Timidement, le cuirassé avait terminé son approche le long des côtes rugueuses jusqu’à pénétrer dans un étrange conduit débouchant sur un port souterrain, que l’on avait soigneusement armé de plusieurs rangées de canons prêts à faire feu au moindre bouleversement. Guidé par une caravelle et escorté par deux croiseurs sur ses deux flancs, le navire de grande taille semblait pourtant minuscule le long des quais gigantesques et froids du laboratoire gargantuesque de Nursery.
Un avant-goût plutôt symptomatique de la mégalomanie scientifique.
Après avoir poireauté un peu moins d’une heure au large de l’île sans pouvoir se décider à avancer dans les eaux brumeuses et vaporeuses, le navire de guerre et ses occupants avait finalement été escortés jusqu’au curieux bâtiment en forme d’étoile qui était visible depuis le large. Bien plus grand qu’il ne semblait l’être vu de loin, le Berceau était une véritable forteresse comme le chef d’équipe n’en avait rarement vu dans sa vie. Davantage dans son architecture et sa technologie que dans sa grandeur ou son nombre de canons, c’était une bâtisse incroyable qui s’était élevée devant eux avant qu’ils ne s’engouffrassent par cet étrange et long tuyau.
Désormais tout semblait avoir un goût de laboratoire. Rien qui ne rassurait réellement le vieillard, assez peu familier avec les laborantins et les médecins, mais qui toutefois lui donnait l’impression de ne pas s’être trompé.
A ses côtés, la carcasse sombre et purulente respirait difficilement, encore misérablement en vie… mais probablement plus pour longtemps. Préservée de l’hémorragie par son cœur robotique, la jeune femme avait toutefois été frappée par les conséquences de son avantage cybernétique. Constamment endormie et incapable de renouveler son sang, elle avait ainsi été victime d’anémie quelques jours après son départ de Parisse. Progressivement, la gangrène s’était alors installée aux extrémités de ses membres, stratégiquement de moins en moins alimentés en hémoglobine et de plus en plus sensibles aux caillots sanguins. A présent, son corps putréfié et gangrené, autrefois si joli pourtant, relâchait une odeur terrible qui avait convaincu une bonne partie de l’équipage de l’importance de s’en débarrasser au plus vite. Et c’était bien car Angelica et lui avaient fait des pieds et de mains pour que l’on maintint Annabella en vie que celle-ci n’avait pas été balancée à la flotte depuis belle lurette.
Aussitôt arrivés et amarrés, l’ancre déroulée jusque dans les fonds marins, les rescapés de Parisse eurent droit à la visite opinée d’une petite brigade d’hommes masqués venus s’assurer de l’absence de germes, virus et autres parasites à bord. Bien évidemment, ils ne purent ignorer le morceau de chair à vif, rongé par les asticots et couvert de bandes de gaze sales, qui occupait l’infirmerie.
- Bordel, qu’est-ce que c’est que ça !
- Un agent du Cipher Pol qui a accompli son devoir et mérite les premiers soins. C’était ce que nous avions convenu non, lorsque vous avez reçu notre appel ?
- Mais cette... cette chose…
- Cette femme.
- Cette femme est pratiquement morte ! Nous sommes des médecins ici, pas des marabouts !
- Excusez-moi, j’ai dû me tromper. Je cherchais des spécialistes en venant ici mais visiblement il n’y a que de vulgaires généralistes. ne put se retenir de grincer le vieil homme, tandis que le groupe de scientifiques s’amassait progressivement autour du lit dans lequel l’agente Sweetsong était, par chance, plongée dans un profond coma.
Le scientifique voulut aussitôt répondre mais fut rapidement rappelé à l’ordre par la main d’un homme plus grand, plus expérimenté et plus diplomate, venue se poser sur son épaule. Larson le reconnaissait, sans toutefois avoir eu de nombreux contacts avec lui. Il savait pourtant que c’était bel et bien lui qui avait réceptionné sa demande.
- Je ne sais pas ce que vous attendez, Médecin Principal, pour emmener de toute urgence cette femme au bloc opératoire. Il faut à tout prix lui retirer ses lésions et nettoyer ses plaies. Intervenir là où il est déjà trop tard.
Ou dans un jargon plus direct : amputer. Par réflexe, l’homme utilisait des périphrases naturelles dans l’hypothèse où le patient pouvait entendre ses diagnostics. Ici, ça n’était pas le cas, mais il l’avait fait quand même.
- Merci M. Charcotte. Si vous êtes aussi compétent qu’on le laisse entendre, les jours de Miss Sweetsong devraient être hors de danger.
- Rien n’est encore gagné, toutefois. Je suis médecin, je ferai tout mon possible pour soigner ses blessures, mais il est possible que l’opération ait raison d’elle.
