Moïra observait les alentours depuis le pont du bateau. La pluie battait fort et elle devait plisser les yeux pour apercevoir le contour brumeux de l’île de Las Camp. Elle avait été envoyée ici en renfort. Les affrontements entre la Marine et les bandits locaux s’étaient intensifiés et les médecins stationnés sur place étaient débordés. Les plus hauts gradés de l’unité médicale étaient déjà dépêchés ailleurs, aussi avait-elle été réquisitionnée avec une équipe de jeunes recrues et plusieurs brancardiers. Il y avait deux autres médecins principaux avec elle, mais ceux-ci avaient préféré rester le plus longtemps possible dans la chaleur des cabines du navire de ravitaillement plutôt que de venir sur le pont avec elle.
C’était la première fois que le médecin mettait les pieds sur cette île. Elle en avait eu de bien tristes échos, les histoires sordides qui étaient perpétrées sur ce misérable caillou se répandaient comme une traînée de poudre dans le West Blues. Un endroit dangereux pour une femme disait-on… L’Albane s’en moquait bien. Elle était là pour faire son travail, aux officiers de veiller à la sécurité.
En soupirant, elle aperçut les lumières sales du port, plongé dans la brume. D’après la couleur maladive du ciel, ils devaient être en fin d’après-midi. C’était difficile d’avoir une heure précise avec ce ciel… On avait l’impression d’être suspendu dans un espace où le temps n’avait plus vraiment cours.
En essuyant les gouttes qui ruisselaient sur son visage, la jeune femme ré ajusta son manteau blanc et retourna vers sa cabine pour rassembler ses affaires. Sur le pont, on préparait déjà les marchandises à descendre à quai. Les matelots n’avaient pas l’air très sereins et guettaient les ombres, à l’affut du moindre mouvement suspect. Moïra, quant à elle, préférait ne pas trop y penser. La zone du port était sécurisée par les soldats, il n’y avait rien à craindre, du moins dans cette partie de l’île.
La jeune femme poussa la porte de la petite pièce qui lui avait été attribuée. Elle était la seule femme sur ce convoi, aussi la Marine lui avait attribué une chambre à part. Le confort était relativement sommaire mais la jeune médecin avait été habituée à pire. Vivre entre les murs froids de Castle Leod avait forgé sa résistance aux situations inconfortables. Il fallait dire que les Albans étaient élevés à la dure…
La jeune femme essora ses longs cheveux bruns et les ramena en tresse à l’arrière de sa tête. Un instant, elle s’assit sur le lit de bois et laissa ses yeux d’azur divaguer dans la pièce. Cela faisait maintenant cinq ans qu’elle était entrée dans la Marine. Qu’en avait-elle retiré jusque là ? De l’expérience certainement, mais aussi beaucoup de désillusion. En cinq ans, pas une nouvelle de sa mère. L’éloignement de son île natale, qu’elle avait pensé constructif, s’était révélé plus destructeur qu’autre chose.
Moïra se posait beaucoup de questions. Elle était déracinée, sans port d’attache. Elle aimait les membres de son clan autant qu’elle s’en méfiait et sans doute ce sentiment était-il réciproque. Finalement, rien n’avait vraiment changé…
Un choc l’interpella. Le bateau venait d’être amarré à quai, il ne fallait pas qu’elle traîne. Elle rassembla ses deux mallettes de médecin, en profita pour resserrer l’écharpe bleue qui lui entourait le cou et ressortit sur le pont. Là bas, les marchandises étaient déjà débarquée à une allure frénétique. Elle s’avança pour sortir, retrouvant ses collègues.
Alphonse Brown était un petit homme joufflu, assez nerveux. Depuis qu’ils étaient en vue de l’île, il n’avait pas cessé de jouer avec une petite pelote de tissus qu’il gardait dans sa poche. Il avait passé toute sa carrière en sécurité au poste de la Marine de West Blue et sortait pour la première fois depuis plus de 10 ans. L’autre, beaucoup plus grand et large, se faisait appeler Cervantès. Une rumeur courrait sur le fait qu’il avait honte de son prénom. Elle avait entendu quelque part que son véritable patronyme était Gonzalo. Mais vu la taille de l’armoire à glace, elle n’avait jamais osé lui poser la question. Contrairement à Alphonse, il paraissait beaucoup plus serein, presque amusé.
Au moins un qui serait efficace dans son travail.
Un petit escadron de soldats les attendait en bas, l’œil méfiant, les armes dégainées. La jeune femme ne savait pas si elle devait trouver cela inquiétant ou plutôt rassurant.
Elle descendit la première et fut saluée par un sergent à l’œil inquisiteur. Il était encore jeune mais il paraissait très expérimenté. Moïra supposa qu’il devait être stationné sur l’île depuis un bon moment.
