1627
Nursery
Jour J-3
- Merci de prendre sur votre temps, I.G.A Lindeker.
- C'est avec plaisir que j'aiderai, répond le haut gradé avec une mine qui disait tout le contraire. En quoi puis-je faire progresser l'enquête ?
- En me disant tout.
- Tout ?
- Tout ce que vous savez sur la mort de l'Ingénieur Général des Armées Nolan Descontrées et de ses trois assistants.
- Rien de plus que ce que tout le monde sait déjà. Il y a eu une explosion dans son labo, ils sont morts. Voilà tout.
- Aucune idée sur ce qui aurait pu provoquer cette explosion ?
- Comment voulez-vous que je le sache ?! demande Lindeker avec agacement. Neptune sait ce que cet imbécile fabriquait dans son labo ! Et puis, c'est pas votre rôle de découvrir ça justement ?!
- J'y travaille, j'y travaille, déclare-t-il, ses intenses prunelles vertes fixées sur le visage glabre de son vis à vis, tout en griffonnant si vite dans son calepin que sa main en était floue.
- Alors travaillez-y mieux que ça, Marshall ! Et c'est pas en me faisant perdre mon temps avec des questions inutiles que vous découvrirez la cause de cet accident !
- Ah donc pour vous, c'est un accident ?
- Hein ? Bien sûr que c'en est un. Qu'est-ce que vous voulez que ce soit d'autre ? demande l'Ingénieur Général des Armées, sincèrement surpris.
- Je n'exclus aucune piste. De l'accident au meurtre.
- Meurtre ? s'exclame Lindeker, secoué de rires semblables à des aboiements. Qui diable voudrait bien tuer ce nullard ?
- "Imbécile", "nullard". Vous ne semblez pas porter votre confrère dans votre cœur.
- Écoutez-moi très bien et je vous autorise d'ailleurs à me citer dans tous vos rapports, Marshall. Nolan Descontrées était une vieille arnaque qui a réussi à force de coup de chances à se hisser à sa place. Depuis l'heureuse circonstance qui lui a permis de mettre au point le premier échoscanner il y a trente ans, il n'a fait aucune autre avancée. Tous ses projets se terminaient par des échecs retentissants. Je déplore le fait que les instances supérieures continuaient malgré tout de lui accorder des crédits pour ses recherches foireuses ! Voilà, ce que je pense de lui. Ça fait de moi un suspect dans votre petit scénario paranoïaque, Marshall ? ajoute-il sur un air de défi.
- Voyez-vous quelqu'un qui aurait pu lui en vouloir au point de le tuer ?
- Cette andouille avait la réputation d'être aussi un usurpateur et un voleur de recherches. Quand il a publié ses travaux sur les défenses immunitaires du peuple de Ghyst après la fièvre des Bolats, y a quelques mois, un de ses anciens étudiants l'a accusé de plagiat mais ça n'est jamais allé bien loin. Il y a aussi des rumeurs sur des relations inappropriées qu'il entretiendrait avec nombre de ses étudiantes mais j'ignore si ça vaut la peine de le tuer, surtout de cette façon. Et puis, il n'était pas seul. Faut vraiment être un pourri pour vouloir en finir avec lui au point d'ignorer les dommages collatéraux. Je pense que vous faites fausse route, Inspecteur. Cet idiot devait s'amuser avec un quelconque produit chimique et il aura fait un mélange de trop.
- Merci I.G.A Lindeker.
Marshall Totti sort sous le soleil qui baigne Nursery de la lueur. Il fait beau, beaucoup trop pour enquêter sur un carnage. Il devrait être à la plage, en maillot de bain, à courir derrière les filles. C'était une autre époque et les cliquetis qui auréolent chacun de ses pas lui rappellent que désormais, il n'est qu'un cyborg. A plus de soixante-quinze pour cent de son corps. Les affres du métier. A force de fouiner, d'en avoir écroué plus d'un, on se dessine forcément une cible sur le front. Et tôt ou tard, un haineux finit par avoir sa vengeance. Sa propre histoire se serait-elle répétée avec Nolan Descontrées ? Depuis la mort tragique de l'I.G.A vingt-quatre heures auparavant, il n'a cessé de grappiller des témoignages ci et là. Il en ressort que peu de personnes portaient le défunt dans leur cœur. Pour la majorité, Descontrées n'était qu'un affabulateur, un mytho qui avait eu ses galons d'Ingénieur Général des Armées nul ne sait comment. A l'instar de Lindeker, ils refusaient de le considérer comme un "véritable scientifique". Pour une portion plus réduite, le défunt était un homme affable, l'incarnation même de la gentillesse, le meilleur officier supérieur qu'on puisse servir.
- Un meurtre ? N'est-ce-pas tiré par les cheveux ? s'enquiert un autre I.G.A, Koffy Marley de son nom.
- J'ai pas de cheveu.
- Euh... C'était une blague de cyborg ?
- Peu importe. Selon tous, vous étiez le plus proche du défunt.
- N'exagérons rien. Vrai que lui et moi avons fait un bout de chemin ensemble. Je l'appréciais, c'est vrai aussi.
- Vous le considériez comme un faux, vous aussi ?
- J'estime surtout qu'être scientifique requiert forcément une bonne dose de veine. Et No' en avait parfois, de la chance. Il trébuchait sur un cailloux et paf ! Il découvrait une mine d'or. C'était ça son genre. Donc non, pour moi, il a mérité toutes ses médailles. Et je ne vois pas qui aurait pu vouloir le tuer.
- Savez-vous sur quoi il travaillait avant de mourir ?
- La veine de No' se tarissait depuis quelques années, répond-il gêné. Donc il avait tendance à travailler sur un million de choses en même temps, plus éphémères et farfelus les uns que les autres. Dernièrement, je crois l'avoir entendu dire qu'il voulait travailler sur la cybernétique.
- Il était biologiste de formation non ?
- C'était surtout un touche à tout. Il l'était d'autan plus que l'échéance cruciale arrivait.
- Vous parlez de la venue du nouveau Végapunk ?
- Oui. La base va se mettre sur son 31 à l'occasion et tous les I.G.A auront à cœur de montrer que leurs départements sont les plus productifs. Le nerf de la guerre, c'est l'argent. On dit qu'il viendra avec une enveloppe de plusieurs milliards à consacrer à la recherche. Tout le monde veut avoir la plus grosse partie de ce gâteau. Et avec ses échecs sur échecs, No' était aux abois.
- Il n'avait aucune chance d'engranger des subventions ?
- Pire, il risquait fortement de se faire saquer puis virer. Vladim Tesla n'est pas un tendre et il n'a aucun sens de l'humour. Il entend réformer de fond en comble la Brigade Scientifique ce qui signifie mettre au placard les gouffres financiers et les scientifiques du dimanche. No' craignait pour sa place, conclut-il en soufflant de dépit. Vous savez, je ne suis pas surpris par son sort, ajoute-t-il, il était tellement désespéré à l'idée de créer quelque chose qui marche qu'il aurait pu essayer n'importe quoi sans cure des conséquences. Peut-être voulait-il inventer la plus grosse bombe de tous les temps ?
Nursery dénombre à peu près vingt-milles pensionnaires "humains" qui ont tous croisé au moins une fois la route du défunt. Des défunts même, se corrige l'enquêteur alors que le second jour d'investigation après l'explosion touche à sa fin. Il a laissé à ses collaborateurs le soin de fouiner dans la vie des assistants de Descontrées mais ils firent chou blanc. Aucune menace de mort, aucun grief particulier de qui que ce soit, rien. « Pour dire vrai, on pense tous que c'est surement un accident, monsieur... » déclare timidement un assistant les yeux baissés. Marshall tire sur sa cigarette électronique et d'un geste nerveux, empoigne l'étoile qui pend à son cou. Pourquoi donc privilégie-t-il la piste du meurtre ? Il n'en sait rien lui-même alors que toutes les évidences pointent vers l'accident. Juste qu'il y a ce petit truc indéfinissable, cette intuition qui ne cesse de le hanter. La venue de Végapunk dans trois jours est une coïncidence qui le laisse dubitatif.
