Mens sana in corpore sano
Amertume. Douleur et ténèbres. Un trou béant emplissait son cœur, et rien ne pouvait combler ce manque. On lui avait arraché une partie de son âme et il ne pouvait lutter contre ce sentiment douloureux d’abandon. Une soif inextinguible de vengeance avait alors remplacé son besoin de justice, une nécessité brûlante de venger son nom et de laver l’honneur de sa famille. Mais le chagrin était trop fort pour qu’il fût capable de rester objectif en toute circonstance. En ces temps troublés, la meilleure chose restait encore de ne pas agir, et il était encore assez sage pour reconnaître cela, bien qu’il lui en coûta beaucoup de l’admettre. Son frère était tombé, il n’avait pas même pu glaner une information sur lui. La seule chose qui lui permettait encore de le savoir encore en vie était son âme, qu’il sentait encore complète. Un concept bien étrange, mais tous ces indices, tous ces actes auraient été vains si cela avait mener à tuer Césare. Trop d’hommes menés à l’abattoir, tant d’efforts pour une cause perdue ? Il n’y croyait pas. Personne n’avait de plus clamé la mort de ce dangereux criminel, Révolutionnaire important, leader de son groupuscule. Non, il était vivant. L’étrange sens qui reliait les deux jumeaux soufflait la même chose aux oreilles de l’assassin, et ce ne fût que grâce à ces maigres impressions qu’il put réussir à ne pas sombrer dans la folie. Mais les ténèbres étaient si profondes …
« Bouge de là, vieille carcasse ! » tonna une voix lointaine.
Rafaelo releva la tête, sa vue était totalement brouillée. Il ne percevait rien mis à part un tablier blanc sur un homme qui essayait de le soulever. Il percevait le contact rugueux de la table en bois sur laquelle il reposait, mais très ténu. Le jeune homme se releva légèrement et voulu se dégager sous la pression des mains calleuses. Il ne réussit qu’à tomber de sa chaise, et se retrouva affalé de tout son long sur le carrelage glacier de l’endroit. Il se tourna sur le ventre et sentit son torse se faire tirer vers le haut. Il lâcha malgré lui un hoquet, à deux doigts de vomir, et se débattit légèrement. L’homme le lâcha, et il s’écrasa de nouveau, mais eut cette fois le réflexe de se rattraper avec ses mains. Il ploya un genou et réussit à se relever, repoussant d’un bras hasardeux l’aide du tavernier. Ne maîtrisant pas son geste, il asséna un violent coup de coude à l’homme, qui l’atteignit en plein dans le menton. Surpris, il s’affala de tout son long dans un bruit sourd, mais l’assassin ne s’en rendit même pas compte. Il continua sa route tortueuse vers la porte, d’où un vent frais soufflait. Il se prit une table, lorsque deux paires de bras le saisirent sous les coudes et l’amenèrent dehors. Le froid de la nuit le réveilla soudain, et il rendit ses tripes sur le pas de la porte, tirant un juron étouffé des deux videurs de l’auberge. La prise sur ses épaules se resserra, lui tirant une grimace de douleur, malgré l’état dans lequel il se trouvait. Il vit le sol défiler sous ses pieds, mais il ne comprit pas réellement où il allait. Ce ne fut que lorsqu’il sentit le sol se dérober sous lui, et le contact visqueux et malodorant de la boue qu’il revint à ses esprits. Le reste du trajet n’était à présent plus qu’un flou nauséeux. Un violent coup de pied vint lui faire à nouveau rendre son repas, suivit de plusieurs. Un filet de sang s’échappa alors de sa bouche, et les malabars se décidèrent enfin à cesser leur petit jeu, laissant l’ivrogne cuver sa vinasse dans la porcherie. Rafaelo voulut se relever, mais à peine posa-t-il sa main dans le mélange d’eau, de terre et de déjection que ses forces l’abandonnèrent, et il sombra dans un profond sommeil.
Le Soleil, à son zénith, réveilla l’assassin, du moins autant que l’odeur. La tenue soignée de Rafaelo n’avait pas survécu à la soirée, et elle était irrémédiablement crottée. Il s’assit, autant qu’il put, et exerça une forte pression sur ses temps, à l’aide de la paume de ses mains. Un violent mal de crâne le foudroyait. Il secoua la tête pour se remettre les idées en place, et grimaça de dégoût en constatant l’étendue de sa débauche. Il glissa une main tremblante vers sa bourse, et constata avec dépit que le cordon avait était sectionné. Evidemment, on s’était servi sur lui et il n’avait pas même été capable de réagir. Il s’essuya négligemment la bouche et constata avec étonnement du sang séché sur ses doigts. Les souvenirs étaient encore flous, mais la douleur était bien présente. Il tenta de se relever, mais ne put que lâcher un hoquet de souffrance. Il souleva ses vêtements et constata de larges ecchymoses violacées. Il laissa sa tête aller en arrière et se la cogna contre le panneau de bois plusieurs fois, jusqu’à ce que le groin d’un verrat ne vienne le déranger. Il se traina alors hors de la porcherie et prit sur lui de se relever. Il grimaça légèrement mais tint bon, tandis que ses pas le dirigeaient vers la rivière la plus proche. Il illustrait à merveille la déchéance dans laquelle le chagrin de la disparition de son frère l’avait plongé. Et chaque matin, il se réveillait en jurant de ne pas répéter les erreurs de la veille … chaque matin.
