Les ruines
Sur une île inconnue de la mer du Sud se trouvent d'imposantes ruines de château. Vestige passé de ce monde qui à l'époque devait être splendide, la blanche bâtisse aujourd'hui -du moins ce qu'il en reste- ne procure plus qu'un triste sentiment de désolation. Il n'y a presque rien sur cette petite île mis à part cet ancien bâtiment. Aucun indice ne permet d'en savoir plus sur la nature de la construction d'un tel édifice. Isolement d'une richissime personnalité venue chercher le repos ? Ou véritable communauté ayant prospéré ne serait-ce qu'un minimum ? Rien.
En tout cas une chose est sûre. La lumière peine à pénétrer en ces lieux.
Le son d'un marteau cognant frénétiquement contre une enclume retentit depuis la vieille ruine. C'est régulier, rauque et le bruit semble étrangement proche, puis lointain. La pénombre règne ici et les quelques torches et bougies éclairant les environs semblent littéralement se faire dévorer par l'obscurité ambiante, comme s'ils ne servaient à rien. En prêtant plus l'oreille, on peut entendre autre chose. Un cri, ou une forte expiration synonyme d'un effort, comme lorsque un pratiquant d'arts martiaux accompagne sa frappe d'un puissant cri, rendant l'offensive bien plus impressionnante.
Dans une vaste pièce se tiennent plusieurs hommes. Les cris entendus sont synonymes d’entraînement. Certains sont torse nu, exhibant au passage une puissante musculature parsemée de larges cicatrices dont quelques-une tellement sales qu'un animal aurait parfaitement pu nettoyer les plaies pour les laisser sécher au soleil, purulentes. Ils se battent à mains nues ou avec divers armes telles que des épées, poignard, faucilles, chaînes ; Armes de bonne qualité qui visiblement ont déjà très bien servis entre les mains des vétérans se donnant corps et âme dans leurs échanges.
-Vas y, on la refait une dernière fois pour voir, lance l'un des hommes, lui dépourvu de cheveux sur le caillou, et équipé d'un bandeau lui couvrant l’œil gauche.
Celui en face, tout aussi puissamment bâti se relève en quelques secondes pour ré attaquer son partenaire. Les directs alternés s’enchaînent, contrés un par un par le gorille à l’œil bandé qui riposte d'une puissante droite dans le biceps de son adversaire, lui paralysant momentanément le bras pour se glisser derrière lui et lui asséner une clé de tête. Juste après, le bloqué se retrouvé projeté au sol, le « vainqueur » mimant un écrasement de tête.
-Tu vois, là j'te faisais exploser la caboche héhé, lui dit-il.
-J'sais pas, parce que d'ici j'pouvais très bien ruiner tes p'tites couilles.
En effet, le bras contracté du défait se trouve parfaitement contracté, pile dans l'entrejambe de celui se tenant debout.
-Mouais, je t'aurai quand même fumé. Alors me tente pas, ou à la prochaine je t'explose vraiment la gueule d'un coup de pompe... Qu'il marmonne avant de relever son compagnon pour se remettre en place.
…
Les sourds martèlements continuent de retentir dans ce dédale. Dans une autre pièce, plus petite où la chaleur des enfers semblent se déchaîner se dresse un forgeron s'attelant à sa profession. Vêtu d'un vieux tablier lui seul lui servant de protection, il ne semble pas du tout gêné par les étincelles menaçant de lui prendre son dernier œil vaquant -l'autre étant en verre-. La peau tanné comme le plus vieux des cuirs et présentant des balafres s'apparentant plutôt à des brûlures, le forgeron place son dernier coup de marteau. Celui-ci s'essuie le front, et pose son marteau à la vu de l'homme pénétrant dans la pièce.
-Je vois que tout est prêt, dit l'homme venant d'entrer, tâtant le tranchant d'une épée du bout de l'index pour y faire perler le sang et le porter à ses lèvres.
-Ouais, tout est en ordre. On est fin prêts.
-Très bien. C'est toi qui sera à la tête des opérations Turok, tâche de ne pas me décevoir comme ces autres empaffés.
-Tous morts, un sacré gâchis.
-Leurs disparitions t'affligent-elles ? Demande-t-il, très calmement.
