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Introduction sordide


Tandis que les récents événements l’avaient brusquement détournée de sa mission et de son compte rendu, voilà que ces derniers avaient soudainement refait surface au cours des derniers jours de navigation en direction de Marie-Joie. Le retour s’était déroulé sans encombre… jusqu’à ce que la jeune femme ne poussât les portes de l’immeuble où était secrètement basé le CP9.

Elle n’avait jamais trop pris la peine de détailler les locaux où elle résidait lorsqu’elle n’était pas en mission. L’endroit, plutôt grand, faisait à la fois office de bureaux sur plusieurs étages ainsi que de lieu de résidence pour les agents non affectés, les coordinateurs et l’administrateur. Celui-ci possédait de toute manière toute une panoplie de logements et ne restait sur place que lorsqu’il devait veiller tard.

Il était tard.

Le débarquement s’était achevé une heure plus tôt, le temps de rejoindre Marie-Joie depuis le G-0 sans trop se presser. Le temps de changer d’habits en chemin, dans un endroit pas trop exposé, pour revêtir son habituel apparat de civil. Lorsque Annabella travaillait, Amanda n’existait plus, c’était notamment vrai lorsqu’il s’agissait d’aller voir son supérieur. Après tout, personne n’allait au travail déguisé et la cheffe d’équipe ne faisait pas exception.

Dire que l’endroit était abandonné, en cette heure tardive, relevait donc d’un euphémisme, à l’exception d’une lumière illuminant l’une des loges des bureaux du deuxième étage. Ceux-ci étaient vastes, simples, similaires aux espaces ouverts dont on pouvait aisément constater le foisonnement dans bon nombre de bâtiments typiques de l’architecture rectangulaire Marie-Joenne. La ville qui s’étendait sous les pieds du domaine des Dragons Célestes était froide de base, mais sa décoration d’intérieur laissait tout autant à désirer et l’office des agents du CP9 ne dérogeait définitivement pas à la règle infâme. Mise à part une petite machine à café vrombissante à force d’être constamment utilisée, le mobilier faisait peine à voir et les décorations sur les murs de l’espace partagé étaient tout bonnement inexistantes. Là, le cadavre d’une fleur pouvait à la limite traîner dans un vieux vase tubuleux que personne n’avait rempli depuis des lustres. La pauvre bestiole était totalement desséchée, momifiée au point de ne plus être reconnaissable.

Annabella aurait parié sur une tulipe.

Derrière la porte en verre, la silhouette de Sloan O’Murphy était distinguable, bien que floutée par le grain sur la surface vitrée qui permettait à l’administrateur de conserver un brin d’intimité. Consciente que celui-ci ne l’avait pas entendue venir, elle fit donc une courte halte dans sa propre loge où elle déposa prestement ses affaires, son manteau et le sac contenant son uniforme, avant de se servir une tasse de café. Depuis le temps qu’elle n’avait pas fumé, elle se délecta même d’une simple cigarette avant que la porte vitrée qui barricadait la pièce où se trouvait le bureaucrate ne produisît un léger claquement. C’était un signe, celui-ci l’attendait.

Effaçant le reste de son mégot sur un cendrier déjà bien garni, l’agente du CP9 fit donc marche en direction du seuil non sans adopter une démarche bien singulière : celle d’une femme qui se sent de retour chez elle et peut enfin se décontracter un minimum. La présence du supérieur n’y changeait rien. Enfin, c’était ce qu’elle pensait.

La main sur la poignée ronde prestement dévissée, elle entra. Et fut surprise de voir que le bureaucrate n’était pas seul : devant lui, un petit brin de femme semblait passer le temps en regardant le vide. Non, c’était plus compliqué que ça : ses yeux semblaient calculer quelque chose dans l’air. Ou lire. Mais avant qu’Annabella ne pût comprendre comment fonctionnait cet état de stase, la brunette aux cheveux courts s’arracha à sa contemplation pour river sur l’arrivante deux immenses prunelles, les plus grandes qu’eut pu voir l’albinos dans toute sa misérable vie, qui la mirent spontanément mal à l’aise. Sans broncher, la blonde finit toutefois par s’asseoir sur la chaise que lui présentait O’Murphy dans un sourire… bienveillant. Elle n’avait pas écouté le moindre mot découlant de ses formules de politesse et avait répondu hasardeusement :

- Oui, quelle chance qu’il fasse aussi beau.

Il faisait nuit à présent, même si Anna n’était pas totalement dans le faux. Elle avait l’esprit occupé, car désormais elle se rendait compte que le visage et la silhouette de sa voisine lui rappelaient quelque chose… ou plutôt quelqu’un.

- Ma foi. Agent Browneye, si vous voulez bien nous excuser, je dois m’entretenir seul à seul avec notre cheffe d’équipe ici présente. Nous avons… et elle le vit, elle vit son regard sombre, l’espace d’un millième de seconde, avant qu’une sorte d’angoisse à demi-simulée ne prît le dessus. Il se passait définitivement quelque chose de pas net, mais la blonde était sûre de connaître le fin mot de cette histoire avant longtemps. Nous avons beaucoup de sujets à aborder. Je vous laisse nous attendre dehors, auprès de la machine à café ? Je l’entends bouillonner d’ici.

Nouveau sourire froid, nouveau geste de la main pour ordonner à la novice de fiche le camp poliment. Celle-ci ne se fit pas prier, peinant toutefois à détacher le regard de sa supérieure qui la dévisageait désormais avec des grands yeux étonnés. Browneye, hein ? pensa-t-elle tandis qu’elle replaçait une mèche de cheveux pour mieux voir son interlocuteur du coin de l’œil, le temps de tourner la tête.

- Je viens faire mon rapport au sujet d’Arcadia, comme convenu. Avec un peu de retard mais je suppose que..

- Vous supposez bien ma chère, je suis au courant. Vous avez bien fait, même si j’avoue avoir été surpris d’apprendre que vous n’étiez pas restée superviser la construction aux côtés de Flint comme je vous l’avais… préconisé. indiqua-t-il pour toujours rester dans le politiquement humble, ni plus ni moins. Mais Anna commençait à connaître le bonhomme, elle ne lui tenait de toute manière pas rigueur : c’étaient ses directives qui avaient fait d’elle l’agent émérite qu’elle était désormais. Et vous m’avez agréablement surpris ! Cette intervention auprès du Vice-Amiral Fenyang… un véritable exploit. Vous savez décidément toujours être au bon endroit, au bon moment. Et une fois n’est pas coutume, votre présence tombe, malheureusement, à pic.

Le bureaucrate croisa alors ses mains, tandis que son visage venait s’assombrir seconde après seconde. L’air lui-même dans la pièce semblait se rafraichir progressivement, pourtant ça n’était pas faute de bénéficier d’un bon radiateur et de murs particulièrement bien isolés. L’atmosphère était juste froide, mentalement parlant.

- Malheureusement ? ne put s’empêcher de relever la jeune femme en plissant les yeux, définitivement soupçonneuse.

Elle l’avait senti dès son arrivée, elle savait que quelque chose d’anormal se tramait. Mais l’homme d’affaires avait baissé la voix au point de ne quasiment plus se faire entendre : quoi qu’il était en train de se passer, ça n’était pas encore sorti de cette pièce.

- Vous n’êtes probablement pas sans savoir que notre bien aimé directeur, Noxe, est en mission depuis plusieurs mois.

- Il est vrai que je n’ai pas eu l’opportunité de le voir depuis… mon arrivée, monsieur O’Murphy.

- La malchance que voilà ! Malheureusement, je suis au regret de vous annoncer que vous n’aurez peut-être jamais cette occasion… En effet, il y a de fortes chances que le Directeur Noxe soit mort.

Le mot fut décoché dans l’air tel une flèche, brutal comme la balle d’un revolver qui vint se ficher directement dans le cœur de l’albinos. Alors c’était ça, se dit-elle. Désormais l’administrateur arborait un visage des plus ténébreux, à demi-mangé dans l’ombre de la lampe qui n’illuminait que le plan de travail et les contours de son facies. Adossé contre sa chaise, les mains croisées comme dans un élan de machination psychopathique, il était difficile de dire si le jeune homme se réjouissait de la mort de son collègue ou s’il la déplorait. Enfin, sa voix trahissait tout de même une certaine douleur. Les deux hommes faisaient équipe, malgré tout. D’une certaine façon.

- Comment.. commença l’agente d’une voix chevrotante digne de la plus innocente des brebis. Elle n’eut pas à terminer sa phrase, par chance, ce qui lui évita de dévoiler plus longtemps son impuissance.

- Rien n’est certain, il est peut-être encore aux mains de l’ennemi. Mais disons que j’ai un moyen personnel de m’assurer que… Eh bien, vous connaissez les Vivre Card ?

Annabella dodelina fébrilement du chef, saisissant où l’administrateur voulait en venir. Elle-même possédait l’un de ces précieux bouts de papier qui lui permettait de se tenir au courant de l’état de santé du Vice-Amiral. Elle devinait actuellement l’état de la feuille qui devait renseigner celui du Directeur. Et comme s’il lisait actuellement dans ses pensées, l’administrateur vint piocher dans l’une des poches avant de son costard pour en retirer une miette agonisante.

De la largeur d’un pouce sur une hauteur similaire, le bout de papier écorné continuait à se consumer par une combustion interne sortant de l’ordinaire. Les yeux de la blonde ne s’écarquillèrent que davantage.

Noxe n’était techniquement pas mort, mais son état de santé laissait présager que ça serait pour bientôt.

- Et je suppose que vous me dites cela parce que…

- Parce que j’ai besoin que vous enquêtiez sur cette affaire.

Elle comprenait mieux désormais. Pourquoi les bureaux étaient si vides, même si la nuit était plutôt avancée. Pourquoi la jeune femme attendait à la porte. Pourquoi elle seule était au courant du bienfondé de la mission, tandis que la nouvelle n’aurait probablement jamais l’occasion de connaître la véritable identité de…

- Curtis Grant. C’était son nom de couverture sur le terrain. Il enquêtait sur… Vous connaissez la situation de Parisse, Anna ? C’est un royaume à proximité d’Arcadia, on peut y accéder grâce au Train des Mers…

Vaguement. Elle en avait certes entendu parler à bord de l’Umi Ressha, mais ça n’était pas vraiment allé plus loin. Un pays tranquille, à ce que l’on disait, bien que dévoré par une profonde ségrégation. Enfin, c’était déjà pas mal de savoir ça, Anna en fit part à son supérieur qui, toutefois, garda deux yeux fixés sur elle tels deux pupilles noirâtres n’exprimant rien sinon le vide sidéral de son âme. Oui, c’était un politicien, et il était bien connu que les politiciens n’avaient pas d’âme.

- Eh bien... C’est un peu plus compliqué que cela. En effet, il y a des… mmh… disons des castes à Parisse. Celles-ci sont représentées par des mouvements populaires. Au sein de la capitale, la Métropole comme on l’appelle, on trouve le Syndicat. Dans la région qui entoure la ville, la Campagne, demeurent les Insurgés. Puis, entre les deux, pour ceux qui ne rentrent ni dans une case ni dans l’autre, existent malgré eux ceux que l’on appelle les… Dissidents, voilà. expliqua l’homme avant de s’interrompre temporairement en voyant le regard perplexe que lui jetait sa subalterne. Non, non, pas des groupuscules révolutionnaires non… Enfin, ce n’était pas censé l’être. Mais il y a quelques mois, un faisceau d’indices a commencé à apparaître, des preuves comme quoi le pays ne serait pas si sain que cela.

- Sain ? Vous parlez des prémices d’une révolte ?

- Je parle des prémices d’une guerre similaire à celle qu’Arcadia a connue il y a près d’un siècle et qui l’a plongée au fond de l’abîme. gronda l’administrateur après s’être prestement levé pour bloquer ses deux poings sur son plan de travail et s’en servir comme support.

Dans ces rares moments, Sloan O’Murphy pouvait se montrer faible : les victoires révolutionnaires le rongeaient de l’intérieur et c’était particulièrement visible. Et si la victoire sur Arcadia devait l’avoir fait planer longuement, désormais il en était bien autrement. C’était tout de même un directeur de Cipher Pol qui avait disparu… tout comme le regretté Ao Novas, là-bas, à Alabasta.

Se redressant à son tour pour quitter le confort moelleux de son siège et goûter aux courbatures liées à un manque de confort évident suites aux dernières péripéties, la jeune femme rabattit alors une mèche rebelle avant d’annoncer tout haut ce que l’administrateur peinait à dire tout bas. Il semblait étrangement mal à l’aise, la Vivre Card toujours fichée dans sa main, si bien que l’agente supposa qu’il comptait la lui donner pour l’aider dans ses investigations. C’est donc tout en tendant une paume creuse qu’elle annonça finalement:

- Bien. Je pense avoir compris ce que vous attendez de moi, Monsieur O’Murphy. Je mènerai l’enquête pour savoir ce qui est arrivé à notre Directeur et essayerai d’éclaircir cette histoire de révolution.

- Je n’en attendais pas moins de votre part, ma chère Anna. conclut l’homme fatigué, dont les cernes étaient désormais plus qu’apparentes, en se débarrassant à contrecœur du petit morceau de papier grésillant qu’il tenait entre son index et son pouce. Tout cela sonnait beaucoup trop sentimental pour un manipulateur comme O’Murphy, mais Anna n’en tint pas compte : elle était particulièrement mal placée pour savoir ce qui se passait dans le crâne des autres. Elle peinait déjà à comprendre les rouages qui manœuvraient sa propre tête à elle.

- Et je suppose que… je ne serai pas seule pour cette mission, n’est-ce pas ?

D’ores et déjà arrivée à proximité de la porte, elle tourna à nouveau la poignée pour dévoiler, juste derrière, la silhouette de la fillette à la coupe façon carré plongeant. Celle-ci patientait devant la machine à café, observait nul ne savait quoi d’un air étonnement absent. Ce ne fut que dix secondes après qu’elle sembla s’éveiller et se rendre compte de la présence des deux individus qui attendaient visiblement d’elle qu’elle fût… eh bien… là.

