- Eh ben ! C'est un joli tas d'merde, ça !
Quelques jours auparavant, j'avais accepté la requête d'un type qui se fait appeler "le Brocanteur". Un cinquantenaire pas très net avec une fine moustache et un costume horrible et délavé. Celui-ci voulait que je me procure pour lui des pièces importantes d'un navire coulé il y a quelques temps : le "Floating Bull". D'après lui, il s'agirait d'un mastodonte conçu à partir d'un bois prisé sur GrandLine, de par sa solidité. Rien à voir avec le bois d'Adam, évidemment, mais suffisamment souple et résistant pour faire du bateau un superbe bolide maritime. Et pourtant, malgré sa vitesse, il fut coulé après seulement trois mois de navigation. Pourquoi ? Parce que le bestiau était aussi gros qu'un galion, avec des voiles immenses pour coupler à sa remarquable flottaison. D'après mon client, un boulet aurait brisé net l'un des mâts, entraînant la chute de plusieurs cordages et la perte de la voile principale, et les vents bien que favorables n'avaient plus suffisamment d'emprise sur l'entièreté de la chose pour le pousser et le sortir du pétrin. Deux vaisseaux pirates l'ont rattrapé pour l'achever.
Et donc, me voilà sur le Cimetière d’Épaves. Lieu d'arrivée de tous les bouts de bois qui voguaient sur les Blues avant de connaître un sort funèbre. Au premier coup d'oeil, on se rend compte de l'anarchie totale qui règne ici. Des amas plus ou moins chaotiques de coques, de mâts, de cordes, de chaînes et de pontons forment une île. Le paysage est presque triste, tant il est ravagé, mais au loin, depuis le Sud-Est, on peut voir un semblant de vie : quelques lumières, quelques cabines arrachées à leurs propriétaires et agencées avec un minimum de soin, du bruit aussi... Lyon-sur-Loques nous fait face. Du moins c'est ce que me permettent de croire les bateaux penchés et collés les uns aux autres à la manière d'un mur protecteur, au devant.
Je me tourne vers les hommes du Brocanteur : une cinquantaine d'individus venus là pour m'aider à dépouiller le "Floating Bull" de la plupart des composants intéressants dont il dispose. Le cinquantenaire est là lui aussi, assis tranquillement sur une chaise, nous observant depuis le pont de son propre navire. Avec ces hommes à disposition, je me demande pourquoi il m'a embauché. Qu'est-ce qu'une paire de bras supplémentaires va bien pouvoir changer ?
La réponse, je l'ai eue peu de temps après que nous ayons débarqué et commencé à chercher notre épave. Sa position a été soigneusement étudiée par l'un des hommes du Brocanteur, un expert en flux et courants marins.
Parce que le tas de merde, ce n'est pas cette île. Ce n'est pas non plus Lyon-sur-Loques. Ce ne sont pas mon employeur et son équipage non plus. Le tas de merde, c'est le ramassis d'ordures qui est arrivé sur la zone potentielle d'arrivée avant nous, farfouillant et triturant les déchets à la manière de rats d'égouts en quête de restes à se mettre sous la dent. L'un d'eux rameute sa bande en pointant du doigt la poupe d'un colosse gisant sur les abords du Cimetière. Je plisse les yeux et parvient à déchiffrer le nom inscrit dessus. C'est notre bateau.
Les rats sont une petite vingtaine. Je m'approche donc d'eux, confiant. Je fais tout de même attention à ne pas trébucher sur le sol, vieux survivant de la réserve d'un navire marchand, très certainement. Certains me remarquent et se figent en voyant les autres derrière moi. Je m'arrête à quelques mètres du premier et clame haut et fort :
- Messieurs, jeunots, crevures et raclures de toute sorte, bonjour ! Je viens vous informer que vous êtes ici sur le territoire que nous revendiquons aujourd'hui et maintenant, afin d'y effectuer un travail de récupération de la plus haute importance ! Venant d'arriver et n'ayant pas que ça à foutre, nous espérons que vous comprendrez qu'il vous faut quitter les lieux dès à présent, afin d'éviter toute remontrance de notre part.