Le Soulèvement des Machines
Jour J-2
Le fauteuil qu'occupe habituellement Nolan Descontrées est vide, couverte d'un drap blanc. Autour de la table ovale, les trois I.G.A restants discutent âprement de l'ordre du jour. Assis en retrait, son éternel calepin à la main, Marshall griffonne et tente de faire entendre sa voix, sans succès. Sa proposition soulève d'un coup un raz-de-marée d'indignations. Annuler la venue de Vladim Tesla ? Impossible ! tonnent les I.G.A. à l'unisson. Ils refusent en bloc, tout le monde a travaillé trop dur, pendant des mois ils ont lutté contre les prétentions de leurs confrères du G-11 et même de Koneashima pour que Nursery soit la première destination du nouveau Vegapunk. Il serait pure folie de tout décommander d'un claquement de doigt. Au nom de quoi, d'ailleurs ? interrogent-ils. La théorie du meurtre les agace fortement. Ce sont des scientifiques, plus que tout autre, ils ont besoin de faits et de preuves, hors l'investigateur cyborg ne propose que des intuitions basées sur du vent.
- Votre supposition est bancale, Totti ! déclare fermement Salazar Salmanazar, le doyen des I.G.A et de ce fait, commandant de la base. Si quelqu'un complotait quelque chose contre Vegapunk, pourquoi commettrait-il un acte aussi imbécile ? Il lui aurait suffit de passer sous les radars et d'attendre son heure.
- Justement. Et si, Descontrées avait d'une manière ou d'une autre eu vent de cette machination ? Le ou les coupables auraient tout intérêt à le faire taire en faisant passer ça pour un accident.
- Vous avez eu les résultats de l'autopsie, n'est-ce-pas ? demande Russell Lineker avec un ton condescendant.
- Oui. Les légistes ont trouvé de la suie et des résidus de produits présents dans le labo dans les poumons des victimes.
- Donc ils étaient vivants avant et juste après l'explosion. Personne ne les a donc tués et déposés là-bas puis enclenché une explosion, conclut Salazar.
- Ils ont aussi trouvé des hématomes sous-cutanées et des blessures défensives sur le corps de Descontrées, ce qui porte à croire qu'il se serait battu juste avant sa mort.
- Ça ne prouve rien, No' était très gauche et avait la délicatesse d'un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il avait tout le temps des bleus et toutes sortes de blessures qu'il s'infligeait tout seul, assure Koffy Marley.
- Menez votre enquête comme vous l'entendez, Marshall, fit Salazar. Nous n'y pouvons rien, puisque la Police Militaire est indépendante. Nous ne souhaitons pas nous en mêler, d'ailleurs. Mais n'interférez pas dans les préparatifs pour la venue du Professeur Tesla. C'est notre dernier mot.
Lesdits préparatifs vont bon train et tout le monde s'empresse d'oublier le tragique "fait divers". Accroché à son intuition tel un hameçon bien planté dans un appât, Marshall multiplie les pistes en envoyant ses seconds fureter, bien qu'eux aussi ne soient pas du tout friand de cette obnubilation sans faits. L'un d'entre eux revient avec le registre de la douane du mois en cours. Il y est annoté à plusieurs reprises -quatre fois exactement-, les sorties du Chanceler, le biplace personnel de Descontrées. Voilà qui est très inhabituel, surtout pour ces chefs scientifiques peu enclins à quitter la base, qui se font chiens méchants derrière leurs équipes, en quête du moindre écart, du moindre relâchement qui pourrait porter atteinte à leurs résultats et donc à leurs très chères subventions. Mais Nolan était un scientifique atypique qui n'avait pas les mêmes préoccupations que ses confrères. D'un œil nouveau, le limier mécanique reconsidère la question.
- A chaque fois qu'il part, il revient toujours deux jours après. Sa destination doit être dans les environs.
- Y a que trois iles aussi proches d'nous, chef, dit une assistante, les yeux sur une carte maritime. Tétanos, Raijin Island et Skeleton.
- Dommage que celui qui le secondait dans ses voyages ait également trouvé la mort ! regrette un autre.
- Il faut se mettre à sa place. Il était aux abois et devait absolument dénicher une innovation où il perdrait non seulement ses crédits mais aussi son poste.
- Tétanos n'est qu'une banale ile forestière peuplée de primitifs cannibales mais elle regorge d'essences très rares en matière de pharmacopée. Et Descontrées était biologiste.
- Raijin m'a l'air un million de fois plus intéressante ! C'est le premier producteur mondial de courant électrique et ils sont très avancés dans le domaine de la cybernétique ! Sans compter que pour le biologiste qu'était Descontrées, il y avait un intérêt inimaginable à pouvoir étudier les ADN. Vous savez, ces humains qui ont évolué au point de produire de l'électricité comme des anguilles.
- Et Skeleton ?
- Juste une nécropole sans intérêt.
- Koffy Marley m'a confié que la cybernétique faisait partie des dernières lubies de notre I.G.A.
- Raijin, j'vous dis !
- Soit, admettons. Raijin, c'est trois villes-nations et bien plus de bourgades.
- C'est surtout des éclairs mortels ouais !
- Où irait-il là-bas ?
- Soit le Mechanicae Emporium pour voir de plus près leur science cybernétique ou leurs fameuses Veines électriques ou Eugénésia pour étudier les ADN. Moi je penche pour les ADN. Imaginez les supers soldats qu'on formerait si on pouvait populariser ça comme le Rokushiki ?
- L'électricité hein ? marmonne le limier, pensif.
- Vous pensez à un truc en particulier, chef ?
- Je remarque que hormis Raijin Island justement, Vladim Tesla est le seul capable de dompter l’électricité et l'utiliser dans un but de grande consommation avec sa Bobine Tesla. Or, il vient ici dans deux jours ; mais voilà qu'un de nos scientifiques les plus capés se rendant régulièrement à Raijin pour X raisons trouve la mort dans l'explosion de son laboratoire ?
- Je vous suis pas.
- La Bobine Tesla n'est pas encore à son exploitation maximale d'après ce que j'en sais. Elle ne produit pas l'électricité, elle la capte de la foudre, la conserve et la distribue. Hors la foudre ne tombe pas chaque jour quoi. Sauf sur Raijin. C'est uniquement pour ça que le GM est encore dépendant d'eux.
- Aaaaaah ! Bordel, vous dites que Raijin percevrait la bobine comme une menace à son monopole sur le courant ?!
- C'est une menace concrète pour eux. Grâce à elle, le GM a réussit à leur faire baisser le prix du kilowattheure de courant. Ce qu'ils doivent craindre, c'est que Tesla trouve le moyen de produire de l'électricité sans la foudre, surtout que tout le monde sait qu'il collabore étroitement avec l'amiral Shiro quoi. Regardez ce que le premier Vegapunk a fait après avoir étudié Kizaru. Si Tesla reproduit le courant sans apport de la nature, c'est la ruine économique assurée pour Raijin. Mais ils ont une chance de solutionner le problème pendant que Tesla se déplace jusque dans leur giron.
- Ils veulent le liquider ! conclut l'assistante, les mains sur sa bouche bée.
- En vadrouille là-bas, l'Ingénieur aurait pu tomber sur une conversation douteuse mais aurait réussi à fuir jusqu'ici pour finalement se faire tuer dans son labo ? propose l'autre.
- N'importe quoi. Il est revenu trois jours avant sa mort. Il a eu tout le temps d'avertir quelqu'un. Ça tient pas la route !
- Tu dis qu'il aurait trahi et aurait été de mèche avec les comploteurs ?
- Ça c'est toi qui vient de le dire !
- Hmmm. Descontrées était si désespéré qu'il aurait pu accepter n'importe quel deal sans lire les interlignes, je pense. Sachant que les bagages des I.G.A ne sont pas fouillés, il aurait pu, par exemple, ramener clandestinement un supposé scientifique Éclairci ici pour l'aider sur un quelconque projet bidon. Le type l'aurait ensuite tué avec ses subordonnés et fait passer ça pour un accident, histoire de brouiller les pistes. Puis il se serait mêlé au personnel de la base en attendant que Vegapunk n'arrive.
- On aurait un assassin camouflé parmi nous, prêt à frapper ?! Mon Dieu ! lâche la blonde.
- C'est qu'une hypothèse.
- Comment on peut la prouver ?
- En récupérant tous les enregistrements vidéos de ce mois. Il doit bien être filmé quand il débarque.
- On alerte pas les I.G.A ?
- Non. On fait rien sans preuve. Ils refuseront de nous écouter autrement, de toute façon.