- Un bon élément. compléta le bureaucrate qui peinait visiblement à tenir debout puisqu’il dut une nouvelle fois prendre appui contre un mur. Nous venons de l’accueillir dans nos rangs. Miss Sweetsong, je vous présente Angelica-

- Browneye, oui, j’ai cru entendre ce nom. coupa involontairement l’albinos qui n’avait désormais d’yeux que pour la petite nouvelle. « Angelica », ce nom résonnait indéfiniment entre ses deux oreilles. Il faisait écho à un passé lointain, à une douleur soudaine, à une perte. Tout cela s’était passé il y avait si longtemps maintenant que ça semblait presque être un rêve. L’absence de vide dans l’orbite droit de l’agente ne faisait que fortifier cette impression. Enchantée de faire votre connaissance, agente Browneye. Je suis sûre que Monsieur O’Murphy m’a déjà introduite auprès de vous, ce qui m’épargne donc l’obligation de le faire une fois de plus. Du moins, si nous devons véritablement faire équipe. J’ai déjà eu la chance de… mmh… combattre n’est pas le mot… disons « opérer » aux côtés de votre sœur, la Lieutenante Veronica Browneye. Et je dois dire que je place beaucoup d’espoirs en vous pour cette prochaine mission.

La cheffe d’équipe s’était finalement exprimée de façon autoritaire et véloce, comme elle avait pris le pas de le faire avec ses recrues au sein de la 346ème Carter.

Ses dernières expériences avaient probablement considérablement changé sa façon de voir la hiérarchie, apportant à Annabella une vision plus militarisée de la chose. Ce qui n’était pas nécessairement un mal, toutefois quand il s’agissait de faire respecter des ordres à la lettre. Ceci couplé aux enseignements du vieux Larson faisait finalement d’elle un officier flexible et réfléchi, dans la mesure où elle restait encore maîtresse de ses émotions. A ce moment-là, rien n’aurait su faire fléchir une telle image, pas même l’administrateur qui admirait la ferveur de son élément le plus brillant, s’il en était.

Dans tous les cas, la jeunette semblait avoir du mal à placer un mot. Sa bouche s’ouvrait et se fermait comme un poisson amnésique, si bien qu’au bout de dix secondes de silence gênant la cheffe d’équipe reporta son attention sur l’administrateur qui lui dévoila un grand et mielleux sourire.

- Je crois que la demoiselle est quelque peu intimidée par votre carrure d’officier supérieur de la Marine, ma chère Annabella. ironisa-t-il tout en sifflant entre ses dents trop grandes et trop blanches.

Mais une petite voix claire et fluette, légèrement monotone, ne tarda pas à démentir son affirmation.

- Excusez-moi cheffe, j’étais en train de réfléchir... à quelque chose. Bien sûr, de même, je… Enchantée de faire votre connaissance, Miss Sweetsong ! réagit enfin la prénommée Angelica tout en s’empressant de venir serrer hâtivement la pogne de sa supérieure. Je dois aussi dire que j’ai beaucoup lu à votre propos.

« J’ai beaucoup lu » avait-elle dit.

Automatiquement le regard de la blonde descendit donc pour venir inspecter les mains de son interlocutrice. Sans surprise, elle reconnût l’objet rectangulaire qu’elle tenait fermement entre ses doigts crispés. Et elle ne put s’empêcher de sourire à son tour, le plus naturellement du monde. Chose qui était pour le moins aussi rare qu’excentrique chez l’albinos. Elle éclata même d’un rire assez rauque, presque masculin. Des restes de sa couverture de Commodore, c’était certain.

- Hahaha ! Pas de doute, vous êtes bien une Browneye !
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C’était toujours un plaisir pour Anna de voyager en train. Les gares du Nouveau Monde étaient généralement spacieuses et impeccablement tenues, tandis que les wagons offraient tout un luxe de confort tous frais payés par le contribuable. C’était un caprice que pouvait se permettre le Cipher Pol et dont Annabella aimait abuser, à vrai dire. Les couchettes et les loges privées lui apportaient tout ce dont elle avait besoin… quand elle n’avait pas à les partager avec une autre personne. Alors l’ours qu’elle était secrètement revenait brusquement au galop.

Par chance, son équipière avait le don d’être assez discrète pour faire oublier sa présence à n’importe qui. Pas aux yeux de l’albinos, c’était sûr ; toutefois celle-ci jouissait d’un espace quasiment rien que pour elle tandis qu’Angelica, ou « Angel » comme l’appelaient ses proches, se ratatinait dans un coin. Tout ce qu’il lui fallait, à elle, c’était un peu de lumière pour lire son livre. Ainsi qu’un large espace horizontal pour y ranger dans un fatras incroyable le sac de bouquins qui l’accompagnait ; c’était de famille. Il lui arrivait encore d’être tellement absorbée par sa lecture que les questions posées par sa supérieure glissaient sur elle comme sur une pente savonneuse. Elle ne s’en rendait généralement compte que quelques minutes après, lorsque son esprit regagnait soudainement son corps pour lui rappeler qu’il était nécessaire de respirer pour continuer à vivre. Et de répondre à Anna, aussi.

D’une façon ou d’un autre, la jeune fille rappelait à la blonde sa demi-sœur tuée par Nakajima Aoi, la Capitaine Pirate primée à trois-cent-cinquante millions de Berries désormais. Mais les similitudes s’arrêtaient principalement au prénom, elle s’en rendait compte au fur et à mesure qu’elle en apprenait plus sur sa collègue.

Mais elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver de la sympathie pour elle. Le CP9 était une véritable famille pour Anna et le monde était parsemé de frères et de sœurs. Certains révolutionnaires raisonnaient d’ailleurs de la même manière, mais de façon moins formelle. Le vouvoiement était de rigueur chez les officiers et l’albinos appréciait beaucoup cela, en vérité, puisque le sentiment d’être placée sur un piédestal flattait beaucoup son égo.

Quelques minutes avant que le train ne sortît de gare, le regard de ladite agente virevolta dans la petite pièce avant de s’arrêter sur l’arrête du livre que lisait sa compagne. Elle ne put déchiffrer le titre qu’à moitié mais, consciente que cela devait avoir un rapport avec Parisse, elle demanda de quoi il s’agissait. Cette fois-ci, la jeune femme lui fournit une réponse du tac au tac :

- « Gris Pays » de Jean-Claude Dusse, cheffe. Ça parle de la géopolitique de Parisse ainsi que de son développement économique depuis les années mille-cinq-cent. Malheureusement, je crois comprendre à vos yeux vides d’expression que ce n’est pas le genre de chose qui saurait piquer votre intérêt...

- Je… eh bien… non, à vrai dire, vous avez amplement raison. En toute circonstance, les deux Browneye parvenaient systématiquement à la décontenancer. Ses moyens perdus, elle devait passer de longues minutes à les chercher avant d’enfin les retrouver. Et tant que ça n’a pas un rapport direct avec ce pour quoi nous nous rendons à Parisse…

- Ca n’en a pas, madame. affirma la petite sur un ton neutre tout en plongeant à nouveau les yeux vers son livre. Ce qui ne manqua pas d’arracher chez l’albinos un léger froncement de sourcils.

S’il était parfois difficile de s’adresser à la Lieutenante Browneye, sa sœur battait des records en la matière. Pourtant Annabella n’était pas loquace, mais elle appréciait toutefois que l’on entretînt la conversation lorsqu’elle en était à l’origine. L’indifférence de sa subordonnée prêtait à penser qu’elle s’en fichait complétement, ce qui blessa légèrement l’agente dans son amour propre. Et la poussa à rapidement considérer une utilisation strictement professionnelle du dialogue. Comme elle le faisait avec la Marine. Ce qui, au final, ramenait Angelica au stade de gigantesque encyclopédie sur pattes. Et ça la satisfaisait plus que de nécessaire.

La suite du voyage se déroula donc dans un calme olympien, chacune vaquant à ses occupations. Il arrivait toutefois que Browneye découvrît, au détour d’une énième page d’un énième livre, une information qu’elle jugeait précieuse de communiquer à sa supérieure. C’était donc avec un regard toujours aussi placide et analyste qu’elle en évoquait les moindres… détails.

- Agente Browneye, je ne crois pas que les détails concernant le passage matinal du Roi de Parisse dans ses latrines soient nécessaire au bon déroulement de la mission.

- Qui sait, madame. Mais tout de même, l’anecdote me semblait plutôt… humoristique. Que la cour soit présente pour assister à l’etu- oui, très bien, compris madame.

Si encore il n’y avait que l’impertinence du propos, ça pouvait encore passer pour l’albinos. Mais malheureusement les femmes de lettres devaient se fustiger d’un humour assez perché, il fallait l’avouer, et difficilement compréhensible. Anna l’avait compris à ses dépens, lorsqu’elle avait entretenu ses premières conversations avec la Lieutenante. Celle-ci lui avait alors raconté une blague… avant de sortir tout un tas de références permettant d’en savoir plus au sujet dudit trait d’humour. Ce qui, bien évidemment, n’avait rendu l’atmosphère que plus glaciale à ce moment-là.

De toute manière Annabella n’était pas vraiment du genre à rire, ni même à apprécier les traits d’esprit, qu’ils fussent drôles ou non. Après tout, on ne demandait à un agent de réfléchir que dans l’intérêt de sa mission. Mais la jeune Angelica, elle, le faisait constamment, au grand dam de sa responsable.

Par chance, lorsque le train des mers passa à proximité d’une zone orageuse provoquant un soulèvement des eaux et, une fois n’était pas coutume, l’apparition de courants serpentaires, la jeune femme conserva un profond silence pour mieux se perdre dans la contemplation des éléments déchainés. Peut-être sa sœur lui avait-elle déjà conté l’histoire…

- Cela doit être une sacrée expérience... Je veux dire : de voir ces curieux courants surgir des fonds marins et menacer de couler votre navire. remarqua-t-elle tout en pivotant son regard en direction de la cheffe d’équipe, désormais allongée sur sa banquette, s’essayant aux bienfaits de la sieste.

Celle-ci ne répondit pas. Cependant il était désormais visible que la communication s’établissait fréquemment entre les deux sœurs. Qui savait, peut-être la brune était-elle déjà au courant de ce qu’il s’était passé sur Karantane. Pourtant elle n’en fit jamais part à l’héroïne durant toute la traversée. Malgré le fait que, plus tard, alors que les deux jeunes femmes partageaient le couvert au sein d’un wagon restaurant peu rempli, elle lui dévoila son lourd secret.

- J’ai parcouru les archives. Oui, je sais, je ne devrais pas, d’autant plus que je ne suis au CP9 que depuis une semaine… mais il fallait à tout prix que je découvre ce qu’avaient fait mes prédécesseurs. Et je dois avouer que vos missions m’ont particulièrement laissée subjuguée, madame.

- Che qui veut dire ? questionna l’agente tout en mâchant un morceau de pain agrémenté d’un petit peu de vin pour se rincer le gosier. Toute cette histoire, ça lui avait donné une faim de loup et elle ne trouva pas nécessaire de faire preuve d’une formalité excessive à table. Pas devant sa subalterne, tout du moins. Sherveur, sherait-il posshible d’avoir plush de vin sh’il-vous-plaît ? She crois que la jeune femme que voichi meurt de shoif autant que moi.

- Non, désolé madame, je ne bois pas. Je tenais simplement à vous dire que-

L’agente déglutit bruyamment. Il était rare qu’elle se fît mousser et, à vrai dire, ça avait le don de la mettre mal à l’aise. Assez rapidement, la crédibilité de la jeune Browneye, aussi prometteuse pût-elle être, s’était effondrée aux yeux de sa supérieure.

- Et plus de pain, pour la demoiselle, donc ! coupa-t-elle, espérant par-là donner des signaux assez forts de sa soudaine misanthropie à sa voisine de table. Mais visiblement la brunette ne l’entendait pas de cette oreille. Plissant les yeux, elle continua jusqu’à finalement parvenir à évacuer ce qu’elle avait sur le cœur. Presque obligée de crier pour camoufler les bruits de mastication volontaires que l’agente laissait paraître.

- Madame, je voulais vous dire qu’effectuer ma première mission en votre compagnie est un honneur ! J’espère vraiment être aussi à la hauteur que ma sœur et vous aider dans votre enquête.

Elle avait lâché la chose comme un gigantesque parpaing venu heurter la sensibilité romantique du wagon. C’était presque si elle s’était fendue d’un salut militaire vers la fin, ce qui amena l’agente à reconsidérer son choix de carrière l’espace d’un instant. L’enthousiasme lui plaisait certes, toutefois il était nécessaire de mettre les points sur les I.

- Ecoutez agente Browneye, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Je ne suis pas particulièrement fan des lèche-culs, bouches à pipes et autres farfadets aptes à se glisser sous le bureau des supérieurs pour leur ouvrir la braguette. Si j’en suis arrivée là aujourd’hui ce n’est certainement pas en cirant des bottes. J’imagine bien que ce n’est pas votre cas non plus, toutefois si vous devez continuer dans votre laïus je me dois de vous prévenir que vous ne trouverez probablement pas une issue convenable ou susceptible de ne pas vous heurter. Votre sœur a su servir sous mes ordres et elle l’a fait sans les étoiles dans les yeux. Ce que j’ai toujours apprécié chez elle. Aussi, si vous voulez m’égaler, si votre rêve le plus cher est de respecter mes attentes, tenez-vous tranquille et ouvrez un livre. Ou bien mangez. Mais ne me parlez pas de moi car je peux me rendre haïssable et faire de moi votre ennemi juré en un instant. C’est compris, agente ?

Elle-même savait qu’elle y avait été fort, toutefois la réaction de son interlocutrice ne s’était pas voulue immature ni désobligeante. Longtemps, son regard sembla alors se perdre dans le vide avant de revenir à la réalité. Puis, silencieusement, elle hocha la tête et considéra enfin la nourriture qui venait d’être servie dans une assiette en porcelaine, quelques instants plus tôt. Et ce fut finalement sans le moindre chagrin qu’elle entama la pièce de viande qui trônait au centre de la soucoupe pour ensuite avouer, dans un demi-sourire :

- Vous aviez peut-être raison au final, cheffe, je prendrais bien un peu de vin.
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Il ne fallut que quelques jours pour rejoindre l’île et y débarquer. Au loin, celle-ci était semblable à un grand espace vert et fertile sur lequel aucun bâtiment ne semblait pousser. Large, vaste, le Royaume de Parisse accueillait toutefois peu de ports sur ses côtes : quelques baraques et cabanons venaient parfois efflanquer un ponton ou un quai s’avançant péniblement tel un bras recroquevillé dans la mer. Ainsi, pour les deux agentes, la première vision de l’île qui leur fut donnée fut celle d’un endroit paumé similaire au grand nombre d’îles désertes et sauvages que l’on pouvait trouver dans les Blues. Rien d’incroyable donc, du moins jusqu’à ce que le train ne se mît à manœuvrer pour longer le bord d’un fleuve pénétrant dans le continent comme l’aiguille d’une seringue dans la chair brune et verte.