-Je vais être franc avec toi Ephraim, pas l'moins du monde. On a perdu pas mal d'hommes ces temps-ci et c'est pas à eux que j'ai prêté allégeance... Mais à toi. Mine de rien on reste soudés, juste que j'suis pas attaché. Quand j'étais dans la merde c'est pas eux qui seraient venus me tendre la main.
-Inutile de te justifier, bien que tu sois libre de me donner ton avis. Et comme tu le sais, ce que tu as ressenti quand je t'ai recueilli, c'est ce que j'ai ressenti avec davantage de peine il y a quelques années... Et demain, je tiens à mettre un terme à ce souvenir.
C'est alors qu'il sort de l'ombre pour se rapprocher de son interlocuteur, eux deux n'étant plus séparés que de quelques centimètres, laissant apparaître à la lumière sa face horriblement brûlée où la chair n'a a des endroits su se régénérer, laissant des parties d'os à l'air.
-Voilà pourquoi tu dois arrêter d'être égoïste, Les guider et honorer mon ultime demande.
***
Le lendemain, au petit matin
La chambre de Siegfried
Tout juste réveillé, le représentant du Culte de la Miséricorde prend le temps d'émerger, se frottant le visage de ses épaisses paluches au pied du lit. La vie ne se déroulait plus exactement depuis un moment, précisément depuis l'hospitalisation de Numéria, ayant récemment fait barrage à un mystérieux assassin voulant attenter à la vie du Chef Miséricordieux. L'un des agents les plus qualifié et proche de Siegfried, au courant de tout, chargée des affaires « visibles » aux yeux de tous de l'entreprise.
Malgré la grande réserve que se doit d'adopter le meneur d'un tel groupe d'espions, que ce soit par rapport à sa vie privée ou simplement aux obligations propres à son statut, celui-ci a un cœur qui a ses faiblesses ; Des émotions qu'il doit pourtant refouler, malheur s'imbriquant sur ce visage à la grise mine et aux traits taillés dans la plus vieille des pierres. Car tel est son travail : ne rien laisser paraître.
Perdu dans ses pensées, le mastodonte contemple ses terres jusqu'à l'arrivée habituelle de son servant, l'avertissant tous les matins de la préparation de son petit-déjeuner après le réveil.
-Bonjour Siegfried, comment était votre nuit ?
-Comme celle d'hier, je n'ai presque pas fermé l'oeil, dit-il, absorbé par le paysage brumeux.
-J-Je pense qu'un bon repas chaud vous fera le plus grand bien. Il est pr-
-Ne prenez pas cette peine, tous, Yuri, je n'ai pas faim. Je vais me toiletter et directement me rendre à la clinique. Le médecin a-t-il été prévenu de ma venue matinale ?
Siegfried s'est alors retourné, se saisissant d'une petite statuette posée sur sa table de chevet faite d'ébène, la faisant glisser entre ses mains.
-Absolument. J'espère juste que vous ne serez pas en retard pour le discours ce matin. Vous ne vous êtes pas prononcés depuis un moment, les gens attendent beaucoup de vous, si vous me permettez de telles paroles.
En effet, l'église servant de quartier général au Culte est devenue une véritable forteresse depuis la tentative d'assassinat. Une armée de fidèles, tous aussi déterminés les uns que les autres avaient depuis ce jour formés une véritable ligne de défense pacifique tout autour du bâtiment. Aucun inconnu n'est autorisé à entrer, et tous les membres exécutant des allers retours depuis la bâtisse sont parfaitement connus des défenseurs cultistes. Et cela, ils le font de leur propre chef, car on ne prend pas à la légère la sécurité de celui qui vous a tendu la main quand vous n'aviez plus rien. Bien que le « responsable » de ces personnes ait déjà exprimé son mécontentement quant à cette manœuvre jugée « provocante », ça n'eut aucun effet. Armés ou non, les fidèles protègent leur foyer.
-Sois en paix. Je serai à l'heure pour le discours, aucun souci.
-Bien. Je vous laisse dans ce cas.
-Ah, Yuri, attends, j'ai une dernière question. Le médecin ne t'a rien dit à propos de Numéria ?
-Hum, non, rien de spécial, répondit Yuri, tâchant d'être exhaustif dans son propos. Je pense qu'il m'aurait transmis le message, dans le cas contraire.
