- J'me fais chier...
Et pas qu'un peu. Ça fait trois heures que je suis dans mon bureau et personne ne vient me voir. Pas un client, même pas une petite vieille à la vue basse, rien ! Après c'est pas comme si ça n'arrivait jamais. Je me retrouve des fois à attendre pour rien toute la journée. Mais bon sang que c'est désagréable ! J'ai même pris la peine de bien nettoyer pour une fois !
Je me retrouve à lire la gazette du jour, fournie par les fouineurs locaux. Des petits jeunots qui n'ont rien d'autre à foutre que de fourrer leur nez un peu partout sur Rokade pour y dénicher toutes les merdes possibles, histoire de salir la réputation déjà pas mirobolante de certains conn... Hé ! Mais je le connais celui-là : Vlad Urab, un gros enfoiré, au sens littéral, originaire du royaume de Drum. Il fout quoi sur l'île ? Ah... Apparemment, il vient vendre son nouveau vaccin contre l'excès. Faudrait qu'il pense à le tester sur lui tiens, ça lui éviterait de se resservir de la crème à chaque bouchée. Un escroc que tout le monde connaît déjà ici.
Je soupire et finit par reposer le journal sur la table. Les pieds croisés à côté de ma lampe à huile, je regarde le plafond d'un air las. La dernière demande que j'ai eu était celle d'un collectionneur d'os de phalanges d'orteils... Si, je vous le jure. Sur la tête de ma m... de qui vous voulez. Il tenait à ce que je lui rapporte les orteils d'une jeune femme qu'il avait rencontrée au bord de l'eau. Une petite beauté d'ailleurs, après vérification. Dommage qu'il ait fallu la tuer : ses cris et ses griffes m'empêchaient de faire le boulot convenablement. Bon, évidemment j'ai fait la gueule lorsque mon client est venu régler, mais lui s'est contenté de me déblatérer ses sornettes sur la rareté du pied carré de nos jours... Qu'est-ce qu'on en a à foutre ?
Il y a vraiment des malades, je vous le dis !
Toc. Toc. Toc.
On frappe à la porte. Je regarde celle-ci d'un air étonné puis dis :
- Entrez !
Une guenon rentre. Genre la cinquantaine, un chignon simple avec quelques cheveux gris, des yeux mi-clos scrutateurs et la lèvre inférieure épaisse, lui donnant presque l'air de faire la moue. Elle porte un manteau brun et des chaussures bleus : une faute. Avec des talons : double-faute. C'est moche et c'est pas pratique sur les routes pavées ou rocailleuses de la ville.
Elle se colle devant mon bureau et se penche vers moi :
- Vous êtes bien Dorian, le mercenaire ?
Triple-faute.
- Auto-entrepreneur.
- Je vous demande pardon ?
- Je ne suis pas vraiment mercenaire, je suis auto-entrepreneur. Je ne fais pas que jouer les gros bras, j'aide aussi la veuve et l'orphelin, j'arrange les désaccords commerciaux, j'espionne, j'informe et je fais la cuisine.
- On vous achète quand on a un besoin particulier, en somme.
- Tout à fait.
- Un gigolo, donc...
Connasse.
Mais c'est le seul client venu et je ne peux pas faire le difficile si je ne veux pas réduire encore mon salaire mensuel. Donc :
- Tout dépend des points de vue... Que puis-je faire pour vous, madame...
- Parks. Je viens vous voir pour vous embaucher en tant que responsable de la sécurité, la journée de vendredi, c'est possible ?
- Attendez, je vérifie mon agenda.
Et je fais semblant de lire un papier griffonné dans le premier tiroir. Que voulez-vous, il faut savoir vendre son image : si elle croit que je suis quelqu'un de très demandé, elle aura davantage confiance et parlera peut-être de moi à son entourage, ou elle refera appel à mes services. Je pourrai même la faire payer plus cher que ce à quoi elle s'attendait !
- Vous avez de la chance, je n'ai rien ce jour-là ! Alors racontez-moi tout : quelles horaires ? Que ou qui faut-il protéger ? Quelles circonstances ?
- C'est très simple. J'ai récemment fait l'acquisition d'une pièce d'art importante : la sculpture emblématique du célèbre Jan Permémo, le Vautour de Rhétalia !
- …
- …
- Mouais et donc ?
- Donc ! Je compte le faire vendre par un commissaire priseur lors d'une vente aux enchères samedi. Hors l’œuvre m'est apportée par mes excavateurs vendredi, par bateau. Ce qui signifie que pendant une journée entière, elle sera probablement sujette à des tentatives de vol.
- Et qu'est-ce qui vous fait croire ça ?
- Nous sommes sur Rokade, monsieur Dorian. Non seulement les gens sont au courant pour la vente aux enchères, mais en plus cette pièce-là sera attendue, étant donné qu'il s'agit de la mieux estimée en terme de valeur brute. Croyez bien que les amateurs d'art se feront une joie de l'acquérir par tous les moyens envisageables. On est jamais trop prudent. Enfin ! Je ne suis pas là pour vous apprendre votre métier, n'est-ce pas ?