Et assez rapidement, le festival coloré se mut en diverses nuances de gris et de noir, pour dépeindre le paysage d’une cité gigantesque comme posée au centre de l’île, planquée derrière des remparts qui toisaient de peu les immenses arbres des orées alentours. Ou bien les champs jaunis dans lesquels s’attardaient encore quelques paysans.

La nuit tombait.

Tel un voile ambré, la lumière se décomposait désormais à l’intérieur de la loge des deux jeunes femmes. Celles-ci dardaient toutes deux un œil curieux vers l’extérieur, détaillant précieusement la moindre parcelle découverte, le moindre muret bordant ce qu’une voix dans le train mentionna comme la « Saigne ». Pour un nom aussi gargantuesque, il ne s’agissait en réalité que du fleuve sur lequel naviguait docilement le train aquatique, qui servait aussi bien de canal pour le transport des marchandises. Un fait qui s’avéra d’autant plus lorsqu’un navire croisa le chemin de la locomotive, un peu avant l’entrée de la ville.

Puis un changement sembla s’opérer dans le ciel et tout devint sombre et décoloré. Les façades s’alternaient devant la voie ferrée tandis que les wagons entamaient lentement leur décélération. Au loin, il était néanmoins possible d’observer le trajet silencieux d’énormes machines rouges semblant se balancer dans l’air. Ce ne fut que grâce à une description complémentaire de la petite Angel qu’Anna saisit qu’il s’agissait d’une sorte de téléphérique. Et en effet, alors que le train pénétrait désormais en gare, il était possible de remarquer les câbles épais qui s’arrêtaient à plusieurs sillons de là, dans l’une des innombrables stations.

Aux yeux de l’albinos, la ville semblait posséder nombre de mystères.

En parlant de couleur capillaire, la jeune femme triturait désormais les mèches châtaines, quasiment rousses, qui lui mangeaient le visage. Ses cheveux légèrement raccourcis et teintés lui faisaient l’effet d’un corps étranger au sommet de son crâne, elle ne pouvait décemment pas s’y habituer.

Ce fut donc sous une nouvelle identité qu’elle pénétra la première dans Parisse, d’un pied botté et conquérant qu’elle posa sur la première dalle de l’embarcadère venue, bientôt suivie par sa complice qui n’était jamais bien loin. Celle-ci bénéficiait toutefois d’assez peu de popularité pour avoir à se grimer. Seul le nom variait donc, passant d’Angelica Browneye à Meryl Thompson. Son apparat invariable, un costume des plus sobres blanc et noir, remplissait avec une adéquation inimaginable le rôle de comptable qu’interprétait à merveille la jeune femme. Et sa supérieure ne put s’empêcher de faire une grimace à ce sujet.

- Vous ne devriez pas vous sentir mal à l’aise, cette couleur vous sied à merveille Miss...

- Blake. inventa la rousse tout aussitôt. Un blase originaire de son avant-dernière mission. Blake avait été le Leader de la révolution d’Arcadia, il était probable que son utilisation pût lui ouvrir certaines portes. Jane Blake.

- Charmant.

- Je trouve aussi.

Emmitouflée dans un grand manteau blanc doux et moelleux comme s’il avait été directement taillé dans la laine, l’enquêtrice se donnait des airs de diva. Sa démarche était celle d’une jeune bourgeoise Parissoise telle que sa subalterne lui en avait fait lecture, si bien qu’elle avait fini par choisir ce rôle pour incarner ce nouveau personnage. Jane Blake était issue d’une famille aisée de Marie-Joie, intéressée à l’idée d’investir dans le marché des cotons tiges du Royaume. L’excuse pouvait sembler bancale mais la raison était simple : plus c’était gros, mieux ça passait.

Bien évidemment, comme tout bourgeois qui se respectait, Jane était radine. Raison pour laquelle son aide de camp et elle mirent le cap, à pieds malheureusement, sur le quartier des plus éminents prolétaires : le Quartier de l’Hôpital.

Ici on trouvait de tout… et de rien. Parfois plus de rien que de tout, mais au moins pour les chambres de libres il n’y avait pas besoin de s’inquiéter. Pas besoin d’autant plus qu’une chambre s’était libérée dans un hôtel miteux il y avait près d’une semaine après la disparition de son ancien locataire.

- Vous êtes sûre d’vouloir la prendre maintenant ? exprima le gérant, coude posé sur son comptoir, menton calé dans sa paume, taciturne. Le propriétaire de « l’Auberge du Pouilleux » ne semblait pas vraiment réceptif à la présence de potentiels clients, cela avait même l’air de l’importuner. J’ai pas encore fait l’ménage à vrai dire... C’ui qu’était là avant vous n’était pas désireux d’me voir mettre le nez dans ses affaires et y’m’payait grassement pour c’faire. J’espérais encore attendre une bonne semaine avant d’mettre fin à son bail, v’voyez.

- Croyez-moi, je saurai me montrer généreuse. laissa entendre la rouquine dans son épais duvet blanc tout en sortant une liasse de billets de l’une de ses nombreuses poches. Je sais moi-aussi me montrer convaincante sur ce plan-là.

Soudainement réveillé par l’appel de l’argent, le vieil homme à la pipe se redressa alors brutalement, manquant de peu de se cogner à l’armoire à clés qui prenait une bonne partie de la place au-dessus de sa tête, dans son minuscule placard à balais aménagé. Pestant et jurant, il n’oublia cependant pas de réceptionner la monnaie d’une main tout en récupérant de l’autre le trousseau soigneusement gardé… jeté plutôt à l’intérieur du rangement.

- Tenez. Et pis faites gaffe : j’peux pas jurer ne jamais avoir vu de punaises dans l’coin, donc v’nez pas vous plaindre si vous vous retrouvez avec les guiboles en sang d’main matin.

- Nous prenons bonne note, monsieur. Bonne journée. termina poliment l’aide de camp, réduite à porter les valises de l’aristocrate pour permettre à celle-ci de mieux rentrer dans son rôle. Toutefois, c’était la raison qu’Anna avait trouvé pour ne pas avoir à s’empêtrer de ses sacs.

Après la montée abrupte d’un escalier sinueux et branlant, les deux agentes arrivèrent finalement devant la fameuse porte marquée du numéro « 303 ». Trois minutes s’écoulèrent avant que les clés ne daignassent enfin tourner dans la serrure et faire quasiment sauter les gonds du morceau de bois gondolé par l’humidité qui faisait office de porte d’entrée. Celui-ci grinça tout en découvrant le spectacle monstrueux laissé par le départ du précédent client. Le fameux Curtis Grant sur lequel enquêtaient les deux jeunes agentes et dont seule la cheffe d’équipe connaissait la véritable identité.

Déjà méticuleuse dans le regard qu’elle portait aux moindres éléments du décor, Annabella espérait que le sacrifice de son confort ne viendrait pas sans réconfort d’avancer dans l’enquête.

Quelque part ici, et elle en était certaine, Noxe avait dû laisser un détail, un indice pouvant trahir ceux qui s’appesantissaient désormais sur son sort.
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Rien. Rien, rien, rien, rien, rien et foutredieu de rien. Si Noxe avait planqué quelque chose quelque part, il avait fait preuve d’une minutie sans commune mesure. La rousse fouillait allégrement tous les recoins de la pièce, tournait et retournait les meubles dans un vacarme qui, plus tôt, avait contraint le propriétaire à se déplacer pour constater l’envergure des dégâts, puis disparaître en vitesse suite à un bref regard de sa locataire dans sa direction. Celle-ci était désormais totalement décoiffée, en sueur et seule.

Quelques heures plus tôt, les deux agentes s’étaient séparées pour faciliter les recherches sur l’enquête en général. Grâce à la Vivre Card il était possible de déterminer l’endroit où se trouvait Grant, évidemment, cependant Anna devinait bien que ça ne devait pas être aussi facile, d’autant plus que le bout de papier devait déjà avoir fait l’objet d’une perquisition ennemie. En bref, peut-être n’indiquait-il plus l’état de santé de son propriétaire depuis longtemps. Ou peut-être les révolutionnaires le lui avaient-ils laissé pour faire connaître la dégradation progressive du directeur du CP9 aux yeux du Gouvernement. Toujours était-il que le papelard pointait vers le Centre-Ville et que la petite Browneye avait suggéré de voir où cela la mènerait. C’était aussi une occasion pour elle de découvrir l’inoubliable Féléterrique.

Et de ne pas avoir à subir l’humeur terrible de sa supérieure.

Celle-ci fulminait désormais, œil rivé sous le matelas porté au-dessus de sa tête d’un seul bras, l’autre tenant la table de chevet dans une seconde position absurde. Le mobilier ainsi soulevé semblait flotter sur une vague invisible qui inondait toute la pièce et avait, pour le moment, épargné la minuscule salle de bain. Il s’écoulerait peu de temps avant que celle-ci soit mise sens-dessus-dessous… avant que ne vînt le tour du plancher. Evidemment, elle trouverait un moyen de tout nettoyer ensuite : c’était tout de même leur chambre, au final, et puis une jeune aristocrate ne s’adonnait pas à ce genre de sports de chambre. Elle prétexterait donc l’absence de sa femme de ménage comme la raison de tout son fatras en sortant. Mais en attendant, il était nécessaire de…

- Gggnnnn…

…s’occuper des lattes en bois. Celles-ci étaient vermoulues si bien qu’il était nécessaire d’agir avec une grande précaution, toutefois les espaces entres les lattes permettaient de ne pas utiliser de pied de biche pour les retirer. Et les vis et clous nageaient tellement dans leurs socles qu’elles ne parvenaient plus à retenir quoi que ce soit. Misant sur bien plus de force que nécessaire, la rousse pivota donc en même temps que le fruit de son acharnement pour prestement finir sur les fesses, balayée par son propre effort, roulant jusqu’au mur le plus proche dans un mouvement abracadabrantesque.

- ‘culé de plancher de merde ! invectiva-t-elle tout en jetant le morceau de bois sur le lit pour se précipiter vers le trou créé et en inspecter le contenu.

Sous le sol de la chambre se trouvait une cavité de quelques centimètres entrecoupée de poutres sur lesquelles était fixé le bois. Cela pouvait très bien laisser assez d’espace pour planquer un journal de bord ou encore un colis, mais constituait au contraire un habitat pour les centaines d’araignées pullulant dans les ténèbres.

Une fois de plus, Anna était Grosjean comme devant.

***

Qui aurait pu croire que la célèbre Commodore serait une personne aussi caractérielle ? Beaucoup de monde, assurément, mais certainement pas Angelica qui s’était bâti une solide et belle image de sa supérieure avant de devoir la rencontrer en chair et en os, pour son plus grand malheur. Elle avait dû, maintes fois depuis, supporter les aléas de son humeur et commençait progressivement à la connaître assez pour savoir précisément à quel moment il était de bon ton de s’éclipser. La voir ainsi s’adonner à un féroce ménage de printemps dans leur chambre commune l’avait instantanément convaincue de la nécessité de s’en aller illico presto vers d’autres cieux.

Sauf qu’en chemin elle s’était perdue.

C’était assez typique des Browneye : à peu près tout ce que l’on veut savoir et connaître dans la tête… sauf la possibilité de se repérer. Pour la rousse aussi bien que la brune, l’orientation avait ses secrets que la raison ignorait assurément. Seule la navigation en mer profitait à la première, probablement grâce à l’usure et à son travail de Lieutenante de la Marine à temps plein. Enfin. Au moins elle avait une piste à suivre… mais c’était un aller sans retour question indication.

Tous les bâtiments se ressemblaient à Parisse. Gris ou ocres, fades comme la ville dans son ensemble, comme les gens qui affichaient souvent des regards tristes et désœuvrés, qui ne semblaient pas plus heureux que les animaux de compagnie qu’ils trainaient en laisse bien souvent.

On reconnaissait facilement ce genre de personnes assez aisées pour se déplacer à la fois à pieds et en carrosse avec leurs toutous maigrichons et quasiment imberbes de la têtête au cucul, mais certainement munis de deux bonnes rangées de crocs et d’un aboiement strident à vous hérisser spontanément les poils dans le dos de la nuque. On le devinait aisément à son regard envers les bestioles : la jolie brune n’appréciait pas les chiens.

- Excusez-moi, vous sauriez me dire où j-

- Désolé-je-n‘ai-pas-le-temps-dégagez-de-mon-chemin.

Des fois la réplique changeait : on pouvait aussi bien l’ignorer, l’envoyer paître ou encore lui faire comprendre que les mots s’accompagneraient assez facilement de menaces si jamais elle venait à perdurer dans son bref interrogatoire. Aussi dociles que leurs clébards, les Parissois n’étaient clairement pas bavards ni chaleureux pour la plupart. En tout cas, pas dans ce quartier.

Cela voulait probablement dire qu’elle n’était plus très loin du centre-ville.

Tandis qu’elle évoluait donc dans la masse, elle cherchait des repères pour pouvoir, bien évidemment, faire le chemin retour. Mais comme ceux-ci étaient définitivement aux abonnés absents, elle décida d’opérer par elle-même en relâchant discrètement des petites flammes légères et quasiment imperceptibles en plein jour qu’elle saurait retrouver à la nuit tombée. Par chance, elle s’y était prise dès la sortie de l’hôtel et en avait déjà semées plus d’une douzaine, à la manière d’un Petit Poucet. Dans ce genre d’occasion, ses pouvoirs lui étaient drôlement utiles… Mais c’était autre chose lorsqu’il s’agissait de prendre un bain ou même d’aller à la plage.

Posé dans le creux de sa main, à la manière d’une boussole, le petit morceau blanc légèrement brûlé et écorné se déplaçait fébrilement vers l’avant. Des fois, le vent le secouait un peu plus et on avait l’impression que c’était davantage l’agente qui se faisait emporter que le bout de papier en lui-même. Précautionneuse, elle suivait de rapides mouvements du bras les moindres déplacements de son drôle de compas.

