J'pare le coup de pied sauté avec mon avant-bras, et j'recule d'un bond pour esquiver le coup de talon qui suit. Trop puissant pour que j'puisse y risquer mes os, surtout avec l'onde noire qui le recouvre brièvement, au moment où ça serait rentré en contact avec ma tête. En face de moi, Prudence retombe souplement au sol, et se remet en garde, sur la pointe des pieds et les genoux légèrement fléchis.
« On n'avait pas dit qu'on y allait mollo pour l'échauffement ? »
Elle répond pas et se contente d'un sourire un peu large. J’soupire et j’secoue ma main pour faire disparaître la sensation d’engourdissement.
On est dans une des salles close du croiseur, un coin qui sert de zone d’entrainement. C’est pas hyper grand, mais c’est blindé d’acier partout, ce qui fait que les Marines peuvent y aller un peu à fond, en prévision des dangers qu’ils pourraient avoir à affronter. Vu qu’il est super tard, et qu’on est en plein milieu d’un quart, on risque pas d’être dérangé. T’façon, on est rarement dérangé quand on est la plus haute autorité du navire.
D’une impulsion, Prudence se projette en avant, feinte un coup de pied circulaire puis change son appui. Son direct gauche file vers mon visage, j’lève ma garde. J’ressens qu’un choc minime, jusqu’à ce que son crochet du droit frôle ma rate. Mon pas en arrière m’a permis d’éviter ça, mais pas l’énième panard qui s’écrase contre ma cuisse. J’encaisse sans sourciller.
Sans le haki de l’empathie, c’pas forcément facile, même si j’sens que j’suis plus rapide. J’essuie une goutte de sueur qui m’coule dans les yeux, et elle en profite pour raccourcir à nouveau la distance entre nous. Cette fois, pas de feinte de jambe, donc j’me glisse sous son bras et j’lui châtouille les côtes avec mes phalanges. Quand elle essaye de reculer pour remettre un peu d’espace, j’crochette ses appuis, et elle trébuche en arrière.
J’arrête mon tibia à quelques centimètres de son visage alors qu’un frémissement noir scintille brièvement. J’ressors de la zone de touche d’un bond.
« T’aurais pu frapper, qu’elle me reproche en faisant la moue.
- C’est un entrainement, j’suis pas obligé de t’arracher la tête…
- Comme si ç’aurait marché.
- Ouais, ouais, le haki de l’armement, tout ça. Parfois, ça suffit pas.
- Vantard.
- Réaliste.
- Il suffit d’un instant d’ina... »
Elle coupe sa phrase là et se jette en avant, centre de gravité au plus bas. J’suis un peu surpris, d’habitude on entrecoupait les échanges de discussions tranquilles.
J’saute au-dessus de sa balayette, elle se redresse et envoie un coup de talon. Mes bras croisés devant moi encaissent et, sans appui, j’suis projeté un peu en arrière. Un genre de salto vrillé lui permet de rester au contact, face à moi en plus. Si j’étais taquin, j’aurais pu utiliser le Geppou pour appuyer sur l’air et la frapper en plein vol. Mais j’ressens pas vraiment le besoin d’aller à fond.
En tout cas, jusqu’à ce que je sente le mur du fond de la pièce contre mon dos. Là, Prudence change de stratégie, elle virevolte face à moi en enchaînant les feintes et les directs, sans jamais rester plus de quelques instants dans la zone de contact. Ses mèches blondes volent autour de son visage pendant que j’pare tout méthodiquement en la regardant souffler.
D’un autre côté, même si l’exercice est intéressant, il est p’tet pas nécessaire, que j’me dis, surtout quand un poing boosté au haki de l’armement creuse légèrement le revêtement en acier du mur. J’profite qu’elle recule pour glisser sur la droite. Un coup de pied circulaire m’en dissuade promptement.
En voyant les coins de ma bouche s’affaisser légèrement, son rictus à elle s’élargit. Bah, c’pas si mal de voir ça. Mais j’vais pas rester là à prendre des gnons pour autant. J’prends appui sur le mur pour grimper de deux bons mètres, esquivant par là-même une main tendue pour m’attraper, et j’saute dans son dos.
Une pirouette de mon cru, en plein vol, m’permet au passage d’envoyer mon talon vers l’arrière de son crâne. Elle esquive en se tordant le cou, mais est trop déséquilibrée pour me coller des mandales quand j’atterris. J’sautille un peu sur place en me craquant les vertèbres, un sourire moqueur aux lèvres.
