'importe quel type penserait à un agent secret très cliché. Peu de raisons donc de lui chercher des noises. En tout cas, il se fit le plus discret possible jusque dans les venelles malfamées entourant l'Allée des Pendus. Loth était à un carrefour quand il entendit un coup de feu puis perçut des vibrations familières dans le sol. Celles de deux individus ou plus qui se coursaient. De la ruelle à sa droite déboula un homme d'apparence simple, la quarantaine portant une chemise à fleur. Visiblement, il était paniqué et après avoir regardé à gauche et à droite décida de continuer tout droit.
Loth fit un pas pour se dégager de chemin tant il courrait comme un dératé. Il le dépassa sans mot mais juste avant de s'engager dans la rue en face, une autre détonation retentit. Le type à la chemise à fleur s'écroula dans le sol boueux, l'épaule trouée par une balle. Son bourreau sortit de la même voie que lui, un fusil à pompe sur les épaules. Un cigare au bec, drapé dans un costume bon marché, borsalino sur la tête, il était autant un cliché de mafieux que Loth en était un d'agent secret en ce moment. Comme si le Moine Hérétique n'existait pas, l'homme au borsalino fit encore feu sur la chemise à fleur, réduisant ses rotules en bouillie. L'homme se lamentait, gémissait mais point de demande de grâce. Au contraire, dans ses yeux, le défi et la hargne. Il maugréa quelque chose, un mélange de jurons et de profession de foi, qui se libellait : « Sale fils de chienne, t'auras beau me descendre, t'éteindras jamais la flamme qui brille dans le cœur de la résistance ! Je suis qu'un homme, sale fils de putain vérolée à trois Berry ! On n'est jamais mort, tant qu'il y a des gens pour suivre vos idées ! »
Deux "Bang" plus tard, la cervelle de l'homme se mélangeait à la boue. Le Borsalino repartit d'où il vint sans cure de Loth. Ce dernier demeura dans la ruelle quelques secondes de plus, sourire aux lèvres, fasciné par ce règlement de compte en plein jour, comme si aucune loi n'avait court. En effet, il n'en régnait aucune en ces lieux. C'est ce genre de côté impuni du crime organisé qui l'attira dans ce monde, il ne s’en rappelait que trop bien. Mais depuis qu'il y avait les deux pieds, il était de moins en moins charmé par ces tueries. Mais elles demeuraient un moyen de se tailler une place. Et puis, se dit-il en bifurquant à gauche vers l'allée des Pendus, les faibles étaient voués à mourir. Ce type en chemise à fleur était faible.
Toc ! Toc ! Toc !
Loth toqua à la porte d’un vieux moulin où le contact de Dena' lui avait dit qu'il trouverait le pirate. Sans prévenir, la belle journée avec un soleil éblouissant devint ténèbres, comme si quelqu'un avait recouvert le monde d'un suaire du noir le plus pur. Comme si le Moine Hérétique était subitement devenu aveugle. Il s'y attendait, cependant, il ne pouvait pas s'être renseigné sur Daemon Wall sans avoir entendu parler de son pouvoir. D'ailleurs, c'était une des raisons de sa présence, il avait besoin de ce pouvoir. Instinctivement, Loth s'entoura d'un cocon de cheveux hérissés de pointes aussi dur que de l'acier. S'il n'y voyait rien, il pouvait au moins se protéger.
- Je suis venu en paix Daemon Wall. J'ai du boulot pour toi.
North Blue
Leur approche était excessivement prudente. Pourtant, ce n'était pas une bombe qu'ils s'apprêtaient à désamorcer mais juste un navire à aborder. Ils n'étaient pas moins d'une cinquantaine d'hommes et de femmes lourdement armés répartis sur une flottille de canoës. Le navire dont ils avaient débarqué prit position en face, les canons prêts. Ils jetèrent des grappins pour accrocher le bastingage et commencèrent l'abordage. Tout était anormalement calme, autant la mer que le navire. Sur son flanc droit était inscrit en grosses lettres dorées "La Cour des Grands". Comme il tanguait peu, ses trois étages furent faciles à grimper. Dès qu'ils touchèrent le pont, l'horreur les assaillit. Des morts, partout. Le parquet autrefois en rosier blanc était maculé de sang séché. Les cadavres étaient enchevêtrés, les uns sur les autres, morts dans des positions diverses. Quant à l'odeur... Indescriptible. Ils furent tous surpris de n'en avoir pas perçu les relents avant de monter. Le chef de file s'entoura le nez d'un mouchoir et ordonna à ses hommes de se disperser, de vérifier tout le navire. Mais déjà, Silvio savait ce qu'ils y trouveraient. Que des morts. Ses poings se contractèrent, il bouillit de colère. C'était l’œuvre des Confédérés, mais de quelle faction ? Il l'ignorait. Avec précaution, il enjamba les trainées de sang, les cadavres et les centaines de douilles laissées là. Ils étaient venus pour tuer, les morts portaient toujours leurs parures d'or et leurs bijoux.