- Ah… expira-t-elle soudainement tout en pointant le nez un peu plus haut, vers l’horizon. Une grande bâtisse se détachait finalement de l’intégralité des bâtiments déjà assez hauts qui s’enracinaient entre les pavés des longues rues piétonnes. Il y en avait deux en réalité, mais elle ne distingua le second qu’après. Par réflexe, la jeune femme sortit un livret de l’une de ses nombreuses poches lourdement documentées et découvrit davantage le monument sur l’illustration devant ses yeux que dans la masse grise de la ville. Pas de doute, c’est le Féléterrique.

Cherchant alors dans les nombreuses pages de son feuillet, la jeune femme put enfin mettre un nom sur le quartier dans lequel elle se trouvait.

- Santre Vil… fit-elle, toujours incapable de s’habituer à l’orthographe Parissoise de la langue vernaculaire. Il y avait, ici, une drôle de patois qui perdurait jusque dans le nom des rues, mal écrites… et pas seulement en orthographe. A Parisse on étudiait la calligraphie dès son plus jeune âge pour mieux savoir la torturer et transformer les lettres les plus simples en hiéroglyphes illisibles.

Une plaque de rue indiquait à ce propos « Avnus Sharle Dejole », que la jeune femme reconnaissait de mémoire comme le nom de l’un des rares vice-amiraux mythiques dont pouvait s’enorgueillir la métropole. Un brave homme à ce que l’on disait, qui avait la faculté étrange de se battre non pas avec une épée… mais avec une pelle. A cet effet, on parlait souvent de la Pelle du Vice-Amiral Dejole.

Assurément, ici même la Marine marchait sur la tête.

Quoi qu’il en fût, Angelica arrivait finalement à destination, découvrant la seconde merveille que sa perception déconcentrée avait refusé de lui montrer quelques minutes plus tôt : le palais royal. Chaque royaume avait le sien : ils étaient généralement hauts, imposants, avec des myriades de tours, et des murailles crénelées. Des fois quelques architectes classicistes rajoutaient des douves et, pour les plus médiévaux d’entre eux, des ponts-levis.

Le palais de Parisse n’avait rien à voir avec tout cela, il s’agissait plus d’une sorte de dôme entouré de plein d’autres bâtiments liés. Un labyrinthe de bâtisses rondes et rectangulaires de quelques étages seulement, sans remparts, sans créneaux, sans meurtrières. En bref, un établissement symbolique représentatif de l’organisme politique du pays : désarmé, décentralisé et surtout… surtout très pédant. Les motifs sur les colonnades, les calligraphies scabreuses et pourtant honteusement travaillés, la possibilité de s’en approcher sans craindre de se faire piquer les fesses par le bout d’une lance : tout invitait à découvrir l’édifice de plus près pour se rendre compte de sa beauté intrinsèque.

Et à tout cela s’ajoutait évidemment la Vivre Card qui continuait de pointer vers l’avant… vers le palais. Ce qui stoppa net la jeune femme dans sa démarche en direction de la première arche où discutaient deux jeunes gardes adossés aux murs parallèles de la grande porte.

Angelica entreprit alors de faire le tour du gigantesque monument, en espérant que ses craintes ne fussent pas fondées…

…et les fonda définitivement après une quinzaine de minutes de marche passées à arpenter les rues bordant l’incroyable bâtisse.

Curtis Grant, ou ce qu’il en restait, était détenu ici, le bout de papier ne pouvait pas mentir, c’était certain. Alors peut-être la famille royale était-elle dans le coup ? C’était grotesque : celle-ci était une alliée du Gouvernement Mondial depuis des siècles et elle n’avait aucune raison de se désolidariser du cercle d’or. Mais la révolution dormait dans cette ville, c’était certain, alors pourquoi pas au palais ?

Il fallait s’assurer de ne pas faire fausse route.

A ce moment-là, l’agente Browneye aurait tout aussi bien pu suivre ses feux follets et rentrer à l’hôtel faire son rapport à sa supérieure. Mais elle aurait eu le sentiment de passer à côté de quelque chose. Qu’aurait donc fait Miss Sweetsong à sa place ?

Elle se serait mise à l’abri des regards. Aurait voltigé au-dessus de la commune barrière en fer forgé. Se serait infiltrée dans le palais.

Et il était encore plus beau à l’intérieur.
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Finalement, elle l’avait brandi à bout de bras, fière de sa trouvaille. Son visage blême, la stature voutée et en pamoison, elle se tenait au milieu du capharnaüm de planches retournées et de meubles renversés.

Mais finalement elle l’avait trouvé, son indice.

Presque volontairement, peut-être même sûrement, le fin bloc de papier avait été placé entre deux lattes du plancher sur lequel reposait le grand lit double de l’étrange petite chambre. Le déplacer n’avait pas été une mince affaire, mais toutefois un jeu d’enfant au vu de la force phénoménale de la cheffe d’équipe. Mais… non, décidément, le carnet n’avait pas pu tomber là par hasard. Un directeur du CP9 devait toujours s’assurer de ne pas brouiller toutes les pistes, au moins pour ses camarades. Cette piste-là n’avait pas échappé à la règle.

Seulement voilà : l’enthousiasme au beau fixe d’Anna ne tarda pas à redescendre brutalement lorsque son regard se posa sur les pages du bloc-notes. Feuille après feuille, soigneusement étudiées par les yeux démoniaques de la jeune femme qui ne cessaient de s’étirer davantage, à chaque découverte.

Il n’y avait rien.

Rien d’écrit, rien de griffonné ; pas de dessin, pas de croquis. C’était vide, c’était blanc, c’était anodin et jusque-là rien ne présageait que ça eut appartenu à son supérieur. Les couleurs s'alternèrent ainsi rapidement sur les joues gonflées de la jeune femme qui se sentit soudainement fatiguée par son cuisant échec... Mais un détail imperceptible la poussa toutefois à assez rapidement revoir le ton irréversible de son jugement : tandis que les pages se tournaient verticalement, reliées les unes aux autres par de minuscules anneaux censés les retenir, celles-ci semblaient faire apparaître des motifs en filigranes, pour les premières, gravés avec la pointe d’un stylo.

- Mmmh ? grommela l’agente toute en rapprochant son regard du papier pour en discerner les curieux reliefs.

Non, elle ne pouvait rien voir de cette manière… Pas comme ça, il lui fallait un support, un plan de travail : de quoi se bâtir un petit atelier.

Et par chance, il y avait un bureau, c’était compris dans le prix de la location. Avec une petite lampe, le tout bien arrangé pour en temps normal permettre à n’importe quel écrivain de pacotille de s’épancher sur ses textes pour en écrire des bribes que personnes ne voudrait lire. Sauf qu’en temps normal, l’endroit n’était pas totalement retourné, bureau et lampe compris.

Il fallut alors quinze bonnes minutes pour remettre un peu d’ordre dans la chambre, non sans procéder à un nouveau brouhaha qui fit se déplacer une nouvelle fois le propriétaire… pour que celui-ci constatât enfin le retour à la normale de son plancher. Fébrilement, le Parissois daigna toutefois brandir un doigt faussement téméraire dans l’entrebâillure de la porte, comme pour signaler à sa locataire de ne plus faire… ce qu’elle était en train de faire. Puis disparut à nouveau.

Annabella, tranquillement assise à son bureau, n’avait même pas pris la peine de se retourner pour accueillir le regard soupçonneux du responsable de l’hôtel : ce qu’elle avait sous les yeux la fascinait infiniment plus. Mais ce qu’elle pouvait y lire la remplissait de doutes et d’incompréhension.

Après avoir griffonné avec une mine graphite une fine feuille placée au-dessus du bloc-notes, elle arrivait à déchiffrer les étranges hiéroglyphes qui apparaissaient sous la forme de curieux traits blancs. Ceux-ci s’entrecroisaient et formaient des arabesques dans le style typographique le plus purement Parissois… c’était à dire : illisible.

-  « 475 Boavêlame bé qière »  ? Et c’est quoi cette manie de mettre des accents partout ?!

Par chance ou par malchance, la langue Parissoise utilisant le langage international, il était impossible pour la rousse de décrypter le message, qui ressemblait à une adresse, sans avoir un expert en la matière sous la main. Il n'existait aucun dictionnaire opérant la traduction du dialecte... A part l'agent Browneye, évidemment, qui était une encyclopédie sur pattes.

Et justement quand la jeune femme avait besoin de son acolyte, voilà que celle-ci était aux abonnés absents.

Elle dût donc faire le travail elle-même et se retenir de faire preuve de brutalité à l’égard du pauvre meuble en bois de chêne dans lequel venaient creuser ses avant-bras. Un mouvement brusque et il ne resterait du secrétaire qu’un petit tas de paille à peine bon pour le feu. Enfin, elle finit par décrypter, après deux minutes de céphalée intensive, les dernières lettres qui échappaient à son raisonnement.

- « 472 Bouvêlarre Dé Pière » … non c’est pas possible, il doit rester des erreurs.

Pourtant elle se rappelait avoir vu ledit boulev… bouvêlarre en faisant le trajet depuis la gare. Certes Angelica et elles ne l’avaient pas traversé, l’intellectuelle l’avait même priée de contourner la zone réputée malfamée, mais elle arrivait plus ou moins à situer l’endroit. Et deviner que l’adresse, malgré ses fautes, était exacte.

Sa piste allait peut-être donner son premier indice ; Annabella exultait au point que sa comparse, en pénétrant dans la pièce visiblement exténuée, ne sembla même pas apparaître dans son champ de vision. Pourtant, machinalement, la supérieure parvint à la saisir à l’épaule pour la tracter brutalement en dehors du logement sans lui donner la moindre explication. Brinquebalée, la brunette se retrouva dans l’incapacité de faire son rapport tellement sa cheffe d’équipe avançait désormais au pas de course dans les couloirs de l’auberge et descendait les marches quatre par quatre. Ce ne fût qu’une fois sorties de l’immeuble que celle-ci put enfin placer un mot :

- Miss Sw… Blake, je crois avoir découvert quelque chose d’imp-

- Oui, tout à fait ! Une adresse, tu as une carte avec toi ? la coupa son aînée tout en la dévisageant de haut en bas pour enfin poser les yeux sur le livre que la pauvre hère n’avait même pas eu le temps de reposer. Ah, je vois que tu as amené ton guide touristique ! Parfait, ça fera l’affaire ! conclut-elle tout en lui chapardant le bouquin.

Sans cesser de marcher à pas de géant, la prétendue aristocrate tournait les pages à une vitesse incroyable avant d’enfin retrouver la carte que lui avait montrée sa subalterne à bord du train. Cette-dernière affichait une mine lugubre en voyant les pages de son livre se faire malmener par une Annabella visiblement hystérique. Soit l’air Parissois ne lui faisait définitivement pas du bien, soit quelque chose la motivait incroyablement à boucler cette affaire dans les prochaines vingt-quatre heures.

Et déjà elle faisait demi-tour pour se diriger dans la bonne direction tout en hélant son faire-valoir. Mais celle-ci ne protestait pas, il y avait quelque chose dans toute cette histoire qui la faisait vibrer d’excitation elle aussi.

Ainsi que d'une certaine peur et d'un sentiment de malaise difficilement dissimulés.
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- Miss Blake, je crois que nous sommes suivies.

- Ah ?

- Depuis près de dix minutes...

- Ah...

- Et par au moins trois personnes. finit par soupirer Angelica.

La jeune femme croyait halluciner, voyant le manque de précaution dont faisait preuve sa supérieure. Elle la suivait jusqu'alors sans poser de questions, sans faire trop de remarques, mais désormais il fallait intervenir... A croire que la cheffe d'équipe n'avait rien à faire de la façon de procéder et de son manque de tact. A croire que la mission n'était qu'un objectif et absolument pas un défi à relever. Comme si la chose l'attendait au bout du chemin, comme si l'appât se tenait au-delà d'un piège déjà désarçonné. Et qu'il n'y avait plus qu'à le saisir.

Annabella faisait cet effet, celui de la jeune femme qui courait un peu partout et semblait potiche au premier regard, suivant la couverture qu'elle revêtait. C'était le cas pour Jane Blake, elle méritait hautement la médaille de la garce doublée d'une pimbêche dont les fils se touchaient péniblement à l'intérieur du crâne. Mais il était souvent difficile de savoir où se délimitait la couverture chez la jeune femme et où sa véritable personnalité prenait l'ascendant.

Un véritable agent du CP9 aurait déjà veillé à se faire un peu moins remarquer. A l'hôtel, déjà, au vu des œillades effrayées qu'avait balancé le gérant lorsque la brunette s'était engouffrée dans l'entrée. Et du "bonne chance" qu'il avait murmuré lorsque, une minute plus tard, elle avait été contrainte de jaillir à reculons en sens inverse. Non, véritablement, Annabella Sweetsong n'était pas la discrétion incarnée. De là à savoir si c'était un choix volontaire ou non... En tout cas, jusque là, ça semblait lui avoir profité.

Elle nota la remarque dans un coin de sa tête pour subitement revenir à la réalité.

Ça faisait pas loin de quinze minutes qu'elle avait le sentiment que leur duo tournait inlassablement en rond dans ce terrible guêpier... et pourtant elle pouvait se blâmer de ne pas avoir le sens de l'orientation. Néanmoins... néanmoins elles avaient fini par trouver l'avenue tant recherchée et ne faisaient que la suivre depuis tout à l'heure. Mais les numéros s'alternaient dans un ordre incompréhensible qui, selon les informations du livre qu'Angelica tenait actuellement entre ses mains, relevaient de l'ordre de construction des bâtiments. Ainsi elles avaient pu faire l'expérience de passer du un-bis au quatre-cent-vingt-neuvième quelques instants plus tôt.

- Sinon vous vous rappelez tout à l'heure lorsque je suis partie avec la Vivre Card...

- Pas maintenant Meryl, je me concentre. Concentrez-vous vous aussi, bon sang, cet endroit est plus labyrinthique qu'Astérion !

