-Nous sommes arrivés Colonel.
-Je sais Orion.
-...
-...
-Non parce que vous bougez pas.
-Je sais, Orion.
Et elle était bien la seule. Megavega attisait la curiosité de tous et personne n'avait patienté plus de quelques secondes avant de s'agiter pour débarquer. Lin avait même dû recadrer quelques membres d'équipages un peu prompts à laisser leur part du boulot à d'autres.
L'effervescence était légitime : quel marin n'avait pas rêvé de visiter la « nouvelle » base de la marine ? Des locaux neufs ? Ils voulaient tous goûter à l'odeur de la peinture fraîche sur la pointe de leur langue plutôt que ces moutons de poussière derrière les étagères et les tâches de moisissures entre les dalles de béton. C'était aussi excitant que s'ils s'étaient arrêtés sur Holiday island ou à Suna Land. Des gosses dans un parc d'attractions, pour beaucoup. Maintenant, ils se disputaient pour savoir qui allait décharger les déchets, qui allait refaire le plein d'eau, qui irait changer les voiles trouées, et surtout lequel d'entre eux serait condamner à rester à bord pour vérifier chaque pièces d'accastillage, chaque toile et morceau du gréement.
Chacun voulait être le premier à descendre, le premier à fouler de leurs jambes roides la base de la marine sans savoir que, quoiqu'il advienne, ils y dormiraient tous cette nuit ; Rachel en avait eu la confirmation plus tôt. Pourtant, elle gardait le silence et les regardait s'agiter sous l'oeil circonspect d'Orion. Pourquoi le leur révéler et gâcher leur fébrilité ? Elle serait plus constructive et plus épanouissante que leur morosité permanente depuis Thriller Bark. Une amertume qui n'avait pas non plus lâché Rachel, même depuis l'arrêt à Marie Joie. Là bas, elle y avait été promue Colonel d'Elite sans plus de cérémonies et sans grande pompe. Elle rentrait dans la Flèche, comme elle n'en avait jamais autant espéré, et de manière un peu précipité à son goût. Est-ce que, comme elle le pensait avec un air morne, elle avait été promue parce qu'elle était la seule à même de reprendre le flambeau de la Valkyrie – en tant que second de son équipage – ou bien était-ce – en laissant de côté son manque de confiance et sa paranoïa – pour valoriser son passé et ses faits d'armes ? Ils avaient omis ces choses là. Sans importance pour beaucoup, supposait-elle, car dans un cas comme dans l'autre, d'une certaine façon, elle avait mérité ces nouveaux galons.
-Non parce que vous bougez toujours pas ...
-Je dois te couper une oreille pour que tu apprennes à t'en servir ? Finit-elle par rétorquer avec humeur.
-Ah mais restez à bord si ça vous chante ! J'ai plus rien à faire depuis qu'ils ont fini d'amarrer ce rafiot alors moi je descends, hein.
-Tu es très désagréable ces temps-ci Orion.
-C'est vrai que vous êtes charmante depuis TB !
-Tu mériterais tellement les fers.
-Il paraît ! Trancha-t-il cyniquement en descendant les marches de la dunette.
Rachel faillit le laisser s'en aller, mais en serrant les dents, elle le héla un peu plus brusquement qu'elle l'aurait voulu. Il se retourna au milieu de la volée de marches, mi-interloqué, mi-agacé. Il remarqua immédiatement que les cheveux de la capitaine se torsadaient en deux cornes vrillées. Son regard était d'une profondeur et d'une dureté qu'il ne lui avait que rarement connue.
-C'est toi qui vas chapeauter le débarquement. Tu n'iras à quai qu'une fois que plus personne ne sera à bord. J'espère avoir été claire cette fois.
Orion prit un air plus sombre encore mais ne pipa mot pour autant. Sur un hochement de tête, Rachel le rattrapa puis le dépassa sans un regard supplémentaire. Au bas des marches, elle croisa Jenny qui triait ses dials et ses ceintures. Cette dernière lui jeta un regard équivoque et se releva lentement sur son passage. À chacun de ses pas, ses orteils nus frôlaient les planches du pont, lui donnant l'air de glisser plus que de marcher. Elle semblait vouloir ouvrir la bouche pour dire quelque chose, mais Rachel leva la main, plus agacée qu'elle ne l'aurait cru, pour lui intimer le silence.
-Pas maintenant Jenny. Occupe-toi de tes Dials.
