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Marée noire

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Précédemment... Orage, ode des espoirs .
L'équipage d'Edward Thatch a été surpris par une tempête, le navire est en mauvais état. Suite aux intempéries, Thatch et Hamil - le timonier principal - ont décidé de mettre le cap sur une île dont ils n'ont pas beaucoup d'informations. Leur vieille carte indique le nom de "Baterilla"

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Baterilla.

A la barre du frêle bâtiment, le timonier observe la cote qui se dessine petit à petit sous ses yeux. Depuis le gros temps, le ciel a été excessivement clément avec lui. Certainement que même le Diable a des remords.

« Selon votre mémoire Capitaine, ça date de quand le passage d'Alucard ici ?
- Quelques années, tout au plus.
- Une dizaine ?
- Non, pas autant...
- Vu d'ici, ça n'a pas l'air si dévasté.
- La végétation a certainement dû reprendre ses droits. La nature reprend toujours ses droits.
- Ou alors tout n'a pas été touché...
- Nous n'en saurons plus qu'en y allant. Vu l'état du navire, on va devoir passer pas mal de temps à réparer. On va pouvoir explorer.
- Et si c'est encore habité ?
- Que Diable, Monsieur Hamil, c'est la timonerie qui vous ramollit ?
»

Pas de réponse du timonier. Il n'est jamais sain de montrer de la faiblesse face au capitaine. Et encore moins face à Edward Thatch.

« Gardez le cap Monsieur Hamil. Trouvez-nous une crique où nous serons masqués de la mer. Nous allons éviter de nous faire remarquer dans notre état. »

Et Thatch retourne dans ses quartiers.

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Au fur et à mesure qu'ils approchent, les pirates voient sous leurs yeux apparaître le relief de l'île. La côte est rocailleuse, parsemée de falaises plus ou moins hautes. Rien de démesuré, mais suffisant pour empêcher un accostage sain. Dans de pareils cas, il est plus sûr de mouiller à distance raisonnable des rocs.

Mais ce n'est pas ce que chercher le timonier. Comme souligné par son capitaine, une crique est la seule chose possible. Il faut trouver à la fois un endroit isolé de la vue depuis la mer, et à la fois un endroit où on peut tirer le navire pour le mettre en cale sèche. Car les dommages sont importants. Quelques jours de mer en plus et le calfat n'aurait plus assez de matériaux pour étanchéifier suffisamment la coque. La cale se remplit à un telle vitesse qu'il faut constamment écoper.

Rude labeur.

« Tout se passe bien, Monsieur Hamil ?
- Difficile à dire Capitaine. On est au nord de l'île, quel que soit le moment de la journée, le soleil sera plus ou moins en face de nous. Et ça ne rend pas aisée la recherche d'un endroit isolé.
- Alors c'est de ce côté de l'île qu'il faut chercher, ça nous dissimulera naturellement. Continuez tant que le navire le peut. Je veux un endroit parfait.
- Bien Capitaine.
- Et ça vaut pour tout le monde ! Ouvrez bien vos yeux, quand nous manquerons de rhum, la dernière bouteille sera à celui qui aura trouvé la meilleure solution !
- AYE CAPITAINE !
»

Ainsi motivé, l'équipage, qui n'a plus grand chose à faire pour assurer la bonne marche de l'épave flottante, scrute le littoral à la recherche de ce que leur capitaine désire.

« Capitaine ! Ici, regardez ! »

Saisissant sa longue-vue, Thatch s'approche de son matelot qui lui indique du doigt une zone de la côte.

« Là, je pense voir un renfoncement, pour moi ça va plus loin derrière. »

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« Mmh... Difficile de voir, mais je suis d'accord sur un point : il y a une avancée sur la mer, et donc un espace libre derrière. A cette distance ça n'est pas évident cependant... »

Tous les pirates sont sur l'attente de la décision de leur capitaine. Ils respirent sans un bruit, de peur d'effleurer ses pensées et de le perturber.