C'était la sixième fois d'affilée qu'elle l'interrompait sur un sujet aussi important. Et la jeune femme n'étant pas du genre à mettre en question la supériorité hiérarchique, elle n'essaya pas une fois de braver les ordres donnés. Ses yeux passaient ainsi en revue les plaques des différents immeubles, tandis qu'une fois de plus son rapport était à la traîne et revenait occuper l'arrière-plan de son esprit... pour finalement disparaître devant l'apparition d'un nouvel événement : l'un des hommes qui suivaient les deux potiches s'était incroyablement rapproché et les talonnait désormais malgré la cadence dont elles faisaient preuves toutes deux. Cela devait trahir l'illusion d'une certaine peur et davantage motiver les malfaiteurs qui avaient pressé le pas. Et ce n'était pas leur éventuelle menace qui inquiétait la demoiselle, mais davantage l'ombre qu'ils pourraient faire sur leurs, déjà bien fragile, couvertures.

A moins que la rousse n'eût un moyen pour se débarrasser de...

- La ruelle, à gauche. chuchota discrètement la concernée tout en se rapprochant assez de sa partenaire pour la pousser légèrement vers l'endroit indiqué. Celle-ci tenta tout de même de résister, par réflexe plus que par raison. Après tout : ce n'étaient pas trois ou quatre bandits de grand chemin qui allaient faire du tort à sa Dame.

- Mais nou-

- Encore à tergiverser ! la brusqua davantage la rouquine tout en la tirant par le col à nouveau. Elle détestait ça, au moins autant que les chiens... mais n'avait d'autre choix que de se laisser faire.

Elles évoluèrent ainsi pendant près d'une minute dans la semi-pénombre du cul-de-sac. Et quand elles se retrouvèrent face à un mur, elles ne furent aucunement surprises de voir leurs trois poursuivants, sourires aux lèvres, comme trop heureux d'être tombés dans leur propre piège.

- Alors mes pou- commença un premier, maladroitement, avant de se voir coupé net dans son discours.

Il y eut alors trois sifflements dans l'air. Trois projectiles invisibles furent tirés. Et trois corps chutèrent aussitôt, blessés au niveau du crâne, raides morts.

Déjà, l'agente revenait sur ses pas pour sortir de cet endroit lugubre, pressant sa complice de la suivre rapidement. Ce furent ses aboiements qui sortirent la demoiselle de ses rêves éveillés :

- Allez  Thompson, pas de temps à perdre ! Je n'ai pas envie d'attendre que la nuit nous tombe dessus...

Et ainsi elles regagnèrent finalement la lumière, tandis que le ciel crépusculaire s'assombrissait effectivement.

***

Ce ne fut qu'une fois arrivées au bout de la rue que le bâtiment se présenta. Vieux, délabré, sale, aux murs rongés par la mérule et autres moisissures qui vous transformeraient une baraque en gruyère, la bâtisse payait définitivement autant de mine que ses voisines. C'était tout le pâté de maison qui ressemblait à un repère de camés et autres junkies. Voir une porte accrochée à un mur était presque signe de richesse dans le coin. Et évidemment, les rues n'étaient pas totalement désertes : quelques "cadavres" jonchaient le sol, noyés dans leurs nectars. Puis quand elles passaient devant, ils s'animaient soudainement avant de retomber dans le coma.

- C'est conforme à ce qu'il est écrit dans mon livre.

- Dis-le moi s'il est écrit dans ton livre où se trouve Curtis Grant.

- Non mais en revanche...

Interrompue, encore une fois. Pas par une parole cette fois-ci, mais par un index qui sembla constituer un barrage impressionnant pas simplement à sa bouche, mais à tout son corps. Aurait-elle voulu avancer  davantage qu'elle n'aurait pas pu, tout simplement. Et le message était clair : la cheffe d'équipe avait entendu quelque chose à l'intérieur du N°472 qu'elles venaient à peine d'atteindre.

La seule chose qui le différenciait réellement des autres constructions, à mieux y regarder, c'étaient ses fenêtres sombres et ses briques noires, comme si le monstre renfermait un quelconque secret qu'il faudrait soigneusement décortiquer. Un endroit parfait pour un révolutionnaire. Mais s'il s'agissait d'un contact de Grant, alors on pouvait aussi bien parier sur un espion.

Ou encore mieux, un agent infiltré.

A quelques mètres de là, une silhouette humaine semblait se servir un thé dans ce qui lui faisait office de salon. Et la présence de nombreux meubles traduisait un intérieur plus confortable que ce qu'il pouvait sembler vu de l'extérieur. Mais ce n'était pas le plus louche dans l'histoire, non.

Le plus louche c'était que l'homme semblait s'être figé, la tête tournée en direction du mur derrière lequel se trouvaient les deux agentes...

...et l'instant d'après, il n'était plus là.
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L'espace d'une seconde, la solide et forte Annabella Sweetsong tituba à quelques millimètres du vide débouchant sur la Saigne. Jamais au grand jamais n'avait-elle eu à poursuivre une personne à la fois aussi rapide... et aussi surnaturelle dans ses déplacements. Désormais elle en était certaine : un pouvoir obscur était à l’œuvre, car l'individu qui venait de leur filer entre les doigts ne l'avait pas fait de façon conventionnelle, non. Il avait tout bonnement disparu, une fois de plus.

Se déplacer dans Parisse n'était pas une mince affaire de base : l'endroit avait son lot de ruelles étroites et de voies sans issues qui faisaient définitivement préférer les grandes avenues éclairées mais bien trop longues et rarement entrecroisées. Et si en plus de cela il fallait rajouter la poursuite d'un autochtone bien renseigné des petites déviations pratiques pour perdre ses poursuivants, alors les deux jeunes femmes n'avaient pu s'en tenir qu'à la présence en pointillé de l'aura de leur proie, difficilement discernable pour l'agente du CP9 et complètement invisible pour sa malheureuse complice.

La première avait donc été largement en tête tandis que la seconde tâchait de ne pas se faire distancer. Mais l'ombre fugace, elle, s'était retrouvée de plus en plus loin, avec une faculté aussi étrange que celle de traverser les murs. Annabella aurait pu le jurer : elle avait manqué plusieurs fois de heurter de solides barrières de briques sur son chemin qui ne semblaient pourtant pas avoir limité la course de l'étrange inconnu. Mais la jeune femme avait toutefois réussi à maintenir le lien mental qui l'unissait au fugitif, malgré la distance et les éléments lui barrant la route.

Jusqu'à maintenant.

Maintenant, sa course l'avait amenée jusqu'aux quais où elle se trouvait stupidement les orteils au-dessus du vide, les talons vissés dans la pierre, à deux doigts de chuter dans plusieurs mètres cube d'eau sale, grisâtre. Ainsi freinée, elle mit plusieurs secondes à comprendre la nécessité d'enfin reculer pour finalement voir la jeune Angelica tituber douloureusement vers elle.

- Pourquoi... s'arrête-t-on...

La rousse se tenait droite, crispée, immobile. Il était de plus en plus difficile pour elle de faire face à l'échec cuisant, d'autant plus que les victoires étaient bien souvent son lot quotidien. Alors quand elle se trouvait devant le fait accompli de sa perte... la belle prenait une drôle de teinte verte.

- J'ai perdu sa trace... reconnut-elle amèrement tout en jetant à nouveau un coup d’œil vers le fleuve. Elle aurait pourtant juré l'avoir vu continuer tout droit... et partagea ses doutes avec son acolyte dans l'espoir de voir sa culture encyclopédique apporter un nouvel élément d'enquête.

Celle-ci attendit encore quelques secondes, le temps de reprendre son souffle, avant de tirer de l'une de ses curieuses poches un autre volume Parissois.

- Il me semble avoir déjà entendu parler... de phénomènes similaires... murmura-t-elle tout en tournant les pages de son épais bouquin. Il y a quelques siècles, un célèbre assassin était réputé pour disparaître de la sorte. Impossible de prévoir ses mouvements, il pouvait apparaître n'importe où puis s'évanouir dans la nature comme ceci. ponctua-t-elle en laissant apparaître un feu follet dans le creux de sa main, qu'elle éteignit aussitôt par la force du Saint Esprit.

Et Annabella demeura bouche bée.

Toujours concentrée, la brunette mit plusieurs longues secondes à saisir l'incompréhension de sa supérieure, avant de laisser échapper un hoquet de surprise.

- Ah ! Je pensais que l'on vous avait prévenue... J'ai mangé un fruit du démon quand j'étais enfant, une longue histoire... Ce qui fait de moi une femme-feu-follet.

Alors la bouche de la fausse rousse se referma laissant loin derrière son air ébahi, comme éclipsé par la description du phénomène. L'espace d'une seconde, elle avait cru se trouver en la présence du possesseur du Mera Mera No Mi, mais il ne s'agissait visiblement que d'une pâle copie... ou presque. L'agente ne vit cependant pas le besoin d'exprimer son arrogance de vive voix, préférant couper court aux explications de sa protégée pour directement revenir à la problématique actuelle.

Elle la pressa donc d'un antipathique "alors ?" suivi d'un tapotement du pied symptomatique de l'impatience Parissoise. Finalement Annabella semblait plutôt bien se trouver dans son élément, au détriment de la pauvre Angelica qui s'interrompit enfin, doigt brusquement dardé sur une entête monstrueusement grande d'article de journal. Elle cita :

- Le Boucher de Faur Bouaillard. blablabla, a assassiné pas moins de cent-vingt personnes... toutes issues de la Haute... révolutionnaire, blablabla... Ah ! Les dernières enquêtes ont démontré que la vitesse d'exécution et les disparitions et réapparitions soudaines du tueur dans les différents quartiers étaient liées à l'utilisation des Catacombes comme moyen de déplacement. Lors de son jugement, ce-dernier aurait alors évoqué la "Cour des Mille Arcs" dans sa célèbre phrase : "Au cœur des Catacombes gronde la Cour des Mille Arcs venue sonner le glas royal".

Pensive, Annabella semblait n'avoir écouté, comme à son habitude, qu'une partie de la longue tirade de sa subalterne. D'un air totalement détaché, la cheffe d'équipe n'émit aucun avis sur le fameux boucher et ses exactions, mais bifurqua soudain vers un nouveau sujet de discussion... plus ou moins lié.

- Dites-moi Thompson, à quoi ressemble une entrée de Catacombes ici ?

- Je... Je crois avoir une illustration quelque part. bafouilla péniblement la jeune femme tout en tournant à nouveau fébrilement les pages de son livre avant d'enfin mettre le doigt sur la description tant désirée. Ah ça y est ! Mises à part certaines entrées, les plus communes sont généralement signalées par la présence d'escaliers ancestraux s’enfonçant vers les profondeurs de la ville.

- Des escaliers... comme ceux-ci ?

Levant les yeux de son livre, la jeune femme chercha du regard le dénivelé désigné par sa supérieure avant d'enfin remarquer un curieux trou rectangulaire creusé dans le sol, à quelques pas de leur position. Elle hocha alors la tête, calmement, avant de finalement comprendre où la cheffe d'équipe voulait en venir.

- Oui... et je crois deviner notre prochaine destination... frissonna la novice malgré elle, ce qui arracha un ricanement à sa responsable. Et un éclat de mesquinerie dans son regard glacial.

- Au moins vous avez le don de percuter rapidement, ma chère Meryl.
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Les catacombes étaient chose courante dans les antiques cités. De nombreuses croyances prêtaient à penser qu'il fallait conserver les proches à proximité pour pouvoir leur rendre visite et espérer d'eux des réponses à des questions auxquelles seul l'au-delà pourrait répondre. Il y avait différents types de croyances comme il y avait différents types de catacombes... et différent types de morts aussi. D'autres mythes évoquaient d'ailleurs des techniques d'embaumement pour permettre la résurrection des cadavres empilés, notamment dans le cadre de tombeaux et autres mausolées.

Fort heureusement, à Parisse il n'en était rien : le long réseau de tunnel était similaire à celui de la crypte sur laquelle était fondée la cathédrale de Manshon, mais d'une taille et d'une longueur démesurées pour n'importe quel être humain.

- Il paraîtrait qu'en déroulant les viscères d'un géant on parviendrait à avoisiner la longueur totale des tunnels en les mettant bout à bout. C'est écrit.

- Fascinant... tenez prenez la torche au lieu de dire des âneries. s'envenima aussitôt la cheffe d'équipe. Se débarrassant nonchalamment de son fardeau, la jeune femme vint alors saisir l'un de ses poignards à sa ceinture.

Démasquée par le Haki, une présence semblait tapie dans l'ombre et les attendait de pied ferme derrière un des nombreux piliers qui soutenaient la voute plus loin. Sans prendre la peine de mettre au courant sa subalterne, l'agente continua malgré tout avec un air débonnaire et totalement certain. Elle était à peu près sûre que c'était leur fuyard et comptait le prendre à son propre jeu. Le duo avança ainsi dans le silence complet jusqu'à dépasser la cachette de leur cible... qui prit subitement la rousse au dépourvu.

Elle avait fait erreur : il n'y avait pas de pilier. Mais bien un mur long et large qui les séparait de leur proie et derrière lequel celle-ci était dissimu- Non, elle avait faux sur toute la ligne : la silhouette venait de bouger et semblait lentement avancer vers eux. Toutefois assez rapidement pour faire apparaître une main équipée d'un poignard dans le dos de la petite Angelica, laissant juste le temps à sa supérieur de la mettre en garde :

- Browneye, attention derrière !

Mais trop tard. La prise de l'opposant se referma alors subitement sur la jeune femme pour venir appuyer contre sa glotte une lame bien affutée. Celle-ci ne put réprimer un sursaut de surprise ni même un petit hoquet nerveux, oubliant jusqu'aux techniques de Rokushiki qui auraient pu la sortir d'une telle impasse.

Mais, c'était vrai, elle ne maîtrisait pas le Tekkai de toute manière.

Suivant le bras apparu d'entre les pierres se dessina alors une épaule puis une tête à l'intérieur d'un trou de plus en plus apparent, sombre, d'où semblait provenir le mécréant. Plutôt que d'afficher le sourire mielleux des moribonds fiers de leurs filouterie, celui que Anna suspectait d'être un maudit comme elle conservait un visage fermé. Là où tout révolutionnaire normal se serait gaussé de sa prise, puisqu'il était désormais évident que les deux jeunes femmes étaient des agents du Cipher Pol, leur agresseur, lui, était resté royalement sobre.

Néanmoins...