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L’eau était glaciale, mais cela faisait du bien. Rafaelo détacha ses cheveux et se plongea entièrement dans le fleuve, sous le regard outrée des demoiselles passant leur chemin. Quoi qu’outré ne fût pas vraiment le mot … Il y resta quelques secondes, profitant du doux courant de la berge et refit surface doucement. Ses vêtements étaient posés en tas sur le rebord et il n’avait conservé que ses chausses. Il regagna l’endroit et entreprit de sécher un peu au Soleil avant d’enfiler sa chemise, qu’il avait au préalable lavé dans le fleuve. Il s’attacha les cheveux en un catogan serré et décidé, une fois pour toute, de se reprendre en main. Un légère barbe avait commencé à prendre le pas sur son visage, il commencerait par arranger cela. Il enfila le reste de ses affaires puis entreprit de se diriger vers le débarras qu’il occupait actuellement, et qui lui faisait office de planque. Là-bas, il revêtirait une fois pour toute sa tenue d’assassin et ne se défilerait plus face à ses devoirs. À commencer par la Confrérie, toute l’institution de son frère était à reprendre, et il se devait de lui faire honneur. De même, toutes les attributions de son frère lui revenaient de droit, car il n’avait pas souvenir que celui-ci se soit engagé dans quelque chose sans lui en faire part, sans lui attribuer une part importante des décisions. Il devrait faire honneur à Césare. Lui n’aurait pas toléré la dépravation dans laquelle Rafaelo était tombé, trois semaines déjà qu’il avait disparu, trois longues semaines que l’assassin avait passé à s’enivrer et à déprimer. Un constat bien peu reluisant de sa situation, mais que pouvait-il y faire ? Il n’existait pas de solution miracle, et il devait s’en remettre à lui-même. Il espérait au moins que cette fois, il se tiendrait à sa décision, et ne sombrerait pas à nouveau dans un nouvel épisode de dépression l’amenant inéluctablement dans la moins fréquentable des tavernes du coin. Il était temps pour lui de quitter cet endroit et de se remettre à officier tel qu’il l’avait toujours fait.
Ce fut sur ces pensées qu’il arriva à l’endroit où tout son matériel était dissimulé. Après avoir bien fait attention à ne pas être suivi, Rafaelo se faufila à l’intérieur et entreprit de fixer tout son attirail. Il vida l’endroit de tout ce qui pouvait lui appartenir puis mit les voiles sans se préoccuper d’autre chose. Il était devenu clair à ses yeux qu’il n’avait pas assez de force pour lutter, qu’il se devait de trouver une alternative à sa faiblesse apparente. En effet, il n’avait pu que regarder son frère se sacrifier pour lui en maintes occasions, mais jamais il n’avait été capable de lui rendre la pareille. Il n’était que trop ralenti par sa condition d’humain, et c’était en ce temps une chose tout sauf superflue. Il avait pu constater maintes merveilles en ce monde, et l’un deux restait sans conteste le pouvoir de son frère. Il avait été présent lorsqu’il avait avalé ce fruit écœurant, son fruit du démon. Il avait à l’époque considérer cette chose avec dédain, l’assimilant plus à une tricherie qu’autre chose, et s’était juré de dépasser son frère malgré cela. Cependant, il se devait aujourd’hui de reconnaître qu’il avait été clairvoyant. S’ajoutait à cela le fait que ses ennemis, dans le Gouvernement ou la Marine, possédaient eux aussi de telles armes. En effet, plus il se perfectionnait, plus ses ennemis devenaient redoutables. Il avait affronté un homme possédant un fruit élastique, ou encore entendu l’étrange histoire de l’Amiral Aokiji, homme des glaces. Il avait ainsi, peu à peu, glané des informations sur ces dits fruits du démon et appris qu’il en existait plusieurs classes. Paramecia, Zoan et Logia. Il voulait à présent s’affranchir totalement de sa condition humaine et savait qu’il n’y avait pour cela qu’un seul type de fruit qui puisse lui convenir, un fruit des éléments, un des plus puissants qui existât : un Logia. Cette pensée tira un ricanement sinistre à l’assassin. Qu’il soit devenu si avare de puissance ne lui ressemblait pas, mais la disparition de son frère l’avait plus changé qu’il aurait voulu l’admettre. Ce désir, autrefois absent, avait lentement corrompu son cœur pour en faire aujourd’hui une obsession implacable. Et c’est sur cette idée qu’il écumait les Blues, toujours à la recherche de ce fruit fatidique. Mais à chaque fois, cela se terminait de la même manière : au fond d’une auberge à cuver son vin. Pourtant, il ne savait pas encore que le vent allait tourner pour lui, que sa chance lui souriait enfin …
« Halte, qui va là ? » tonna une profonde voix, de l’autre côté de la ruelle.