Et Rachel de s'éloigner sans plus de cérémonies. Elle avisa les cheveux rouges de Lin au milieu des autres marins excités par la base neuve de Megavega. C'était elle qu'elle voulait voir. Sans ambages, elle se planta devant elle, du haut de son malheureux mètre cinquante. Elle était droite et parla de manière autoritaire. Même Lin était en mesure de voir que Rachel n'était pas au mieux de sa forme et que cette dureté n'était que feinte. Notre brunette ne doutait pas une seconde que la tigresse le prît mal.
-Je dois aller voir les unités scientifiques. Je ne sais pas combien de temps ça va prendre ni de ce dont on va parler avec précision.
Tu te rendras en mon nom au bâtiment F vers 15h. Il devrait y avoir quelques recrues qui monteront définitivement à bord avec nous. Une dizaine peut-être. Certains ont été rapatriés ici après un naufrage et d'autres on juste fini leurs classes auprès des scientifiques. Je n'en sais pas beaucoup plus. Je te laisse te charger d'eux. En notre absence, c'est Orion le timonier qui gère l'équipage et le navire.
Oh ! Tu te souviens de la manière de recruter de Toji ? … Sois plus douce quand même.
La base était plus que fringante. Elle était éclatante de blancheur. Le soleil n'était pas encore très haut et frappait les murs avec une intensité qui forçait Rachel à baisser les yeux. Elle chercha à obscurcir sa vision avec le retour à la vie mais ce ne fut pas très fructueux. Tout ce blanc lui vrillait les iris, lui faisait grincer les dents et vibrer ses tympans. Seul son bras gauche y restait insensible, et pour une fois qu'il était insensible à quelque chose il était important de le noter.
Descriptions excessives, certes, mais tant de blanc l'horripilait réellement. Elle avait l'impression de lire une affiche de propagande aux proportions gigantesques. Combien de mètres de haut faisaient ces bâtiments à la pureté aveuglante ? Elle se sentait amère et énervée. Elle aurait volontiers fait s'écraser quelques corbeaux contre ces murailles pour y ajouter des tâches de rouge et de noir. Le véritable quotidien des marins.
Rachel ressassait ses morts en boucle.
À l'intérieur, au moins, le blanc était moins présent. Les odeurs beaucoup plus. Le plâtre et l'enduit et la poussière toute neuve. Aucune des affiches habituelles n'était déchirée et rafistolée au scotch. Les enseignes n'étaient ni détériorées ni délavées. Rachel avait l'étrange impression d'avoir fait un saut dans le temps. Une pancarte droite et fière lui indiqua la direction des locaux qu'elle cherchait. Dans cette base se trouvait un homme dont les travaux sur les gaz l'intéressaient particulièrement. Non pas qu'elle en soit une adepte, mais elle se sentait redevable d'une certaine manière à Mona Lisa. Et ce scientifique avait été à même de façonner un gaz aux propriétés semblables aux pouvoirs de la Valkyrie. Elle avait tenue à le voir en personne et ensuite elle déciderait de ce qu'elle ferait de lui et du gaz.
Elle avait conscience d'être stupide. Ou du moins se sentait-elle stupide. Mais elle aurait l'air beaucoup plus idiote si elle n'assumait pas ses impulsions déraisonées. Oui, aux yeux des autres, faire tout ce chemin vers Megavega pour une raison aussi futile était une impulsion déraisonée. Il suffisait qu'elle soit droite dans ses demandes et de trouver d'autres utilités au déplacement (comme changer de navire ou – au moins – trouver sur places quelques améliorations scientifiques à y apporter) pour qu'elle soit prise au sérieux. L'heure n'était plus à la clémence, mais à la fermeté. Même s'il s'agissait dans le fond que d'un simple gaz parano.
-Je cherche un certain « Zéro ».
-Ooh oui. Troisième étage. Il n'est pas évident de savoir où il se trouve, mais vous pourrez être sûre qu'il sera à l'étage des bains au moins dix fois dans la journée.
-Son hygiène me ravirait presque.
-Hein ? Ooh non. Je ne veux pas vous donner de faux espoirs, mais je crois que vous ne savez pas à qui vous avez affaire.
-Je le saurai bien assez tôt, rétorqua-t-elle avec méfiance. Merci beaucoup.
L'étage des douches et des bains ? Sérieusement ? Pourquoi Rachel craignait-elle de débarquer dans un couloir embrumé et vapeurs et enveloppé de chaleur ?