- Ce petit jeu est terminé, relâchez ma complice sur le champ. Vous savez qui nous sommes et je sais qui vous êtes... sous votre couverture.

L'inconnu avait un physique relativement typique de tout bon révolutionnaire. Tout dans son apparence semblait d'ailleurs crier "Révolution !", néanmoins pour pouvoir fuir aussi rapidement l'énergumène avait dû se griller les ailes. D'abord il avait utilisé son fruit du démon, mais ensuite... ensuite soit il avait couru à une vitesse vertigineuse, soit il possédait une aptitude propre au Cipher Pol. Et les chances qu'il s'agît d'un traître demeuraient minimes face à la possibilités que l'homme fût un sbire de l'obscur CP6.

Les lèvres comprimées, l'individu laissa planer plusieurs longues secondes de silence avant de froncer les sourcils et répondre d'une voix fluette :

- Désolé, mes ordres sont clairs. Personne ne doit savoir à propos de ma couverture, pas même les agents des autres Cipher Pols.

- Pas même lui ? répondit la rousse tout en sortant de l'une de ses poches le petit bout de papier sur lequel était inscrit l'adresse du prétendu révolutionnaire. Je suppose que Curtis Grant ça vous dit quelque chose, sinon pourquoi j'aurais retrouvé ça chez lui ?

Doté d'une patience impressionnante, l'agent prit tranquillement le temps d'étudier l'indice tendu par la cheffe d'équipe avant d'enfin répondre... sans pour autant cesser de menacer la jeune Browneye figée et muette comme une tombe.

- Vous êtes venues pour lui, n'est-ce pas ? C'est l'un des vôtres ? Il y en a d'autres avec vous ? Quoi que vous ayez en tête, il n'y a plus rien à faire pour lui désormais, alors partez avant de vous faire remarquer...

- Nous sommes au courant de la situation, nous possédons même une Vivre Card qui...

- Qui mène tout droit au palais ! Ou plutôt sous le palais ! Nous savons... enfin je sais ! intervint soudain la brune, jugeant enfin le moment opportun pour dévoiler sa découverte, ce qui stupéfia instantanément sa supérieure. Nous n'avons pas été envoyées sur le terrain pour secourir l'agent Grant mais pour enquêter sur sa disparition. Maintenant grâce à votre présence nous savons que la révolution est mêlée à tout cela alors soit vous nous aidez à mieux comprendre, soit nous rentrons et faisons notre rapport pour faire venir plus d'agents. Pour l'instant il n'y a que nous, c'est vous qui choisissez.

Le visage abscons pendant une demi-minute, la rousse finit par dévoiler un demi-sourire avant d'admirer la décomposition du visage de leur confrère, acculé et obligé de coopérer. Il ne fallut que quelques dizaines de secondes pour que la menace de son poignard s’effaçât et qu'il surgît entièrement du trou dans le mur. Trou qui se reboucha complètement une fois son créateur totalement libéré de son emprise.

- Bon, vu que vous ne me laissez pas le choix... Comme vous l'avez deviné je suis un agent infiltré ; vous pouvez m'appeler Bier. Cela va faire cinq ans que je suis sur le coup, ici, à étudier les moindres faits et gestes de la révolution locale et tenter de percer à jour l'identité de leur Leader. La récente capture de votre collègue m'a d'ailleurs déjà mis pas mal de bâtons dans les roues alors vous avez intérêt à vous tenir à carreaux et faire tout ce que je dis.

Annabella n'appréciait que moyennement ce ton autoritaire mais fit cependant preuve d'une grande diplomatie. Quoi que Bier décidât, c'était elle et elle-seule qui était aux commandes désormais et elle constituait, dans un sens, son supérieur hiérarchique. Accrochée à son commandement comme un bernique à son rocher, la fausse rousse peinait à se débarrasser de son égo surdimensionné et de son arrogance.

- Nous ferons de notre mieux, merci de votre coopération. Maintenant pouvons-nous savoir ce qu'il se passe ici et pourquoi l'un de nos agents a été capturé ? questionna-t-elle d'une voix neutre, tandis que le groupe se déplaçait lentement à travers les Catacombes.

- Chaque chose en son temps, nous aurons tout le loisir d'en discuter sur le chemin vers le QG.

- Le chemin vers le QG ?! Excusez-moi mais je croyais que nous allions faire demi-tour ? Il me semble que l'on va dans la mauvaise direction, selon ma carte...

- Et depuis quand possédez-vous un sens de l'orientation, Browneye ? rétorqua brutalement l'officière, subitement rendue à son caractère habituel et définitivement moins diplomate.

Toutefois Edouard s'arrêta comme pour préciser quelque chose. Et en rencontrant le silence mortuaire, il posa une bien curieuse question :

- Avant toute chose, est-ce que vous avez déjà entendu parler de la Cour des Mille Arcs ?
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La progression devenait de plus en plus difficile à mesure que le groupe avançait en direction du fameux QG. Tandis que le dénommé Bier expliquait à voix basse les détails de sa mission à l'agent Sweetsong, Browneye accordait davantage d'importance à l'environnement et aux curieux motifs qui ornaient de temps à autres les murs des catacombes.

Ponctué de petites cryptes où étaient entassés des ossements, le réseau souterrain était principalement taillé directement dans la terre et parfois même dans la roche. Souvent des intersections venaient séparer le chemin pour perdre un peu plus les deux étrangères dans le sillon de leur bien curieux guide. Et cela faisait bien longtemps qu'Angelica n'avait pas cherché à se repérer sur sa carte tombée en désuétude. Raison qui la poussait désormais à grincer des dents et regarder d'un œil torve celui qui, une heure plus tôt, faisait luire sous son cou la lame aiguisée d'un poignard menaçant. Et voilà que désormais sa supérieure discutait avec lui tranquillement comme s'il s'agissait d'un simple badaud.

Du guide touristique, le bonhomme n'en avait que la fonction. Plutôt trapu mais pas non plus gonflé de muscles, on aurait facilement pu le catégoriser parmi les nombreux passeurs naviguant sur la Saigne ou bien parmi les chasseurs maraudant dans la Campagne. Rongée par une foule de soupçons et d'inquiétude, la frêle jeune femme délaissa finalement sa contemplation au profit d'une écoute plus attentive de la conversation liant les deux énergumènes.

Placide comme à son habitude, Annabella demeurait à l'écoute et ne pipait mot, laissant à son interlocuteur le soin d'exposer ses découvertes à son auditorat toujours plus nombreux. Du coin de l'oeil il identifia l'oreille curieuse de la subalterne mais ne se stoppa pas en si bon chemin : il avait visiblement beaucoup de choses à dire à propos de...

- ...il n'y a pas vraiment d'organisme révolutionnaire uni à Parisse. Je l'ai découvert récemment lorsque les partis politiques se sont mis en branle dans les deux régions principales du pays.

- Les Syndicalistes et les Insurgés ? Je pensais qu'il s'agissait de milices...

- Oui et non. Ce sont des groupes qui ont la possibilité de prendre les armes et se rebeller mais qui préfèreraient voir une solution pacifiste, à la différence des Dissidents qui représentent, pour leur part, un véritable groupuscule révolutionnaire. Mais cela est surtout dû au fait qu'ils soient mis à l'écart car il n'appartiennent ni à la Ville, ni à la Campagne.

- Donc à tout moment la situation peut s'envenimer ? Malgré le calme apparent... pourquoi personne n'en parle ? Pourquoi est-ce qu'il n'y a pas de signes visibles ?

- Vous allez comprendre très bientôt, lorsque nous serons arrivés. Jusque là, le problème principale venait du désaccord entre le Syndicat et les Insurgés, vu qu'ils ne peuvent pas vraiment se côtoyer et qu'il s'agit d'un problème gravé dans l'Histoire et le sang. Sauf qu'avec le gain d'influence de Gabroche et Barnaud, les deux figures actuelles des partis, ben un dialogue a commencé à s'instaurer.

- Je crois que je commence à comprendre...

- Moi aussi... ponctua une voix timide, légèrement en retrait, qui par son approbation attira des regards étonnés. Annabella n'avait même pas remarqué sa présence dans la conversation et, peut-être par fainéantise ou par sens du défi, laissa le soin à la jeune agente de poursuivre. Je suppose que l'apparition de ces deux personnes coïncide avec la montée en puissance des Dissidents. Et il a probablement fallu que quelqu'un fasse le lien entre les trois organismes pour engager un dialogue. Une situation parfaite pour créer une alliance révolutionnaire ; voilà pourquoi vous cherchez l'identité du Leader : il s'agit d'une personne extérieure à tout cela car sinon cela se remarquerait.

A ces mots, une brève lueur de considération passa dans le regard du CP6.

- Exact, d'autant plus que les discours tenus par Gabroche et Barnaud ne sont pas fondamentalement révolutionnaires : ils ne sont pas insatisfaits du pouvoir en place mais plutôt des décisions qui sont prises et mènent à une ségrégation du peuple Parissois. Depuis le dernier soulèvement, l'Assemblée fait tout pour empêcher les citoyens de s'unir à nouveau : cela les rendrait beaucoup trop dangereux. Mais personne n'est dupe, d'autant plus que ça dure depuis presque cent ans !

- Je les trouve même plutôt patients au final. Cent ans à être pris pour des truffes... ironisa la plus jeune en dévoilant un demi-sourire teinté de cynisme.

- C'est stratégique. En temps de guerre on brouille les communications... ici on brouille les deux camps en créant un clivage car c'est bien connu...

- ...l'union fait la force, hein ? Et que vient faire cette histoire de Cour des Mille Arcs dans tout cela ? Je croyais que c'était un mythe ?

Pendant quelques secondes, Angelica darda deux yeux interloqués sur sa responsable, saisissant que pour une fois la jeune femme avait une longueur d'avance sur sa supérieure.

Il fallait dire que celle-ci n'avait pas fait preuve de beaucoup de concentration lorsque sa collègue lui avait expliqué ce qu'était la Cour des Milles Arcs. Qu'elle existait très probablement mais que personne n'avait jamais pu la trouver à cause de la complexité du réseau de souterrains de Parisse, selon l'auteur et historien Jean Mouldeux dont elle avait dévoré tous les ouvrages avant de venir. Mais surtout, surtout car l'endroit était réputé comme un haut lieu de banditisme et de fomentation d'attentats envers la couronne, ce qui correspondait bien à la mort de nombreux rois durant une certaine période il y avait de cela plusieurs siècles. Et dont on n'avait jamais pu retrouver les coupables.

Du moins jusqu'à l'affaire du Boucher de Faur Bouaillard.

Profitant donc de son avantage, la jeune femme laissa planer le mystère durant de longues secondes avec un sourire narquois sur le visage avant de commencer son explication....

...et de se voir aussitôt interrompue par l'agent sous couverture qui lui déroba sous le nez son moment tant attendu.

- Ce n'est pas un mythe car nous y sommes presque. Au cœur du QG de la révolution de Parisse, mieux connu sous le nom de la Cour des Mille Arcs. Dans le doute, je vais vous demander de bien vouloir rabattre vos capuches pour que personne ne vous reconnaisse. On n'est jamais trop prudents.

Sur ces mots, les deux jeunes femmes s'exécutèrent, voilant le sommet de leurs têtes de tissus sombres rabattus jusque sous les yeux. Angelica savait qu'elle n'avait rien à craindre, ce qui n'était probablement pas le cas de sa consœur qui appréciait particulièrement jongler avec ses différentes couvertures. Fort heureusement avec sa teinture elle était difficilement reconnaissable.

Et ce fut donc avec un champ de vision pratiquement masqué, ne laissant visible que leur poitrine et le bas de leurs corps, qu'elles avancèrent dans l'obscurité... jusqu'à finalement atteindre une source de lumière progressivement plus aveuglante.

Puis soudainement se retrouver au beau milieu de la foule, sous la voute gigantesque d'une incroyable caverne totalement éclairée par des lanternes suspendues à des myriades de claveaux en arc-de-cercle.

La fameuse Cour des Mille Arcs.
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Si la révolution ne faisait aucune émule à la surface, c'était désormais pour une raison évidente : ici, dans la gigantesque caverne accueillant nombre de tentes, d'étals et de marchands se trouvait un incroyable marché noir alimentant les forces rebelles troglodytes. Plus loin, Anna pouvait même distinguer la présence d'un fleuve souterrain s'écoulant à travers un réseau de grottes. Mais ce qui était le plus frappant dans ce curieux décors n'était ni la taille et la hauteur de la voute, ni la présence d'une ville souterraine... Mais le gigantesque pilier visible à l'horizon, éclatant la voute rocheuse et s'enfonçant plus profondément dans le sol.

Du moins, cela ressemblait à un pilier de loin. Mais au fur et à mesure que le petit groupe s'en approchait, il devenait évident qu'il s'agissait en réalité d'une tour large et haute, peut-être même d'un donjon.

- J'imagine que c'est cela, le QG ? On dirait une sorte de château vu d'ici.

Relativement silencieux depuis leur entrée dans la Cour des Mille Arcs, Bier fit toutefois l'effort de se retourner et afficher un curieux sourire en réponse à la présomption de la cheffe d'équipe.

- C'est parce que c'en est un. Enfin, c'est l'une des parties d'un château. Celui-ci se poursuit vers la surface, votre camarade doit connaître. Pas étonnant que votre Vivre Card menait jusqu'au palais royal... que dit-elle désormais ?

Interloquée, la brunette était encore en train de réfléchir à cette dernière révélation quand les regards se braquèrent dans sa direction. Avec un peu de retard, elle sortit finalement de l'une de ses poches le bout de papier brûlé désormais quasiment réduit à l'état d'un petit triangle embrasé. Le directeur n'en avait plus pour très longtemps mais il était toujours possible de le sauver. Enfin, elle y croyait fermement.

- Elle... elle pointe vers la tour. Comment est-ce possible... ?

- Vous connaissez le dicton "sois proche de tes amis mais encore plus de tes ennemis" ? Il semble que les premiers révolutionnaires locaux l'aient pris très au sérieux il y a des siècles de cela, lorsqu'ils ont découvert cette curieuse cavité en creusant les tunnels des Catacombes. Il devait probablement s'agir de mineurs et d'ouvriers et ils avaient sûrement déjà bien assez de rancœur pour commencer à se réunir pour maugréer la hiérarchie dans ce lieu secret qui, par chance, se trouvait juste sous le château. expliqua le guide tout en reprenant lentement la marche en direction de leur destination. S'égarant alors dans une foule de détails dont seule Angelica retint l'importance, il perdit rapidement l'attention de la rousse qui, de son côté, attendit avec une patience relative que l'homme en ait terminé.

