Depuis un bon moment, il y a ce petit rêve que j'entretiens dans mon esprit. Ce désir brûlant, pourtant si simple, mais dont la seule pensée me réchauffe le coeur. Chaque fois que je ferme les yeux, j'entretiens l'espoir de voir ma mère en les rouvrant. Je veux voir son visage d'ange, traversé par une pointe d'inquiétude, qui me dit: «Tout va bien Atoum, ce n'est qu'un rêve, on est avec toi maintenant.»
Et pourtant, à chaque fois, lorsque mes paupières se relèvent pour m'offrir une vue sur le monde, je suis parcouru d'un éclair de déception. Comme en ce moment, où en lieu et place de ma mère, je suis fixé par un miséreux hirsute avec moins de dents de dans la gueule que de doigts à sa main. Enfin, je suppose que mon aspect n'est pas vraiment plus enchanteur. La seule vraie différence entre lui et moi, c'est qu'il peut se permettre le luxe d'avoir une barbe.
L'homme me regarde avec étonnement. Il devait être loin de se douter que cette masse de papier-cul renfermait en fait un être humain, le pauvre.
«Hé, boss, c'lui-là y'est toujours vivant!»
En relevant la tête, je réalise que mon gaillard est loin d'être seul. Tout autour de nous, des bougres à la physionomie similaire s'appliquent à récupérer ce qui reste du Cirque de l'Anormal. Pauvre navire. Quand je pense qu'après la mutinerie, il n'a même pas fallu deux heures à moi et aux autres membres de l'équipage pour perdre le contrôle et se retrouver ici.
Mon regard finit par s'attarder sur le boss en question. Et le moins que je puisse dire, c'est que pour un clochard, il ne manque pas de fantaisie. Sa barbe tressée et foncée est ornée de coquillages multicolores, tandis qu'il tente de couvrir sa calvitie naissante par une large perruque dont le blond platine contraste très fortement avec le reste de sa pilosité. J'imagine qu'il l'a récupéré sur une autre épave.
Lorsqu'il s'approche de moi, je remarque que l'étrange cape qu'il porte est en fait un Jolly Roger. J'imagine qu'une telle décoration pourrait s'avérer menaçante si elle était mieux entretenue. De nombreuses taches d'huiles et de crasse semblent s'être donné la mission de jaunir autant que possible le motif crânien, et elles s'en sortent très très bien.
Le patron sans nom, cherchant à faire bonne impression, décide de me tirer par les cheveux pour me relever. Ou plutôt, j'imagine que c'est ce qu'il souhaitait faire, vu la mine déconfite qu'il tire en voyant que mes cheveux ont préféré m'abandonner plutôt que de me livrer à lui. Braves capillaires, je ne vous oublierai jamais.
Avec dégoût, il secoue sa main pour se débarrasser de la touffe qu'il m'a arrachée, puis se décide enfin à prendre la parole. Lorsqu'il ouvre la bouche, une horde de mouches se précipite vers celle-ci, sans doute attirée par l'odeur affriolante qu'elle dégage. Je crois même qu'il vient d'en avaler une.
«T'pas en veine, fiston. T'viens d'tomber s'la bande d'pillards la plus ancienne de c't'île, les Vautours d'Clotaire.»
J'éructe un bon moment, histoire de purger mes poumons de toutes les cochonneries que j'ai avalées lors du naufrage, puis je prends la parole à mon tour. L'avantage quand je m'adresse à un homme mondain comme lui, c'est que je n'ai pas à m'efforcer d'avoir une prononciation correcte.
«J'présume qu'c'est toi, l'Clotaire?»
«Clotaire IVème du nom, fils de Clotaire, fils de Clotaire, fils de Clotaire. Actuel chef d'Vautours d'Clotaire. L'type qui t'a vu à ton réveil t't'à l'heure, c'mon fiston...»
«Clotaire?»
Le vieux pillard me fixe avec de grands yeux, comme si j'étais le plus grand des devins. Il cherche ses mots un petit moment, sous l'effet de la surprise, puis reprend la conversation.
«Écoute, j'désolé t'apprendre ça, gamin, mais t'es l'seul survivant d'ton naufrage. T'nous prends un peu au dépourvu, 'vec ton réveil. J'sais pas c'qu'on va faire d'toi.»
Je décide de tenter ma chance en lui balançant un: «M'emmener voir un médecin?»
Clotaire pouffe de rire. Son fils et le reste de sa bande, en le voyant ainsi s'esclaffer, décident de faire de même. Si le patron rit, c'est qu'il y a sûrement quelque chose de marrant. Pour ma part, j'étais assez peu amusé de la réaction.
«Un doc'? T'prends pour qui? Moi et mes larrons, on a pas d'quoi t'payer une visite au toubib. Et puis si ça s'trouve, sur c't'île, tu risque plutôt d'te faire vol...»
Il laissa sa phrase en suspens, les yeux ronds, soudainement frappé d'une révélation. Un sourire se dessine sur son visage. Je remarque même qu'il se met instinctivement à se frotter les mains. Lorsqu'il reprend la parole, c'est d'un ton exagérément poli, qui contraste fortement avec le personnage.
«Un médecin? Mais bien sûûûûûr! Mes garçons et moi, on va s'faire un plaisiiiir d't'emmener voir l'médecin!»
«Mais patron...» s'opposa Clotaire Junior.
«Shhh! Faites c'que j'dis. Allez, aidez l'pauvre type à s'relever, on va lui montrer toute la gentille dont l'vautours d'Clotaire peuvent faire part.»