« Je vais faire confiance à votre intuition Monsieur Zano. Monsieur Hamil ! Dirigez-nous vers cette zone, nous pourrons décider de plus près si ce sera suffisant ! Monsieur Zano, si vous avez vu juste, vous pourrez profiter d'un délicieux rhum ! Équipage, manœuvrez sous les ordres de votre timonier ! »

Alors qu'ils s'approchent des falaises, ils observent avec joie que l'instinct et la vue de Zano méritent effectivement d'être récompensés. L'avancée de terre dans la mer est haute et longue, et juste derrière se cache une large crique dans laquelle on pourrait mouiller une petite dizaine de navires de taille classique. Mais ça n'est pas tout : à la sortie de la crique, un autre bras de terre lui aussi constitué de falaises masque la totalité de l'intérieur depuis la mer. Au fond de la crique en elle-même, une zone de plage rase la surface de l'eau, permettant un accostage aisé. Et au-delà, un passage relativement large mène à la forêt.

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L'endroit parfait.

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En plus d'être le lieu idéal, il s'agit de la plus belle calanque qu'Edward ait déjà vu au cours de sa vie. Le soleil de la mi-journée, haut dans le ciel, baigne la place d'une lueur de paradis. Les contours sont agrémentés de hautes falaises aux crêtes pointues, clairsemées de végétations éparses, de petits buissons de verdure ornant les roches taillées par les âges. L'eau claire est d'huile, abritée de la mer par le splendide relief. Il y a beaucoup de fond, assez pour faire passer d'importantes embarcations. Mais le sol sous-marin n'en est pas pour autant invisible : le calme qui règne dans ces eaux permet à chacun de voir à travers le bleu pur les petits poissons colorés qui se chamaillent entre eux.

A l'intérieur de la crique, les galets de la plage mêlés au sable fin dorent à la chaleur du soleil. Et au-delà encore s'étend une épaisse forêt qui court le long d'un défilé ondulé à travers les falaises.

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Tout simplement magnifique.

« Monsieur Hamil, emmenez-nous au plus près de la berge au fond de cette superbe calanque.
- Si j'avais su que nos épopées nous mèneraient ici...
- Matelots ! Soyez fiers de vivre ces jours en cet endroit. Voici la parfaite description de ce qu'est la vraie piraterie. Des chasses. Du butin. De la navigation. Des tempêtes. Des morts. Mais aussi des découvertes magnifiques, des lieux comme celui-ci ! Des endroits époustouflants. Oui, Messieurs, la piraterie a aussi sa poésie. Et aussi noire conçois-je la piraterie, aussi dur puis-je être avec vous, je ne manquerai pour rien au monde d'apprécier à sa juste valeur la beauté des contrées que nous traversons. Alors... Profitez de votre nouveau chez-vous. Car nous serons ici pour une longue durée !
»

Le navire est dans un état pitoyable. Il est nécessaire de le réparer dans son intégralité. Il n'a pas qu'essuyé une puissante tempête, il a également souffert tout au long de sa vie d'éreintant combats.

Avec la plus grande peine du monde, le bâtiment s'approche du fond de la calanque. Rapidement, l'équipage distingue du mouvement sur la berge. Des petits sangliers. Ils courent au bord de l'eau, alternant entre la chaleur des galets et du sable d'un côté, et la fraîcheur de la mer de l'autre. Mais la vue des hommes leur semble inconnue : lorsqu'ils remarquent la présence du navire et de la vie à son bord, ils détalent en direction de la forêt.

Une bonne nouvelle : il va y avoir de quoi se nourrir.

Le fond du navire gratte les galets à une dizaine de mètres du bord de la plage. Il ne peut guère aller plus loin. Sur ordre du timonier, presque tous les membres d'équipage mettent pied à l'eau, emmenant avec eux de nombreux cordages solidement attachés à la proue. Et comme un seul homme, ils tirent à eux leur embarcation en piteux état jusqu'à la faire définitivement quitter la mer.

La cale sèche. Il n'est plus bon qu'à ça. Trop de travaux à prévoir pour le laisser flotter.

Enfin, le reste des hommes débarque. Hamil et Thatch sont les derniers à descendre, emmenant avec eux leur pavillon, leurs couleurs. Le Noir.

« Diable... Notre arrivée sonne comme une marée noire sur ce paradis...
- Vous avez bien raison, Monsieur Hamil. Un paradis... »

« Mais aujourd'hui, c'est le Diable qui règne sur ce paradis.
»

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En deux jours toutes les bases sont posées. Le camp est dressé à la lisière de la forêt, à moitié sur la plage et dans les bois. Les premiers arbres ont été épargnés sur une bonne distance afin de conserver leur protection naturelle contre le soleil, les hommes ont dû aller plus loin récupérer les meilleurs troncs pour construire leurs cabanes de fortune. Parfois, ces cabanes se résument même en quatre poteaux plantés dans le sol et les voiles du navire en guise de toit. Rudimentaire, mais efficace.