- Bienvenue sur Las Camp. Sergent Von Krone à votre service.
La jeune femme répondit par un salut formel.
- Médecin principal Mackenzie. Enchantée.
Le jeune homme opina du chef et attendit que tout le monde soit sorti pour donner l’ordre de quitter le quai. Il ouvrait la marche d’un pas assuré.
- Nous vous attendions de pied ferme. Je vais vous montrer sans tarder vos quartiers ainsi que l’infirmerie. Nous sommes débordés, les bandits sont plus hargneux que jamais. Vous serez placée sous les ordres de mon supérieur, le lieutenant-colonel Sozen. C’est un stratège émérite, vous n’aurez qu’à suivre ses injonctions et tout devrait bien se passer.
La jeune femme hocha la tête mais ne dit rien. Elle s’imaginait un vieux de la vieille, qui avait tout vu, tout vécu, et pensait tout savoir mieux que tout le monde. Elle n’avait aucun doute concernant les aptitudes de cet homme en matière de stratégie militaire mais elle préférait qu’on la laisse prendre des décisions concernant les soins adaptés à ses patients.
La pluie battait toujours plus fort sur le pavé, à tel point qu’Alphonse glissa pour tomber sur son postérieur en lâchant un cri qui tenait plus du miaulement de chat que de l’être humain. Instinctivement, la jeune femme s’arrêta et retourna un peu sur ses pas alors que le sergent Von Krone continuait d’avancer.
- Brown ! Vous allez bien ?
Ce fut probablement ce qui lui sauva la vie.
L’instant d’après, un bruit détonnant raisonna dans l’air. On aurait dit que l’air lui même était devenu un tissus que l’on déchirait. Le souffle du choc souffla la jeune femme qui tomba à plat ventre. Des pavés volèrent et un nuage de poussière s’éleva, brouillant pendant un bref instant la vue de la petite troupe.
Les oreilles bourdonnantes, la jeune femme fut dans les premiers à se redresser. Les salopards venaient de les viser avec un tir de mortier…
Elle réalisa soudainement qu’elle ne voyait plus le sergent. Au même moment ou presque, ses yeux se posèrent sur une forme allongée dans la poussière. Toussant, la femme médecin courut vers le cratère causé par l’explosion.
- Sergent Von Krone ! Répondez moi !
Un gémissement vint à ses oreilles. Il était toujours en vie. Moïra se précipita vers lui et commença à l’examiner visuellement, sans le toucher. Son visage était gravement mutilé par l’explosion, recouvert de sang. Son bras gauche pendait dans un angle tout sauf naturel et ses jambes tenaient plus de la compote de framboise que de membres humains… Non, ce n’était pas beau à voir. Sans céder à la panique, la jeune femme se releva en voyant des Marines accourir de tous les côtés.
- BRANCARDIERS !!!
Deux hommes arrivaient en courant, une nacelle sous le bras. Sous ses directives, ils soulevèrent le soldat pour l’y allonger et le transportèrent à pas vif vers l’infirmerie. La jeune femme marchait près d’eux, tout en parlant à l’homme qui hurlait à présent de douleur.
- Sergent, accrochez-vous ! Vous allez très vite être pris en charge, tenez bon ! Elle entra dans le bâtiment aux couleurs de l’infirmerie, devant les yeux médusés des médecins déjà débordés. Écartez-vous ! J’ai besoin d’une salle d’opération et d’infirmiers, de toute urgence ! On a un blessé par tir de mortier !!
Très vite, ils entrèrent dans une petite salle carrelée de blanc. Les brancardiers posèrent le soldat sur la table en métal froid tandis que Moïra enlevait sa veste pleine de poussière et de sang pour enfiler un tablier propre. Elle désinfecta vigoureusement ses mains et sortit ses outils ainsi que ses médicaments puis saisit des bandages propres pour nettoyer la plaie à la tête et arrêter le saignement. Pressante mais maîtresse d’elle-même, elle donnait des directives aux sous fifres qui gravitaient autour d’elle.
-Plus de bandages !! Et qu’on m’apporte de la morphine ou du chloroforme, quelque chose ! Des attelles, de quoi recoudre et désinfecter ! Allez, on se dépêche !!
Elle se pencha vers le soldat et lui fit mordre un bout de tissus.
- Je vais devoir examiner votre bras. Hurlez dans le tissus si vous avez trop mal.
Le bras n’était que déboîté, heureusement. Très délicatement, elle se prépara à le manipuler et le remis en place d’un coup sec, sans hésitation. Le sergent hurla de toutes ses forces.
- Là… Là… c’est fini.
L’état des jambes du sergent l’inquiétait davantage. Il y avait plusieurs fractures ouvertes et un pied qui n’en était plus vraiment un… La jeune femme commençait à transpirer alors que les infirmiers s’occupaient d’anesthésier le malheureux. Dans un coin de la pièce, elle aperçut soudain un homme qu’elle n’eut pas le temps de détailler. Sa voix claqua sèchement.
