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Requins volants

Ombralia, printemps 1627

Elle creuse, elle tasse. La terre recouvre ses gants tandis que son visage, à découvert, hume difficilement l'air à travers un léger masque à gaz. Jamais les autres n'y sont parvenus mais elle y arrive. Grâce à ces poissons qu'elle chasse, grâce à ces requins qui laissent des traces sur leur passage. C'est fou, déjà, des poissons qui volent. Mais ce monde est fou.

Elle s'en souvient encore comme si c'était hier.

La lumière du soleil chauffant son bureau douillet, les piles de papiers aux écritures indéchiffrables à trier, à remplir puis à tamponner. Non, l'administration n'était rien comparée à aujourd'hui, tout était si facile. Pour manger, il y avait des épiceries. Pour boire, il y avait les lacs. Pour cultiver, les prairies. Tout était si vert, si beau à Ombralia. Tout était si doux.

Les jours se succédaient tranquillement, malgré les hivers rigoureux et les manifestations. Malgré la répression de l'armée qu'elle n'approuvait pas, malgré les positions du Gouvernement Mondial et leurs taxes effroyables. Mais Nathalia, elle vivait bien, elle n'avait pas à se plaindre et personne ne la plaignait. Elle donnait à ceux qui faisaient l'aumône, des fois. Elle se réfugiait dans son petit appartement sinon et se concoctait des petits plats le soir. Elle lisait, oh oui elle lisait, du temps où les livres ne s'évaporaient pas dans l'air.

Et puis il était arrivé. D'abord elle l'avait détesté, haïs. Il avait bouleversé son monde, son travail, sa patrie. Plus d'administration, non, le chaos valait mieux. L'anarchie, qu'ils scandaient, la gloire au Grand Désordonnateur. Sous prétexte qu'il ne fallait pas d'autorité, ils l'avaient abolie. Ils avaient renversé le roi, mis sa tête sur une pique et fait des officiers de l'armée les dindons de la farce, contraints à danser au bout d'une corde pour satisfaire les bas instincts de la plèbe. De ceux qui avaient de la rancœur. De ceux qui détestaient le Gouvernement Mondial.

Il s'était proclamé protecteur. Nathalia l'avait proclamé ennemi juré.

Puis elle avait appris à détester le Gouvernement Mondial, elle aussi. Elle avait appris la vérité de la bouche des pirates qui s'étaient établis, de la bouche de tous ceux qui désormais n'avaient plus peur de poser le pied à terre. Et dans l'anarchie, un certain ordre régnait. Dans le chaos, les habitants s'y retrouvaient. C'était étrange mais pour une fois depuis longtemps, tout allait bien. Les préjugés avaient disparu, les pauvres étaient redevenus humains, les bannis et les exilés de simples voyageurs.

Le plan d'Amber Frost fonctionnait, comme il l'avait promis.

Mais pas pour longtemps.

Le destin de l'île fut scellé le jour où l'amiral Tetsuda y mit le pied. En représailles, il condamna l'île à un jugement divin. Il la maudit, rendit son air impur, rendit son sol marécageux. En l'espace d'une journée, l'île était devenue une terre de mort, une terre acide et ses habitants avaient quasiment tous péri. Mais elle, elle avec ses idéaux, elle qui aurait mérité de mourir pour avoir cru une seule seconde en la bienveillance du Gouvernement Mondial. Elle était restée en vie. Alors elle avait à nouveau perdu foi en cet homme qui n'avait pu tenir sa promesse. Qui n'avait pu être là pour lutter à armes égales contre le terrible Amiral qui avait lâchement profité de son absence. Mais il ne les avait pas abandonnés, non.

Alors que les survivants mouraient de faim, dissimulés sous la terre, Amber Frost avait trouvé un moyen de les secourir, encore. Portant les stigmates d'un terrible combat, il leur avait apporté les vivres, l'espoir... et la vengeance. Jusqu'à présent, Green Wolf n'avait jamais perdu aucune bataille. Mais ce fut la queue entre les jambes que le loup rentra au bercail après une infortunée rencontre avec celui que l'on surnommait le Condamné.

Mais que Nathalia s'était résolue à appeler son Héros.


Saisissant une flèche dans son épais carquois, la jeune femme s'approche finalement de l'étrange tourbillon d'acide, l'œil rivé sur les étranges éclats d'argent miroitant à l'intérieur. Avec une vitesse et une précision déconcertante, elle tire. Pour que l'instant d'après s'échoue sur le sol la carcasse gigantesque d'un requin volant.

- Tant qu'il y a du Chaos dans ce monde, il y a de l'espoir.