« Tss. »
Prudence pose le pied sur le mur avant de se projeter à l’horizontal, comme un boulet de canon, vers moi. Son crochet vole large mais lui sert à modifier son centre de gravité, puis son inertie. Elle tourne, en appui sur les mains, en envoyant des coups de pied. Capoeira, maintenant ? J’me contente de reculer plus vite qu’elle ne marche à l’envers en haussant les épaules.
« Un peu de créativité, non ?
- Ca a l’air vachement moins pratique sur le pont d’un navire, ou des graviers, ou n’importe quel coin où tu pourrais te planter un truc dans la paume, hein.
- C’est bien de tester des trucs, aussi.
- Mouais.
- Avec l’armement, je ne peux pas me faire transpercer les mains.
- C’est un peu du gâchis, quand même.
- Tant que ça marche.
- Ben justement…
- Tch. »
Elle repart à l’assaut avec son entrain habituel, mais aussi davantage d’agressivité que d’habitude. Ça continue un bon quart d’heure avant qu’on se sépare, tous les deux essoufflés.
« Quelque chose te tracasse, nan ?
- Non, pourquoi tu dis ça ?
- J’sais pas, c’est pas comme d’habitude. »
Elle hausse les épaules.
« Je ne sais pas, j’en ai peut-être assez d’attendre en mer.
- C’est vrai qu’on n’a toujours aucun signe de notre prochaine mission. Mais un peu de boulot nous ferait pas de mal, cela dit.
- Puis je n’aime pas vraiment Mégavéga.
- Ah ? Comment ça s’fait ?
- Trop de science, peut-être.
- Préfère Navarone ?
- Oui, ça doit être ça. »
Ca s’défend, davantage à l’ancienne, surtout quand on est pas forcément à l’aise avec les technologies bizarres qu’ils développent là-bas. Puis on sait jamais sur quoi on va tomber, dans le genre scientos en train de pondre une bombe à partir de trois écrous et un fil en plomb. Nan, Navarone, c’est de la vraie Marine, régulière majoritairement, certes, mais des Marines…
Au bout d’une heure, on commence à fatiguer tous les deux, et y’a de plus en plus de failles dans ses attaques, ses gardes. Sûrement dans les miennes aussi, mais de là où j’suis, c’plus dur à voir. J’esquive une avalanche de coups de pieds fouettés en haut, en bas, en reculant. Quand, d’une impulsion, elle lance une attaque retournée, j’avance brusquement en encaissant sa cuisse sur mon épaule.
Bien trop près pour son confort, elle essaie de reposer le pied au sol, mais j’balaye son seul appui avant tout en poussant sur son épaule. Elle tombe par terre, en amortissant le choc de son bras libre tout en lançant son genou dans ma direction. J’lâche un hoquet de douleur en me laissant tomber sur elle, coude en avant. Ça impacte son sternum et tout l’air de ses poumons jaillit avec un filet de bave assez peu séduisant.
J’ai une main sur sa carotide et l’autre son œil, puis j’roule sur le côté, en position assise. Elle préparait une attaque en ciseau, mais s’est interrompue en voyant que ça servait à rien.
« Pfiou, ça fait du bien, un peu d’exercice. »
Elle se redresse aussi, avec un grognement.
« Ca passe le temps. »
Son regard reste fixé au sol.
« C’est pas grave de perdre, t’sais.
- Hein ? Hum, oui, je pensais à autre chose. »
J’me relève puis j’lui tends la main pour l’aider à faire de même. On s’dirige vers nos affaires, dont on extirpe des serviettes histoire d’essuyer un peu la sueur avant un décrassage plus approfondi. Elle arrête pas de tourner les yeux vers la porte pendant qu’on discute. Finalement, on s’prépare à sortir.
Au moment où j’mets la main sur la poignée, elle s’ouvre de l’autre côté, et j’suis forcé de reculer d’un entrechat pour pas la prendre dans la gueule. J’vois Charme, Blondie et Funeste qui entrent à la file, la mine fermée et les épaules carrées. Ils referment derrière eux, et j’hausse un sourcil interrogateur.
« Salut, vous faites quoi ? S’passe un truc ?
- Peut-être bien, répond Charme. »
Mon regard va des trois lieutenants à Prudence, qui a un air vaguement soulagé sur le visage.
