Rigonelli Guantanamo Berthozzo, plus couramment nommé Dongle par ses amis, se regardait dans son miroir de poche en recoiffant sa perruque-crête sur l'astre luisant qu'était son crâne déjà dégarni. Jour de fête à l'horizon pour le jeune architecte puisque, du haut de ses 28 ans et de ses 3 mois d'expérience dans le métier, il devenait chef de projet de la construction du navire-échafaud du Royaume de Bliss. Dernier projet en date d'un gouvernement mondial en panne d'idée pour impressionner les criminels, le dit bâtiment consistait, selon les plans élaborés par le cerveau capricieux d'un génie incompris, en une énorme tour de bois flottante portée par une barque à chaque pied. S'il n'était que peu enthousiasmé par la commande qu'on lui avait passé, Dongle n'était en revanche pas peu satisfait de son affectation. On lui avait en effet promis gloire et lumière s'il réussissait à achever l’échafaudage sous l’œil appliqué du CP1 et de ses caméras alors qu'il n'aurait pour seule main d’œuvre que les jeunes voyous en voie de reconversion qui avaient été arrêté à Bliss dans les deux derniers mois. Arriviste avant tout, Rigonelli avait senti là l'opportunité à saisir pour faire bondir sa carrière. Aussi, le regard déterminé et la crête bien alignée, le jeune homme s'avançait vers le chantier, en quête de célébrité, convaincu de ses propres capacités et prêt à rencontrer les petits d'hommes en quête de redressement. Pour ne trouver qu'une jeune fille à couettes blondes.
"Coucouuuuu ma petite. Aurais-tu vu une bande de gamins pas nets par hasard? De jeunes criminels ? Des voyous, sinon des bandits ? Des p'tits cons ?"
"Ecoute-moi bien mon gaillard, le seul p'tit con que j'vois ici, c'est toi, tu vas commencer par respecter tes aînés et m'donner du vous parce que ça va mal se mettre j'te prév..."
"AH ! Mr Berthozzo, vous voilà enfin-hmmm."
Dongle leva l’œil crédule qu'il avait déposé quelques secondes plus tôt sur la petite fille -dont la verve violente avait séché toute la prestance dont le jeune architecte croyait faire preuve- en direction de Barnabé Bacchus qui s'approchait là. Ventripotent de son état, le chef de la guilde des charpentiers venait accompagné de son air débonnaire, de son monocle et de sa moustache pour serrer la main moite d'un Rigonelli toujours sans voix.
"Comment allez-vous-hmmmm ? Peu importe. C'est le grand jour aujourd'hui-hmmm !"
"J-J... Bonjour ?"
]"Haha, cher ami vous êtes bien farceur-hmmm."
"Il a pas l'air bien frais votre troufion, Bacchus."
"Si l'âge que vous prétendez avoir est le vrai, vous n'êtes pas en reste, cher ami-hmmm."
"J'suis pas votre ami gros lar-"
"Berthozzo, je vous présente votre main d’œuvre."
"C-C'est la petite ?"
"Alors, hein, oh, la petite c'est un monsieur, d'une, et de deux son nom c'est Brocolis, Vice-Amiral Brocolis et ne vous avisez pas de vous en dou-"
"MAIS BIEN SUR QUE J'EN DOUTE!"
"WOH WOH WOH, Y VA T'Y DONT FERMER SA GRANDE GUEULE LE TROUFION PARCE QUE SINON CA VA FINIR AVEC UN PAIN DANS LA GUEULE ET LE MANCHE DE LA PLANCHE QUI A SERVI A LE CUIR DANS LE C-AAAAARH... cœur, mon petit, mon doux, mon cher, mon sacré cœur, survis car moi je ne te survivrai pas, ne m'abando-"
"Ne soyez pas surpris, jeune homme. Cette demoiselle prétend être un très vieux gradé de la Marine dont les mésaventures l'ont amené à vivre dans un autre corps-haaa."
"Ça n'a pas de sens."
"Eh bien figurez-vous que si, malgré l'improbabilité de la situation, au regard des éléments dont elle dispose, nous devons considérer cette petite dame comme ce qu'elle prétend être à moins de la preuve irréfutable du contraire. Cela étant-hmmm..."
"société de jeunes de merde, j'meurs et tout l'monde s'en cogne, j'vous jure, c'était pas comme ça d'mo-"
"Vieillard ou pas, l'exhibitionnisme est strictement prohibé à Bliss-hmm."