- Oh cette jeune femme est forte ; je crois en vous et je crois en elle aussi. conclut le Couard tout en descendant à terre, dans le sillon du corps emporté par les sous-fifres du Médecin Général des Armées. Celui-ci ne tarda pas davantage, saluant une dernière fois le chef d’équipe d’un hochement de la tête avant de se remettre à marcher à allure soutenue comme le font souvent les médecins urgentistes, en direction de l’une des grandes portes bordant les murs d’enceinte des quais.
Prestement postée aux côtés de Larson, Angelica regardait sa supérieure partir elle aussi, le visage abscons. Dans ses yeux, il était toutefois possible de voir qu’elle était plus sereine. Ce qui n’était pas le cas des autres agents, affairés eux aussi à descendre un gros morceau qui avait eu la malchance de retrouver ses esprits et recouvrer une partie de ses blessures durant la traversée. Enchaîné, aveuglé et bâillonné, Jonas Mandrake ressemblait à une vulgaire bête, à un gros gibier. Pourtant, malgré toutes ces mesures préventives, le révolutionnaire demeurait calme. Il affrontait son destin comme un homme et, intérieurement, se réjouissait de l’état de santé de son ennemie.
Même dans le plus grand des malheurs il demeurait un fond de bonheur, et celui de Mandrake c’était la mort d’Annabella Sweetsong.
Larson l’avait compris et même s’il aurait préféré laisser l’Atout continuer à cracher ses poumons à travers le trou qui lui décorait la poitrine, il avait dû se résoudre à le faire soigner en prévention de son procès.
Rapidement, les quais furent donc désertés tandis que les derniers hommes à descendre allaient profiter de leur quartier libre pour découvrir le gigantesque laboratoire, ainsi que leurs nouvelles couches. La mine patibulaire, le Commodore avait été le premier à fuir son navire pour, probablement, aller se référer à son supérieur hiérarchique le plus proche.
Dans tout cela, il ne restait finalement plus qu’une seule personne, perdue et isolée, lorsque le chef d’équipe se résolut à rejoindre ses collègues pour évaluer la situation puis dialoguer de la suite des opérations. Elle n’était pas sûre de lever le camp avant le réveil de sa responsable. Tiraillée, Angelica ne savait pas vraiment ce qui l’obligeait à apprécier Anna. Elle la respectait toutefois et espérait qu’elle ne mourût pas.
Dernière à entrer dans la bâtisse, la brunette se dirigea vers le bloc opératoire où l’on avait emporté la femme aux cheveux blancs.
Un avant-goût plutôt symptomatique de la mégalomanie scientifique.
Après avoir poireauté un peu moins d’une heure au large de l’île sans pouvoir se décider à avancer dans les eaux brumeuses et vaporeuses, le navire de guerre et ses occupants avait finalement été escortés jusqu’au curieux bâtiment en forme d’étoile qui était visible depuis le large. Bien plus grand qu’il ne semblait l’être vu de loin, le Berceau était une véritable forteresse comme le chef d’équipe n’en avait rarement vu dans sa vie. Davantage dans son architecture et sa technologie que dans sa grandeur ou son nombre de canons, c’était une bâtisse incroyable qui s’était élevée devant eux avant qu’ils ne s’engouffrassent par cet étrange et long tuyau.
Désormais tout semblait avoir un goût de laboratoire. Rien qui ne rassurait réellement le vieillard, assez peu familier avec les laborantins et les médecins, mais qui toutefois lui donnait l’impression de ne pas s’être trompé.
A ses côtés, la carcasse sombre et purulente respirait difficilement, encore misérablement en vie… mais probablement plus pour longtemps. Préservée de l’hémorragie par son cœur robotique, la jeune femme avait toutefois été frappée par les conséquences de son avantage cybernétique. Constamment endormie et incapable de renouveler son sang, elle avait ainsi été victime d’anémie quelques jours après son départ de Parisse. Progressivement, la gangrène s’était alors installée aux extrémités de ses membres, stratégiquement de moins en moins alimentés en hémoglobine et de plus en plus sensibles aux caillots sanguins. A présent, son corps putréfié et gangrené, autrefois si joli pourtant, relâchait une odeur terrible qui avait convaincu une bonne partie de l’équipage de l’importance de s’en débarrasser au plus vite. Et c’était bien car Angelica et lui avaient fait des pieds et de mains pour que l’on maintint Annabella en vie que celle-ci n’avait pas été balancée à la flotte depuis belle lurette.