« S’passe un truc. »
Blondie s’accoude à la porte et croise les bras, et surveille du coin de l’œil. Funeste est un pas derrière Charme, les épaules trop détendues pour avoir l’air naturel, les mirettes fixées sur moi, l’expression aussi funeste que son surnom. Prudence jette furtivement le regard dans ma direction quand elle pointe pas au sol, accroupie pas loin.
Ca commence à sentir pas bon. J’comprends pourquoi Prudence avait l’air nerveuse, distraite, pendant l’entrainement. Plus agressive, doivent m’en vouloir pour un truc. J’repasse les jours proches, la mission de l’île Maléfique en revue. En rapport avec le coffre dérobé au Gouverneur ? Ils auraient voulu avoir leur part sans qu’on file tout aux sauvages ? Nan, pas leur genre. Quelque chose que j’ai pu dire ou faire… A part les commentaires désobligeants habituels, rien de bien choquant…
Funeste fait un pas en avant, mais Charme le retient en mettant son bras en travers, et prend une grande inspiration avant de fixer ses yeux noirs sur moi. J’me dérobe pas et j’lui renvoie son regard, l’expression ouverte et attentive.
« Angus, hein ? »
Le début fait un peu cryptique. J’manque pas de le faire savoir :
« Ouais, vous commencez à me connaître, nan ?
- On se pose la question. »
Léger silence.
« Comment ça ? »
Charme hésite encore. De manière surprenant, c’est Prudence qui prend la parole.
« On se demande si tu ne serais pas un agent du Cipher Pol. »
Il me faut qu’une fraction de seconde pour intégrer et tout replacer dans son contexte. Les regards fuyants, ce qui s’est passé tout à l’heure, la réunion des lieutenants ici alors qu’ils ont rien à y foutre… Le premier mécanisme de défense qui m’vient à l’esprit, c’est d’éclater de rire. C’est c’que j’fais, bruyamment. Un beau rire qui sonne pas du tout forcé. Celui pour lequel on est entrainé dans les bureaux.
« Sérieusement ? Hahaha… Ah. Merde. Sérieusement.
- Oui, reprend Charme, le regard dur. »
J’lève les paumes.
« Bon, j’suppose que si vous le pensez… J’pourrais vous casser la gueule mais j’crois que ça règlerait pas grand-chose, pas vrai ?
- Tu penses en être capable ? Demande Blondie.
- Y’a qu’un seul moyen de l’savoir, mais ça n’a pas d’importance. On va plutôt réfléchir et se demander pourquoi vous pensez ça.
- Au début, pas grand-chose. Le Rokushiki, c’est pas si choquant que ça.
- Nan, y’a pleins de Marines qui l’ont, ouais.
- Encore que peu l’utilisent de manière aussi poussée, mais c’est un détail.
- Reprocher à un type de savoir se battre, c’est moche.
- C’est clairement pas ça qu’on te reproche. »
J’soupire.
« Allons-y, alors, que j’lâche.
- Tu te souviens de la raison pour laquelle tu es dans la Vingtième ?
- Ouais, j’dois bien être celui qu’a le moins de chances d’oublier.
- Et c’est ? »
Ca pue le piège, mais j’ai pas tellement le choix.
« J’vous l’ai déjà dit, en plus. J’me suis embrouillé avec un connard à tifs roses dans Marie-Joie.
- Mais encore ?
- C’était un de ces Marines qui font carrière à signer des papelards. J’lui ai pété le nez. Tu veux en venir où ?
- Tu vois, Angus, j’ai eu une longue carrière, et même si une grande partie a eu lieu au sein de la Vingtième, ça ne m’a pas empêché de nouer des contacts avec d’autres divisions. Par exemple, la 346è Division Carter.
- J’sais pas où ça s’dirige, mais ça serait pas la division de nanas ?
- Si, que des gouines qui se lesbichent entre elles, commente Blondie en s’attirant un regard noir de Charme. Et je sais de quoi je parle, j’ai déjà bien tenté ma chance de ce côté-là. »
Quelques ricanements de bon goût plus tard, Charme se râcle la gorge.
« Toujours est-il que cette division a fait route vers Marie-Joie il y a quelques semaines, et que je leur avais demandé de vérifier quelque chose.
- J’ai eu le droit à une vérification de mes antécédents ? J’dois être privilégié.
- Pour être honnête, je fais ça pour tous les officiers et sous-officiers. »
Les autres lieutenants tournent brusquement la tête vers elle.
« Ne le prenez pas mal, on ne vit pas aussi longtemps que moi sans être prudente. »
On hoche la tête, moi compris.