Une équipe constituée des meilleurs ouvriers de l'équipage est dédiée exclusivement à la réparation du navire. Ou en tout cas, à faire ce qu'ils peuvent pour le remettre en état. Ce qui, sans réelle compétence, n'est pas une mince affaire.

Rapidement, on comprend que la nourriture proviendra essentiellement de la mer, réserve immense de poissons en tous genre. Contrairement à la terre, dans laquelle il faut s'aventurer assez loin pour trouver un gibier correct. Heureusement, de succulentes baies comestibles foisonnent à proximité de la calanque, de quoi agrémenter les plats de mer.

Enfin, le problème de l'eau a été résolu par lui-même : un ruisseau d'eau douce coule à travers le défilé rocailleux depuis l'intérieur de l'île et termine son chemin dans la crique, sur le côté. Il est donc extrêmement aisé d'y récupérer la quantité nécessaire sans pour autant perturber le chemin naturel du cours d'eau.

Tout va bien !

Tout va bien... certes, l'équipage a de quoi se loger - dans des abris qu'on améliore au quotidien par ajouts divers et variés de sortes de pans de murs en bois et de toits solides - , il a de quoi manger et boire et est en sécurité. Mais cet équipage est constitué d'hommes qui ont choisi de mener la vie de pirate, pas de sédentaires paumés dans un coin désertique. Même au bout de deux jours l'ennui les guette déjà. Et pour ne pas améliorer la chose, ils se rendent bien compte que l'équipe de réparation, regroupant pourtant les meilleurs d'entre eux, ne sera pas capable de rendre au navire sa fière allure d'antan. Ou en tout cas, pas dans l'immédiat.

La musique et les jeux de carte ne parviennent pas à distraire suffisamment les hommes, surtout lorsqu'il n'y a plus d'alcool. Et le risque, ce sont les bagarres qui commencent sans aucune raison, juste par principe de se foutre sur la gueule.

Voyant bien que le temps à passer à cet endroit risque fort d'être long, Thatch organise des expéditions. Le but : découvrir un peu l'île aux alentours de la calanques, voir si elle est bien déserte ou non, voir quelle taille elle pourrait bien faire. Le but secondaire : faire bouger ses hommes. Les distraire du temps qui passe.

Foutue tempête, quand même... C'est à cause d'elle s'ils en sont là.

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La première expédition, c'est Thatch lui-même qui se charge de la mener. Pour donner l'exemple, pour lancer le processus. Et pour montrer ce qu'il attend. Il prend quatre hommes avec lui. Nul besoin de plus de bras, il ne faut surtout pas laisser le camp sans les ressources nécessaires à son bon fonctionnement. D'ailleurs, l'expédition ne pourra pas emmener de vivres, il n'y a pas de réserves disponibles. Les cinq pirates vont devoir se débrouiller par leurs propres moyens. La seule denrée qu'ils peuvent - et doivent - emmener, c'est de l'eau. Alors ils ont rempli nombreuses outres et doivent désormais en subir le poids. Mais l'eau est essentielle, on n'en trouve pas n'importe où.

Au petit matin, le groupe se met en marche, sous le regard du reste de l'équipage. Monsieur Hamil, le plus expérimenté des hommes, est maintenant en charge du camp. Mener des pirates, il en a l'habitude au quotidien sur un navire. Alors Thatch lui fait pleinement confiance.

L'expédition emprunte la seule direction praticable pour sortir de la calanque : le défilé sinueux qui chemine entre les hautes falaises. Les hommes avancent entre les arbres, prenant gare à la végétation dense qui les entoure. Il s'agit d'une forêt assez sèche, bien loin des jungles humides tropicales auxquelles ont pourrait s'attendre à découvrir sur une île déserte. L'habituel cliché n'est pas au rendez-vous, et cela joue en la faveur du groupe. Il est bien plus agréable de se déplacer dans un environnement tel que celui qu'ils foulent depuis maintenant presque une heure.