Le ton est clairement dédaigneux. Le travail n'a même pas encore commencé qu'elle me gave déjà, la miss Parks. Je sers les dents pour mieux encaisser et je réponds :
- Très bien, j'accepte le boulot. Dîtes-moi où me rendre et je verrai pour les détails vendredi matin.
- Vous acceptez ? Mais évidemment que vous acceptez, puisque je vous fait la demande ! Je suis votre cliente, je...
- Alors permettez-moi d'utiliser vos propos, madame Parks : on est sur Rokade. Ici, personne ne demande de l'aide. Soit on ordonne, soit on se débrouille. Le client n'est pas roi, il est endetté. Et d'ailleurs : à combien s'élève la valeur de la sculpture ?
- Dix millions, mais...
- Pour ce travail, vous me devrez sept millions.
- SEPT ?! C'est absolument hors de...
- Votre Vautour de je-ne-sais-où va être vendu à une vente aux enchères. Si le prix de base est de dix millions, alors il y a de fortes chances pour que, je vous cite encore, les amateurs d'art se l'arrachent en offrant des sommes exorbitantes. Je ne doute pas une seconde qu'il sera vendu le double. Donc je ne vois pas en quoi cela dérange, surtout si je me retrouve à protéger quelque chose d'aussi précieux contre une bande de brigands. Et j'imagine que vous vous êtes un peu renseignée avant de venir me voir, sinon vous auriez simplement pris des mercenaires quelconques, payés misérablement, pour effrayer les petites frappes de par le nombre. Je suis votre meilleur parti sur cette île et vous le savez. Si vous n'êtes pas contente, vous pouvez toujours aller voir ailleurs, je ne vous en empêcherai pas. Mais il n'est pas dit que je n'agirai pas contre vous par la suite.
- Vous... Vous me menacez ?
- Non, je vous donne un conseil. N'accordez pas votre confiance à n'importe qui. Alors ? Nous faisons affaire ?
Je souris d'un air mauvais, toutes dents dehors, la main tendue. Madame Parks me regarde d'un air scandalisé, comme si je l'avais frappée. Puis à la manière d'une femme indécise, pour enfin baisser la tête, résignée. Elle attrape ma main :
- Nous faisons affaire.
Et pas qu'un peu. Ça fait trois heures que je suis dans mon bureau et personne ne vient me voir. Pas un client, même pas une petite vieille à la vue basse, rien ! Après c'est pas comme si ça n'arrivait jamais. Je me retrouve des fois à attendre pour rien toute la journée. Mais bon sang que c'est désagréable ! J'ai même pris la peine de bien nettoyer pour une fois !
Je me retrouve à lire la gazette du jour, fournie par les fouineurs locaux. Des petits jeunots qui n'ont rien d'autre à foutre que de fourrer leur nez un peu partout sur Rokade pour y dénicher toutes les merdes possibles, histoire de salir la réputation déjà pas mirobolante de certains conn... Hé ! Mais je le connais celui-là : Vlad Urab, un gros enfoiré, au sens littéral, originaire du royaume de Drum. Il fout quoi sur l'île ? Ah... Apparemment, il vient vendre son nouveau vaccin contre l'excès. Faudrait qu'il pense à le tester sur lui tiens, ça lui éviterait de se resservir de la crème à chaque bouchée. Un escroc que tout le monde connaît déjà ici.
Je soupire et finit par reposer le journal sur la table. Les pieds croisés à côté de ma lampe à huile, je regarde le plafond d'un air las. La dernière demande que j'ai eu était celle d'un collectionneur d'os de phalanges d'orteils... Si, je vous le jure. Sur la tête de ma m... de qui vous voulez. Il tenait à ce que je lui rapporte les orteils d'une jeune femme qu'il avait rencontrée au bord de l'eau. Une petite beauté d'ailleurs, après vérification. Dommage qu'il ait fallu la tuer : ses cris et ses griffes m'empêchaient de faire le boulot convenablement. Bon, évidemment j'ai fait la gueule lorsque mon client est venu régler, mais lui s'est contenté de me déblatérer ses sornettes sur la rareté du pied carré de nos jours... Qu'est-ce qu'on en a à foutre ?
Il y a vraiment des malades, je vous le dis !
Toc. Toc. Toc.
On frappe à la porte. Je regarde celle-ci d'un air étonné puis dis :
- Entrez !
Une guenon rentre. Genre la cinquantaine, un chignon simple avec quelques cheveux gris, des yeux mi-clos scrutateurs et la lèvre inférieure épaisse, lui donnant presque l'air de faire la moue. Elle porte un manteau brun et des chaussures bleus : une faute. Avec des talons : double-faute. C'est moche et c'est pas pratique sur les routes pavées ou rocailleuses de la ville.