« Et, si la présence d’un certain Angus semble avérée à Marie-Joie, pas moyen de trouver une trace d’un officier qui avait les cheveux roses. Même en épluchant les registres, le personnel qui était présent dans la capitale, et la base G-0, au moment approximatif des faits…
- Tu vas me faire croire qu’un officier de ta division a pu passer plusieurs jours dans les registres sans autorisation et sans souci ? Autant un coup d’œil en passant, j’veux bien, mais là… »
Une fois de plus, j’reçois un soutien surprenant de la part de Blondie :
« Ouais, je les connais, les suppôts de Trovahechnick, obsédés par les procédures. Aucune chance qu’ils laissent quelqu’un entrer comme ça chez eux. »
Charme fait la moue.
« Peut-être qu’elles ne sont pas toutes homosexuelles. »
On n’a pas le temps de dire un mot de plus qu’elle nous coupe d’un ton sec.
« Le sujet de la source est clos. Bref, tous ces éléments tendent à laisser penser que tu es un agent du Cipher Pol. »
J’ricane.
« C’est pleins de trous, votre truc. Me dites pas que vous êtes pas d’accord ?
- Comme ?
- Vous trouvez pas un type aux tifs roses donc ça y est, tout est inventé ? C’est pas un peu un raccourci, votre truc ?
- Rien n’indique la présence d’un individu aux cheveux roses dans la Marine à Marie-Joie à ce moment de l’année.
- Rien n’indique que le type s’est pas fait une teinture ou une autre connerie. »
Ils sont un peu silencieux.
« C’est pas faux, lâche Blondie.
- T’es dans quel camp ? Demande Prudence.
- Celui de la Marine, donc se sauter dessus entre nous, ça marchera pas forcément bien. Angus nous l’a jamais mise à l’envers jusqu’à présent, donc l’accuser…
- Ce n’est pas parce qu’il n’a encore rien fait que…
- Nous n’allons pas refaire ce débat, impose Charme. Nous avons voté pour éclaircir les choses, donc nous éclaircissons les choses.
- J’vois pas ce que vous allez éclaircir. Vous dites que j’suis CP, vous avez pas de preuves, alors on va pas aller très loin.
- Tu vois Charme ? Je t’avais dit qu’on n’avait pas assez d’éléments.
- Tu étais où il y a dix ans, Angus ? »
Celle-la est facile, j’connais ma fausse biographie par cœur.
« J’sortais de l’équivalent du BAN. C’est obligé de continuer ? J’ai l’impression qu’on perd tous notre temps. »
En vrai, j’ai une goutte de sueur froide métaphorique. Y’a dix piges, dans mes premières missions d’agent bas de gamme, j’ai bossé avec la Vingtième, certains éléments, tout du moins. Charme, déjà à l’époque, et Conway, un sergent de Blondie. J’ai beau avoir un physique ultra ordinaire, si l’un d’eux est foutu d’avoir une excellente mémoire… Nan, impossible. Malgré le regard songeur de la vieille baroudeuse.
« C’est vrai, on perd notre temps, fait Funeste. »
Tout le monde est surpris de l’entendre parler. Sa voix gratte un peu, mais elle porte largement assez. Il esquive Charme et fait un pas vers moi. Le pas suivant, il a un couteau de chasse dans la pogne.
« On la joue comme ça ? Que j’demande. »
J’fais un pas vers lui aussi, j’tiens un poignard de lancer par la lame dans la droite et un planteur dans la gauche.
Finie l’attitude faussement décontractée dans laquelle on s’cachait à peu près tous. Blondie s’éloigne du mur, porte à la main à sa ceinture, à son pistolet. Prudence se redresse doucement et j’relâche mes épaules. Funeste fait une autre enjambée, interrompue quand Charme l’attrape par le col et le tire en arrière.
« J’ai dit : non. »
Finie l’attitude de discussion, aussi. De sa poigne, elle lui tord le cou et le fixe droit dans les yeux pendant une bonne dizaine de secondes avant qu’il détourne le regard et range son coutelas. Ha, elle rigole pas.
« Je sais pertinemment que ça n’explique pas tout, Angus. Ça ne veut peut-être pas dire que j’ai raison, mais ça ne veut certainement pas non plus dire que j’ai tort. On te surveille de près, maintenant. »
Sur ces mots sympatiques, elle se dirige vers la sortie, suivie par Funeste. Blondie s’écarte pour les laisser passer et sort à leur suite. Prudence est la dernière à partir, après un ultime regard en arrière. Son expression est indéchiffrable.