Ce-dernier ne conclut sa tirade que quelques minutes plus tard, permettant à Anna de reprendre le train en marche.

- ...puis, de fil en aiguille, les souterrains du château n'ont cessé de s'enfoncer plus profondément dans le sol jusqu'à rejoindre la caverne, sous les précieux conseils d'architectes, de maçons et de charpentiers mis dans la confidence.

- Mais... pourquoi faire ? parvint-elle finalement à placer. Comment se fait-il qu'aucun garde n'ait découvert cet endroit en empruntant les souterrains ?

Durant quelques secondes le pseudo-révolutionnaire donna l'impression qu'on lui posait une colle. Puis il finit enfin par répondre avec ce qui sembla davantage être une hypothèse qu'un fait avéré.

- Car les souterrains sont tellement vastes et s'enfoncent tellement profondément sous la surface qu'ils n'ont, en grande partie, aucune utilité... Le projet n'a pu voir le jour que grâce à la trop grande mégalomanie de l'un des anciens rois qui voulait pouvoir juger et emprisonner tous ses opposants au sein même de son palais. Malheureusement, il n'a pas vécu assez longtemps pour y emprisonner ne fut-ce qu'un seul homme et depuis les gigantesques cachots sont restés vides.

- Aucune utilité donc ?

- Eh bien, mis à part les révolutionnaires qui s'en servent à la fois comme d'une base et comme un moyen d'atteindre facilement l- commença-t-il avant de s'interrompre pour subitement mettre en garde ses interlocutrices : Capuchons !

S'activant dans la seconde qui suivit, les deux femmes parvinrent à dissimuler efficacement leurs traits avant qu'un homme vêtu comme un révolutionnaire lambda n'alpaguât leur guide. Sa voix de baryton, Annabella la reconnut aisément : il s'agissait de l'un des rescapés d'Arcadia qu'elle avait aidés à s'échapper.

- Jackson, vieille fripouillle ! Si on m'avait dit que j'te reverrais un jour !

Ainsi donc ils avaient survécu.

Un poids fut subitement ôté de la poitrine de la jeune femme pour être remplacé par un nouveau, plus lourd. Car la présence sur les lieux de l'éclaireur trahissait celle de son supérieur et la possibilité qu'ils aient à participer au dénouement de la mission. Un dénouement qui se dessinait de plus en plus dans l'esprit de la cheffe d'équipe qui, déjà, voyait la Cour des Mille Arcs brûler et s'effondrer sur elle-même.

Mais pour le moment il s'agissait de rester incognito.

- Ah, Malbouffe, enfin fini d'te les cailler sur ton caillou désertique ? Qu'ess tu viens faire ici, t'en as marre de manger des vers ou bien ?

- Hin hin, très drôle. Tu dois être au courant d'la situation d'Arcadia. L'île est tombée et le Gouvernement s'y est installé désormais, plus d'retour possible même si Jimmy lâche pas l'affaire, tu l'connais.

- Ouais, brave gars, ça a dû être difficile pour lui. Allez ça m'a fait plaisir mais j'ai... débuta l'agent double, pressé d'en finir, avant d'être interrompu par un pas en avant de son interlocuteur vers les deux invitées encapuchonnées, volontairement à l'écart. Car une emmerde n'arrive jamais seule.

Par réflexe Anna fit alors un pas en arrière avant de s'arrêter instantanément dans son élan, saisissant le côté suspect de son geste.

- Ben ça alors ! Mais on dirait qu'tu nous as ramené des d'moiselles ? C'rare ça, que l'on t'voie en bonne compagnie. Y'a moyen qu'elles soient mignonnes en plus, s'tu savais d'puis l'temps que j'ai pas vu une nana un poil soignée qui r'ssemble pas à un homme.

Fort heureusement, McDonald n'eut pas à procéder davantage, voyant sa tentative de soulever le premier capuchon venu, celui d'Anna, soldée par un échec grâce à l'intervention miracle de leur bienfaiteur.

- Hop hop hop, on touche pas aux dames comme ça. Je les ai amenées sous l'injonction directe du Leader. C'est pour son invité d'honneur, mais faut pas qu'ça s'sâche. Sont trop jolies pour être dévoilées au grand jour.

- Ah ! My bad, j'veux surtout pas contrecarrer les plans du Leader alors. Puis si c'est pour son invité... raison d'plus. Y'a des rumeurs qui circulent comme quoi...

- Comme quoi... ? faillit demander Annabella en voyant que le révolutionnaire n'allait pas terminer sa phrase. Mais, par chance, celui-ci était déjà sur le départ, le temps que son cerveau réagît et que sa bouche ne laissât échapper la première syllabe. Pour se refermer directement ensuite.

La cheffe d'équipe se tourna alors vers l'agent infiltré pour mieux poser sa question, mais ne fut pas plus renseignée.

- Ça a à voir avec les plans du Leader, on dit qu'il s'agit d'un membre du conseil des DRAGONs. Si c'est le cas, ça veut dire que la situation est plus critique qu'on ne le pensait et qu'il va falloir se dépêcher de boucler tout ça.

- "Boucler tout ça ?"

- Votre enquête et ma collecte d'informations. Je n'ai pas envie de me trouver ici lorsque tout ce joli monde sera dans les rues et que le pouvoir en place aura été renversé. Ah, nous y sommes presque, vous voyez ? Les fondations du palais royal. Par contre pour y entrer ça va être une autre paire de manche... heureusement, j'ai la clé de la poterne.

- C'est à dire ?

L'homme resta silencieux un long moment... avant de précipiter ses deux acolytes dans une ruelle, près d'un bâtiment taillé dans la roche contre lequel il posa sa main. A l'abri des regards indiscrets, l'agent fit alors apparaître un cercle, autour de sa paume, à travers duquel il était possible de voir l'intérieur de l'édifice. Il s'agissait là du pouvoir qu'il avait d'ores et déjà utilisé à la fois pour leur échapper ainsi que dans un but purement offensif contre Angelica. Celle-ci sentait encore la lame en acier trempé lui griffer le cou.

- J'ai mangé le Fruit des Trous, ouais dit comme ça... et je peux vous assurer que ça règle pas mal de problèmes quand il s'agit d'entrer quelque part. Héhé.
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Et en effet, jamais Annabella ne connut infiltration aussi efficace.

En quelques minutes seulement le petit groupe était entré dans le château. Il avait simplement suffit de faire le tour de l'édifice, loin des regards fureteurs des gardes, pour atteindre un mur que Bier avait apparemment l'habitude de traverser. Du plat de la main, il avait alors utilisé son pouvoir à nouveau et créé un trou assez grand pour faire passer une personne en intégralité de l'autre côté.

Finalement le choix du mur n'était définitivement pas anodin car celui-ci donnait directement sur...

- Un placard à balais ?

- Difficile d'éviter les clichés...

- Au moins ici personne ne viendra fouiller ou bloquer la porte. Puis de toute manière si vous n'êtes pas contentes vous pouvez toujours sortir et emprunter la grande porte. grogna l'homme-trou en se débarrassant du manche d'une serpillère obstruant son déplacement jusqu'à la sortie.

Utilisant une fois de plus son pouvoir, Edouard créa alors un trou minuscule mais de taille assez grande pour voir à travers et s'assurer que la voie était libre. Après une trentaine de secondes passées à faire le guet, il fit finalement signe à ses deux consœurs d'avancer tout en déverrouillant lentement la porte de l'intérieur.

Se déplaçant en file indienne, le petit groupe débarqua alors dans ce qui semblait être un corridor en arc de cercle et légèrement en pente. Incrustées dans le mur extérieur se trouvaient, à intervalles réguliers, des portes en bois de chêne rongées par le temps et l'usure. Leurs formes particulièrement hostiles et dénuées d'artifices ainsi que la présence de lucarnes trahissaient le fait qu'elles menaient sur des cellules destinées à retenir des prisonniers. Cependant le haki affuté de l'agente ne décela aucune présence humaine à l'intérieur des pièces, comme l'avait plus tôt précisé le faux révolutionnaire : la plupart des cellules étaient désertes, inutilisées.

En revanche l'Empathie d'Anna lui permit de découvrir la présence de nombreux gardes patrouillant dans les nombreux couloirs des différents étages, dont un venant actuellement dans leur direction. Monter les différents étages jusqu'à finalement tomber sur Noxe serait alors chose difficile... cependant elle eut une idée.

Ouvrant la porte de la première cellule venue, elle se jeta dedans sans réfléchir, accompagnée de ses deux acolytes qui ne tardèrent pas à entendre les bruits de pas.

- Le Haki de l'Observation, j'aurais dû m'en douter.

- Oui, je peux dire très exactement où se trouvent les gardes et si l'on doit passer par les corridors, on n'est pas sortis de l'auberge. A moins que...

- A moins que... ?

La cheffe d'équipe se tourna alors vers le guide avec un sourire malicieux.

- Cela vous épuise-t-il beaucoup de devoir faire des trous dans les murs ? Je parle en connaissance de cause, je possède un pouvoir qui requiert beaucoup d'énergie moi aussi...

Par chance, l'homme répondit par la négative en faisant un simple geste du chef.

- Impeccable, alors voilà ce que nous allons faire...

***

- Allez, encore un petit effort ! Je sens que l'on se rapproche !

- Je... commence vraiment à fatiguer...

Malgré son teint pâle et son front dégoulinant de sueur, l'homme s'exécuta et ouvrit un nouveau trou dans le mur qui faisait face aux deux jeunes femmes pour les laisser passer les premières... pour la trente-troisième fois consécutive. Ainsi les infiltrés avaient-ils pu monter cinq étages en passant uniquement à travers les cloisons des cellules inhabitées jusqu'à ce qu'Anna décelât enfin la présence de trois silhouettes réunies dans l'une des indénombrables geôles.

- On y est presque, encore deux et vous pourrez vous reposer. sourit l'agente, d'un air qui transpirait la fausseté et la manipulation. Il n'allait pas dire non, pas alors qu'ils étaient si près du but.

Et en effet, malgré la raideur de ses muscles et sa démarche ridicule, le "faiseur de trous" s'exécuta, non sans souffler bruyamment durant son geste. Une fois, deux fois et les voilà qui se trouvaient dans la pièce voisine de celle où se trouvaient les trois personnes. Leurs auras se précisaient d'ailleurs et laissaient entrevoir deux hommes debout et un troisième assis sur une chaise. Bien évidemment, il n'était ni possible de saisir leur conversation, ni de voir à quoi leur apparence se rapportait, ce qui demanda un dernier effort de la part du pauvre Edouard qui posa machinalement sa main contre la dernière paroi... et fit apparaître trois paires de trous les uns à côté des autres avec six de ses doigts.

Aussitôt Annabella se précipita vers ceux qui étaient le plus proche d'elle et découvrit la scène avec une curiosité enfantine. A ses côtés, Angelica râla de ne rien voir car un meuble semblait être collé au mur devant ses ouverture. Par chance elle fut bien la seule, puisqu'il n'y eut aucune complainte de la part de l'agent du CP6.

Délaissant donc ses compagnons, la fausse rousse se concentra alors sur la scène qui s'opérait devant ses yeux.

Il s'agissait d'une cellule comme toutes celles qu'ils avaient traversé jusqu'à présent, sauf que celle-ci semblait aménagée... pour accueillir des instruments de torture. Autour des trois hommes siégeaient, dans un désordre monumental, nombre de machines ayant pour unique but de briser les esprits des pauvres hères qui en faisaient les frais. Cependant, au vu des mots que s'échangeaient les deux bourreau, l'esprit de leur victime semblait encore miraculeusement intact.

La première voix qu'entendit Anna fut alors une voix aiguë, presque féminine, émanant de la personne encapuchonnée située le plus à gauche.

- Bon sang ! Cela va faire des semaines... Des semaines ! On a tout essayé comme vous pouvez le voir mais pas un mot, rien. Nous avions espéré que votre présence suffirait à ce qu'il parle enfin mais même cela...

- C'est un agent du CP9. Ils se préparent toute leur vie pour cela. Les bons soldats savent ce qu'ils doivent faire lorsqu'il passent aux mains de l'ennemi... mais tout de même... gronda une seconde voix en réponse, cette fois-ci incroyablement virile et rauque, dont le timbre semblait même faire trembler les murs alentours. C'était comme si, de par sa simple voix, l'homme était en mesure de découvrir les choses cachées. Ce qui fit ultimement frissonner la jeune femme.

- Qu'est-ce qu'il nous reste à faire ? Son complice est probablement dans les parages en train de fouiner à l'heure qu'il est. Peut-être même a-t-il déjà quitté l'île et averti ses supérieurs !

- Gardez votre sang froid s'il-vous-plaît. Dois-je vous rappeler que Freeman place en vous toute sa confiance pour diriger le pays une fois la rébellion en marche ? N'agissez pas comme une simple adolescente. Et puis... même si les renforts étaient en route désormais, ça ne ferait aucune différence. Ce n'est plus qu'une question d'heures, la révolution est déjà en marche. Tout est goupillé à la seconde près, dois-je vous le rappeler ? C'est pour cela que je me suis déplacé...

Alors qu'Annabella commençait tout juste à distinguer les deux rôles et découvrir que celui que tout le monde appelait le "Leader" était en fait une femme, ses questions sur l'identité de la seconde personne ne tardèrent pas à être soudainement résolues lorsque sa camarade se retourna vers lui, dévoilant une partie de son visage, et baissa la tête docilement.

- C'est vrai, veuillez m'excuser Monsieur Mandrake.

Au même moment, une des nattes de l'Atout apparut soudainement de sous la capuche du bien-nommé pour valider le propos, ce qui décrocha brutalement la mâchoire de l'agente du CP9 et fit se questionner sa subalterne à ses côtés, aveugle et frustrée de ne pas voir la scène. Cependant, des trois agents, celui qui semblait le plus atterré était bel et bien Edouard, même si seule Angelica pouvait le remarquer pour le moment.

Blafard, transpirant de la tête aux pieds, celui-ci parvenait difficilement à garder son calme et à ne pas refermer automatiquement les fentes qu'il venait d'ouvrir. Toutefois, il tremblait.