Jour J-1
La tension sur Nursery est électrique. Tous les officiers sont à cran et hurlent au moindre pépin. Même les plus teigneux des conscrits se sont assagis tant la solennité a empli les lieux. Ce n'est pas tous les jours qu'on reçoit la visite du plus grand scientifique au monde. Mais avant de recevoir cet honneur, il faut d'abord accueillir sa "Main". L'Ingénieure Générale des Armées, Gabrielle Beranger descend avec entrain de son cuirassé. Devant elle, en rang bien droit, les fiers hommes de la Brigade Scientifique au garde à vous, en uniformes resplendissants, cape sur les épaules pour les officiers. Le chœur entonne l’hymne du GM, tous saluent les couleurs hissées. L’accueil de Vegapunk ne sera pas différent. Beranger elle-même fut pressentie à un moment à ce poste après l'assassinat du dernier de ce nom. En fait, dès la mort de Sengoku Jr, tous les Ingénieurs Généraux des Armées -même ceux qui accueillent pompeusement Béranger aujourd'hui- se sont retrouvés sur la liste pour être le nouveau Vega'.
Et tous ont été coiffés au poteau par l'impressionnant CV de Vladim Tesla. Mais pas que, sûrement. Relations, pouvoirs, considération géo-politico-ethnique et autre copinage ont dû peser lourd. Beranger était la Main, autrement dit la N°2 du défunt Vegapunk mais elle a courtoisement accepté de continuer à remplir cet office après sa défaite dans la course au sommet ultime. Pour les locataires de Nursery, sa venue sert de test grandeur nature. De tous les hauts gradés de la base, seul l'Inspecteur Général Marshall Totti ne participe pas à la réception. Les yeux plongés dans le registre des plaintes et délits de la Police, il cherche quelque chose dont il ignore la nature mais qu'il reconnaitra à coup sûr. Après des heures à lire des PV de plaintes pour harcèlements, larcins, insultes diverses, il n'a toujours rien décelé d’intrigant. Une distraction arrive sous la forme de sa blonde d'assistante qui déboule en dérapant sur le sol.
- Vous devez venir voir ça ! lance-t-elle, surexcitée.
- Je sais à quoi ressemble Beranger, merci bien, marmonne-t-il sans lever les yeux de son registre.
- Quoi ? Mais non, je parle de la mission que vous nous avez confiée ! On a réussi, on a quelque chose sur les enregistrements !
D'un bond, Marshall se retrouve dans la salle des projections. La bande qu'il visionne date de cinq jours, soit la veille de la mort de l'I.G.A. La vidéo n'est pas bonne mais on peut y voir une personne conduisant un carrosse à vapeur escorté par trois aux personnes dans une ruelle mal éclairée. Le véhicule est relié à un attelage sur lequel est posée une grande et longue caisse en bois. On aurait dit un cercueil pour demi-géant. L'ensemble a des airs de processions mortuaires. Nolan Descontrées est facilement reconnaissable à sa haute taille mais également à ses bras à double articulations qui pendouillent le long de son corps. Il fait nuit mais rien dans le comportement du scientifique et de ses assistants ne laisse penser qu'ils s'adonnent à cet instant-là à une quelconque activité illégale. Au bout de deux minutes, ils disparaissent au détour d'un angle droit, sans doute pour rallier leur labo. Marshall et ses adjoints connaissent la suite. Après cela, Descontrées et ses subordonnées n'ont que quelques heures à vivre ; le lendemain à neuf heures et quelques, ils mourront tous dans l'explosion de laboratoire N°47C7Y. Les hypothèses se bousculent tellement dans le cerveau de l'inspecteur qu'il ne s'entend plus réfléchir.
- Bon sang ! Vous avez tapé droit dans le mille, Inspecteur ! lance la blonde éperdument admirative. Ils ont bien ramené quelque chose ou quelqu'un !
- Il y avait quelque chose de vivant dans cette boite tu crois ?
- Si c'est conditionné comme un colis pour un des Ingénieurs Généraux des Armées, nul n'ira le fouiller. D'ailleurs ça se lit dans leur langage corporel, ils étaient sereins. Même s'ils avaient rencontré une patrouille, cette dernière aurait juste respectueusement salué l'illustre scientifique puis aurait continué son chemin. Personne n'est assez fou pour lui demander ce qu'il trafique au cœur de la nuit avec un caisson de bois.
- Vous avez raison. Les humains composant la patrouille encore, ça va ; ils pourraient se poser intérieurement des questions. Mais les Pacifista vont juste tracer leur route sans demander leur reste.
- Qu'as-tu dit ?!
- Euh... Je dis que les Pacifista sont programmés pour éprouver un respect total à l'état-major...
Elle ne finit pas sa phrase que Marshall se rue sur son registre qu'il feuille fébrilement jusqu'à tomber sur la page qu'il recherche. C'est là, écrit en petits caractères. Quelques heures après la mort de Descontrées, un incident a été signalé dans la quatrième réserve de l'aile ouest de la base. Selon le rapport sous ses yeux, l'atelier N°99-East-1D a pris feu. Rien d'extraordinaire sur une ile où tout le monde expérimente de nouveaux trucs. Au moins une trentaine d'incendies, moitié moins d'explosions et autant de traumatismes sont signalés chaque jour. Si le Marshall indexe cet accident parmi tant d'autres, c'est parce que cet atelier produit "la coque" des Pacifista de première génération. En clair, ce qui fait d'eux des clones de Bartholomew Kuma ; à défaut de cette parure, un PX ne serait qu'un assemblage de squelette de métal et de rouages. La peau synthétique, l'épiderme moulé sur le modèle de l'ancien corsaire leur a donné un air humain mais a aussi pesé dans la guerre psychologique que le GM avait lancé à l'époque. Kuma alias le Tyran. Des centaines d'exemplaires de lui. Il y avait de quoi faire dans son froc.
- C'est écrit là qu'un nombre indéfinissable de "peaux" a été détruit dans le début d'incendie. Inspecteur, vous pensez que...
- Que quelqu'un pourrait en avoir volé puis incendié la réserve pour brouiller les pistes ? A fond ! Cet intrus se ferait passer pour un PX, en ce moment même.
- On cherche quelqu'un de très grand alors.
- Un peu comme le cercueil dans la vidéo ? Il devait facilement faire cinq-six mètres de haut. Soit la taille standard des PX.
- Par les dents de la mer ! On va faire quoi ?
[...]
- Démentiel ! fit Lindeker en reniflant carrément.
- C'est un beau scénario que vous nous présentez là, Inspecteur, commente Beranger d'un ton poli après un silence mesuré. Mais mieux que nous, vous connaissez la faille dans votre exposé. Vous n'avez que des soupçons.
- J'ai démantelé des réseaux sur la base de moins que ça. Je suis certain, quelque chose se prépare. Vous devez annuler la venue du Pr. Tesla !
- Impossible !
- Vegapunk est déjà dans le Nouveau Monde, Marshall Totti. Et pour avoir côtoyé Vladim Tesla, je puis vous assurer qu'il n'est pas homme à se débiner devant l'adversité. Je vous promets de lui escargofaxer votre rapport en intégralité. Mais croyez-moi, plus il lira, et plus il s’entêtera à venir.
- Il a beaucoup de choses prévues au programme : la remise des diplômes aux trois cents sortants l'académie d'ingénierie navale, la première promotion qui porte son nom ; l'inauguration d'un nouveau centre de recherches épidémiologiques et le lancement du projet "Électricité pour tous" qui dotera Nursery de sa première bobine Tesla, discourt Salazar.
- De quel dispositif de sécurité est-il entouré ? s'enquiert-il en désespoir de cause.
- Top secret. 'fin, moi-même, je l'ignore. Depuis que Lilou Jacob a tué Sengoku Jr, les mesures sont drastiques, il parait. Mais vous pouvez être sûr qu'il jouit de la meilleure que le GM puisse accorder à quelqu'un de sa stature.
- CP8 ou 9 donc ?
- C'est vous qui le dites.
- Mais par rapport à la base ?
- Non, non et non ! répète Salazar. Pas d'état d'alerte, pas de couvre-feu et encore moins de branle-bas de combat. On ne peut rappeler tous les Pacifista en même temps pour inspection. C'est infaisable, cela paralyserait la base pour plusieurs jours. Et qui assurerait la sécurité pendant ce temps ? Si votre assassin n'est pas le fruit de votre imagination, ce ne sera qu'un homme seul dans une base de vingt-milles marins et de centaines de Pacifista. Il n'a aucune chance d'atteindre Vegapunk.
- C'est votre dernier mot ? ironise-t-il.
- Comment avez-vous deviné ? Toujours la même intuition ?
[...]