Chiasserie.
« On n'avait pas dit qu'on y allait mollo pour l'échauffement ? »
Elle répond pas et se contente d'un sourire un peu large. J’soupire et j’secoue ma main pour faire disparaître la sensation d’engourdissement.
On est dans une des salles close du croiseur, un coin qui sert de zone d’entrainement. C’est pas hyper grand, mais c’est blindé d’acier partout, ce qui fait que les Marines peuvent y aller un peu à fond, en prévision des dangers qu’ils pourraient avoir à affronter. Vu qu’il est super tard, et qu’on est en plein milieu d’un quart, on risque pas d’être dérangé. T’façon, on est rarement dérangé quand on est la plus haute autorité du navire.
D’une impulsion, Prudence se projette en avant, feinte un coup de pied circulaire puis change son appui. Son direct gauche file vers mon visage, j’lève ma garde. J’ressens qu’un choc minime, jusqu’à ce que son crochet du droit frôle ma rate. Mon pas en arrière m’a permis d’éviter ça, mais pas l’énième panard qui s’écrase contre ma cuisse. J’encaisse sans sourciller.
Sans le haki de l’empathie, c’pas forcément facile, même si j’sens que j’suis plus rapide. J’essuie une goutte de sueur qui m’coule dans les yeux, et elle en profite pour raccourcir à nouveau la distance entre nous. Cette fois, pas de feinte de jambe, donc j’me glisse sous son bras et j’lui châtouille les côtes avec mes phalanges. Quand elle essaye de reculer pour remettre un peu d’espace, j’crochette ses appuis, et elle trébuche en arrière.
J’arrête mon tibia à quelques centimètres de son visage alors qu’un frémissement noir scintille brièvement. J’ressors de la zone de touche d’un bond.
« T’aurais pu frapper, qu’elle me reproche en faisant la moue.
- C’est un entrainement, j’suis pas obligé de t’arracher la tête…
- Comme si ç’aurait marché.
- Ouais, ouais, le haki de l’armement, tout ça. Parfois, ça suffit pas.
- Vantard.
- Réaliste.
- Il suffit d’un instant d’ina... »
Elle coupe sa phrase là et se jette en avant, centre de gravité au plus bas. J’suis un peu surpris, d’habitude on entrecoupait les échanges de discussions tranquilles.
J’saute au-dessus de sa balayette, elle se redresse et envoie un coup de talon. Mes bras croisés devant moi encaissent et, sans appui, j’suis projeté un peu en arrière. Un genre de salto vrillé lui permet de rester au contact, face à moi en plus. Si j’étais taquin, j’aurais pu utiliser le Geppou pour appuyer sur l’air et la frapper en plein vol. Mais j’ressens pas vraiment le besoin d’aller à fond.
En tout cas, jusqu’à ce que je sente le mur du fond de la pièce contre mon dos. Là, Prudence change de stratégie, elle virevolte face à moi en enchaînant les feintes et les directs, sans jamais rester plus de quelques instants dans la zone de contact. Ses mèches blondes volent autour de son visage pendant que j’pare tout méthodiquement en la regardant souffler.
D’un autre côté, même si l’exercice est intéressant, il est p’tet pas nécessaire, que j’me dis, surtout quand un poing boosté au haki de l’armement creuse légèrement le revêtement en acier du mur. J’profite qu’elle recule pour glisser sur la droite. Un coup de pied circulaire m’en dissuade promptement.
En voyant les coins de ma bouche s’affaisser légèrement, son rictus à elle s’élargit. Bah, c’pas si mal de voir ça. Mais j’vais pas rester là à prendre des gnons pour autant. J’prends appui sur le mur pour grimper de deux bons mètres, esquivant par là-même une main tendue pour m’attraper, et j’saute dans son dos.
Une pirouette de mon cru, en plein vol, m’permet au passage d’envoyer mon talon vers l’arrière de son crâne. Elle esquive en se tordant le cou, mais est trop déséquilibrée pour me coller des mandales quand j’atterris. J’sautille un peu sur place en me craquant les vertèbres, un sourire moqueur aux lèvres.
« Tss. »
Prudence pose le pied sur le mur avant de se projeter à l’horizontal, comme un boulet de canon, vers moi. Son crochet vole large mais lui sert à modifier son centre de gravité, puis son inertie. Elle tourne, en appui sur les mains, en envoyant des coups de pied. Capoeira, maintenant ? J’me contente de reculer plus vite qu’elle ne marche à l’envers en haussant les épaules.