Malgré tout il était difficile de voir la personne assise sur la chaise. Il était de toute manière fort probable que celle-ci n'eut plus grand chose d'humain, au vu des expérimentations qui avaient visiblement été faites sur elle. Toujours était-il que celui qu'Anna soupçonnait être le directeur du CP9 avait gardé sa bouche cousue et méritait probablement une mort rapide et indolore à l'heure qu'il était. L'espace d'un instant, Anna crut même voir un bras dépasser et distingua au moins une main à laquelle il manquait de nombreuses phalanges et des lambeaux entiers de peau.

Elle souhaita naturellement ne pas voir l'état du reste du corps et détourna les yeux pour mieux se concentrer sur la discussion des deux élites révolutionnaires. Entre deux tentatives pour faire parler le prisonnier, ceux-ci évoquèrent de façon floue une attaque sur le parlement et la prise en otage de la famille royale, dans l'optique d'avoir une monnaie d'échange pour empêcher le débarquement des forces du Gouvernement Mondial.

Tout semblait donc parfaitement ficelé et Annabella admit que la présence de Mandrake ne facilitait absolument pas la chose. Après cinq bonnes minutes d'interrogatoire en plus, celui-ci quitta enfin la pièce en prétextant avoir "plus important à faire", laissant la jeune femme seule avec celui qu'ici on connaissait sous le nom de Curtis Grant.

Aucun des deux n'avait visiblement eu la moindre idée de la véritable identité de la personne qu'ils avaient eu en face d'eux. Probablement un agent du CP9 comme tous les autres. Mais un agent du CP9 comme tous les autres, même super entraîné, n'aurait jamais pu emporter ainsi son secret dans sa tombe.

Finalement, l'inconnue se pencha par-dessus le siège du prisonnier et, d'une voix mielleuse, chercha une fois de plus à le briser mentalement :

- T'en fais pas, avec ou sans ton aide on le retrouvera ton copain. Et il connaîtra le même sort que toi, tu peux en être certain. On apprécie pas trop les meurtriers du Cipher Pol par ici. Allez, un petit conseil avant de partir : desserre la mâchoire, tu risques de perdre les dernières dents qu'il te reste.

Ce après quoi, la jeune femme rabattit une gigantesque capuche par dessus ses longs cheveux, dissimulés sous les nombreux plis du vêtement, et quitta la pièce d'une démarche triomphale, non sans se chauffer la voix. Probablement pour la faire paraître plus grave.

Annabella n'avait aucune idée de la véritable identité de la Leader mais, en découvrant le corps à nu de Noxe, fut soudainement prise de pulsions meurtrières.

Elle n'avait jamais rencontré le directeur de son "vivant" et avait entendu de la part des autres qu'il s'agissait d'une personne très solitaire, potentiellement agaçante lorsqu'elle se mettait en tête de contrôler le travail et le professionnalisme de ses subalternes. S'il devait auparavant être quelqu'un de musclé et beau, Noxe n'était désormais plus qu'un tas de chair à vif attaché à une chaise, souffrant au point même de ne plus pouvoir parler. Certains de ses membres amputés avaient simplement été recouverts d'un linge à l'hygiène plus que douteuse, d'autres endroits privés de peau, de chair ou même d'os laissaient apparaître des asticots consommant leur dîner à l'avance. Ses deux orbites, privés d'yeux, semblaient sonder le vide devant lui comme s'il attendait quelque chose. Comme s'il n'était plus vivant. Et pourtant.

- Laissez-moi voir ! Je veux voir !! hurla presque la brunette qui, selon Anna, n'avait pas besoin d'être témoin d'un tel spectacle. Sa voix eut malgré tout tôt fait d'attirer l'attention de la momie emprisonnée dans la pièce adjacente.

Ce qui paralysa instantanément la cheffe d'équipe dont le regard eut la malchance de croiser le vide sidéral des yeux manquants de son supérieur.

Alors le condamné entreprit lentement de bouger ses lèvres gercées une première fois. Puis une seconde. Et ce fut finalement avec un râle léger, presque inaudible, qui sortit de son gosier desséché, que le mystérieux directeur du prestigieux CP9 dévoila ses premiers et quasiment derniers mots, après un enfer de souffrances :

- Tuez... moi...

Il fallut une seconde à Anna pour comprendre et une autre pour évaluer la possibilité d'agir. Elle n'eut pas besoin de darder autre chose qu'un regard dans la direction du CP6 pour que celui-ci comprît ce qu'il avait à faire : créant un trou plus grand dans le mur, il permit alors à la jeune femme de passer et, malheureusement, à sa jeune camarade d'observer à travers. Celle-ci regretta aussitôt son geste, tandis que la rousse avançait désormais dans la pièce en direction du pauvre homme attaché.

- Je suis désolée... s'excusa automatiquement la cheffe d'équipe tout en saisissant Quart pour l'approcher du visage du prisonnier.

En entendant la voix de sa libératrice, celui-ci leva alors légèrement le menton comme s'il cherchait à la contempler. Après plusieurs secondes de silence, le pauvre homme entrouvrit légèrement la bouche pour chuchoter à la jeune femme ses véritables dernières paroles.

Alors, dans la seconde où il prononça son dernier aveu à son exécutrice, celle-ci enfonça la pointe de sa lame au niveau de sa tempe et lui arracha instantanément les quelques relents de vie qui faisaient de lui une malheureuse créature.

Dans la main de Browneye, le petit morceau de papier s'effrita alors pour de bon.

Noxe n'était plus.
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- Allez, plus vite ! Il faut vraiment que l'on dégage d'ici et en vitesse !! Je ne veux pas rester sur cette île une seconde de plus !

Les trois agents allaient de mur en mur et de trou en trou depuis plusieurs minutes à une vitesse folle. La fatigue semblait s'être soudainement effacée au profit de la peur dans les yeux d'Edouard. Une peur compréhensible au vu de ce que les révolutionnaires avaient fait subir à son contact du CP9, même s'il n'y avait pas que cela.

Son état semblait s'être grandement aggravé depuis la révélation sur la présence de Mandrake. Et il était raisonnable de penser qu'il valait mieux ne pas se trouver sur le chemin du Seigneur de Guerre de la révolution. Annabella l'avait déjà appris lors de la défaite de Kanokuni mais cette fois-ci... Cette fois-ci c'était totalement différent. La révolution ne savait pas combien d'agents étaient déjà sur place ni leur potentiel. A trois, malgré tout, ils avaient l'avantage.

Finalement les trois gusses atteignirent la première cellule et, après une analyse rapide du Haki d'Anna, se précipitèrent dans le couloir pour regagner le placard à balai.

Une minute plus tard tout le beau monde était dehors.

- Je ne retourne plus jamais là-dedans !

- Certes, je peux comprendre. Mandrake est un sacré adversaire mais...

- Non, vous ne comprenez pas, vous ne savez pas qui était cette femme ! Vite, suivez-moi, nous ne sommes plus en sécurité. Vous avez tué leur prisonnier, ils doivent avoir déjà donné l'alerte.

Et en effet, celle-ci fut donnée quelques secondes plus tard alors que les trois silhouettes s'éloignaient vers la paroi rocheuse la plus proche. Car il y avait apparemment un nombre incalculable d'entrées et de sorties menant à la Cour des Mille Arcs, il suffisait de prendre n'importe quel chemin pour se retrouver dans les gigantesques catacombes à nouveau.

Malgré le fait de pouvoir se considérer désormais à l'abri de toute présence humaine, l'espion continuait à trembler frénétiquement, au point même que ses décisions semblaient désormais hâtives et irréfléchies, présentant le risque de prendre le mauvais chemin. De toutes les solutions pour calmer le bonhomme, Annabella choisit alors la plus radicale : après l'avoir saisi par le col au détour d'une intersection, elle lui colla une incroyable mandale qui, probablement, lui ferait siffler les oreilles pendant un petit moment.

Hébété, l'homme s'arrêta subitement sans comprendre les raisons qui justifiaient le geste, portant une main à son visage endolori.

- Pourquoi vous...

- Vous étiez en train de nous perdre ! Reprenez-vous imbécile, nous sommes probablement hors de danger désormais.

- Mais la situation est tellement plus grave que ce que l'on pouvait imaginer ! Vous ne comprenez pas, vous ne savez pas qui elle est ! s'emporta à nouveau le guide tout en se tenant cette fois-ci à bonne distance de la cheffe d'équipe. Celle-ci ne comptait plus le frapper mais conservait une attitude énervée, tapotant fermement du pied en attendant les explications qui tardaient à venir.

- La femme de tout à l'heure ? C'est elle le Leader si j'ai bien compris, non ?

Ce fût alors l'intervention d'Angelica qui permit d'obtenir des explications plus approfondies.

- Maintenant que vous le dites, son visage me dit quelque chose... Lorsque je me suis infiltrée dans le palais, il me semble avoir vu une jeune femme avec des traits similaires. Mais c'est improbable, il s'agissait d'une personne de la famille royale...

- La famille royale que la révolution compte prendre en otage, oui ! Et non, il s'agit bien de la princesse !!

Le regard d'Annabella se durcit soudainement sous la pression de ses sourcils. Elle n'avait jamais vu ce genre de cas par le passé et peinait à comprendre le pourquoi du comment. Pourtant, dans le crâne du CP6 les informations semblaient s'entrechoquer à cent à l'heure lui donnant cet air hystérique qui semblait renfermer bien des réponses.

- Pourquoi une princesse chercherait à destituer sa propre famille et mettre en danger son pays... pour des idéaux révolutionnaires ? C'est insensé !

- Peut-être qu'elle en a eu marre de porter des robes magnifiques et d'aller au bal avec de riches prétendants... hasarda Browneye qui écopa aussitôt d'un regard assassin de la part de sa responsable qui semblait lui intimer le silence.

- Ou peut-être qu'elle n'a jamais oublié d'où elle venait... se risqua à son tour Edouard, toujours dans ses affirmations en demi-teinte qui firent écoper le front d'Annabella de deux nouvelles veines sur le point d'exploser.

- Bon, il va falloir être un peu plus bavard si vous voulez qu'on décampe d'ici un jour. Car tant que je ne saurai pas le fin mot de cette histoire, ce n'est même pas la peine d'espérer aller quelque part !

- Mais ce ne sont que des théories ! Même si tout semble se confirmer désormais. Enfin, c'étaient les hypothèses de Curtis mais ça ne faisait aucun sens...

- ...que quoi ?! Qu'est-ce qui ne fait aucun sens, parlez bon sang !

Cette fois-ci c'était certain, si cela continuait la rousse allait devenir violente. D'autant plus qu'il s'agissait de ce qu'avait découvert son supérieur avant de se faire capturer et, ça, Edouard ne l'avait jamais mentionné. Soupirant et prenant enfin place sur un banc en pierre qui, au vu des craquements osseux qui s'en échappèrent alors, n'en était probablement pas un, l'homme entama enfin ses révélations.

- Avant de se faire avoir, Curtis avait fait pas mal de recherches sur chacun des membres de la famille royale. Il soupçonnait déjà l'un d'entre eux de servir la révolution au vu des quantités colossales empruntées par le roi finançant, selon lui, les affaires révolutionnaires. Il a donc enquêté sur le roi, la reine et leur fille pour finalement découvrir... que le certificat de naissance de cette-dernière n'indiquait pas le nom de ses parents !

- Elle aurait été adoptée ? questionna Anna tout en se passant la main sur le visage, désireuse d'en venir aux faits.

- Oui, mais ce n'est pas tout. En fouillant dans les registres, Curtis était parvenu à retrouver la trace des deux parents, décédés il y a près de vingt ans. Et il ne s'agissait pas de Métropolitains ni de Campagnards, si vous voyez ce que je veux dire.

- Des Dissidents ? intervint la plus jeune qui était demeurée en retrait jusqu'alors, soucieuse du caractère de sa supérieure et de ses sautes d'humeur.

- Exact. Sans compter le fait qu'ils avaient aussi eu un fils à peine plus âgé. Vous ne devinerez jamais de qui il s'agit désormais...

- Le chef des Dissidents je présume...

- ...celui que l'on surnomme PSG. La main armée de la révolution. Curtis suggérait l'idée que la sœur et le frère ne s'étaient jamais vraiment perdus de vue. Ce qui, désormais, semble plus que recevable comme hypothèse.

- Une hypothèse ? Vous appelez ça une hypothèse ?! Vous avez fait équipe avec l'un des meilleurs agents de tous les Cipher Pols confondus et vous refusez toujours de croire à ses recherches ?! Vous auriez dû communiquer ces résultats plus tôt !

- Il me manquait des éléments ! Il fallait que je voie ça de mes yeux. On était sur le point d'y arriver avec Grant quand il l'ont attrapé...

Chose louche d'ailleurs. Jusqu'ici jamais Noxe n'avait été fait prisonnier, jamais personne n'avait réussi à le capturer. Plus ça allait et plus Annabella avait des raisons de ne pas faire confiance à celui qui se présentait de plus en plus comme un lâche... et aurait très bien pu être capable de tendre un piège à l'un de ses alliés pour protéger sa couverture. C'était commun au sein du CP6, sauf que cette fois-ci il s'était trompé d'agent, si c'était bien ça.

Néanmoins l'heure n'était pas aux accusations. Il était important de rester unis pour les événements à venir. Les pions étaient désormais placés sur l'échiquier et le Gouvernement était loin d'avoir abattu toutes ses cartes. En vérité, il en possédait désormais plus qu'il n'en avait jamais eu. Car les trois agents savaient désormais à qui s'en prendre et où agir.

Invitant ses coéquipiers à se remettre en marche, Edouard en tête de file, Annabella passa alors sa main dans l'une de ses innombrables poches pour réaliser la première chose qu'il se devait de faire. Par chance, dans les catacombes, il était rare que les murs eussent des oreilles, elle pouvait donc faire son rapport en toute discrétion.

Une fois l'escargophone décroché à l'autre bout du fil, elle débuta alors la conversation de la manière suivante :

- Allô, Monsieur O'Murphy ? J'ai de bien tristes nouvelles à vous annoncer. Grant est mort et il va nous falloir des renforts d'urgence sur Parisse. De quoi faire face à Jonas Mandrake et plusieurs milliers d'hommes sous ses ordres.
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