-Je sais Orion.
-...
-...
-Non parce que vous bougez pas.
-Je sais, Orion.
Et elle était bien la seule. Megavega attisait la curiosité de tous et personne n'avait patienté plus de quelques secondes avant de s'agiter pour débarquer. Lin avait même dû recadrer quelques membres d'équipages un peu prompts à laisser leur part du boulot à d'autres.
L'effervescence était légitime : quel marin n'avait pas rêvé de visiter la « nouvelle » base de la marine ? Des locaux neufs ? Ils voulaient tous goûter à l'odeur de la peinture fraîche sur la pointe de leur langue plutôt que ces moutons de poussière derrière les étagères et les tâches de moisissures entre les dalles de béton. C'était aussi excitant que s'ils s'étaient arrêtés sur Holiday island ou à Suna Land. Des gosses dans un parc d'attractions, pour beaucoup. Maintenant, ils se disputaient pour savoir qui allait décharger les déchets, qui allait refaire le plein d'eau, qui irait changer les voiles trouées, et surtout lequel d'entre eux serait condamner à rester à bord pour vérifier chaque pièces d'accastillage, chaque toile et morceau du gréement.
Chacun voulait être le premier à descendre, le premier à fouler de leurs jambes roides la base de la marine sans savoir que, quoiqu'il advienne, ils y dormiraient tous cette nuit ; Rachel en avait eu la confirmation plus tôt. Pourtant, elle gardait le silence et les regardait s'agiter sous l'oeil circonspect d'Orion. Pourquoi le leur révéler et gâcher leur fébrilité ? Elle serait plus constructive et plus épanouissante que leur morosité permanente depuis Thriller Bark. Une amertume qui n'avait pas non plus lâché Rachel, même depuis l'arrêt à Marie Joie. Là bas, elle y avait été promue Colonel d'Elite sans plus de cérémonies et sans grande pompe. Elle rentrait dans la Flèche, comme elle n'en avait jamais autant espéré, et de manière un peu précipité à son goût. Est-ce que, comme elle le pensait avec un air morne, elle avait été promue parce qu'elle était la seule à même de reprendre le flambeau de la Valkyrie – en tant que second de son équipage – ou bien était-ce – en laissant de côté son manque de confiance et sa paranoïa – pour valoriser son passé et ses faits d'armes ? Ils avaient omis ces choses là. Sans importance pour beaucoup, supposait-elle, car dans un cas comme dans l'autre, d'une certaine façon, elle avait mérité ces nouveaux galons.
-Non parce que vous bougez toujours pas ...
-Je dois te couper une oreille pour que tu apprennes à t'en servir ? Finit-elle par rétorquer avec humeur.
-Ah mais restez à bord si ça vous chante ! J'ai plus rien à faire depuis qu'ils ont fini d'amarrer ce rafiot alors moi je descends, hein.
-Tu es très désagréable ces temps-ci Orion.
-C'est vrai que vous êtes charmante depuis TB !
-Tu mériterais tellement les fers.
-Il paraît ! Trancha-t-il cyniquement en descendant les marches de la dunette.
Rachel faillit le laisser s'en aller, mais en serrant les dents, elle le héla un peu plus brusquement qu'elle l'aurait voulu. Il se retourna au milieu de la volée de marches, mi-interloqué, mi-agacé. Il remarqua immédiatement que les cheveux de la capitaine se torsadaient en deux cornes vrillées. Son regard était d'une profondeur et d'une dureté qu'il ne lui avait que rarement connue.
-C'est toi qui vas chapeauter le débarquement. Tu n'iras à quai qu'une fois que plus personne ne sera à bord. J'espère avoir été claire cette fois.
Orion prit un air plus sombre encore mais ne pipa mot pour autant. Sur un hochement de tête, Rachel le rattrapa puis le dépassa sans un regard supplémentaire. Au bas des marches, elle croisa Jenny qui triait ses dials et ses ceintures. Cette dernière lui jeta un regard équivoque et se releva lentement sur son passage. À chacun de ses pas, ses orteils nus frôlaient les planches du pont, lui donnant l'air de glisser plus que de marcher. Elle semblait vouloir ouvrir la bouche pour dire quelque chose, mais Rachel leva la main, plus agacée qu'elle ne l'aurait cru, pour lui intimer le silence.
-Pas maintenant Jenny. Occupe-toi de tes Dials.