Il fait nuire noire. Malgré le refus des I.G.A, Marshall a mis toute la Police Militaire en alerte. Avec seulement cent éléments, ils sont à peine capables d'assurer la sécurité d'une seule des ailes de l'immense base. Quant à fouiller l'intégralité de l'ile, c'est du domaine de l'utopie. C'est un jeu de cache auquel ils ne peuvent que perdre. Mais maintenant qu'il a mis le doute dans les esprits des Ingénieurs Généraux des Armées qui -contrairement à ce qu'ils clament- auront plus qu'intérêt à ce que rien n'entache les festivités, il y a de fortes chances que les Pacifista soient cantonnés des lieux précis. Le lendemain, du moins. Le Cipher Pol protègera Vegapunk, aucun robot ne sera assigné à sa sécurité pour éviter tout cheval de Troie, il en est certain. Marshall Totti connait les procédures par défaut du Cipher Pol puisqu'il en est un lui-même. Les missions du Troisième Bureau et ceux de la Police Militaire sont presque semblables à ce détail près que la Police n'existe que dans les bases avec un effectif conséquent et que sa juridiction ne s'applique qu'à la dite base. En ayant choisi d'y faire carrière pour camoufler sa véritable identité, Marshall se cache dans la lumière depuis plusieurs décennie.
Où je me placerais si je me faisais passer pour un Pacifista à l'affût de la position idéale pour éliminer Vegapunk ?
Puisque l'assassin solitaire ignore que quelqu'un est sur sa trace, alors le limier opte pour le port. Le moment le plus vulnérable devrait être à sa descente de navire. Sur les marches, les bras ouverts au peuple qui le salue... Et là, le drame. Il faudrait aussi une voie de sortie pour le tueur, liquider Tesla dans les terres poserait le souci de la retraite. Oui, le port, le meilleur compromis pour l'éliminer puis sauter à l'eau où... Soudain, il s'arrête dans ses hypothèses, frappé d'horreur. Mais pourquoi diable, se questionne-t-il avec férocité, a-t-il pensé que l'assassin serait solitaire ? Pourquoi n'aurait-il pas toute une équipe avec lui ? D'ailleurs, si le tueur était dans ce cercueil vu sur la vidéo, il a pris soin de s'inviter quatre jours avant l'arrivée de sa cible. Pourquoi ce délai ? Pour préparer le terrain, naturellement. Que fait-il depuis tout ce temps ? Il aurait pu avoir l'occasion de... placer des mines, prévoir mille et un sabotage... Pour s'enfuir après son forfait, l'assassin aura forcément besoin de diversions !
[...]
- Désolé de te déranger, Kaal, susurre Salazar Salmanazar en fermant la porte derrière lui.
- Kof ! Kof ! N’allume pas la lumière. Qu'y a-t-il ? Tu viens chez tes patients en dehors des heures de visite maintenant ?
- Je prends des nouvelles avant d'aller dormir.
- Menteur. Je sens ta préoccupation.
- Il y a peut-être... un service que je veux te demander.
- Demande tout ce que tu veux mon vieil ami, depuis ma naissance, je ne me suis jamais senti aussi bien dans ce maudit corps ! J'ai oublié ce qu'était la paix. Tu m'en as redonné le goût.
- Mais tu sais que c'est passager ? La maladie reviendra. Peut-être plus forte.
- Peut-être m’achèvera-t-elle, tiens. Dans un cas comme dans l'autre, j'aurai la paix. Donc, tu veux quoi ?
- Ta puissance. Il se peut que demain, on ait un ou plusieurs trouble-fête. On va prendre des mesures pour prévenir bien sûr, mais au cas où il faudrait guérir...
- T'inquiète, je reste dans le coin.
Marshall envoie l'intégralité de ses troupes patrouiller le long des côtes. Le port de Nursery est drastiquement contrôlé mais si ces types ont réussi à trouver la faille la moins évidente -un Ingénieur Général des Armées- alors qui sait de quoi ils sont capables ? Sept canons Laser appelés Veuves-de-Pirates logent non seulement la baie mais tout le pourtour côtier. Ils ont la réputation de conférer à l'ile une protection absolue, ne nécessitant même pas l'intervention des bâtiments de guerre. Bien sûr, ils ne sont pas automatiques. Chacune des Veuves-de-Pirates est monitorée par... un Pacifista ! Le cœur de Marshall s'emballe. Il s'empare son escargophone puis s'arrête dans son mouvement, incapable de formuler l'ordre à donner. Se rendre à chacun des sept postes de défense, oui. Mais après ? Comment vérifier qu'un Pacifista... est un Pacifista ? Lui demander de se couper le bras pour voir si c'est de l'huile ou du sang qui sort ? Une telle proposition à un vrai Pacifista entrainerait directement une contre mesure violente pour trahison. L'autodestruction des Pacifista ne s'enclenche que via un code précis que n'ont que quelques élus ; quant à l'automutilation, sûr que Vegapunk premier du nom lui-même n'y a jamais songé. A moins qu'il n'eût des penchants sado-masochistes...
La solution, c'est le Mantra, songe enfin l'enquêteur après un moment de tourment. Le seul à pouvoir l'utiliser dans la Police, c'est lui. Il se sait seul face à la machination, seul à pouvoir contrecarrer une menace plus grande. Il était trop obnubilé par Tesla, se dit-il en courant dans les ruelles pavées de la base vers la Veuve la plus proche. Qui que soit cet assassin, qu'il vienne de Raijin ou d'ailleurs, dès l'instant où il a eu les moyens de se faire passer pour un PX, il a eu la largesse absolue pour faire ce qu'il veut de la base. Y compris en saboter toutes les installations et la rendre à la merci du premier joyeux luron venu. Marshall est troublé, ne sait plus quelle hypothèse privilégier. En ont-ils seulement après Tesla où Nursery ? Après dix minutes, il arrive sur la corniche où est perché le canon à l'abri de sa petite forteresse de béton. L'inspecteur n'a nul besoin de s'approcher d'avantage, il se concentre et externalise ses sens. Rien. Aucune présence, aucune voix humaine. Entendu que ni les Pacifista, ni les robots ne sont détectables au Mantra. Ce privilège ne sied qu'aux vivants. Pour s'assurer qu'il y a un gardien des lieux, Marshall est obligé de s'approcher.
- Bip ! Bip ! Bip ! Holà ! Plus un pas, vous approchez d'un espace sécurisé. Bip ! Bip ! Identification en cours... Bip ! Bip ! Lieutenant-colonel, Marshall Totti, Inspecteur de la Police Militaire. Bip !
- Bonsoir PX-N-412. Je faisais juste ma ronde.
- Bip ! Bip ! Mon programme ne mentionne pas que le chef de la Police soit partie intégrante des patrouilles. Bip !
- Ton programme ne prend sans doute pas en compte les excentricités d'un vieil inspecteur. Mais dis-moi, as-tu reçu la visite d'un autre Pacifista où en as-tu vu trainer dans le coin ?
- Non. Bip ! Pourquoi cette question ? Bip !
- Rien. Il semblerait qu'il y a un PX défectueux qui ne s'est pas rendu à l'atelier de réparation. Sois sur tes gardes. Si tu en vois un trainer par ici, n'hésite pas à le détruire d'abord, ensuite, tu poseras les questions. Compris ?
- Bip ! Je ne suis pas habilité à recevoir des ordres de vous. Bip !
- C'était pas un ordre, je te demande juste d'ouvrir les yeux. Enfin, les scanners.
- Bip ! Quel numéro d'identification porte ce PX défectueux ?
- Je-je l'ignore, finit-il par bégayer. Bon, je vais y aller.
Satané machine douée de raison ! s'offusque Totti. Au moins celui-là est un authentique. Ni le deuxième, ni le troisième et pas davantage le quatrième Defense Point ne sont suspects. C'est le calme plat. C'est au cinquième Point que l'horreur l'accable. Dissimulé derrière un bâtiment, à deux pâtés de laboratoires de la Veuve, son Observation repère quelque chose d'affreusement inhabituel qui le trouble intensément. C'est une Voix mais... elle n'est ni humaine, ni animale. Plus humaine qu'animale en fait mais on aurait dit que l'existence même de cette Voix s'effiloche dans le néant. Comme celle d'une personne à l'agonie sauf que celle-ci a conservé toute la vigueur d'une Voix au sommet de sa puissance. Apogée et anéantissement se côtoient et donnent à cette Voix une aura bien singulière. Incapable de dire à quoi ou à qui elle appartient, le limier est encore obligé de se rapprocher, sauf que cette fois-ci, il le fait avec une infinie prudence. Son instinct lui dit qu'il a enfin trouvé l'assassin qui recherche. Son colt à la main, il se colle contre le dernier mur avant la forteresse du canon.