« Un peu de créativité, non ?
- Ca a l’air vachement moins pratique sur le pont d’un navire, ou des graviers, ou n’importe quel coin où tu pourrais te planter un truc dans la paume, hein.
- C’est bien de tester des trucs, aussi.
- Mouais.
- Avec l’armement, je ne peux pas me faire transpercer les mains.
- C’est un peu du gâchis, quand même.
- Tant que ça marche.
- Ben justement…
- Tch. »
Elle repart à l’assaut avec son entrain habituel, mais aussi davantage d’agressivité que d’habitude. Ça continue un bon quart d’heure avant qu’on se sépare, tous les deux essoufflés.
« Quelque chose te tracasse, nan ?
- Non, pourquoi tu dis ça ?
- J’sais pas, c’est pas comme d’habitude. »
Elle hausse les épaules.
« Je ne sais pas, j’en ai peut-être assez d’attendre en mer.
- C’est vrai qu’on n’a toujours aucun signe de notre prochaine mission. Mais un peu de boulot nous ferait pas de mal, cela dit.
- Puis je n’aime pas vraiment Mégavéga.
- Ah ? Comment ça s’fait ?
- Trop de science, peut-être.
- Préfère Navarone ?
- Oui, ça doit être ça. »
Ca s’défend, davantage à l’ancienne, surtout quand on est pas forcément à l’aise avec les technologies bizarres qu’ils développent là-bas. Puis on sait jamais sur quoi on va tomber, dans le genre scientos en train de pondre une bombe à partir de trois écrous et un fil en plomb. Nan, Navarone, c’est de la vraie Marine, régulière majoritairement, certes, mais des Marines…
Au bout d’une heure, on commence à fatiguer tous les deux, et y’a de plus en plus de failles dans ses attaques, ses gardes. Sûrement dans les miennes aussi, mais de là où j’suis, c’plus dur à voir. J’esquive une avalanche de coups de pieds fouettés en haut, en bas, en reculant. Quand, d’une impulsion, elle lance une attaque retournée, j’avance brusquement en encaissant sa cuisse sur mon épaule.
Bien trop près pour son confort, elle essaie de reposer le pied au sol, mais j’balaye son seul appui avant tout en poussant sur son épaule. Elle tombe par terre, en amortissant le choc de son bras libre tout en lançant son genou dans ma direction. J’lâche un hoquet de douleur en me laissant tomber sur elle, coude en avant. Ça impacte son sternum et tout l’air de ses poumons jaillit avec un filet de bave assez peu séduisant.
J’ai une main sur sa carotide et l’autre son œil, puis j’roule sur le côté, en position assise. Elle préparait une attaque en ciseau, mais s’est interrompue en voyant que ça servait à rien.
« Pfiou, ça fait du bien, un peu d’exercice. »
Elle se redresse aussi, avec un grognement.
« Ca passe le temps. »
Son regard reste fixé au sol.
« C’est pas grave de perdre, t’sais.
- Hein ? Hum, oui, je pensais à autre chose. »
J’me relève puis j’lui tends la main pour l’aider à faire de même. On s’dirige vers nos affaires, dont on extirpe des serviettes histoire d’essuyer un peu la sueur avant un décrassage plus approfondi. Elle arrête pas de tourner les yeux vers la porte pendant qu’on discute. Finalement, on s’prépare à sortir.
Au moment où j’mets la main sur la poignée, elle s’ouvre de l’autre côté, et j’suis forcé de reculer d’un entrechat pour pas la prendre dans la gueule. J’vois Charme, Blondie et Funeste qui entrent à la file, la mine fermée et les épaules carrées. Ils referment derrière eux, et j’hausse un sourcil interrogateur.
« Salut, vous faites quoi ? S’passe un truc ?
- Peut-être bien, répond Charme. »
Mon regard va des trois lieutenants à Prudence, qui a un air vaguement soulagé sur le visage.
« S’passe un truc. »
Blondie s’accoude à la porte et croise les bras, et surveille du coin de l’œil. Funeste est un pas derrière Charme, les épaules trop détendues pour avoir l’air naturel, les mirettes fixées sur moi, l’expression aussi funeste que son surnom. Prudence jette furtivement le regard dans ma direction quand elle pointe pas au sol, accroupie pas loin.