- M'sieur ! V'nez voir, s'youplait.
Le sbire le conduisit dans les entrailles de la bête. Partout, il y avait les traces de la violence qui s'était déchainées là. Silvio révisa son jugement. Ils étaient venus pour tuer et pour couler leur affaire. Les machines à sous, les flippers et toutes les machineries indispensables au fonctionnement du casino avaient été endommagés, irrémédiablement détruits. Les assaillants voulaient s'assurer que rien ne remarche après leur passage. Le chaos était partout, les liasses de billets répandus sur les comptoirs, les bouteilles d'alcools dans les bars étaient brisées, les jetons par terre...
Le sbire l'emmena jusqu'au dernier étage en dessous, dans la cale. La quille qui supportait l'ossature du bateau avait été minutieusement sectionnée en plusieurs parties. C'est bien ce qu'il pensait, quelqu'un était décidé à ce que La Cour des Grands ne serve plus jamais et il avait réussi. Silvio beugla une série d'injures et donna un coup de pied rageur dans le cadavre d'un croupier lacéré dans le dos. Dans la plus grande salle du premier étage, le crime avait été signé. Un Joly Roger décorait les murs.
[...]
Lavallière, Boréa
- C'est bon Loth, on a repéré un autre navire casino. Le Hasard croise en ce moment au large de Luvneel, déclara Émeline en déboulant dans le salon. On remet ça ?
- Qu'Elijah et ses gars s'en chargent. Donne-leur l'ordre.
- Bien compris.
- Où est Dena' ?
- Chui là, répondit-il, la tête émergeant d'une porte. Quoi ?
- Comment ça "quoi" ? Je t'ai confié un boulot depuis une semaine non ?
- Ah oui, l'Mur. N'est pas facile à trouver.
- Le quoi ? fit Émeline intéressée.
- Daemon Wall.
- Le pirate qui a tué Marscapone "Bouche Cousue" ainsi que le comptable des Tempiesta sur Manshon ?
- Je le recherche, j'ai une affaire à lui proposer.
- Et pourquoi je ne suis pas au courant ? rétorqua-t-elle d'une voix pleine de reproche.
- Tu avais beaucoup à gérer ces derniers temps, j'ai donc délégué, s'excusa Loth.
- Nan, je suis ta dauphine, je dois être au courant, même si je ne participe pas !
- Ça ne se reproduira plus madame, répondit Loth, sarcastique.
- Je suis sérieuse ! Et en plus, je suis pas d'accord ! Tu prévoies de t'allier avec un pirate ? Ce type secondait Mahach, un ancien saigneur. C'est pas le genre d'ami que je veux pour nous. C'est pas le genre que tu veux toi-même. T'as des codes !
- Certes. Mais c'est le genre de fou furieux que je lâcherai volontiers sur les Tempiesta. Je ne pense pas à une alliance mais à une collaboration ponctuelle. Il a tué des Tempiesta pour X raisons, je pourrais l'engager pour qu'il recommence.
- Nos hommes sont parfaitement rodés pour.
- Je prépare une opération à laquelle je ne veux pas mêler nos hommes. Lady Ombeline et ses Bêtes de l'Ombre sont de sortie depuis l'affaire dernière. Essayons de les éviter au maximum.
- Hmmmmm, marmonna-t-elle pas convaincue.
- Donc Déna’ ?
- Z'avez f'ni la dispute d'couple ? Bian. Donc, mes p'tits cafards m'ont causé d'une ruelle à Manshon, près d'l'allée des pendus. T'y sais, là où nos potes Tempiesta pendent haut et court leurs amis. On dit que l'Mur s'y cach'rait.
- Dans ce cas... Dis à Edison de préparer l'Antarès. Nous mettrons le cap sur Manshon dans deux heures.