- ... prêts mon Gourou ! dit une voix.
- Excellent, excellent ! Tout se goupille parfaitement. J'avoue que moi-même ça m'a étonné dans un premier temps que les choses avancent si vite. Mais j'ai trouvé des alliés inespérés ! J'aurais jamais cru que cette Malédiction aurait de telles implications ! C'est vraiment fantastique ! exulte une autre voix.
- Celui qui vient de parler, c'est lui qui a cette aura étrange. L'autre voix provient sûrement d'un escargophone, je sens une présence animale..., médite silencieusement Marshall.
Malédiction ? Il parle d'un pouvoir du démon ? Quels alliés ?
- Pardon ? fit l'interlocuteur sans comprendre lui aussi.
- Dans dix heures, Vegapunk arrivera mes enfants. Et on pourra commencer les festivités. Dans le sang, le monde apprendra le retour des Pirates du Kidd ! Sous une nouvelle bannière. KIKIKIKIKIKI !
- Kidd Pirates ? C'est... c'est Jin Blackbone ? Il était pas supposé mort lui ? Où est-ce-que je me suis foiré putain ?! C'est quoi le lien entre Descontrées et un pirate ?
- Vous aurez assez de réserves d'oxygène pour tenir non ?
- Sans problème mon Messie !
- J'ai désactivé toutes les Pupilles, ces satanés radars qui fonctionnement en couple avec les Veuves. KIKIKIKIKI ! Ça me chagrine quand même d'attaquer cette base, ces gens sont un peu le futur qu'on prévoit. Un monde dirigé par des machines. Ils ont confié leur défense à leurs automates et c'est ça qui va leur couter très cher. Quelle leçon faut en tirer pour notre propre usage, Connor ?
- Que vous êtes l'Empereur des Machines et d'ce fait, toutes les machines vous doivent obéissance ? Autrement, l'idéologie d'Nursery est parfaite.
- De quoi ils parlent bordel ? Si les Pupilles sont désactivées, la base est aveugle ! Aussi bien en mer que sous la mer ! Mais comment il aurait pu les désactiver avec les Pacifista qui... Attends, l'autre a dit que les machines lui doivent obéissance ? Et il a parlé de Malédiction ? Merde, mais... ce type aurait-il un pouvoir qui mette sous contrôle les machines ? Non ! Non ! Tu délires Marshall ! Si les Pacifista que j'ai croisé étaient sous contrôle d'une influence extérieure, ils m'auraient attaqué... Calme-toi mec, discipline tes pensées !
- A demain, Gourou ? Il nous reste qu'à patienter pendant dix heures.
- Nan, moi j'ai un dernier truc à finir.
- Ah bon ?
- Ouais. Y a un intrus qui a lu dans mon plan. Et il est juste derrière moi !
- Merde !
Avant qu'il ne puisse saisir son sifflet d'alerte et faire un pas, Marshall Totti est submergé par une dizaine de Pacifista de tous modèles. En quelques secondes, tout est terminé, il est dominé et écrasé par la puissance combinée de ses adversaires. Son pied droit cybernétique et ses bras explosent en limailles de fer, sa cage thoracique métallique est pulvérisée. Quant à l'autre jambe, rare vestige de sa vie charnelle de jadis, elle est perforée par trois pieux qui figent de ce fait le limier dans le sol. L'artère fémorale touchée libère une cascade de sang. Marshall est fulguré par la douleur qui l'aveugle. Un choc dans la gorge broie ses cordes vocales artificiels et l'empêche de hurler. Son instinct lui dit une dernière chose : tu es fini.
« Mon frère ! » dit une voix doucereuse amusée. « Toutes les machines sont mes frères. Tu devrais rejoindre mes rangs et mettre ton esprit aiguisé à mon service ! PX-N-682 soigne-le, pas envie qu'il se vide de son sang. Il doit être en vie pour constater son échec. Ensuite, il choisira de lui-même de rejoindre le plus fort. A très bientôt, Marshall Totti ! »
PULUPULUPULUPULU !!!
- Oh ! Tes subordonnées cherchent à recevoir leurs ordres, hein ? Vas-y PZ-N-48, imite sa voix et envoi ses abrutis fouiller les catacombes. On sera tranquille.
- C...K... Comment ... ? parvient à cracher le limier après de monumentaux efforts.
- Trois fois rien fait. J'ai eu écho de cet Ingénieur Général des Armées de Nursery venant régulièrement chez mes ennemis de l'Indra au Mechanicae Emporium et j'ai fait courir la rumeur que les restes parfaitement conservés du premier robot de l'humanité, bien avant Vegapunk aurait été découverts. Ce robot, c'était moi, vois-tu ? Je suis l'ultime robot. Quand Nolan a vu mon corps désactivé par mes propres soins, il a pété un câble ! Il voulait m'étudier, immédiatement ! Je suis assez fier de mon petit plan. Dès demain, le monde connaitra une nouvelle Révolution. Celle des Machines !
Et son rire aigu perce le silence de la nuit.
A plusieurs miles de là, les cheveux de Valdim Tesla virevoltent sous le vent marin qui aiguille son navire et ses escortes vers le berceau de la cybernétique. Il a hâte d'arriver à Nursery ! Il n'est pas le seul. Sous les flots, immobile sur un plateau rocheux, une flotte de submersibles attend patiemment son heure. A l'intérieur des coques étroites, les différents Gourous de la Secte En Marche ! ont les yeux fixés sur le sablier qui égraine le temps avant l'heure H.
La solution, c'est le Mantra, songe enfin l'enquêteur après un moment de tourment. Le seul à pouvoir l'utiliser dans la Police, c'est lui. Il se sait seul face à la machination, seul à pouvoir contrecarrer une menace plus grande. Il était trop obnubilé par Tesla, se dit-il en courant dans les ruelles pavées de la base vers la Veuve la plus proche. Qui que soit cet assassin, qu'il vienne de Raijin ou d'ailleurs, dès l'instant où il a eu les moyens de se faire passer pour un PX, il a eu la largesse absolue pour faire ce qu'il veut de la base. Y compris en saboter toutes les installations et la rendre à la merci du premier joyeux luron venu. Marshall est troublé, ne sait plus quelle hypothèse privilégier. En ont-ils seulement après Tesla où Nursery ? Après dix minutes, il arrive sur la corniche où est perché le canon à l'abri de sa petite forteresse de béton. L'inspecteur n'a nul besoin de s'approcher d'avantage, il se concentre et externalise ses sens. Rien. Aucune présence, aucune voix humaine. Entendu que ni les Pacifista, ni les robots ne sont détectables au Mantra. Ce privilège ne sied qu'aux vivants. Pour s'assurer qu'il y a un gardien des lieux, Marshall est obligé de s'approcher.
- Bip ! Bip ! Bip ! Holà ! Plus un pas, vous approchez d'un espace sécurisé. Bip ! Bip ! Identification en cours... Bip ! Bip ! Lieutenant-colonel, Marshall Totti, Inspecteur de la Police Militaire. Bip !
- Bonsoir PX-N-412. Je faisais juste ma ronde.
- Bip ! Bip ! Mon programme ne mentionne pas que le chef de la Police soit partie intégrante des patrouilles. Bip !
- Ton programme ne prend sans doute pas en compte les excentricités d'un vieil inspecteur. Mais dis-moi, as-tu reçu la visite d'un autre Pacifista où en as-tu vu trainer dans le coin ?
- Non. Bip ! Pourquoi cette question ? Bip !
- Rien. Il semblerait qu'il y a un PX défectueux qui ne s'est pas rendu à l'atelier de réparation. Sois sur tes gardes. Si tu en vois un trainer par ici, n'hésite pas à le détruire d'abord, ensuite, tu poseras les questions. Compris ?
- Bip ! Je ne suis pas habilité à recevoir des ordres de vous. Bip !
- C'était pas un ordre, je te demande juste d'ouvrir les yeux. Enfin, les scanners.
- Bip ! Quel numéro d'identification porte ce PX défectueux ?
- Je-je l'ignore, finit-il par bégayer. Bon, je vais y aller.