Ca commence à sentir pas bon. J’comprends pourquoi Prudence avait l’air nerveuse, distraite, pendant l’entrainement. Plus agressive, doivent m’en vouloir pour un truc. J’repasse les jours proches, la mission de l’île Maléfique en revue. En rapport avec le coffre dérobé au Gouverneur ? Ils auraient voulu avoir leur part sans qu’on file tout aux sauvages ? Nan, pas leur genre. Quelque chose que j’ai pu dire ou faire… A part les commentaires désobligeants habituels, rien de bien choquant…
Funeste fait un pas en avant, mais Charme le retient en mettant son bras en travers, et prend une grande inspiration avant de fixer ses yeux noirs sur moi. J’me dérobe pas et j’lui renvoie son regard, l’expression ouverte et attentive.
« Angus, hein ? »
Le début fait un peu cryptique. J’manque pas de le faire savoir :
« Ouais, vous commencez à me connaître, nan ?
- On se pose la question. »
Léger silence.
« Comment ça ? »
Charme hésite encore. De manière surprenant, c’est Prudence qui prend la parole.
« On se demande si tu ne serais pas un agent du Cipher Pol. »
Il me faut qu’une fraction de seconde pour intégrer et tout replacer dans son contexte. Les regards fuyants, ce qui s’est passé tout à l’heure, la réunion des lieutenants ici alors qu’ils ont rien à y foutre… Le premier mécanisme de défense qui m’vient à l’esprit, c’est d’éclater de rire. C’est c’que j’fais, bruyamment. Un beau rire qui sonne pas du tout forcé. Celui pour lequel on est entrainé dans les bureaux.
« Sérieusement ? Hahaha… Ah. Merde. Sérieusement.
- Oui, reprend Charme, le regard dur. »
J’lève les paumes.
« Bon, j’suppose que si vous le pensez… J’pourrais vous casser la gueule mais j’crois que ça règlerait pas grand-chose, pas vrai ?
- Tu penses en être capable ? Demande Blondie.
- Y’a qu’un seul moyen de l’savoir, mais ça n’a pas d’importance. On va plutôt réfléchir et se demander pourquoi vous pensez ça.
- Au début, pas grand-chose. Le Rokushiki, c’est pas si choquant que ça.
- Nan, y’a pleins de Marines qui l’ont, ouais.
- Encore que peu l’utilisent de manière aussi poussée, mais c’est un détail.
- Reprocher à un type de savoir se battre, c’est moche.
- C’est clairement pas ça qu’on te reproche. »
J’soupire.
« Allons-y, alors, que j’lâche.
- Tu te souviens de la raison pour laquelle tu es dans la Vingtième ?
- Ouais, j’dois bien être celui qu’a le moins de chances d’oublier.
- Et c’est ? »
Ca pue le piège, mais j’ai pas tellement le choix.
« J’vous l’ai déjà dit, en plus. J’me suis embrouillé avec un connard à tifs roses dans Marie-Joie.
- Mais encore ?
- C’était un de ces Marines qui font carrière à signer des papelards. J’lui ai pété le nez. Tu veux en venir où ?
- Tu vois, Angus, j’ai eu une longue carrière, et même si une grande partie a eu lieu au sein de la Vingtième, ça ne m’a pas empêché de nouer des contacts avec d’autres divisions. Par exemple, la 346è Division Carter.
- J’sais pas où ça s’dirige, mais ça serait pas la division de nanas ?
- Si, que des gouines qui se lesbichent entre elles, commente Blondie en s’attirant un regard noir de Charme. Et je sais de quoi je parle, j’ai déjà bien tenté ma chance de ce côté-là. »
Quelques ricanements de bon goût plus tard, Charme se râcle la gorge.
« Toujours est-il que cette division a fait route vers Marie-Joie il y a quelques semaines, et que je leur avais demandé de vérifier quelque chose.
- J’ai eu le droit à une vérification de mes antécédents ? J’dois être privilégié.
- Pour être honnête, je fais ça pour tous les officiers et sous-officiers. »
Les autres lieutenants tournent brusquement la tête vers elle.
« Ne le prenez pas mal, on ne vit pas aussi longtemps que moi sans être prudente. »
On hoche la tête, moi compris.