Le trajet est fatiguant. On ne s'en rend pas forcément compte, mais tout n'est que montée depuis la calanque. Légère montée, mais montée tout de même. De quoi essouffler les plus endurants des explorateurs. Et, comme tout bon pirate, nos cinq hommes ne sont pas particulièrement friands de randonnée.

Arrivant sur un surplomb dégagé, ils en profitent pour jeter un œil derrière eux, découvrant le merveilleux paysage de leur crique protégée. De là où ils sont, ils ne peuvent rien voir du camp ni de la berge, à cause des arbres. Mais ils peuvent tout de même contempler le reste de la calanque : la tranchée d'eau claire, les falaises rocheuses, tout est là. Magnifique.

Après une courte pause désaltérante, ils reprennent leur marche. La végétation s'éclaircit à mesure qu'ils grimpent, les cailloux remplaçant les bosquets. Et bientôt, ils parviennent au sommet.

Derrière eux se trouve la crique d'où ils viennent, dont le seul accès terrestre praticable sans matériel particulier est le chemin qu'ils ont emprunté. A leur gauche s'étend l'immensité de la mer, à perte de vue. Le vent marin leur fouette le visage, même les embruns parviennent jusqu'à eux malgré l'altitude. Là où ils sont, ils peuvent voir par-delà les falaises qui offrent une si bonne protection à leur calanque.

Devant eux se dessine le littoral rocheux, à perte de vue. Ils n'en voient pas le bout, la ligne se perd à l'horizon. L'île semble immense. Et enfin, à leur droite, le reste de l'île. Très loin, masqué par le flou de la distance, s'élève un massif montagneux. Baterilla est vraiment très vaste.

Soigneusement, Thatch commence à esquisser les contours des principaux éléments du relief alentour sur du brouillon. De quoi tracer au propre une carte de la zone. Il prend note de tous les détails intéressants : la terre argileuse rencontrée en contre-bas à proximité du camp, les renfoncements rocheux qui semblent riches en minéraux, toute information est bonne à conserver.

Après avoir relevé un maximum de détails, l'expédition reprend sa route en direction du centre de l'île.

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Au soir, le groupe a déjà bien avancé dans l'île. Ils ont perdu un peu de temps à rechercher de quoi se nourrir petit à petit dans la journée, mais l'importante quantité de bestiaux en tous genres facilite cette tâche.

Ils s'installent à l'abri d'une paroi rocheuse, de manière à n'avoir à surveiller qu'une demie zone face à eux. Ils débriefent la journée, notent de côté leurs observations et se restaurent tranquillement autour d'un léger feu de camp. Mais, alors qu'ils se préparent à dormir et que l'un des pirates entame son tour de garde, un bosquet proche émet un léger bruissement inhabituel.

« Vous avez entendu Capitaine ?
- Shhhh.
»

D'un signe de la main Thatch donne l'ordre à ses hommes de faire silence et de le suivre. A cinq, ils forment un arc de cercle autour du buisson bruyant. Pas à pas, comme marchant sur des œufs, les pirates s'approchent, tentant dans la pénombre de distinguer le contenu du feuillage suspect. Celui-ci tremble une fois de plus, poussant instinctivement les cinq hommes à se figer dans l'attente de la suite.

Le buisson se remet à vibrer, d'abord très légèrement puis de plus en plus fort. Thatch commence à décompter à l'aide de sa main ouverte. Ses équipiers perçoivent ses doigts qui se replient un à un, grâce à la lueur de la lune qui perce difficilement à travers les feuillages denses des arbres. Le campement à cinq mètres de là est dégagé, mais le bosquet étrange est situé à l'orée de la forêt.

Cinq. Quatre. Le buisson tremble plus fort que jamais. Trois. Il semble pivoter sur lui-même de gauche à droite et inversement, comme s'il regardait alternativement les cinq proies au-dessus de sa tête. Deux. Il semble plus vivant que jamais, réagissant presque comme un être vivant doté d'une conscience. Un. Le buisson file à toute allure en direction de la forêt. Réflexe basique, les pirates partent immédiatement à sa poursuite. Ils pourraient retourner à leur campement et veiller à ce que rien ne revienne, mais leur curiosité l'emporte instinctivement.

Ce buisson est beaucoup trop bizarre.