Je ne suis peut-être pas le mec le plus perspicace de South Blue, mais il y a quelque chose de pas naturel du tout dans ce changement d'attitude. Je ferais mieux de me méfier de ces types. Mais bon, j'imagine que je n'ai pas grand-chose à perdre. Je laisse donc deux vautours me relever, et je les laisse me guider vers mon salut potentiel.
Et pourtant, à chaque fois, lorsque mes paupières se relèvent pour m'offrir une vue sur le monde, je suis parcouru d'un éclair de déception. Comme en ce moment, où en lieu et place de ma mère, je suis fixé par un miséreux hirsute avec moins de dents de dans la gueule que de doigts à sa main. Enfin, je suppose que mon aspect n'est pas vraiment plus enchanteur. La seule vraie différence entre lui et moi, c'est qu'il peut se permettre le luxe d'avoir une barbe.
L'homme me regarde avec étonnement. Il devait être loin de se douter que cette masse de papier-cul renfermait en fait un être humain, le pauvre.
«Hé, boss, c'lui-là y'est toujours vivant!»
En relevant la tête, je réalise que mon gaillard est loin d'être seul. Tout autour de nous, des bougres à la physionomie similaire s'appliquent à récupérer ce qui reste du Cirque de l'Anormal. Pauvre navire. Quand je pense qu'après la mutinerie, il n'a même pas fallu deux heures à moi et aux autres membres de l'équipage pour perdre le contrôle et se retrouver ici.
Mon regard finit par s'attarder sur le boss en question. Et le moins que je puisse dire, c'est que pour un clochard, il ne manque pas de fantaisie. Sa barbe tressée et foncée est ornée de coquillages multicolores, tandis qu'il tente de couvrir sa calvitie naissante par une large perruque dont le blond platine contraste très fortement avec le reste de sa pilosité. J'imagine qu'il l'a récupéré sur une autre épave.
Lorsqu'il s'approche de moi, je remarque que l'étrange cape qu'il porte est en fait un Jolly Roger. J'imagine qu'une telle décoration pourrait s'avérer menaçante si elle était mieux entretenue. De nombreuses taches d'huiles et de crasse semblent s'être donné la mission de jaunir autant que possible le motif crânien, et elles s'en sortent très très bien.
Le patron sans nom, cherchant à faire bonne impression, décide de me tirer par les cheveux pour me relever. Ou plutôt, j'imagine que c'est ce qu'il souhaitait faire, vu la mine déconfite qu'il tire en voyant que mes cheveux ont préféré m'abandonner plutôt que de me livrer à lui. Braves capillaires, je ne vous oublierai jamais.
Avec dégoût, il secoue sa main pour se débarrasser de la touffe qu'il m'a arrachée, puis se décide enfin à prendre la parole. Lorsqu'il ouvre la bouche, une horde de mouches se précipite vers celle-ci, sans doute attirée par l'odeur affriolante qu'elle dégage. Je crois même qu'il vient d'en avaler une.
«T'pas en veine, fiston. T'viens d'tomber s'la bande d'pillards la plus ancienne de c't'île, les Vautours d'Clotaire.»
J'éructe un bon moment, histoire de purger mes poumons de toutes les cochonneries que j'ai avalées lors du naufrage, puis je prends la parole à mon tour. L'avantage quand je m'adresse à un homme mondain comme lui, c'est que je n'ai pas à m'efforcer d'avoir une prononciation correcte.
«J'présume qu'c'est toi, l'Clotaire?»
«Clotaire IVème du nom, fils de Clotaire, fils de Clotaire, fils de Clotaire. Actuel chef d'Vautours d'Clotaire. L'type qui t'a vu à ton réveil t't'à l'heure, c'mon fiston...»
«Clotaire?»
Le vieux pillard me fixe avec de grands yeux, comme si j'étais le plus grand des devins. Il cherche ses mots un petit moment, sous l'effet de la surprise, puis reprend la conversation.
«Écoute, j'désolé t'apprendre ça, gamin, mais t'es l'seul survivant d'ton naufrage. T'nous prends un peu au dépourvu, 'vec ton réveil. J'sais pas c'qu'on va faire d'toi.»
Je décide de tenter ma chance en lui balançant un: «M'emmener voir un médecin?»
Clotaire pouffe de rire. Son fils et le reste de sa bande, en le voyant ainsi s'esclaffer, décident de faire de même. Si le patron rit, c'est qu'il y a sûrement quelque chose de marrant. Pour ma part, j'étais assez peu amusé de la réaction.
«Un doc'? T'prends pour qui? Moi et mes larrons, on a pas d'quoi t'payer une visite au toubib. Et puis si ça s'trouve, sur c't'île, tu risque plutôt d'te faire vol...»
Il laissa sa phrase en suspens, les yeux ronds, soudainement frappé d'une révélation. Un sourire se dessine sur son visage. Je remarque même qu'il se met instinctivement à se frotter les mains. Lorsqu'il reprend la parole, c'est d'un ton exagérément poli, qui contraste fortement avec le personnage.
«Un médecin? Mais bien sûûûûûr! Mes garçons et moi, on va s'faire un plaisiiiir d't'emmener voir l'médecin!»
«Mais patron...» s'opposa Clotaire Junior.
«Shhh! Faites c'que j'dis. Allez, aidez l'pauvre type à s'relever, on va lui montrer toute la gentille dont l'vautours d'Clotaire peuvent faire part.»
Je ne suis peut-être pas le mec le plus perspicace de South Blue, mais il y a quelque chose de pas naturel du tout dans ce changement d'attitude. Je ferais mieux de me méfier de ces types. Mais bon, j'imagine que je n'ai pas grand-chose à perdre. Je laisse donc deux vautours me relever, et je les laisse me guider vers mon salut potentiel.
Dernière édition par Atoum le Jeu 15 Juin 2017, 04:46, édité 1 fois