Elle se colle devant mon bureau et se penche vers moi :
- Vous êtes bien Dorian, le mercenaire ?
Triple-faute.
- Auto-entrepreneur.
- Je vous demande pardon ?
- Je ne suis pas vraiment mercenaire, je suis auto-entrepreneur. Je ne fais pas que jouer les gros bras, j'aide aussi la veuve et l'orphelin, j'arrange les désaccords commerciaux, j'espionne, j'informe et je fais la cuisine.
- On vous achète quand on a un besoin particulier, en somme.
- Tout à fait.
- Un gigolo, donc...
Connasse.
Mais c'est le seul client venu et je ne peux pas faire le difficile si je ne veux pas réduire encore mon salaire mensuel. Donc :
- Tout dépend des points de vue... Que puis-je faire pour vous, madame...
- Parks. Je viens vous voir pour vous embaucher en tant que responsable de la sécurité, la journée de vendredi, c'est possible ?
- Attendez, je vérifie mon agenda.
Et je fais semblant de lire un papier griffonné dans le premier tiroir. Que voulez-vous, il faut savoir vendre son image : si elle croit que je suis quelqu'un de très demandé, elle aura davantage confiance et parlera peut-être de moi à son entourage, ou elle refera appel à mes services. Je pourrai même la faire payer plus cher que ce à quoi elle s'attendait !
- Vous avez de la chance, je n'ai rien ce jour-là ! Alors racontez-moi tout : quelles horaires ? Que ou qui faut-il protéger ? Quelles circonstances ?
- C'est très simple. J'ai récemment fait l'acquisition d'une pièce d'art importante : la sculpture emblématique du célèbre Jan Permémo, le Vautour de Rhétalia !
- …
- …
- Mouais et donc ?
- Donc ! Je compte le faire vendre par un commissaire priseur lors d'une vente aux enchères samedi. Hors l’œuvre m'est apportée par mes excavateurs vendredi, par bateau. Ce qui signifie que pendant une journée entière, elle sera probablement sujette à des tentatives de vol.
- Et qu'est-ce qui vous fait croire ça ?
- Nous sommes sur Rokade, monsieur Dorian. Non seulement les gens sont au courant pour la vente aux enchères, mais en plus cette pièce-là sera attendue, étant donné qu'il s'agit de la mieux estimée en terme de valeur brute. Croyez bien que les amateurs d'art se feront une joie de l'acquérir par tous les moyens envisageables. On est jamais trop prudent. Enfin ! Je ne suis pas là pour vous apprendre votre métier, n'est-ce pas ?
Le ton est clairement dédaigneux. Le travail n'a même pas encore commencé qu'elle me gave déjà, la miss Parks. Je sers les dents pour mieux encaisser et je réponds :
- Très bien, j'accepte le boulot. Dîtes-moi où me rendre et je verrai pour les détails vendredi matin.
- Vous acceptez ? Mais évidemment que vous acceptez, puisque je vous fait la demande ! Je suis votre cliente, je...
- Alors permettez-moi d'utiliser vos propos, madame Parks : on est sur Rokade. Ici, personne ne demande de l'aide. Soit on ordonne, soit on se débrouille. Le client n'est pas roi, il est endetté. Et d'ailleurs : à combien s'élève la valeur de la sculpture ?
- Dix millions, mais...
- Pour ce travail, vous me devrez sept millions.
- SEPT ?! C'est absolument hors de...
- Votre Vautour de je-ne-sais-où va être vendu à une vente aux enchères. Si le prix de base est de dix millions, alors il y a de fortes chances pour que, je vous cite encore, les amateurs d'art se l'arrachent en offrant des sommes exorbitantes. Je ne doute pas une seconde qu'il sera vendu le double. Donc je ne vois pas en quoi cela dérange, surtout si je me retrouve à protéger quelque chose d'aussi précieux contre une bande de brigands. Et j'imagine que vous vous êtes un peu renseignée avant de venir me voir, sinon vous auriez simplement pris des mercenaires quelconques, payés misérablement, pour effrayer les petites frappes de par le nombre. Je suis votre meilleur parti sur cette île et vous le savez. Si vous n'êtes pas contente, vous pouvez toujours aller voir ailleurs, je ne vous en empêcherai pas. Mais il n'est pas dit que je n'agirai pas contre vous par la suite.
- Vous... Vous me menacez ?
- Non, je vous donne un conseil. N'accordez pas votre confiance à n'importe qui. Alors ? Nous faisons affaire ?
Je souris d'un air mauvais, toutes dents dehors, la main tendue. Madame Parks me regarde d'un air scandalisé, comme si je l'avais frappée. Puis à la manière d'une femme indécise, pour enfin baisser la tête, résignée. Elle attrape ma main :
- Nous faisons affaire.