Aussitôt arrivés et amarrés, l’ancre déroulée jusque dans les fonds marins, les rescapés de Parisse eurent droit à la visite opinée d’une petite brigade d’hommes masqués venus s’assurer de l’absence de germes, virus et autres parasites à bord. Bien évidemment, ils ne purent ignorer le morceau de chair à vif, rongé par les asticots et couvert de bandes de gaze sales, qui occupait l’infirmerie.
- Bordel, qu’est-ce que c’est que ça !
- Un agent du Cipher Pol qui a accompli son devoir et mérite les premiers soins. C’était ce que nous avions convenu non, lorsque vous avez reçu notre appel ?
- Mais cette... cette chose…
- Cette femme.
- Cette femme est pratiquement morte ! Nous sommes des médecins ici, pas des marabouts !
- Excusez-moi, j’ai dû me tromper. Je cherchais des spécialistes en venant ici mais visiblement il n’y a que de vulgaires généralistes. ne put se retenir de grincer le vieil homme, tandis que le groupe de scientifiques s’amassait progressivement autour du lit dans lequel l’agente Sweetsong était, par chance, plongée dans un profond coma.
Le scientifique voulut aussitôt répondre mais fut rapidement rappelé à l’ordre par la main d’un homme plus grand, plus expérimenté et plus diplomate, venue se poser sur son épaule. Larson le reconnaissait, sans toutefois avoir eu de nombreux contacts avec lui. Il savait pourtant que c’était bel et bien lui qui avait réceptionné sa demande.
- Je ne sais pas ce que vous attendez, Médecin Principal, pour emmener de toute urgence cette femme au bloc opératoire. Il faut à tout prix lui retirer ses lésions et nettoyer ses plaies. Intervenir là où il est déjà trop tard.
Ou dans un jargon plus direct : amputer. Par réflexe, l’homme utilisait des périphrases naturelles dans l’hypothèse où le patient pouvait entendre ses diagnostics. Ici, ça n’était pas le cas, mais il l’avait fait quand même.
- Merci M. Charcotte. Si vous êtes aussi compétent qu’on le laisse entendre, les jours de Miss Sweetsong devraient être hors de danger.
- Rien n’est encore gagné, toutefois. Je suis médecin, je ferai tout mon possible pour soigner ses blessures, mais il est possible que l’opération ait raison d’elle.
- Oh cette jeune femme est forte ; je crois en vous et je crois en elle aussi. conclut le Couard tout en descendant à terre, dans le sillon du corps emporté par les sous-fifres du Médecin Général des Armées. Celui-ci ne tarda pas davantage, saluant une dernière fois le chef d’équipe d’un hochement de la tête avant de se remettre à marcher à allure soutenue comme le font souvent les médecins urgentistes, en direction de l’une des grandes portes bordant les murs d’enceinte des quais.
Prestement postée aux côtés de Larson, Angelica regardait sa supérieure partir elle aussi, le visage abscons. Dans ses yeux, il était toutefois possible de voir qu’elle était plus sereine. Ce qui n’était pas le cas des autres agents, affairés eux aussi à descendre un gros morceau qui avait eu la malchance de retrouver ses esprits et recouvrer une partie de ses blessures durant la traversée. Enchaîné, aveuglé et bâillonné, Jonas Mandrake ressemblait à une vulgaire bête, à un gros gibier. Pourtant, malgré toutes ces mesures préventives, le révolutionnaire demeurait calme. Il affrontait son destin comme un homme et, intérieurement, se réjouissait de l’état de santé de son ennemie.
Même dans le plus grand des malheurs il demeurait un fond de bonheur, et celui de Mandrake c’était la mort d’Annabella Sweetsong.
Larson l’avait compris et même s’il aurait préféré laisser l’Atout continuer à cracher ses poumons à travers le trou qui lui décorait la poitrine, il avait dû se résoudre à le faire soigner en prévention de son procès.
Rapidement, les quais furent donc désertés tandis que les derniers hommes à descendre allaient profiter de leur quartier libre pour découvrir le gigantesque laboratoire, ainsi que leurs nouvelles couches. La mine patibulaire, le Commodore avait été le premier à fuir son navire pour, probablement, aller se référer à son supérieur hiérarchique le plus proche.
Dans tout cela, il ne restait finalement plus qu’une seule personne, perdue et isolée, lorsque le chef d’équipe se résolut à rejoindre ses collègues pour évaluer la situation puis dialoguer de la suite des opérations. Elle n’était pas sûre de lever le camp avant le réveil de sa responsable. Tiraillée, Angelica ne savait pas vraiment ce qui l’obligeait à apprécier Anna. Elle la respectait toutefois et espérait qu’elle ne mourût pas.
Dernière à entrer dans la bâtisse, la brunette se dirigea vers le bloc opératoire où l’on avait emporté la femme aux cheveux blancs.