- Vous là ! Vous voyez bien que cet homme a besoin de compresses propres ! Soit vous restez et vous aidez, soit vous foutez le camp d’ici ! C’est une salle d’opération, pas un parloir !
C’était la première fois que le médecin mettait les pieds sur cette île. Elle en avait eu de bien tristes échos, les histoires sordides qui étaient perpétrées sur ce misérable caillou se répandaient comme une traînée de poudre dans le West Blues. Un endroit dangereux pour une femme disait-on… L’Albane s’en moquait bien. Elle était là pour faire son travail, aux officiers de veiller à la sécurité.
En soupirant, elle aperçut les lumières sales du port, plongé dans la brume. D’après la couleur maladive du ciel, ils devaient être en fin d’après-midi. C’était difficile d’avoir une heure précise avec ce ciel… On avait l’impression d’être suspendu dans un espace où le temps n’avait plus vraiment cours.
En essuyant les gouttes qui ruisselaient sur son visage, la jeune femme ré ajusta son manteau blanc et retourna vers sa cabine pour rassembler ses affaires. Sur le pont, on préparait déjà les marchandises à descendre à quai. Les matelots n’avaient pas l’air très sereins et guettaient les ombres, à l’affut du moindre mouvement suspect. Moïra, quant à elle, préférait ne pas trop y penser. La zone du port était sécurisée par les soldats, il n’y avait rien à craindre, du moins dans cette partie de l’île.
La jeune femme poussa la porte de la petite pièce qui lui avait été attribuée. Elle était la seule femme sur ce convoi, aussi la Marine lui avait attribué une chambre à part. Le confort était relativement sommaire mais la jeune médecin avait été habituée à pire. Vivre entre les murs froids de Castle Leod avait forgé sa résistance aux situations inconfortables. Il fallait dire que les Albans étaient élevés à la dure…
La jeune femme essora ses longs cheveux bruns et les ramena en tresse à l’arrière de sa tête. Un instant, elle s’assit sur le lit de bois et laissa ses yeux d’azur divaguer dans la pièce. Cela faisait maintenant cinq ans qu’elle était entrée dans la Marine. Qu’en avait-elle retiré jusque là ? De l’expérience certainement, mais aussi beaucoup de désillusion. En cinq ans, pas une nouvelle de sa mère. L’éloignement de son île natale, qu’elle avait pensé constructif, s’était révélé plus destructeur qu’autre chose.
Moïra se posait beaucoup de questions. Elle était déracinée, sans port d’attache. Elle aimait les membres de son clan autant qu’elle s’en méfiait et sans doute ce sentiment était-il réciproque. Finalement, rien n’avait vraiment changé…
Un choc l’interpella. Le bateau venait d’être amarré à quai, il ne fallait pas qu’elle traîne. Elle rassembla ses deux mallettes de médecin, en profita pour resserrer l’écharpe bleue qui lui entourait le cou et ressortit sur le pont. Là bas, les marchandises étaient déjà débarquée à une allure frénétique. Elle s’avança pour sortir, retrouvant ses collègues.
Alphonse Brown était un petit homme joufflu, assez nerveux. Depuis qu’ils étaient en vue de l’île, il n’avait pas cessé de jouer avec une petite pelote de tissus qu’il gardait dans sa poche. Il avait passé toute sa carrière en sécurité au poste de la Marine de West Blue et sortait pour la première fois depuis plus de 10 ans. L’autre, beaucoup plus grand et large, se faisait appeler Cervantès. Une rumeur courrait sur le fait qu’il avait honte de son prénom. Elle avait entendu quelque part que son véritable patronyme était Gonzalo. Mais vu la taille de l’armoire à glace, elle n’avait jamais osé lui poser la question. Contrairement à Alphonse, il paraissait beaucoup plus serein, presque amusé.
Au moins un qui serait efficace dans son travail.
Un petit escadron de soldats les attendait en bas, l’œil méfiant, les armes dégainées. La jeune femme ne savait pas si elle devait trouver cela inquiétant ou plutôt rassurant.
Elle descendit la première et fut saluée par un sergent à l’œil inquisiteur. Il était encore jeune mais il paraissait très expérimenté. Moïra supposa qu’il devait être stationné sur l’île depuis un bon moment.
- Bienvenue sur Las Camp. Sergent Von Krone à votre service.
La jeune femme répondit par un salut formel.
- Médecin principal Mackenzie. Enchantée.
Le jeune homme opina du chef et attendit que tout le monde soit sorti pour donner l’ordre de quitter le quai. Il ouvrait la marche d’un pas assuré.