S'engage alors une folle course poursuite dans les bois, aux talons d'un buisson mobile zigzaguant entre les troncs à toute vitesse. Il commence même à sautiller sur lui-même, il se retourne souvent, rebondit sur les arbres. Et, plus étrange encore, lorsqu'il commence à prendre un peu d'avance il ralentit et trépigne en attente de ses poursuivants. Il les attend.

Il joue.

Le buisson joue.

La course-poursuite continue de plus belle. La forêt devient plus dense, la lumière de la pleine lune peine à percer les feuillages de plus en plus nombreux. Il est difficile de suivre le buisson, il faut faire attention au bruit. Heureusement, il en fait du vacarme. Bien reconnaissable par rapport aux pas des pirates.

Soudain, le buisson heurte quelque chose qui le stoppe net.

« Baaaa ? »

Oui, le buisson parle. Fallait bien s'en douter.

En réponse, un grondement sourd et profond fait vibrer le sol et l'air environnant. Les cinq hommes s'arrêtent également et observent, à six mètres au-dessus du sol, deux yeux rouges qui s'ouvrent doucement. Deux énormes poings tombent sur le sol, surmontés de bras noirs poilus. Comme pour donner plus de grandiose à la scène, le vent pousse les feuillages et laisse pénétrer quelques rayons de lune.

Devant les pirates se dresse un monstrueux gorille. Et il n'a pas l'air content d'avoir été dérangé.

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Deuxième jour.

Oui, minuit vient de passer.

Un bébé singe tout noir, tout poilu et tout mignon s'extrait du buisson avec une extrême difficulté et regarde d'un air attendri le monstre à ses côtés.

« Baaaaaa !
- Bordel de Diable...
»

Deux mains géantes surgissent de l'ombre autour de l'un des pirates et se claquent l'une contre l'autre, aplatissant le pauvre homme, réduisant son corps à un état mi-liquide mi-pâteux. Fier de son œuvre d'ouverture de la confrontation, le gorille se dresse sur ses pattes arrières et tambourine son torse dans un vacarme assourdissant.

Les quatre pirates restants dégainent leurs sabres et se préparent à l'affrontement qui risque fort de tourner à la catastrophe. Ils sont placés en arc de cercle face à la bête, assez espacés les uns des autres.

Le gorille charge à pleine puissance sur l'un d'eux, qui n'a pas le temps d'esquiver et se fait écraser contre un arbre. Embroché sur les branches.

Préférant éviter de perdre d'autres hommes bêtement, Thatch adopte une nouvelle tactique. Il s'écarte vivement sur le côté alors que le monstre se déchaîne contre le corps déjà sans vie martyrisé contre l'arbre. Edward envoie valser ses cordes en direction du bébé singe, l'enroule et l'attire immédiatement à lui. Il sort un pistolet et le pose contre la tête de l'animal.

« Eh mon gros ! On va arrêter les conneries, ok ? »

Le gorille se retourne. Vision d'horreur pour lui, son petit est pris en otage. Il s'arrête, pense, réfléchis même. Cela se voit dans ses yeux, il est loin d'être idiot. Il ne sait pas quoi faire, alors il imite : bravant les risques de voir son petit se faire tuer, il attrape les deux équipiers encore en vie de Thatch et les ramène à lui, les serrant dans ses énormes mains.

« Tu veux jouer à ça ? Très bien ! »

Les yeux du pirate se remplissent d'un noir profond, perceptible même avec la noirceur environnante. Maintes fois il a eu recours à ce tour de passe passe destiné à effrayer les plus faibles esprits. Un simple animal n'échappera pas à la règle.

Mais ce gorille ne semble pas être une bête aussi influençable. A son tour, il reproduit l'action et ses deux monstrueux globes surmontés de sourcils broussailleux se remplissent à leur tour d'une sombre lueur pénétrante.

« Comment... ? »

Misant tout sur ce dernier coup, Thatch utilise le tour ultime, celui qui à coup sûr fait son effet parmi les hommes. Une vague intangible de ténèbres déferle tout autour de lui. Le bébé singe se couvre les yeux, les pirates admirent leur Capitaine, le gorille recule de quelques pas, se couvrant la tête, malmenant au passage ses prisonniers. La vague noire se répand comme un anneau d'obscurité et de sombres sensations tout autour de l'homme à l'épaisse barbe noire. L'aura noire du diable.

