Je sais plus combien de temps ça fait. J’ai perdu le compte y’a un bout. Faut dire que j’ai pas beaucoup essayé non plus. A quoi ça sert, de compter les jours dans une île qui ne dort jamais ?
Faut que je refasse le point, pourtant, parce que j’ai de nouveau la tête qui décabane. J’ai envie de partir. J’ai envie de partir alors que cette île est devenue mon premier vrai refuge d’indépendante, mon premier lieu où je parviens à vivre bien sans guide, sans uniforme, sans règles à suivre. Juste avec la tête tournée vers le ciel, les mains plongées dans la terre et le cœur ouvert à la beauté ambiante.
Ouais, la beauté. Parce que cette île, elle est belle. Belle à en chialer avec les tripes. C’est comme le coucher de soleil sur les arbres à contre jour quand y’a de l’orage. C’est de la forêt immense et dorée, mais d’un or qu’a rien à voir avec la contrebande, l’esclavage dans les mines et les guerres un peu partout. Un or que si tu en coupes un morceau, il disparaît et il te pourrit dans la main, comme une métaphore. Voilà. L’or, ici, c’est le vivant. Et personne vient vraiment brader ça. Pas assez d’enjeu, et le peu qu’il y a, une gamine du coin a suffit a le repousser.
Alors, on a la paix. On a pas de raison d’être en guerre contre le monde. Chacun peut redevenir un peu un gosse. Parler aux arbres, aux pierres, courir entre les champignons gigantesques et les forêts de groseilles. Mais mieux qu’un gosse. Un gosse qu’a jamais peur. Un gosse qui sait que la mort, c’est pas grave quand on sait ce que c’est que de vivre dans ce qui est beau, d’en être une partie et un réceptacle. Sûr que la nana que j’étais avant aurait trouvé les gens cons, naïfs, parce qu’épargnés.
Sauf que je sais toujours pas ce qui m’a guidée jusqu’à l’île aux éveillés. Y’a eu la rencontre avec Aimé, mon refus de marcher avec son copain le punk. Plein de sentiments, avec beaucoup de colère et une totale absence d’idées pour l’avenir. Translinéenne, bateau-stop, petites aventures comme Grand Line sait les faire. Et puis, les éveillés. Et elle. La Sans Nom.
-Tu restes pour le dîner ? J’ai ramassé des champignons.
Je sors de ma méditation, assise face à un gros saule fluorescent, et je souris. La Sans Nom, c’est la sorcière de l’île. Il y a des gens qui disent qu’elle est folle, mais tout le monde va la voir en cachette, les impuissants, les incurables, les abandonnés, les cocus, les accouchées et celles qui vont l’être, les angoissés parce qu’ils ont sûrement laissé le four allumé, les stressés parce que le four était bien allumé et que ça a cramé la baraque, les autres qui se cherchent des problèmes parce qu’ils s’ennuient, bref, toute la foutue population de l’île.
Mais une fois tout ce monde réuni à la même place, ça parle de « La Folle » en rigolant du sommet de sa supériorité scientifique ; et les lumières de l’île qui proviennent d’une oxydation exotique causée par telle enzyme stimulée par la photosynthèse ; et que je suis bien assis sur mon savoir ; et que je crois pas aux fées et aux fantômes, que je suis un adulte, moi, monsieur. Ahah.
Je souris sincèrement, d’un sourire sans animosité ni pitié. Juste de l’humour.
-Est-ce que j’ai le choix ?
Les gros champignons de l’île sont probablement l’une des meilleurs choses que j’ai mangée dans ma vie. Okay, j’ai pas masse de comparaison, la bouffe de l’armée était souvent dégueulasse, et avant... c’était avant. J’ai même pas souvenir d’avoir fait vraiment attention à ce que je mangeais. Trop de gnôle ; trop de bastons ; trop de soucis dans la tête. Juste remplir le ventre avec ce qui passait ; quand y passait des trucs.
Maintenant, c’est con, mais c’est vraiment des moments qui sont devenus des phares dans mes journées, les repas. Je les prends souvent avec la Sans Nom, qu’est sûrement la meilleure cuisinière de l’île. On parle souvent pas beaucoup, les deux. Ou plutôt, on parle plus beaucoup maintenant. Parce que j’ai appris à voir avec ses yeux. Ses yeux qui voient vraiment ce qui l’entoure, qui écoutent pousser les arbres qu’elle a sur sa tête et autour d’elle, qui saisissent le sens profond des choses. Qui aime la vie, et qui a accepté la possibilité de mourir.
Je l’aide à hacher une tige de persil qui m’arrive à la taille. Elle vit dans une petite cabane à l’écart de la ville, en plein bois. La mienne est à deux pas, c’est elle qui m’a montré comment la construire. Je suis vêtue des vêtements simples que j’ai fabriqués sur son métier à tisser. De la fibre de bolets géants pour les chaussures, du lin et de l’ortie pour le reste. J’ai abandonné toutes mes vieilles affaires. Même les livres. Je crois plus aux livres. Ou plutôt, je crois à ce qu’ils cherchaient tous à dire à leur manière.
Je crois en tout ce qui m’entoure. Je crois en la vie. Au « oui » spontané. Aux champignons, aux discussions sereines, à la fumée de la pipe dans les bois, au sommeil profond, à la danse parce qu’il fait bon vivre, à la paix.