- NON ! tonna la jeune femme qui se rapprocha si près de Loth qu'il pouvait compter ces cils.
Tu te rends compte qu'il n'y a pas d'endroits plus dangereux pour toi en ce moment que Manshon ?
- Je vais me déguiser et si je me fais prendre, à la bonne heure.
- Arrête d'agir impulsivement, ça te ressemble pas.
- Je plaisantais, calme-toi. Je vais y aller quand même mais sans déclencher de grabuge. Je sais bien qu'ils sont des milliers de partisans Tempiesta là-bas. J'irai pour voir Wall, c'est tout. Nous avons fait pire, nous jeter dans la gueule du loup, c’est notre spécialité maison.
- Non, je crois pas.
- S'attaquer aux Lunes de Boréa ? A Ashura ? A Carcinomia ? Au Réseau Damam ? A...
- C'est bon, ça suffit, coupa-t-elle.
- En fait, on fait que des trucs d'timbrés, héhéhé. J'contacte ma source pour lui dire que t'y viens ?
- Non, personne à part vous deux ne doit le savoir.
- Et je peux savoir ce qu'est cette opération dans laquelle tu vas impliquer ce pirate ?
- Quand ce sera mûr, je t'en parlerai. Pour l'instant, je n'ai qu'une sorte d'ébauche en tête.
[...]
Manshon
Manshon n'était qu'une ville unique étendue sur l'intégralité de l'ile éponyme. Grâce aux mafieux qui en firent une sorte de terre sainte et de zone de non-agression, la ville prospéra pendant plusieurs années jusqu'en 1625 quand la guerre entre les organisations mafieuses de North Blue éclata. C'est à Manshon que naquit la discorde qui vint sous la forme du Gila, le maitre spirituel de Loth, celui qui l'initia et le forma dans l'underground. Quand il débarqua sur place pour négocier un traité entre les guildes mafieuses de South Blue et le crime syndiqué de North, la Marine l'apprit et imposa un blocus à l'ile. Le Gila n'était pas qu'un simple truand, c'était aussi l'oncle de l'Impératrice Pirate, Kiyori Tashahari. La Marine le voulait et somma les mafieux -qui bénéficiaient jusqu'alors d'un laisser-passer troublant- de le lui livrer. Ce fut la cause de la dissension qui mena à la guerre. Tout puissant parrain de North Blue à l'époque, Manuel Tempiesta alias Don Carbopizza préféra trahir le Monstre et sauver sa peau. Décision que contestèrent une poignée de familles liguées derrière la famille Venici. Ils réussirent à extraire le Gila des griffes de ceux qui voulaient le vendre puis le sortirent de l'ile grâce à l'intervention de la Triade des Quatre Bambous d'East Blue (que dirigeaient plusieurs élèves du Gila) et de Shoti Shota. L'action du commandant de la troisième flotte de Kiyori fut décisive en ce sens qu'elle réussit à briser le blocus donnant l'opportunité aux révoltés de fuir avec le Gila.
La confrontation entre marines et pirates, mafieux et mafieux conduit à la ruine de Manshon. Le port et les quartiers portuaires furent ravagés, les touristes autrefois nombreux à profiter des attractions de la ville la désertèrent, l'économie s'effondra. A tout cela, il fallait ajouter la révolte populaire, des gens du commun qui se soulevèrent pour afficher leur ras-le-bol des mafieux. Manshon n'était plus que l'ombre de lui-même.
Le submersible Antarès émergea dans une crique quelque part sur la côte septentrionale de l'ile. Manshon était aussi dangereux que Las Camp ces derniers temps, sujette aux règlements de compte entre truands, aux agressions diverses. Malgré nombre de revers subis au début de la guerre, les Tempiesta revenaient en force reprenant chaque jour la mainmise qu'ils avaient sur l'ile avant la venue du Gila. Émeline avait raison, se faire prendre ne serait pas fameux, il serait obligé de combattre et c'était le piège à éviter. Tout avait changé dans le coin, même la Marine. Autrefois conciliante avec les criminels en col blanc, le nouveau colonel muté à la tête de la garnison changea radicalement de politique. En tout cas il essayait, contre vents et marrées. Les racines des Tempiesta voguaient loin et ils tenaient dans leurs poches de puissants notables de cet océan à même de court-circuiter une opération Marine contre leurs intérêts.
La Marine ne devait pas le voir, se dit Loth, et ses ennemis non plus.