- J'rêve pas ou il nous a bien traité d'crevures ?!
- Ne nous arrêtons pas sur ce genre de détail sans importance et réfléchissons calmement à la situation, en temps qu'hommes d'un minimum d'intelligence : ne serait-ce pas judicieux pour vous, inférieurs en nombre, de faire preuve de bon sens et de partir sans trop de cérémonie ? Il serait fâcheux pour nous de devoir gaspiller de la poudre et des balles pour quelques grattes-poubelle.
- L'enfoiré...
- Alors ? Qu'en pensez-vous ?
Les autres se sont rapprochés de moi. Ensemble, nous les intimidons, mais c'est mon regard et mon sourire à la fois moqueur et carnassier qui les empêche de prendre une décision.
Finalement, ils finissent par reculer, puis par se retourner, puis par s'en aller. L'un d'eux tourne la tête et me toise. Dans ses yeux, je sens une pointe de colère. Il me défie presque dans sa fuite. La situation est cocasse mais je me doute bien du message qu'il cherche à me transmettre : ils n'en resteront pas là.
- Pourquoi les avoir provoqué de la sorte ?
Le Brocanteur s'est décidé à nous rejoindre. Il se place à côté de moi :
- Parce que le Cimetière d’Épaves n'est pas différend de Rokade. Ici, c'est manger ou être mangé. Il n'y a pas loi, pas de police, pas de propriété, pas de sécurité... il faut s'imposer d'emblée et faire courber l'échine à son prochain dès le premier accrochage.
- Mais il n'y a même pas eu d'accro...
- Ce que j'veux dire, c'est que tous les habitants du Cimetière sont des brigands et des pirates. On ne discute pas avec eux, on les soumet ou on les affronte. Et mieux vaut pour nous que ce soit la première option.
- Et... Si on en arrive à la deuxième ?
Je fixe longuement mon employeur. Celui-ci n'exprime pas vraiment de peur. Plutôt une forme de curiosité innocente. Pas du tout en accord avec le ton qu'il a utilisé. Je souris :
- Eh bien je suppose que c'est pour cela que vous m'avez embauché, je me trompe ?
Quelques jours auparavant, j'avais accepté la requête d'un type qui se fait appeler "le Brocanteur". Un cinquantenaire pas très net avec une fine moustache et un costume horrible et délavé. Celui-ci voulait que je me procure pour lui des pièces importantes d'un navire coulé il y a quelques temps : le "Floating Bull". D'après lui, il s'agirait d'un mastodonte conçu à partir d'un bois prisé sur GrandLine, de par sa solidité. Rien à voir avec le bois d'Adam, évidemment, mais suffisamment souple et résistant pour faire du bateau un superbe bolide maritime. Et pourtant, malgré sa vitesse, il fut coulé après seulement trois mois de navigation. Pourquoi ? Parce que le bestiau était aussi gros qu'un galion, avec des voiles immenses pour coupler à sa remarquable flottaison. D'après mon client, un boulet aurait brisé net l'un des mâts, entraînant la chute de plusieurs cordages et la perte de la voile principale, et les vents bien que favorables n'avaient plus suffisamment d'emprise sur l'entièreté de la chose pour le pousser et le sortir du pétrin. Deux vaisseaux pirates l'ont rattrapé pour l'achever.
Et donc, me voilà sur le Cimetière d’Épaves. Lieu d'arrivée de tous les bouts de bois qui voguaient sur les Blues avant de connaître un sort funèbre. Au premier coup d'oeil, on se rend compte de l'anarchie totale qui règne ici. Des amas plus ou moins chaotiques de coques, de mâts, de cordes, de chaînes et de pontons forment une île. Le paysage est presque triste, tant il est ravagé, mais au loin, depuis le Sud-Est, on peut voir un semblant de vie : quelques lumières, quelques cabines arrachées à leurs propriétaires et agencées avec un minimum de soin, du bruit aussi... Lyon-sur-Loques nous fait face. Du moins c'est ce que me permettent de croire les bateaux penchés et collés les uns aux autres à la manière d'un mur protecteur, au devant.