-Rien de nouveau, donc...murmure Siegfried, reposant après quelques instants dans un mutisme totale la petite statue d'homme de bronze.
-Comme vous dites. Je peux encore faire quelque chose pour vous ?
-Non, merci.
Le silence est de retour dans la pièce. Parti se vêtir et se toiletter, la chambre de Siegfried est maintenant vide. Au milieu de la table de chevet se tient la statuette, complètement tordue sous la pression d'une terrible poigne.
***
La clinique
La pluie est tombée sur la Sainte-Uréa, gouttes tambourinant à la chamade contre l'épaisse cape d'Isidor, le tenant au sec. Les deux hommes l'accompagnant sont pareillement vêtus, escortant leur bienfaiteur dans l'unique but de repousser les adorateurs du Culte désireux de leur transmettre leurs voeux ; Car Siegfried n'est pas dehors pour cela en ce moment.
Seul face au vieux bâtiment servant d'hôpital de fortune aux plus démunis. Façade comme jaunie par le temps ou la nicotine parsemée d'étranges traces noires laisse présager le pire quant à l'hygiène à l'intérieur des locaux. Et pourtant, il s'agit là d'une des rares bâtisses investie par le Culte sur le plan monétaire. A l'intérieur se trouve l'attirail nécessaire pour apporter des soins, le tout à disposition du petit corps médical. Toutefois, les places sont tout de même chères -un patient demandant naturellement du temps et de l'attention pour les « bénévoles » du discret hôpital- et limitées. Il n'est donc pas accessible à absolument tout le monde, mais l'établissement prend en charge un maximum de gens dans le besoin médicinal... dont Numéria.
-Attendez moi ici, ordonne le colosse à ses deux gardes, les laissant dans une petite salle adjacente à l'accueil faisant office de salle d'attente.
L'homme retire son manteau sombre à l'entrée, le déposant à un endroit dédié. Et voilà qu'il patiente dans ce sinistre couloir où gisent les plus rapiécés. Ceux cachés à la vue de tous tellement la nature n'a su être clémente à leur égard. D'autres sont là pour des blessures ou maladies moins graves. On peut entendre des cris une fois passé le seuil de la porte d'entrée, dans cet antre de la douleur. Toutefois, Isidor ne peut qu'être apaisé à la vue de l'entreprise ; Étant donné qu'il veut aider, aider tout le monde et du mieux qu'il le peut.
Repéré par l'infirmière à l'accueil, le médecin chargé des soins procurés à l'agente du Culte arrive très rapidement à la rencontre du géant. Préoccupé, il déglutit pendant une imperceptible seconde pour faire le premier pas afin de saluer « l'invité » -se faisant au passage fissurer quelques os de la main-.
-M-Monsieur, comment allez-vous ?
-Et vous ? Et elle ?
-Je vais bien mais je vois où vous voulez en venir. Ne perdons pas de temps, l'invite alors d'un geste du bras le vieux Docteur O'Tool, médecin engagé dans l'aide apporté aux quartiers pauvres. Comme quoi, les acteurs du Culte viennent de partout.
Plusieurs étages composent le bâtiment dont certains ne sont pas dédiés à l'apport de soins aux blessés et malades. Au vu de la vieillesse du bâtiment, le dernier étage n'est pas praticable du à l'humidité. Le toit quant à lui est accessible, offrant une vue sympathique sur les environs. -Bien qu'il ne s'agisse pas là du plus grand édifice qu'ont à offrir ces quartiers-
Arrivés dans la salle des patients du premier étage, ceux-ci sont alignés des deux côtés de la pièce formant une sorte de couloir ; Docteur O'Toole guide Siegfried jusqu'au lit de sa protégée. Pas de nom au pied du plumard, ne serait-ce que son nom d'emprunt assigné à ses fonctions du Culte. Blafarde, comateuse et amaigrie, elle ne ressemble plus à la femme qu'il connait. Lui caressant la main puis les cheveux, il semble tiraillé entre tristesse et nostalgie, plus que soucieux de son sort. En effet, la jeune femme est mal en point. Ayant reçu un coup de lame à la gorge, les chances de survie étaient drastiquement minces après ça. Mais ayant usé de sa force significative jusqu'à l'arrivée des secours, le mastodonte a pu comprimer sa gorge afin de freiner l'hémorragie au maximum.