- Nous vous attendions de pied ferme. Je vais vous montrer sans tarder vos quartiers ainsi que l’infirmerie. Nous sommes débordés, les bandits sont plus hargneux que jamais. Vous serez placée sous les ordres de mon supérieur, le lieutenant-colonel Sozen. C’est un stratège émérite, vous n’aurez qu’à suivre ses injonctions et tout devrait bien se passer.
La jeune femme hocha la tête mais ne dit rien. Elle s’imaginait un vieux de la vieille, qui avait tout vu, tout vécu, et pensait tout savoir mieux que tout le monde. Elle n’avait aucun doute concernant les aptitudes de cet homme en matière de stratégie militaire mais elle préférait qu’on la laisse prendre des décisions concernant les soins adaptés à ses patients.
La pluie battait toujours plus fort sur le pavé, à tel point qu’Alphonse glissa pour tomber sur son postérieur en lâchant un cri qui tenait plus du miaulement de chat que de l’être humain. Instinctivement, la jeune femme s’arrêta et retourna un peu sur ses pas alors que le sergent Von Krone continuait d’avancer.
- Brown ! Vous allez bien ?
Ce fut probablement ce qui lui sauva la vie.
L’instant d’après, un bruit détonnant raisonna dans l’air. On aurait dit que l’air lui même était devenu un tissus que l’on déchirait. Le souffle du choc souffla la jeune femme qui tomba à plat ventre. Des pavés volèrent et un nuage de poussière s’éleva, brouillant pendant un bref instant la vue de la petite troupe.
Les oreilles bourdonnantes, la jeune femme fut dans les premiers à se redresser. Les salopards venaient de les viser avec un tir de mortier…
Elle réalisa soudainement qu’elle ne voyait plus le sergent. Au même moment ou presque, ses yeux se posèrent sur une forme allongée dans la poussière. Toussant, la femme médecin courut vers le cratère causé par l’explosion.
- Sergent Von Krone ! Répondez moi !
Un gémissement vint à ses oreilles. Il était toujours en vie. Moïra se précipita vers lui et commença à l’examiner visuellement, sans le toucher. Son visage était gravement mutilé par l’explosion, recouvert de sang. Son bras gauche pendait dans un angle tout sauf naturel et ses jambes tenaient plus de la compote de framboise que de membres humains… Non, ce n’était pas beau à voir. Sans céder à la panique, la jeune femme se releva en voyant des Marines accourir de tous les côtés.
- BRANCARDIERS !!!
Deux hommes arrivaient en courant, une nacelle sous le bras. Sous ses directives, ils soulevèrent le soldat pour l’y allonger et le transportèrent à pas vif vers l’infirmerie. La jeune femme marchait près d’eux, tout en parlant à l’homme qui hurlait à présent de douleur.
- Sergent, accrochez-vous ! Vous allez très vite être pris en charge, tenez bon ! Elle entra dans le bâtiment aux couleurs de l’infirmerie, devant les yeux médusés des médecins déjà débordés. Écartez-vous ! J’ai besoin d’une salle d’opération et d’infirmiers, de toute urgence ! On a un blessé par tir de mortier !!
Très vite, ils entrèrent dans une petite salle carrelée de blanc. Les brancardiers posèrent le soldat sur la table en métal froid tandis que Moïra enlevait sa veste pleine de poussière et de sang pour enfiler un tablier propre. Elle désinfecta vigoureusement ses mains et sortit ses outils ainsi que ses médicaments puis saisit des bandages propres pour nettoyer la plaie à la tête et arrêter le saignement. Pressante mais maîtresse d’elle-même, elle donnait des directives aux sous fifres qui gravitaient autour d’elle.
-Plus de bandages !! Et qu’on m’apporte de la morphine ou du chloroforme, quelque chose ! Des attelles, de quoi recoudre et désinfecter ! Allez, on se dépêche !!
Elle se pencha vers le soldat et lui fit mordre un bout de tissus.
- Je vais devoir examiner votre bras. Hurlez dans le tissus si vous avez trop mal.
Le bras n’était que déboîté, heureusement. Très délicatement, elle se prépara à le manipuler et le remis en place d’un coup sec, sans hésitation. Le sergent hurla de toutes ses forces.
- Là… Là… c’est fini.
L’état des jambes du sergent l’inquiétait davantage. Il y avait plusieurs fractures ouvertes et un pied qui n’en était plus vraiment un… La jeune femme commençait à transpirer alors que les infirmiers s’occupaient d’anesthésier le malheureux. Dans un coin de la pièce, elle aperçut soudain un homme qu’elle n’eut pas le temps de détailler. Sa voix claqua sèchement.
- Vous là ! Vous voyez bien que cet homme a besoin de compresses propres ! Soit vous restez et vous aidez, soit vous foutez le camp d’ici ! C’est une salle d’opération, pas un parloir !