C'était simple, énoncé comme tel. Pour passer inaperçu quand on avait la célébrité de Loth, il fallait y mettre du sien. D'abord, faire appel au Retour à la Vie et stimuler sa capillarité. Concentrer les regains de vitalité sur le visage et s'y faire pousser une barbe drue, hirsute. Faire de même avec les cheveux pour que le résultat final ressemble à un homme des cavernes ou à un hipster. Loth était rodé à cette transformation. La partie la plus problématique de son anatomie étaient les longs-bras distinctifs de sa race. Même avec le Retour, impossible de ressembler à un humain "normal", aussi opta-t-il pour une cape dans laquelle il se draperait intégralement pour cacher le moindre morceau de peau. Et pour avoir le moins d'ennui possible, il rajouta un faux badge à l'effigie du drapeau du Gouvernement. Un mec, barbu, emmitouflé dans une cape par ces temps-là, pin's du Gouvernement sur le torse, se déplaçant furtivement, n'importe quel type penserait à un agent secret très cliché. Peu de raisons donc de lui chercher des noises. En tout cas, il se fit le plus discret possible jusque dans les venelles malfamées entourant l'Allée des Pendus. Loth était à un carrefour quand il entendit un coup de feu puis perçut des vibrations familières dans le sol. Celles de deux individus ou plus qui se coursaient. De la ruelle à sa droite déboula un homme d'apparence simple, la quarantaine portant une chemise à fleur. Visiblement, il était paniqué et après avoir regardé à gauche et à droite décida de continuer tout droit.
Loth fit un pas pour se dégager de chemin tant il courrait comme un dératé. Il le dépassa sans mot mais juste avant de s'engager dans la rue en face, une autre détonation retentit. Le type à la chemise à fleur s'écroula dans le sol boueux, l'épaule trouée par une balle. Son bourreau sortit de la même voie que lui, un fusil à pompe sur les épaules. Un cigare au bec, drapé dans un costume bon marché, borsalino sur la tête, il était autant un cliché de mafieux que Loth en était un d'agent secret en ce moment. Comme si le Moine Hérétique n'existait pas, l'homme au borsalino fit encore feu sur la chemise à fleur, réduisant ses rotules en bouillie. L'homme se lamentait, gémissait mais point de demande de grâce. Au contraire, dans ses yeux, le défi et la hargne. Il maugréa quelque chose, un mélange de jurons et de profession de foi, qui se libellait : « Sale fils de chienne, t'auras beau me descendre, t'éteindras jamais la flamme qui brille dans le cœur de la résistance ! Je suis qu'un homme, sale fils de putain vérolée à trois Berry ! On n'est jamais mort, tant qu'il y a des gens pour suivre vos idées ! »
Deux "Bang" plus tard, la cervelle de l'homme se mélangeait à la boue. Le Borsalino repartit d'où il vint sans cure de Loth. Ce dernier demeura dans la ruelle quelques secondes de plus, sourire aux lèvres, fasciné par ce règlement de compte en plein jour, comme si aucune loi n'avait court. En effet, il n'en régnait aucune en ces lieux. C'est ce genre de côté impuni du crime organisé qui l'attira dans ce monde, il ne s’en rappelait que trop bien. Mais depuis qu'il y avait les deux pieds, il était de moins en moins charmé par ces tueries. Mais elles demeuraient un moyen de se tailler une place. Et puis, se dit-il en bifurquant à gauche vers l'allée des Pendus, les faibles étaient voués à mourir. Ce type en chemise à fleur était faible.
Toc ! Toc ! Toc !
Loth toqua à la porte d’un vieux moulin où le contact de Dena' lui avait dit qu'il trouverait le pirate. Sans prévenir, la belle journée avec un soleil éblouissant devint ténèbres, comme si quelqu'un avait recouvert le monde d'un suaire du noir le plus pur. Comme si le Moine Hérétique était subitement devenu aveugle. Il s'y attendait, cependant, il ne pouvait pas s'être renseigné sur Daemon Wall sans avoir entendu parler de son pouvoir. D'ailleurs, c'était une des raisons de sa présence, il avait besoin de ce pouvoir. Instinctivement, Loth s'entoura d'un cocon de cheveux hérissés de pointes aussi dur que de l'acier. S'il n'y voyait rien, il pouvait au moins se protéger.
- Je suis venu en paix Daemon Wall. J'ai du boulot pour toi.