-Des doutes persistent...
-Pardon ? Répondit Siegfried, comme interloqué.
-Mes paroles peuvent se révéler dures, Monseigneur, mais... Elle a perdu beaucoup de sang et son état est végétatif depuis maintenant une semaine. Plusieurs cas de figures s'offriront alors. Et puis...
-Oui ?
-J-Je ne sais pas, Monseigneur.
-Parlez. Tonna le géant, faisant se retourner quelques infirmières sur leurs passages.
-En tout franchise, Monseigneur, avec tout le respect que je vous dois et l'estime que vous pouvez portez à cette femme, ou quoique cela puisse être, j'ai pu récemment établir un triste verdict. Numéria a eu une corde vocale endommagée, il me semble peu probable qu'elle puisse recouvrir un jour l'usage de la parole. Idem pour son état, un coma éternel est à envisager, Monseigneur.
-C'est que vous n'avez pas fait votre possible dans ce cas, rétorque Isidor, ses yeux ambrés commençant à briller d'un éclat des plus inquiétants.
-Au contraire ! Nous faisons notre poss-
-Non, non, non. Vous ne... prononce-t-il, un bras levé comme pour imager ses propos. Vous avez raison, je me suis emporté et tiens à m'en excuser. Pardonnez moi d'avoir douté de votre expertise, Docteur. Je ne vais pas tarder, mais avant j'aimerai vous montrer quelque chose d'important. Si vous me le permettez, ce sera ma dernière sollicitation.
-Eh bien, je vous avouerez que j'ai beaucoup de patients m'attendant, Monseigneur...
-Je vous en prie, demande-t-il en esquissant un minuscule sourire malicieux. Ce sera très rapide.
-B-Bon, soit, si cela est rapide. N'y voyez rien de personnel, surtout.
-Aucun problème, suivez moi je vous prie.
-Nous partons ?!
-Aucunement, nous restons dans l'hôpital.
…
Le toit de la clinique
-Pourquoi m'avoir amené ici ?
-Afin de profiter de la tranquillité qu'à à offrir ce lieu, lui répondit sereinement Siegfried, observant le ciel gris, les mains jointes dans le dos. N'ayez pas peur, approchez ! Le sol est assez dissuasif mais il supportera nos poids !
-S-Soit, Monseigneur. Mais, sans vous importuner aucunement, vous me mettez mal à l'aise à vous approcher autant du bord, j'ai le vertige.
-La brise est bien plus douce ici, approchez, venez la sentir et n'ayez pas peur.
Il approche à pas hésitants. -En-En effet, c'est agréable. Que vouliez-vous me montrer, de ce fait ?
-Eh bien, la brise.
Et il ne suffit que d'une simple poussée contre le dos du docteur pour le faire basculer dans le vide pour ensuite le retenir au dernier moment par le pied, d'une seule main, comme si le commun des mortels tenant une tasse de café.
-AAAAAAAAAAAAH ! MAIS QU'EST CE QUE VOUS FAITES ! PAR LA SAINTE-DAME !
-Silence, maintenant vous allez m'écouter. Vous me coupez la parole et je vous lâche. « Docteur O'Toole, fidèle allié du Culte en réalité alcoolique et dépressif, qui ne supportait plus toute la misères des quartiers pauvres. Il aura rédigé une lettre dans laquelle il s'excuse d'avoir abandonné tous ces pauvres gens. Quelle triste histoire. » Alors maintenant. Vous allez mettre TOUS les moyens en œuvre pour réanimer mon agente et la remettre sur pieds. Je n'ai pas fais tout ce chemin et tous ces sacrifices pour que mes soldats, et aussi proches, se fassent trancher la gorge comme du gibier. Je ne vais pas me répéter Docteur. Pas le droit à l'erreur, ou vous réveillerez La Bête.
Rejeté sur le toit comme un vulgaire chiffon, le vieux O'Tool reprend ses esprits, haletant et couvert de sueur. Le voilà à quatre pattes, totalement abasourdi par la scène qui venait de se dérouler.
Et à peine s'est-il retourné que la menace est parti, envolée.