Satané machine douée de raison ! s'offusque Totti. Au moins celui-là est un authentique. Ni le deuxième, ni le troisième et pas davantage le quatrième Defense Point ne sont suspects. C'est le calme plat. C'est au cinquième Point que l'horreur l'accable. Dissimulé derrière un bâtiment, à deux pâtés de laboratoires de la Veuve, son Observation repère quelque chose d'affreusement inhabituel qui le trouble intensément. C'est une Voix mais... elle n'est ni humaine, ni animale. Plus humaine qu'animale en fait mais on aurait dit que l'existence même de cette Voix s'effiloche dans le néant. Comme celle d'une personne à l'agonie sauf que celle-ci a conservé toute la vigueur d'une Voix au sommet de sa puissance. Apogée et anéantissement se côtoient et donnent à cette Voix une aura bien singulière. Incapable de dire à quoi ou à qui elle appartient, le limier est encore obligé de se rapprocher, sauf que cette fois-ci, il le fait avec une infinie prudence. Son instinct lui dit qu'il a enfin trouvé l'assassin qui recherche. Son colt à la main, il se colle contre le dernier mur avant la forteresse du canon.
- ... prêts mon Gourou ! dit une voix.
- Excellent, excellent ! Tout se goupille parfaitement. J'avoue que moi-même ça m'a étonné dans un premier temps que les choses avancent si vite. Mais j'ai trouvé des alliés inespérés ! J'aurais jamais cru que cette Malédiction aurait de telles implications ! C'est vraiment fantastique ! exulte une autre voix.
- Celui qui vient de parler, c'est lui qui a cette aura étrange. L'autre voix provient sûrement d'un escargophone, je sens une présence animale..., médite silencieusement Marshall.
Malédiction ? Il parle d'un pouvoir du démon ? Quels alliés ?
- Pardon ? fit l'interlocuteur sans comprendre lui aussi.
- Dans dix heures, Vegapunk arrivera mes enfants. Et on pourra commencer les festivités. Dans le sang, le monde apprendra le retour des Pirates du Kidd ! Sous une nouvelle bannière. KIKIKIKIKIKI !
- Kidd Pirates ? C'est... c'est Jin Blackbone ? Il était pas supposé mort lui ? Où est-ce-que je me suis foiré putain ?! C'est quoi le lien entre Descontrées et un pirate ?
- Vous aurez assez de réserves d'oxygène pour tenir non ?
- Sans problème mon Messie !
- J'ai désactivé toutes les Pupilles, ces satanés radars qui fonctionnement en couple avec les Veuves. KIKIKIKIKI ! Ça me chagrine quand même d'attaquer cette base, ces gens sont un peu le futur qu'on prévoit. Un monde dirigé par des machines. Ils ont confié leur défense à leurs automates et c'est ça qui va leur couter très cher. Quelle leçon faut en tirer pour notre propre usage, Connor ?
- Que vous êtes l'Empereur des Machines et d'ce fait, toutes les machines vous doivent obéissance ? Autrement, l'idéologie d'Nursery est parfaite.
- De quoi ils parlent bordel ? Si les Pupilles sont désactivées, la base est aveugle ! Aussi bien en mer que sous la mer ! Mais comment il aurait pu les désactiver avec les Pacifista qui... Attends, l'autre a dit que les machines lui doivent obéissance ? Et il a parlé de Malédiction ? Merde, mais... ce type aurait-il un pouvoir qui mette sous contrôle les machines ? Non ! Non ! Tu délires Marshall ! Si les Pacifista que j'ai croisé étaient sous contrôle d'une influence extérieure, ils m'auraient attaqué... Calme-toi mec, discipline tes pensées !
- A demain, Gourou ? Il nous reste qu'à patienter pendant dix heures.
- Nan, moi j'ai un dernier truc à finir.
- Ah bon ?
- Ouais. Y a un intrus qui a lu dans mon plan. Et il est juste derrière moi !
- Merde !
Avant qu'il ne puisse saisir son sifflet d'alerte et faire un pas, Marshall Totti est submergé par une dizaine de Pacifista de tous modèles. En quelques secondes, tout est terminé, il est dominé et écrasé par la puissance combinée de ses adversaires. Son pied droit cybernétique et ses bras explosent en limailles de fer, sa cage thoracique métallique est pulvérisée. Quant à l'autre jambe, rare vestige de sa vie charnelle de jadis, elle est perforée par trois pieux qui figent de ce fait le limier dans le sol. L'artère fémorale touchée libère une cascade de sang. Marshall est fulguré par la douleur qui l'aveugle. Un choc dans la gorge broie ses cordes vocales artificiels et l'empêche de hurler. Son instinct lui dit une dernière chose : tu es fini.
« Mon frère ! » dit une voix doucereuse amusée. « Toutes les machines sont mes frères. Tu devrais rejoindre mes rangs et mettre ton esprit aiguisé à mon service ! PX-N-682 soigne-le, pas envie qu'il se vide de son sang. Il doit être en vie pour constater son échec. Ensuite, il choisira de lui-même de rejoindre le plus fort. A très bientôt, Marshall Totti ! »
PULUPULUPULUPULU !!!
- Oh ! Tes subordonnées cherchent à recevoir leurs ordres, hein ? Vas-y PZ-N-48, imite sa voix et envoi ses abrutis fouiller les catacombes. On sera tranquille.
- C...K... Comment ... ? parvient à cracher le limier après de monumentaux efforts.
- Trois fois rien fait. J'ai eu écho de cet Ingénieur Général des Armées de Nursery venant régulièrement chez mes ennemis de l'Indra au Mechanicae Emporium et j'ai fait courir la rumeur que les restes parfaitement conservés du premier robot de l'humanité, bien avant Vegapunk aurait été découverts. Ce robot, c'était moi, vois-tu ? Je suis l'ultime robot. Quand Nolan a vu mon corps désactivé par mes propres soins, il a pété un câble ! Il voulait m'étudier, immédiatement ! Je suis assez fier de mon petit plan. Dès demain, le monde connaitra une nouvelle Révolution. Celle des Machines !
Et son rire aigu perce le silence de la nuit.
A plusieurs miles de là, les cheveux de Valdim Tesla virevoltent sous le vent marin qui aiguille son navire et ses escortes vers le berceau de la cybernétique. Il a hâte d'arriver à Nursery ! Il n'est pas le seul. Sous les flots, immobile sur un plateau rocheux, une flotte de submersibles attend patiemment son heure. A l'intérieur des coques étroites, les différents Gourous de la Secte En Marche ! ont les yeux fixés sur le sablier qui égraine le temps avant l'heure H.
Jour J
La véritable star, c'est elle. Installé dans un siège à porteur, l'objet déclaré "Trésor Mondial" par le Gouvernement est délicatement acheminé par dix hommes qui descendent la rampe d'escalier avec d'infinis précautions. Au pied du navire, Vladim Tesla lisse fièrement sa barbe en bouc. Son air, c'est celui d'un père qui assiste aux premiers pas de son fils. Vrai concernant ce module-là en particulier qu'il a construit de ses mains une semaine auparavant. Les Brigadiers réservent à la bobine Tesla un salut militaire digne du drapeau. Une haie d'honneur lui est réservée. Les porteurs s'y engouffrent, précédés par Tesla, les Ingénieurs Généraux des Armées Beranger, Lindeker, Marley et Salmanazar. Ça discute âprement, ça se tutoie dans la bonne ambiance. Il aurait fallu un œil avisé pour remarquer qu'aucun Pacifista n'est en vue. Conformément aux ordres express reçus de Beranger, les P. sont cantonnés loin de la cérémonie. S'il n'a pas réussi à les convaincre, Marshall Totti a moins réussi à immiscer en eux des doutes bien certains. Conformément à sa promesse, Beranger transmit le rapport à son supérieur.
- Tiens, où est-il l'auteur de ce rapport sur les complots contre ma personne ?
- Il doit être en train de fouiner quelque part à la recherche de son mirage.
- Dommage. J'espère que je pourrai lui parler avant mon départ. Il a l'air intéressant.
Les I.G.A échangent de brefs regards. "Intéressant" n'est pas le terme qu'ils auraient utilisé pour qualifier Marshall Totti. Fouineur, cafard, sûrement. Ils se séparent de la bobine qui est convoyée vers la centrale énergique spécialement construite pour elle. Plus tard, elle aura droit à une inauguration officielle mais pour l'heure, le programme prévoit la remise des diplômes. Les meilleurs photographes et journalistes internationaux couvrent l'évènement. C'est le premier déplacement de Végapunk. Sur l'esplanade sont réunis des milliers de personnes, les heureux élus du jour portant une toge bleu ciel et un chapeau assorti. Vladim Tesla monte sur l'estrade, ajuste les escargo-micros et prend la parole.