« Le noir, c'est moi ! »

L'animal tremble, détourne la tête, mais se reprend. Et, fidèle à ce qu'il sait faire, il imite. Il imite le regard sombre, il imite la vague de terreur, il imite la déferlante de ténèbres. Il copie à l'identique ce que fait Thatch.

Les deux monstres de noirceur se font face et envoient leurs prisonniers valser sur le côté, comme pour se débarrasser d'éléments gênant, comme si cela les empêcher de prendre le dessus sur leur adversaire. Le gorille a descendu son visage au niveau de celui du pirate, leurs yeux sont à moins d'un mètre l'un de l'autre, deux paires remplies de ténèbres qui rivalisent de terreur. Leurs déferlantes se déversent l'une contre l'autre, elles sont intangibles mais apparaissent bien dans l'esprit de chacun. Les vagues noires se heurtent l'une à l'autre, formant des volutes de sombres fumées qui ne sont que visions illusoires mais qui font leur œuvre dans les âmes.

Mais l'imitation est parfaite, Thatch ne parvient pas à surmonter son adversaire. Il ne faiblit pas, il n'est pas surpassé, mais il n'arrive pas à passer outre la force de la déferlante opposée.

Sur le côté, les deux pirates et le bébé singe se sont assis, attendant patiemment que la scène se passe.

« Bon, ça commence à bien faire là...
- 'vont rester longtemps comme ça ?
- Baaaaaa
- Ouais p'tit singe comme tu dis... Déjà 20 minutes, qu'ils sont comme ça.
- C'est ton papa ?
- Ba !
- C'est oui ou c'est non ça ?
- J'sais pas... Attend... Est-ce qu'il fait nuit ?
- Ba !
- Est-ce qu'il fait jour ?
- Ba ba ba !
- Et voilà ! Donc c'est ton papa... Il est fort ton papa dis donc.
- Ba !
»

De concert, Thatch et le gorille s'arrêtent. Et, comme pour demander la paix, le monstre de poils tend son énorme main vers le pirate. Plongeant son regard plus apaisé qu'auparavant dans celui de la bête, Edward accepte et lui serre la main. La sienne est frêle en comparaison de celle du singe, mais le gorille fait attention à ne pas la broyer. Les deux anciens adversaires s'échangent un sourire satisfait, mi-carnassier, mi-bienveillant.

« Aéonbaba !
- Il a dit "papa" ?
- Meuh non, "baba" !
- J'aurais juré qu'il avait dit "ça c'est mon papa"...
- Un singe ça parle pas !
- Ouais mais... 'sont foutrement intelligents eux deux...
»

Le Capitaine revient vers ses hommes, alors que le petit singe court vers son papa.

« Eh bien...
- Comme vous dites M'sieur Thatch...
- On fait quoi maintenant ?
- On rentre. On vient de perdre deux gars réduits en purée, et on est pas de taille à se venger. Et puis... ça ne servirait à rien.
»

Alors lui et ses hommes commencent à se mettre en marche. Mais les deux singes leur emboitent immédiatement le pas.

« Euh Capitaine ? Ils nous suivent je crois...
- Mais... Pourquoi Diable ?
- Baba é éoé ou o eu ahi
- Son papa est désolé pour nos deux amis.
- Vous comprenez le petit ???
- Ouais, j'savais qu'il pouvait dire oui et non mais de là à faire des phrases...
- Mais c'est pas des phrases ça !
- Et dis moi petit singe, pourquoi vous nous suivez ?
- On baba eu ou aihé ou e este e ot i
- Et là ?
- J'ai rien compris. Attendez... Vous nous suivez c'est ça ?
- Ba !
- Vous allez nous attaquer ?
- Ba ba ba !
- Ouf... Vous allez nous aider ?
- Ba !
- A faire quoi ?
- Ai a oi
- Merde... ne posez que des questions fermées, on va pas s'en sortir sinon...
- Vous voulez nous aider pendant longtemps ?
- Ba !
- Très longtemps ?
- Ba !
- Il parle ton papa ?
- Ba ba ba...
- Bon... En route, on verra bien ce que ça donne ! De toute manière, on ne peut pas les empêcher de nous suivre...
»

Alors le groupe constitué des trois pirates, de l'immense gorille et de son petit reprend sa route. Déjà, direction le campement de fortune qu'ils avaient abandonné pour la course poursuite. Et ensuite, au matin, il faudra rentrer à la calanque.

La tête qu'ils vont faire, là-bas...

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