***
Vers un coin isolé de la partie portuaire des quartiers pauvres, peu de temps avant le meeting de Siegfried
Dans une maison proche du port, Yvonne se lève tranquillement. Yvonne c'est la mère de famille modèle, sans histoire, un peu rondelette, rousse, qui porte des tabliers pour faire le ménage et qui aura élevé ses deux fils, Thomas et Land, d'une manière des plus exemplaires. Le père des marmots aura rejoint les cieux quand ils étaient petits, du coup peu de souvenir pour eux, mais beaucoup pour elle. En effet, Emmit le mari était un talentueux pêcheur, qui se sera exercé sans relâche depuis sa jeunesse, arpentant les mers sur son modeste bateau pour dégoter les plus belles pièces, vendant une partie et jouissant de festins le soir, autour de sa petite famille qu'il chérissait tant. Ils faisaient partie (lui et sa femme) d'une sorte de comité de pêcheurs du coin, qui dès qu'ils trouvaient un alléchant filon, s'y rendaient telle une petite armada armés de leur meilleur matos pour l'assécher avant l'arrivée des grosses compagnies qui raflaient tout sur leur passage.
Et un jour, alors que Thomas le premier fils de la famille était encore tout bébé et souffrait d'une douloureuse poussée de dent, forçant Yvonne à rester au foyer, une sacrée occasion se prêtait au comité ; Qui avait trouvé non loin de là une petite île sauvage recouverte par la végétation, où semblait vivre à sa périphérie une fameuse bête se nourrissant de la petite poiscaille alentour, un mastodonte ! Difficile de le distinguer clairement toutefois -les pêcheurs ne s'approchant pas au maximum du mammifère marin en question-, les experts sont persuadés qu'il s'agit là d'un sacré morceau où le partage s'annoncerait magnifique.
Le climat était peu clément ce jour là, mais les pêcheurs étaient déterminés à aller se faire les dents pour produire berrys et sashimis -et qui sait une petite place dans la gazette locale-. Peloton prêt, ils sont y allés. Et la place dans la gazette, ils l'ont eu au final.
Faits divers à Saint-Uréa le vingt-sept août 1598 : plusieurs pêcheurs trouvent la mort lorsque l'embarcation se retrouva face à un immense crocodile. La bête mesurait onze mètres (un record dans les environs!) et son poids n'aura pas été déterminé par la Sécurité Maritime ayant abattu l'animal par sécurité, celle-ci ayant trouvé foyer proche des abords de l’île.
…
Quand elle a su ça par l'un des rares rescapés, elle s'est effondrée la Yvonne, normal. Même les petits Tom et Land, ils ont compris que Papa Emitt allait être absent pour une durée indéterminée... Une fois le bateau arrivé là-bas, la bête les a chargé sans sommation : c'était son territoire. Enfonçant le côté gauche de la coque, il fallait vite riposter avant que l'embarcation ne sombre. Tout le monde a sorti l'artillerie lourde, mais beaucoup tombèrent à l'eau alpagués par le démon des eaux. Un collègue s'était littéralement fait saisir par la veste, Emmit n'a pas hésité une seconde a brandir sa pointe pour faire lâcher le bétail, en vain. Pointe retrouvée coincé dans l'épaisse carapace, il fallut au monstre le simple fait de retourner à l'eau pour emporter les deux pauvres hommes avec lui. Avant d'être aspiré dans les tréfonds, il a juste eu le temps d'hurler Yvonne.
C'était son dernier mot.
...
Ayant réussi avec le temps à oublier ce tragique événement, les fils ont perpétué la tradition : Thomas et Land. Deux bons gaillards qui vivent avec leur mère, ont usé d'huile de coude pour agrandir la maison et permettre à toutes les familles de s'installer par la suite. Ce jour là Yvonne se réveille donc tranquillement et fait le tour de la maison, s'étire et fait couler un café. Se munissant de son vieil escargophone, elle contacte ses fils, partis en mer dans la nuit pour une session de pêche au coup sur des petits bancs, rien de folichon, la routine. Ils doivent rentrer sous peu, allant pêcher de deux heures du matin à environ dix heures, se relayant à certains moments pour faire la sieste. Surtout que le discours de Siegfried va bientôt commencer, il ne faudrait pas en rater ne serait-ce qu'une miette.
-Coucou Land, c'est maman, vous allez bien ?
-Hey, Maman ! Ça va très bien, et toi bien dormi ?