L’assassin se stoppa net, et rabaissa d’un geste maniaque sa capuche. Il se tourna lentement vers son interlocuteur, ne lui laissant apercevoir que le bas de son visage, où un sourire mesquin trônait. Il releva la tête et observa le Marine qui lui faisait face, flanqué de ses deux comparses. Il avait une main posée sur le pommeau de son épée, et avançait d’un pas vif vers lui. Rafaelo écarta ses deux bras, les éloignant de ses armes visibles. Un étrange rire sourd s’échappa de sa gorge, inaudible pour les Marines.
« Veuillez obtempérer et aucun mal ne vous sera fait. On nous a signalé la présence d’un dangereux assassin dans Logue Town, qui aurait déjà sévi ici par le passé. Baissez votre capuche, et aucun mal ne vous sera fait. » ordonna le soldat.
L’Auditore pencha la tête sur le côté, découvrant un sourire sadique à l’agent. Il fit jouer ses doigts et sentit un frisson de haine lui parcourir l’échine. La Marine. Ceux qui lui avaient ôté sa famille, dans son ensemble. D’abord ses parents, carbonisés, écrasés dans leur propre maison. Et maintenant son frère, son jumeau. Césare. Nul tourment ne serait assez grand pour eux. Nul trou assez profond, nulle demeure assez protégée. Il les trouverait tous, et les tuerait jusqu’au dernier.
« Je ne crois pas que je vais obtempérer. Déjà, parce que ce n’est pas moi que vous cherchez, voyez-vous ? » murmura-t-il, presque avec douceur.
Le Marine se stoppa brusquement, et dégaina son épée d’un geste. Une intense aura meurtrière s’exhalait de l’homme encapuchonné. Ses deux sbires firent de même. Ainsi, ils voulaient jouer ?
« Voir mon visage ne vous mènerait à rien. Vous savez pourquoi ? » continua-t-il, insidieusement moqueur.
Illustrant sa farce, Rafaelo tira deux dagues de sa ceinture et les expédia sur les deux pauvres soldats qui flanquaient le malheureux qui avait osé le héler. Un instant, il alla si vite qu’il parut s’être téléporté. Il se retrouva à un pas du Marine, le tranchant de l’épée contre son armure, sans que celui-ci n’ait pu réagir.
« Car nul ne l’a jamais vu. » acheva-t-il, exécutant une complexe parade, visant à s’emparer de l’épée de son adversaire.
La tête du Marine s’envola et alla rebondir dans la ruelle, tandis que son corps s’affalait, animé de soubresauts. L’assassin s’écarta d’un bond, évitant d’être tâché par le sang, puis il laissa tomber l’arme avec dégoût. Il réprima un frisson. Sa colère avait pris le dessus, et il avait fait fi de tous ses enseignements. Il inspira profondément puis déserta l’endroit, avant que quelqu’un ne puisse l’apercevoir. Il ne supportait se retrouver dans cet état, mais il devait avouer qu’en certaines occasions, la colère lui donnait la force dont il avait besoin. Cependant, jamais il n’oublierait les mots de son mentor, et essayait chaque jour de les respecter. La peur menait à la colère, la colère menait à la haine, la haine menait à la souffrance. Il n’avait pas peur, déjà un bon point. Mais il savait que ce type de raisonnement pouvait lui obscurcir l’esprit, et jouer une entrave à ses recherches. Cette pensée lui fit l’effet d’une douche froide. Il se posa quelques secondes contre le mur d'une baraque apparemment abandonnée et prit de nouveau le temps de se calmer. Il serra fort son poing, de honte, puis ferma les yeux, cherchant à abaisser son rythme cardiaque. Lorsque, soudain, un léger bruit attira son attention. L'assassin dégaina aussitôt ses dagues secrètes et observa la ruelle d'un oeil expert. Il n'avait eu que le temps d'apercevoir une ombre mouvante, quelqu'un se jouait-il de lui ?