Et Rachel de s'éloigner sans plus de cérémonies. Elle avisa les cheveux rouges de Lin au milieu des autres marins excités par la base neuve de Megavega. C'était elle qu'elle voulait voir. Sans ambages, elle se planta devant elle, du haut de son malheureux mètre cinquante. Elle était droite et parla de manière autoritaire. Même Lin était en mesure de voir que Rachel n'était pas au mieux de sa forme et que cette dureté n'était que feinte. Notre brunette ne doutait pas une seconde que la tigresse le prît mal.
-Je dois aller voir les unités scientifiques. Je ne sais pas combien de temps ça va prendre ni de ce dont on va parler avec précision.
Tu te rendras en mon nom au bâtiment F vers 15h. Il devrait y avoir quelques recrues qui monteront définitivement à bord avec nous. Une dizaine peut-être. Certains ont été rapatriés ici après un naufrage et d'autres on juste fini leurs classes auprès des scientifiques. Je n'en sais pas beaucoup plus. Je te laisse te charger d'eux. En notre absence, c'est Orion le timonier qui gère l'équipage et le navire.
Oh ! Tu te souviens de la manière de recruter de Toji ? … Sois plus douce quand même.
La base était plus que fringante. Elle était éclatante de blancheur. Le soleil n'était pas encore très haut et frappait les murs avec une intensité qui forçait Rachel à baisser les yeux. Elle chercha à obscurcir sa vision avec le retour à la vie mais ce ne fut pas très fructueux. Tout ce blanc lui vrillait les iris, lui faisait grincer les dents et vibrer ses tympans. Seul son bras gauche y restait insensible, et pour une fois qu'il était insensible à quelque chose il était important de le noter.
Descriptions excessives, certes, mais tant de blanc l'horripilait réellement. Elle avait l'impression de lire une affiche de propagande aux proportions gigantesques. Combien de mètres de haut faisaient ces bâtiments à la pureté aveuglante ? Elle se sentait amère et énervée. Elle aurait volontiers fait s'écraser quelques corbeaux contre ces murailles pour y ajouter des tâches de rouge et de noir. Le véritable quotidien des marins.
Rachel ressassait ses morts en boucle.
À l'intérieur, au moins, le blanc était moins présent. Les odeurs beaucoup plus. Le plâtre et l'enduit et la poussière toute neuve. Aucune des affiches habituelles n'était déchirée et rafistolée au scotch. Les enseignes n'étaient ni détériorées ni délavées. Rachel avait l'étrange impression d'avoir fait un saut dans le temps. Une pancarte droite et fière lui indiqua la direction des locaux qu'elle cherchait. Dans cette base se trouvait un homme dont les travaux sur les gaz l'intéressaient particulièrement. Non pas qu'elle en soit une adepte, mais elle se sentait redevable d'une certaine manière à Mona Lisa. Et ce scientifique avait été à même de façonner un gaz aux propriétés semblables aux pouvoirs de la Valkyrie. Elle avait tenue à le voir en personne et ensuite elle déciderait de ce qu'elle ferait de lui et du gaz.
Elle avait conscience d'être stupide. Ou du moins se sentait-elle stupide. Mais elle aurait l'air beaucoup plus idiote si elle n'assumait pas ses impulsions déraisonées. Oui, aux yeux des autres, faire tout ce chemin vers Megavega pour une raison aussi futile était une impulsion déraisonée. Il suffisait qu'elle soit droite dans ses demandes et de trouver d'autres utilités au déplacement (comme changer de navire ou – au moins – trouver sur places quelques améliorations scientifiques à y apporter) pour qu'elle soit prise au sérieux. L'heure n'était plus à la clémence, mais à la fermeté. Même s'il s'agissait dans le fond que d'un simple gaz parano.
-Je cherche un certain « Zéro ».
-Ooh oui. Troisième étage. Il n'est pas évident de savoir où il se trouve, mais vous pourrez être sûre qu'il sera à l'étage des bains au moins dix fois dans la journée.
-Son hygiène me ravirait presque.
-Hein ? Ooh non. Je ne veux pas vous donner de faux espoirs, mais je crois que vous ne savez pas à qui vous avez affaire.
-Je le saurai bien assez tôt, rétorqua-t-elle avec méfiance. Merci beaucoup.
L'étage des douches et des bains ? Sérieusement ? Pourquoi Rachel craignait-elle de débarquer dans un couloir embrumé et vapeurs et enveloppé de chaleur ?