-Ouip, bien dormi. Et vous alors, vous nous avez pêché du bon poisson ? Hahaha.
-Et comment ! Cette nuit il y avait de tout ! Mais les poissons étaient un peu affolés, on a aussi eu quelques crabes et poulpes, ce midi on s'est dit avec Thomas qu'on ferait barbecue. -Super, je préparerai le feu après le discours, dans ce cas, répondit-elle, sirotant son café entre deux, accoudée contre la fenêtre menant directement face au port.
Précisément vers la place où le bateau de ses fils a l'autorisation de stationner ; Moyennant finance et afin de gérer les afflux de navires et les trier, ceux des locaux pouvant stationner sous « contrat » selon les endroits du port. Étant là dans un endroit assez reculé du centre, la manœuvre est autorisée.
-Mais non, t'en fais pas. On se charge de tout avec Thom', l'attentat contre Siegfried nous a tous mis à cran, mieux vaut que tu te reposes et on ira tous les trois au discours. Ok ? Allô ? -Excusez moi ! Cet endroit fait partie de ma propriété ! Attends, une bande de plouc vient de jeter l'ancre à notre place. P'tain, ils peuvent vraiment pas s'foutre ailleurs ou aller louer un endroit... Saloperies de fraudeurs.
-Si ça s'trouve ils ont pas fait gaffe et connaissent pas, sois pas si dure Maman. Et puis on arrive dans vingt minutes, on les bougera s'ils sont encore là.
-Mouais bah tu sais quoi, j'vais m'en occuper maintenant, c'est pas le moment. Vous allez vous mettre où sinon ?! On la paye tous les mois cette place. A tout de suite mon grand, je vais aller les voir.
-Att- Gotcha.
-Rah, l'aurait pu attendre, lâcha Land, au milieu de la mer, tenant son den den d'une main molle, et son frère somnolant dans la cale.
…
Toute une bande de drôles de lurons vient de s'amarrer devant chez moi. Tous de drôle de tronches, hommes et femmes. Les vêtements en mauvais état, la face éclatée par des balafres et morceaux de peau manquant. Ils font peur à voir... Peut-être un équipage ayant contracté la lèpre ou je ne sais quoi durant leur voyage, revenant aux trois quarts décimés. L'un d'eux s'avance, très grand et me surplombant d'au moins une demi-tête, un bucheron comme j'en ai rarement vu. Sec, œil de verre et vêtu comme un parfait capitaine pirate, il attire mon attention de par son comportement déplacé. Il crache, rigole avec ses acolytes exhibant ses dents pourries, la main à la ceinture. C'est trop là, ils vont m'entendre, je sors de chez moi en robe de chambre mais je m'en fous, je suis toujours chez moi.
-Messieurs, Mesdames ?!
-Ouais ? Répond celui à l'allure du classique boucanier.
-Vous êtes ici chez moi, s'il vous plaît. Si jamais vous avez un problème, je peux vous aider et vous amener vers une boutique du port qui vous attribuera une place ! Mais vous ne pouvez pas rester là, mes fils arrivent et auront besoin de la place.
-L'discours d'Isidor, c'est où ?
-Q-Quoi ? Isidor ? Vous voulez dire Siegfried ?
-Hey, Turok, lance une guerrière au visage étonnement lisse et livide à la queue de cheval blonde. La plèbe est pas au courant pour...
-Hum ? Ah ouais, j'avais zappé, tournant à peine la tête vers sa coéquipière pour se redresser vers Yvonne et rapproché sa tête tel un vil serpent. -Je commençai déjà à me dire que t'étais si conne que tu comprenais rien, c'est fou nan ? Si vite quoi, Qu'il termine en lâchant un énième mollard juste à ses pieds, l'effleurant d'un micro-millimètre. -Alors ? Le discours ? On a pas qu'ça à foutre, CONNASSE, lui postillonne-t-il à la figure.
-D'accord, je vois. Alors tu vas m'écouter attentivement, espèce d'enfant de putain, prononça la fière qui ne se démontait pas face à l'assemblée de lascars la dépassant d'une tête et pesant facilement le triple de son poids, aussi impotente soit-elle. -C'est pas une bande de clochards comme vous qui va venir devant MA baraque pour me parler comme ça et dégueulasser l'palier. Cassez vous tous maintenant, bande de sous merdes que vous êtes.