Faut que je refasse le point, pourtant, parce que j’ai de nouveau la tête qui décabane. J’ai envie de partir. J’ai envie de partir alors que cette île est devenue mon premier vrai refuge d’indépendante, mon premier lieu où je parviens à vivre bien sans guide, sans uniforme, sans règles à suivre. Juste avec la tête tournée vers le ciel, les mains plongées dans la terre et le cœur ouvert à la beauté ambiante.
Ouais, la beauté. Parce que cette île, elle est belle. Belle à en chialer avec les tripes. C’est comme le coucher de soleil sur les arbres à contre jour quand y’a de l’orage. C’est de la forêt immense et dorée, mais d’un or qu’a rien à voir avec la contrebande, l’esclavage dans les mines et les guerres un peu partout. Un or que si tu en coupes un morceau, il disparaît et il te pourrit dans la main, comme une métaphore. Voilà. L’or, ici, c’est le vivant. Et personne vient vraiment brader ça. Pas assez d’enjeu, et le peu qu’il y a, une gamine du coin a suffit a le repousser.
Alors, on a la paix. On a pas de raison d’être en guerre contre le monde. Chacun peut redevenir un peu un gosse. Parler aux arbres, aux pierres, courir entre les champignons gigantesques et les forêts de groseilles. Mais mieux qu’un gosse. Un gosse qu’a jamais peur. Un gosse qui sait que la mort, c’est pas grave quand on sait ce que c’est que de vivre dans ce qui est beau, d’en être une partie et un réceptacle. Sûr que la nana que j’étais avant aurait trouvé les gens cons, naïfs, parce qu’épargnés.
Sauf que je sais toujours pas ce qui m’a guidée jusqu’à l’île aux éveillés. Y’a eu la rencontre avec Aimé, mon refus de marcher avec son copain le punk. Plein de sentiments, avec beaucoup de colère et une totale absence d’idées pour l’avenir. Translinéenne, bateau-stop, petites aventures comme Grand Line sait les faire. Et puis, les éveillés. Et elle. La Sans Nom.
-Tu restes pour le dîner ? J’ai ramassé des champignons.
Je sors de ma méditation, assise face à un gros saule fluorescent, et je souris. La Sans Nom, c’est la sorcière de l’île. Il y a des gens qui disent qu’elle est folle, mais tout le monde va la voir en cachette, les impuissants, les incurables, les abandonnés, les cocus, les accouchées et celles qui vont l’être, les angoissés parce qu’ils ont sûrement laissé le four allumé, les stressés parce que le four était bien allumé et que ça a cramé la baraque, les autres qui se cherchent des problèmes parce qu’ils s’ennuient, bref, toute la foutue population de l’île.
Mais une fois tout ce monde réuni à la même place, ça parle de « La Folle » en rigolant du sommet de sa supériorité scientifique ; et les lumières de l’île qui proviennent d’une oxydation exotique causée par telle enzyme stimulée par la photosynthèse ; et que je suis bien assis sur mon savoir ; et que je crois pas aux fées et aux fantômes, que je suis un adulte, moi, monsieur. Ahah.
Je souris sincèrement, d’un sourire sans animosité ni pitié. Juste de l’humour.
-Est-ce que j’ai le choix ?
Les gros champignons de l’île sont probablement l’une des meilleurs choses que j’ai mangée dans ma vie. Okay, j’ai pas masse de comparaison, la bouffe de l’armée était souvent dégueulasse, et avant... c’était avant. J’ai même pas souvenir d’avoir fait vraiment attention à ce que je mangeais. Trop de gnôle ; trop de bastons ; trop de soucis dans la tête. Juste remplir le ventre avec ce qui passait ; quand y passait des trucs.
Maintenant, c’est con, mais c’est vraiment des moments qui sont devenus des phares dans mes journées, les repas. Je les prends souvent avec la Sans Nom, qu’est sûrement la meilleure cuisinière de l’île. On parle souvent pas beaucoup, les deux. Ou plutôt, on parle plus beaucoup maintenant. Parce que j’ai appris à voir avec ses yeux. Ses yeux qui voient vraiment ce qui l’entoure, qui écoutent pousser les arbres qu’elle a sur sa tête et autour d’elle, qui saisissent le sens profond des choses. Qui aime la vie, et qui a accepté la possibilité de mourir.
Je l’aide à hacher une tige de persil qui m’arrive à la taille. Elle vit dans une petite cabane à l’écart de la ville, en plein bois. La mienne est à deux pas, c’est elle qui m’a montré comment la construire. Je suis vêtue des vêtements simples que j’ai fabriqués sur son métier à tisser. De la fibre de bolets géants pour les chaussures, du lin et de l’ortie pour le reste. J’ai abandonné toutes mes vieilles affaires. Même les livres. Je crois plus aux livres. Ou plutôt, je crois à ce qu’ils cherchaient tous à dire à leur manière.
Je crois en tout ce qui m’entoure. Je crois en la vie. Au « oui » spontané. Aux champignons, aux discussions sereines, à la fumée de la pipe dans les bois, au sommeil profond, à la danse parce qu’il fait bon vivre, à la paix.