« Et, si la présence d’un certain Angus semble avérée à Marie-Joie, pas moyen de trouver une trace d’un officier qui avait les cheveux roses. Même en épluchant les registres, le personnel qui était présent dans la capitale, et la base G-0, au moment approximatif des faits…
- Tu vas me faire croire qu’un officier de ta division a pu passer plusieurs jours dans les registres sans autorisation et sans souci ? Autant un coup d’œil en passant, j’veux bien, mais là… »
Une fois de plus, j’reçois un soutien surprenant de la part de Blondie :
« Ouais, je les connais, les suppôts de Trovahechnick, obsédés par les procédures. Aucune chance qu’ils laissent quelqu’un entrer comme ça chez eux. »
Charme fait la moue.
« Peut-être qu’elles ne sont pas toutes homosexuelles. »
On n’a pas le temps de dire un mot de plus qu’elle nous coupe d’un ton sec.
« Le sujet de la source est clos. Bref, tous ces éléments tendent à laisser penser que tu es un agent du Cipher Pol. »
J’ricane.
« C’est pleins de trous, votre truc. Me dites pas que vous êtes pas d’accord ?
- Comme ?
- Vous trouvez pas un type aux tifs roses donc ça y est, tout est inventé ? C’est pas un peu un raccourci, votre truc ?
- Rien n’indique la présence d’un individu aux cheveux roses dans la Marine à Marie-Joie à ce moment de l’année.
- Rien n’indique que le type s’est pas fait une teinture ou une autre connerie. »
Ils sont un peu silencieux.
« C’est pas faux, lâche Blondie.
- T’es dans quel camp ? Demande Prudence.
- Celui de la Marine, donc se sauter dessus entre nous, ça marchera pas forcément bien. Angus nous l’a jamais mise à l’envers jusqu’à présent, donc l’accuser…
- Ce n’est pas parce qu’il n’a encore rien fait que…
- Nous n’allons pas refaire ce débat, impose Charme. Nous avons voté pour éclaircir les choses, donc nous éclaircissons les choses.
- J’vois pas ce que vous allez éclaircir. Vous dites que j’suis CP, vous avez pas de preuves, alors on va pas aller très loin.
- Tu vois Charme ? Je t’avais dit qu’on n’avait pas assez d’éléments.
- Tu étais où il y a dix ans, Angus ? »
Celle-la est facile, j’connais ma fausse biographie par cœur.
« J’sortais de l’équivalent du BAN. C’est obligé de continuer ? J’ai l’impression qu’on perd tous notre temps. »
En vrai, j’ai une goutte de sueur froide métaphorique. Y’a dix piges, dans mes premières missions d’agent bas de gamme, j’ai bossé avec la Vingtième, certains éléments, tout du moins. Charme, déjà à l’époque, et Conway, un sergent de Blondie. J’ai beau avoir un physique ultra ordinaire, si l’un d’eux est foutu d’avoir une excellente mémoire… Nan, impossible. Malgré le regard songeur de la vieille baroudeuse.
« C’est vrai, on perd notre temps, fait Funeste. »
Tout le monde est surpris de l’entendre parler. Sa voix gratte un peu, mais elle porte largement assez. Il esquive Charme et fait un pas vers moi. Le pas suivant, il a un couteau de chasse dans la pogne.
« On la joue comme ça ? Que j’demande. »
J’fais un pas vers lui aussi, j’tiens un poignard de lancer par la lame dans la droite et un planteur dans la gauche.
Finie l’attitude faussement décontractée dans laquelle on s’cachait à peu près tous. Blondie s’éloigne du mur, porte à la main à sa ceinture, à son pistolet. Prudence se redresse doucement et j’relâche mes épaules. Funeste fait une autre enjambée, interrompue quand Charme l’attrape par le col et le tire en arrière.
« J’ai dit : non. »
Finie l’attitude de discussion, aussi. De sa poigne, elle lui tord le cou et le fixe droit dans les yeux pendant une bonne dizaine de secondes avant qu’il détourne le regard et range son coutelas. Ha, elle rigole pas.
« Je sais pertinemment que ça n’explique pas tout, Angus. Ça ne veut peut-être pas dire que j’ai raison, mais ça ne veut certainement pas non plus dire que j’ai tort. On te surveille de près, maintenant. »
Sur ces mots sympatiques, elle se dirige vers la sortie, suivie par Funeste. Blondie s’écarte pour les laisser passer et sort à leur suite. Prudence est la dernière à partir, après un ultime regard en arrière. Son expression est indéchiffrable.
Chiasserie.
Dernière édition par Alric Rinwald le Mar 2 Mai 2017 - 21:40, édité 1 fois