-Sinon quoi ? Demande simplement un homme dans l'assemblée, mal rasé et au teint basané.
-Sinon vous allez repartir avec du plomb au cul, c'est moi qui vous l'dit.
-Hinhinhinhinhinhinhinhinhin, s'esclaffe Turok, une main sur le ventre. Grognasse je te l'accorde, t'as du cran. Personne dans la rue en plus, sont tous déjà parti comme des bons chiens-chiens à leur pépère pour goulûment avaler sa merde. Au début j't'aimais bien, j'me dit elle est polie la p'tite dame. Que dalle en fait, j'vais pas m'faire chier avec toi, on trouvera nous même.
Yvonne n'a même pas le temps de faire quoi que ce soit qu'un crochet du gauche d'une vitesse et puissance époustouflante lui déboîte la mâchoire, lui faisant au passage valdinguer une belle tripotée de dent, brisant sa nuque sur le coup. Maintenant elle gît là, ne ressemblant plus à rien, ayant simplement voulu défendre son lopin de terre. Et, forcément, Tom et Land arrivent trop tard.
Comme Emmit, elle a eu affaire à un trop gros gibier.
-Hey les gens, arrangez vous la tronche. Rien d'ostentatoire, faut ressembler à ces pouilleux du quartier pauvre. Hinhinhin.
***
Dans un bar luxueux des hauts-quartiers, au sol fait de marbre et aux tables faites d'un bois verni des plus résistants, brillant et lisse. Le drôle de lustre éteint attire mon regard et je passe mon temps à le fixer. Je regarde aussi le personnel, eux tous dans leurs cardigans et nœuds papillons, courant dans tous les sens afin de satisfaire les clients les plus pointilleux, c'est à dire presque tout le monde. Déjà repu depuis une bonne quinzaine de minutes, je prends mon temps à la table histoire de tranquillement digérer les deux tourtes au saumon qui venait d'être engloutie.
C'est là que j'appelle un serveur pour lui demander l'addition, qui revient les mains vides pour nous dire que quelqu'un nous demande devant le restaurant. Je lui tend de quoi payer mais il refuse, disant que « les employés de là où je travaille n'ont pas à payer la note, parole du proprio. Car nous avons tous beaucoup endurés ces temps-ci ». Bredouille et interrogatif, je pars donc devant le restaurant, mais personne.
-Monsieur ? Hey m'sieur ! Crie le serveur d'il y a deux minutes. J'me suis trompé, c'est dans la rue derrière. Le bruit, tout ça, pas trop compris sur l'coup.
-Hm. Comme c'est aimable, une petite entrevue loin des regards.
Pas de réponses venant du serveur, celui-ci retourne dans le restaurant travailler comme si de rien n'était.
Je me dirige alors vers la ruelle, biaisé d'un mauvais pressentiment. Il n'y a personne dans la rue le long du bar. Arrivé dans la dite rue, je tombe nez à nez avec une récente connaissance : Malmere, l'un des meilleurs chien de Siegfried, aussi considéré que Numéria. Il est adossé contre le mur, se curant les ongles à la dague. Ce qui m'intrigue dans un premier temps est son œil au beurre noir, et cet air de chien affamé prêt à me bondir à la jugulaire en une fraction de seconde.
-Marrant qu'tu sois allé bouffé ici. Le serveur qui t'a parlé est un d'mes potes, c'est fou comme le monde est p'tit, hein ?
-Peut-être, qu'est ce que tu veux ?
-Héhé, tout de suite gentil avec moi. J'peux savoir ce que je t'ai fais, fumier ?
-Hum ? Rafraîchis moi la mémoire, tu veux ? Tu sais, penser à toi est le dernier de mes soucis, que je lui lance à la gueule, un sourire carnassier me tirant les lèvres, sourire qu'il me rend.
-Pourquoi quand j'suis venu te chercher la dernière fois pour qu'on sauve les miches de Siegfried après l'explosion, tu t'savais suivi et tu t'es habilement volatilisé pendant que moi je me faisais prendre par les Marines ?! HEIN ?! Ca t'a avancé à quoi tout ça ? Un bœuf pareil qui arrive à m'échapper, j'y croyais pas. J'veux une réponse. Car là y vient d'se passer un truc de dingue, et on a tous besoin de toi, dit-il, comme essoufflé. J'suis chargé de t'amener devant Lui, il dit que c'est l'ultime service et qu'il a jamais eu autant besoin de toi.