- Science sans conscience, n'est que ruine de l'âme ! déclare-t-il. Le mégaphone répercute ses paroles sur paroles sur toute l'ile. J'ai appris cette maxime très tôt et je l'ai gravée dans ma chair pour me rappeler à tout instant que nous avons une mission : faire avancer l'humanité, repousser sans cesse les frontières du divin. Il y a un millénaire, le monde pensait que les maladies étaient causées par des mauvais sorts. Depuis, les vrais coupables ont été identifiés et chaque jour, des milliers de gens dans leurs salles aseptisées travaillent à les vaincre. Ainsi, l'humain a vaincu les sorts, l'humain a repoussé la frontière du divin !
Je l'ai aussi gravée pour me rappeler que nous avons également un devoir : protéger l'humanité et c'est à mon sens le plus important. L'équilibre n'est pas facile, mais il nous faut la trouver. Aujourd'hui, vous obtenez vos diplômes d'ingénieurs navals et irez servir pour certains dans l'un des nombreux chantiers navals de la Marine dans le monde. D'autres s'arrêteront là et iront se mettre à leur propre compte. Quand vous plancherez sur les navires du futur, quand vous dessinerez les premières esquisses du prochain monstre des mers, posez-vous la question : suis-je en train de servir ou de desservir l'humanité ?J'aurais pas mieux dit Vegapunk !
Humanité ! C'est un mot qui prendra un sens nouveau pour tous aujourd'hui !
Tous bondissent de leurs sièges et se tordent le cou pour trouver l'origine de la voix qui semblait venir de partout. Sans un bruit, quatre individus apparaissent près de Vladim Tesla et forment autour de lui une protection en losange. La rumeur se lève parmi les conscrits puis des cris d'effrois fusent quand une première explosion rougeoie au loin le ciel. C'est le cuirassé de Vegapunk qui vient de s'embraser. Une jeune femme blonde maculée de sang et portant l'étoile de la Police Militaire titube puis s'effondre à genou à quelques mètres de la tribune officielle, attirant sur elle une attention épouvantée.
« Pacifista... devenus... incontrôlables... pirate... débarquent... voulais... prévenir... » Puis elle s'écroule. Plusieurs femmes hurlent, puis c'est le chaos et la débandade. En arrière plan, les explosions caractéristiques des rayons lasers se multiplient. « Les Pacifistas nous attaquent ! » hurle un des gardes du scientifique. « On doit vous évacuer Professeur ! » Mais Tesla refuse de partir alors qu'autour de lui, ça court dans tous les sens, ça se piétine sans pitié. Le scientifique en lui n'a jamais eu peur de la mort. Sa plus grande hantise, c'est l'ignorance et à cet instant, il ignore comment des unités de PX, PY et PZ ont pu se rebeller.
- Professeur, vous devez trouver refuge au cœur de la base ! insiste Beranger. On s'occupe des envahisseurs !
- Mais...
- Allez ! Vous n'êtes pas un combattant et l'humanité reculera de plusieurs décennies si vous mourrez ici, ajoute Koffy Marley.
Lindeker et Salazar foncent déjà vers la porte du port ouest où l'attaque a débuté. La policière a parlé de pirates. Donc finalement, se dirent-ils, Totti avait a moitié raison ? Une machination était en cours mais pas pilotée par une puissance étatique ennemie ? Enfin, c'est dérisoire en ce moment là, les deux I.G.A n'ont plus qu'à cœur de limiter les dégâts pour l'honneur de leur base, de leur uniforme mais aussi de leurs carrières qui prendra un coup certain dans l'aile si défaillance grave il y a eu. Lindeker se baisse vivement, un rayon laser le rate et roussi sa tempe. La raie touche un poteau et le réduit en miettes. A l'angle de la rue, deux PZ leur barrent le chemin. Salmanazar éructe : « ID : 4528NUR-UUM-963210MLK-GDTER40. Je vous ordonne de vous désactiver ! » La formule magique est sans effet, les robots dardent sur eux leurs paument trouées et les éclairent du rayon mortel.
Dans le port, hors des murs de la base, d'innombrables navires de surface sont en feu. Le panache de fumée qu'ils dégagent est aussi épais que la Cage de brouillard entourant Nursery. Les combats vont bon train, les membres de la Secte et les Pacifista convertis à leur cause d'un côté contre les Brigadiers de la Scientifique et les Pacifista qui leur sont demeurés fidèles. Le lieu est symbolique, c'est sur cette même berge qu'ont été annihilés les pirates de l'alliance Blue Marriage il y a près de 47 ans. D'ailleurs, sur la façade de la base, en face de la mer, demeure cette insulte à la flibuste : « Venez vous y frotter ! Sous nos murs viennent mourir les pirates ! » Après un sanglant quart d'heure, la mêlée tourne à l'avantage des assaillants plus nombreux, mieux armés. La porte ouest cède et les premiers cyborgs d'En Marche ! pénètrent dans l'enceinte même de Nursery. Ils constatent qu'ils arrivent un poil trop tard, leurs fidèles Pacifista y causent déjà moult remous.
[...]
- Yeaaaaaaaah ! Prenez ça, tas de boites de conserve traitres !
Dans le secteur Nord de Nursery où sont entrés les pirates via un ouverture créée dans la muraille, ils sont arrêtés net par la première division mobile commandées par l'I.G.A Koffy Marley. Les imposants chars ne tirent pas des obus mais bien des rayons lasers qui ne laissent aucune chance aux vieux PX ou PY. Seuls les PZ ennemis offrent une certaine résistance mais finissent par crouler sous le nombre de PZ non corrompus. Heureusement, se dit Marley en tranchant du pirate, que seule une dizaine de PZ sont dévolus à la surveillance de la base, le reste étant désactivé et gardé dans le dortoir en vue de missions spéciales. Mais Vegapunk a rejeté l'idée d'activer la réserve tant qu'ils ne sauront pas exactement quelle force corrompt les automates. « Feu ! » Les doubles canons des chars ne font pas mouche cette fois-ci, les raies sont détournées. Dans le nuage de fumée, un rire saugrenue s'amplifie puis une ombre se décalque et émerge.
- Toi tu es ?
- Connor. Tout simplement.
- Tu portes l'armure mécanique de l'Ingénieur Général Sherif Assid, dit Marley, les dents serrées de colère.
- Ouep. Je lui ai d'mandé d'me l'passer mais l'bougre a pas voulu. Donc j'l'ai pris sur son cadavre.
- FUMIER !
[...]
Le poing de Beranger désagrège littéralement le sol. De monstrueuses lézardes naissent, s'insinuent dans les fondations des bâtiments qui s’effondrent. Un jet de gaz provenant de la partie dorsale de son exosquelette la propulse en l'air à une vitesse vertigineuse. Des canons émergent de ses épaulettes, gantelets, genouillères, jambières. La Main de Vegapunk arrose copieusement la zone et termine le feu d'artifice par un minuscule boulet pas plus gros qu'une bille. Sa puissance de feu est démentielle cependant, il rase tout le quartier. Il faudra reconstruire de nouvelles cantines pour les conscrits, se dit-elle en atterrissant au dessus de la seule bâtisse encore intacte. Un feu ronronnant consume tout autour d'elle. D'un revers de la main, elle essuie les filets de sang qui suintent de son front lacéré. Sa vision est trouble, elle se diagnostique une commotion. Son adversaire est singulièrement fort pour avoir bousillé son casque intégral au premier assaut mais avec ce qu'elle lui a servi, songe-t-elle, il devrait...
- J'espère que tu as mieux que ça, Beranger ! Autr'ment, j'vais m'ennuyer ferme !
- Putain, il est increvable ma parole ! Qu'est-ce-que t'es ?
- L'futur. Rejoins-nous, rejoins En Marche ! et ont bâtira ensemble une nouvelle humanité.
- Va vendre ton poisson pourri ailleurs, connard !
[...]
- Pourquoi faites-vous ça ?! Arrêtez !
- Parce qu'ils m'ont attaqué alors que je voulais causer. Je me défends, répond paisiblement Jin Blackbone en jetant le corps du dernier protecteur de Vegapunk. Z'étaient bon quand même.
- Vous voulez discuter ? C'est ça votre discussion ?! réplique Tesla, les mains tendues vers divers points de la base qui fument.