Je me tourne vers les hommes du Brocanteur : une cinquantaine d'individus venus là pour m'aider à dépouiller le "Floating Bull" de la plupart des composants intéressants dont il dispose. Le cinquantenaire est là lui aussi, assis tranquillement sur une chaise, nous observant depuis le pont de son propre navire. Avec ces hommes à disposition, je me demande pourquoi il m'a embauché. Qu'est-ce qu'une paire de bras supplémentaires va bien pouvoir changer ?
La réponse, je l'ai eue peu de temps après que nous ayons débarqué et commencé à chercher notre épave. Sa position a été soigneusement étudiée par l'un des hommes du Brocanteur, un expert en flux et courants marins.
Parce que le tas de merde, ce n'est pas cette île. Ce n'est pas non plus Lyon-sur-Loques. Ce ne sont pas mon employeur et son équipage non plus. Le tas de merde, c'est le ramassis d'ordures qui est arrivé sur la zone potentielle d'arrivée avant nous, farfouillant et triturant les déchets à la manière de rats d'égouts en quête de restes à se mettre sous la dent. L'un d'eux rameute sa bande en pointant du doigt la poupe d'un colosse gisant sur les abords du Cimetière. Je plisse les yeux et parvient à déchiffrer le nom inscrit dessus. C'est notre bateau.
Les rats sont une petite vingtaine. Je m'approche donc d'eux, confiant. Je fais tout de même attention à ne pas trébucher sur le sol, vieux survivant de la réserve d'un navire marchand, très certainement. Certains me remarquent et se figent en voyant les autres derrière moi. Je m'arrête à quelques mètres du premier et clame haut et fort :
- Messieurs, jeunots, crevures et raclures de toute sorte, bonjour ! Je viens vous informer que vous êtes ici sur le territoire que nous revendiquons aujourd'hui et maintenant, afin d'y effectuer un travail de récupération de la plus haute importance ! Venant d'arriver et n'ayant pas que ça à foutre, nous espérons que vous comprendrez qu'il vous faut quitter les lieux dès à présent, afin d'éviter toute remontrance de notre part.
- J'rêve pas ou il nous a bien traité d'crevures ?!
- Ne nous arrêtons pas sur ce genre de détail sans importance et réfléchissons calmement à la situation, en temps qu'hommes d'un minimum d'intelligence : ne serait-ce pas judicieux pour vous, inférieurs en nombre, de faire preuve de bon sens et de partir sans trop de cérémonie ? Il serait fâcheux pour nous de devoir gaspiller de la poudre et des balles pour quelques grattes-poubelle.
- L'enfoiré...
- Alors ? Qu'en pensez-vous ?
Les autres se sont rapprochés de moi. Ensemble, nous les intimidons, mais c'est mon regard et mon sourire à la fois moqueur et carnassier qui les empêche de prendre une décision.
Finalement, ils finissent par reculer, puis par se retourner, puis par s'en aller. L'un d'eux tourne la tête et me toise. Dans ses yeux, je sens une pointe de colère. Il me défie presque dans sa fuite. La situation est cocasse mais je me doute bien du message qu'il cherche à me transmettre : ils n'en resteront pas là.
- Pourquoi les avoir provoqué de la sorte ?
Le Brocanteur s'est décidé à nous rejoindre. Il se place à côté de moi :
- Parce que le Cimetière d’Épaves n'est pas différend de Rokade. Ici, c'est manger ou être mangé. Il n'y a pas loi, pas de police, pas de propriété, pas de sécurité... il faut s'imposer d'emblée et faire courber l'échine à son prochain dès le premier accrochage.
- Mais il n'y a même pas eu d'accro...
- Ce que j'veux dire, c'est que tous les habitants du Cimetière sont des brigands et des pirates. On ne discute pas avec eux, on les soumet ou on les affronte. Et mieux vaut pour nous que ce soit la première option.
- Et... Si on en arrive à la deuxième ?
Je fixe longuement mon employeur. Celui-ci n'exprime pas vraiment de peur. Plutôt une forme de curiosité innocente. Pas du tout en accord avec le ton qu'il a utilisé. Je souris :
- Eh bien je suppose que c'est pour cela que vous m'avez embauché, je me trompe ?