-Attends. Je n'ai jamais demandé à être impliqué dans une explosion, être coincé sur une ile et me prendre un coup de crosse par un représentant de l'ordre juste parce que j'ai voulu partir, n'ayant rien à voir là-dedans. Non, non, au contraire ! Je dois passer dans des égouts puants cinq fois trop petits pour ma taille, être menacé de me faire exécuter pour complotisme dans ces quartiers bourgeois. Réglez vos problèmes tout seul. Et même si vous voudriez demander de l'aide à quelqu'un d'autre -je pense à l'albinos- elle est partie, très bonne idée au final.
-Ecoute Horlfsson. T'as pas l'choix, tu vas nous aider, et je vais te convaincre de gré ou de force. Surtout pour c'que tu m'as fait, j'ai toujours pas avalé la pilule jusqu'à aujourd'hui.
-Je me suis tapé sept ans de taule alors que je n'avais rien fait, merdeux. Ne viens pas te plaindre devant moi pour une semaine de détention, moyennant quelques banals questions, et ce pour n'importe quoi. Retourne gérer tes petites affaires, j'ai un navire à prendre, rétorqué-je, tournant les talons d'instinct.
-Je t'ai prévenu, mec.
-Tu fais un pas ou un geste suspect et je te tue ici-même, Malmere. Je ne vais pas rire avec toi, répondis-je calmement, mettant la main sur un couteau cranté. Des engeances à la langue bien pendue, j'en ai tué à la pelle.
-Héhéhé.
Et c'est là qu'il se mit à siffler.
L'instant d'après j'entends un hurlement guerrier, puis je sens une vive douleur à la jambe gauche. On vient de me frapper avec un épais madrier. Je pose le genou au sol, rugissant de douleur quand on me place un sac sur la tête. Cet enfoiré est sérieux, il tient vraiment à se venger. Un deuxième type me tient par derrière au niveau du cou et du bras gauche, m'empêchant de faire quoi que ce soit, d'autant plus que j'étouffe à l'intérieur de ce sac. Je me prends une première droite, qui ne fait qu'augmenter ma colère bien que mes mouvements soient toujours entravés. Je me débat de plus en plus, comme un lion malgré la surprise. Une deuxième cogne lourdement contre mon arcade droite, ça fait mal, d'autant plus que la surprise diminue le seuil de tolérance à la douleur, n'étant pas physiquement et mentalement prêt.
J'arrive toutefois à presque me libérer de l'étreinte du type derrière, à force de me remuer puissamment dans tous les sens, mais pas au maximum de ma force, étant sonné par les deux directs. Là, un troisième coup m'atteint encore au visage. Je lâche deux puissantes expirations pour reprendre mon souffle, bientôt mis KO par ce duo de chiens bâtards. Il faut que je tienne le coup ! Mais ça y est, celui de derrière finit par me lâcher et se prend un monumentale coup de tête via l'arrière du crâne en plein dans les dents. Je retire immédiatement le sac et me retrouve face à une situation d'urgence. Malmere, le madrier d'ébène brandi prêt à me l'abattre sur la tête. Je pare de l'avant-bras droit, fissurant son arme et me laissant le temps de me relever pour lui asséner un uppercut au sternum sans aucune retenue. Je la lui subtilise pour la briser contre mon genou pour ensuite m'avancer d'un pas inquisiteur vers lui. C'est qu'il tente le direct, paré et récupérant son bras, brisé. Il hurle mais je lui met une main devant la bouche, souffre en silence pour la peine.
-A nous deux, que je grogne en plaquant le chien du Culte contre le mur pour lui asséner monts et monts de coups. Directs au foie, crochets aux côtes et même un coup de genou en plein dans la gueule.
La Voie du Berserker m'emporte, la douleur augmentant ma rage, c'est là que je me retiens, le laissant s'écrouler au sol comme une vulgaire poupée.Je reprends mes esprits, mes yeux récupèrent une couleur normale. Rangeant fébrilement ma lame face à ce sordide spectacle, je n'arrive pas à réaliser comment les choses ont pu dégénérer si vite.