- Ça c'est ma carte de visite. Sinon, je voulais vous causer. Causer d'humanité.
- Les pirates de votre espèce n'ont rien d'humains !
- Je parle pas des considérations moralistes à deux balles. On s'en torche le fion. Je parle d'humain en tant qu'espèce, y compris les autres sous-espèces ou ramifications, appelez-les comme vous voudrez. Je voulais débattre avec vous sur le futur car voyez-vous, j'ai fait un rêve. Celui d'un monde où l'humanité serait délaissée des contraintes de la biologie. Les gens vivraient plus longtemps, y aurait plus de maladies, y aurait plus de guerre stupide à cause des biens matériels parce que ça comptera plus. Je visualise un monde où on serait tous des robots. Qu'en pensez-vous ?
- Que vous devriez vous faire soigner ! Avec tout le respect que je vous dois, évidemment, satirise Vegapunk. Ça c'est que vous êtes ? Un robot ?
- Non, je suis encore humain. A 90%. J'étais un humain tout ce qu'il y a de plus normal avant. Puis des circonstances affreuses m'ont fait gober le Robo Robo no mi, pouvoir qui me permet entre autre de contrôler vos Pacifista. Ce paramecia me modifie également jusqu'à la plus petite cellule. Bientôt, je serai un être entièrement mécanique.
- Et vous voulez condamner l'humanité entière à votre malédiction ? Je n'ai jamais vu un tel niveau d’égoïsme !
BAF !
Un coup droit envoie valser le plus grand scientifique au monde.
- Bien sûr. La violence. Elle résout tout, même les pires incompétences, dit-il en se relevant, les lèvres fendues, quelques dents en moins.
- C'est pas de l’égoïsme, c'est un don ! Je veux que tout le monde goûte à ce don ! Je ne crains pas les maladies, je ne crains pas la mort ! Ce fruit m'offre l'immortalité sur un plateau, n'est-ce pas trop bon de ma part de penser à la partager avec l'humanité ? Hein ?
- C'est trop d'honneur que vous nous faites, votre majesté ! Mais pourquoi me parlez-vous de ça ?
- Rejoignez le mouvement. Aujourd'hui, on peut cybernétiser tout le corps humain mais pas le cerveau. En ça, on diffère des automates programmables. Pour que mon rêve se réalise, j'ai besoin qu'on découvre comment transférer l'âme humaine dans un corps cybernétique. Transférer tout le contenu du cerveau vers un autre cerveau mécanique sans que le processus n'altère le "moi", tout ce qui fait la personne. Une fois ce pas franchi, on vaincra définitivement la mort.
- C'est d'une telle aberration que je n'ai même pas les mots ! Comment ferez-vous des enfants dans ce monde de machines ? A quoi serait dévolue votre existence ? A chercher des pièces de rechanges ?
- J'ai tout un projet. Il y aura les Géniteurs et les Mères-porteuses. On devra bien sûr garder une portion de la population à l'état primitif biologique pour augmenter périodiquement notre effectif. Avec la mort hors jeu, la démographie sera strictement contrôlée. Venez travailler avec nous !
- Vous pouvez toujours vous brosser ! vocifère Vegapunk qui se met ensuite à courir.
- Je vais capturer les plus grands cerveaux du monde et les réunir ensemble pour travailler sur mon idéal, donc pas si vite mon précieux ! dit-il en le rattrapant d'un bond.
- ...En...core crever ! baragouine-t-il, maintenue face contre terre par la poigne de son vis-à-vis. Au se...cours !
- T'aurais dû venir avec ton pote Shiro, on se serait bien amusé. Personne ne va te sauver. En enfer, ça sert à rien d'appeler les pompiers, KIKIKIKIKIKI !
- Vaux mieux appeler les démons.
La violence du coup que porte à l'Empereur des machines le nouveau venu est inouïe. Et pourtant, Jin Blackbone ne bouge pas d'un iota. L'onde qui résulte du poing contre l'avant bras crée une dépression digne d'un impact de météorite sous le pied des deux antagonistes. L'éboulis rompt leur contact et tous deux sautent et atterrissent au bord du cratère qui les sépare désormais. Machinalement, Jin scrute son bras et semble content de n'y trouver aucun pépin. Comme s'il n'en croit pas ses yeux, Vegapunk regarde fixement le visage de son sauveur qui le repose sur le sol. Il essaie de parler à plusieurs reprises, mais ne fait qu'ouvrir et refermer la bouche comme un poisson hors de l'eau. Finalement, il marmonne.
- Mais vous êtes...
- En congé maladie.
- Incroyable... Vous êtes guéris ? Vous n'avez plus d'ulcérations ! J'ai lu des rapports sur...
- Je dois un grand merci à Salazar Salmanazar. Il a trouvé le remède miracle qui pourra estomper périodiquement le mal. Je me sens en pleine forme ! Vous sentez ?
- Quoi donc ?
- Rien justement ! clame-t-il avec un plaisir sauvage. Je ne pue plus la mort ! Bon, assez parler le vieux. Dégage de là. Ce type est pas commode. Dégage !
- Si tu penses que je vais laisser faire...
L'Empereur des Machines bouge en un millième de battement de cœur mais l'homme s'interpose, toujours avec ce sourire. Il apprécie le combat, il apprécie de jouir de la pleine possession de ses moyens. Son corps étincèle du Haki le plus pur que Jin n'ait jamais senti. Une fois de plus, le poing noir crisse contre le métal également noirci, les combinaisons s'enchainent et des clashs successifs naissent vents et tornades tranchants qui dévastent toute l'aile sud de la base. La lame qui jaillit du poignet du Kidd se désintègre tel du cristal au contact de l'armure noire. Elle était censée être faite d'un alliage incassable « Fire Index Gun ! Corned Devil ! » qu'hurle l'homme aux cheveux en rideau avant de darder son index. Gigantesque, c'est un illusoire reptile enflammé qui fuse sur le Kidd. A son tour, il riposte avec un index d'où sort un minuscule canon. « Balle de vent ! »
Le monstre de feu et la bombe venteuse s'annihilent en volutes orangées.
- Toi ! T'es ce Colonel d’Élite, Le Moloch ! Dire que je m'étais préparé à affronter l'amiral Shiro.
- Déçu ?
- Non, je trouve que les amiraux ont tendance à trop se toucher la nouille. Vous autres Colo vous tâtez du terrain, vous êtes plus en forme comme le prouve ton haki. Mais j'ai entendu quelque part que tu souffrais d'une sorte de maladie incurable ? Que t'étais pleins de plaies et que t'empestais le macchabée de dix jours ?
- J'ai trouvé un bon dermatologue.
- Ce serait fâcheux qu'il meure ici alors.
- Très dommageable pour ma santé. Et pour celle de la personne qui en sera responsable.
- Ça te dirait pas de devenir un cyborg et être à jamais débarrassé de ce mal insidieux ?
- Non merci. Je préfère encore souffrir. On se sent vivant, c'est bon pour le cœur.
La seconde suivante, c'est un clash de Haki des Rois qui dévaste les lieux. Ils possèdent le pouvoir des Conquérants et s'affrontent dans un ballet mortel d'attaque et de défense toute la journée durant, ainsi que le jour d'après et le jour qui suit aussi. Ce n'est qu'au quatrième jour que les premiers renforts envoyés du G-11 arrivent enfin sur zone. Les pirates s'enfuient mais le mal est fait. Nursery n'est qu'un tas de ruine, les I.G.A Lindeker et Marley sont portés disparus et supposés aux mains des pirates. L'I.G.A Salazar Salmanazar est tombé au champ d'honneur, de même que l'I.G.A Nolan Descontrées qui sera célébré comme un martyr.
De martyrs, il faut citer les cinq cents vingt-sept morts Marine que cette attaque a engendré. Vegapunk, l'Ingénieure Générale Beranger et le Colonel d’Élite Kaal "Moloch" sont encensés et portés en héros. La présence de la presse internationale durant les événements leur ont donné un caractère explosif, ce qui a secoué le monde pendant un moment. Surtout quand le Gouvernement a été obligé d'annoncer la "perte inexpliquée" d'une centaine de Pacifista partis garnir les rangs des pirates du Kidd ou de la Secte En Marche !, nul ne sait trop comment les appeler. Ainsi, tribune lui a été donnée et le monde a appris avec consternation le retour en grande pompe du Kidd de Jaya, Jin Blackbone.