"E-Exhibitionnisme ? Vraiment ?"
"Alors, c'est un peu plus compliqué que ça._______________________________
[Quelques jours plus tôt, un jour de canicule, pour raisons de praticité]
La chaleur n'avait jamais si peu touché Télesphore Brocolis que depuis qu'il occupait ce nouveau corps. Sans toutefois être supportable, elle n'avait pour seul effet sur le vieil homme à couettes blondes que de le faire transpirer sous sa tenue de Vice-Amiral quand quelques semaines plus tôt, elle s'accompagnait de vomissements, de coliques et de rhumatismes. Tandis qu'il se baladait dans les rues de Bliss, tripotant ses boucles, l'ancien gradé en venait à admettre qu'un corps aussi frais n'avait que des avantages. Certes, il voyait la vie d'en bas et beaucoup des jeunots le traitaient comme une minette en pleine croissance, mais au regard des bénéfices, ces quelques aléas semblaient bien ridicules. Comparée au sentiment de renaissance que le simple fait de marcher seul à nouveau lui apportait, la considération du reste du monde ne valait pas trois clous dans une barque. Mais si Télesphore jouissait de sa nouvelle condition physique et en profitait autant que faire se peut, le plaisir qu'il prenait à vivre dans le corps de sa nièce lui rappelait systématiquement que cette dernière vivait l'exact contraire. Et au vieillard de se dire qu'il devait continuer ses recherches. Aussi, par dessus sa jupette à froufrous et ses collants colorés, le vice-amiral d'honneur mettait une fine application à toujours faire valoir son rang pour pouvoir progresser sans soucis au gré des mers du Sud. D'où le port presque systématique du manteau frappé de l'icône de la mouette, trop grand et trop lourd pour ce corps de midinette de 13 ans qui impressionnait tout autant qu'il portait chaud. Au point d'en devenir réellement insupportable. Décidé à se libérer de cette cochonceté qu'est la température et la transpiration, Brocolis ne trouva comme seule solution à son problème que celle qui consiste à tout retirer. Durant les 115 années qui ont composé son existence, il n'avait jamais trouvé meilleur remède face à la chaleur que celui d'enlever le haut pour laisser le corps respirer. Aussi, il n'avait absolument aucune raison de s'en priv-
"MON DIEU ! Cette jeune fille elle... e-elle... on voit s-sa... S-ses..."
"MA PETITE DAME, ATTEINTE A LA PUDEUR SUR LA VOIE PUBLIQUE ! VOUS RISQUEZ GROS !"
"... évidemment."
Le vieil homme soupira tandis qu'il comprenait son erreur. Sa petite nièce grandissait. Et dans un monde qui ne fonctionnait plus comme lui depuis longtemps, force était de constater qu'aux yeux de ces hommes, le corps de Camille Salad D. Choux n'était plus celui d'une enfant.
"J-je... peux toucher ?"_______________________________
"... sans rire, c'est tout ce que vous avez pour m'aider sur le projet de ma vie ?"
"C'EST LARGEMENT SUFFISANT MON GAILLARD !"
"Rien trouvé de mieux, déso-hmmmm"
"M-Mais ! Et mes lascars ? Mes troubles-fêtes ?"
"C'est la seule qu'on a trouvé-hmm"
"En deux mois?"
"La cameraman du CP1 ne devrait pas tarder, bon courage, bonne journée-hmmm !"
"EN DEUX PUTAINS DE MOIS ?"
Bacchus s'en allait à reculons d'un pas plus qu'énergique en secouant sa main en signe de salut, un sourire débonnaire et plein de compassion aux lèvres tandis que Dongle désespérait en constatant la situation. Il jeta un œil au chantier devant ses yeux d'un air à la fois désabusé et vindicatif. Éprouvant en effet une telle rancune envers les supérieurs qui l'avaient assigné en toute connaissance du personnel disponible à un projet aussi compliqué que bancal, Rigonelli se prenait soudain à croire qu'il allait faire une bêtise en sabotant le premier navire-échafaud de l'histoire pour exposer aux yeux du CP1 et donc du monde toute l'incompétence de la guilde des charpentiers de Bliss. Et alors qu'il envisageait diverses manières de mettre ses idées en action, il fut interrompu par la silhouette mignonnette de Télesphore Brocolis qui avançait vers les rondins de bois en se remontant les manches.
"Hé, gamin ! Si tu veux paraître pour un con misogyne et exploiteur d'enfant, reste dans ton coin, mais j'ai pas envie d'me coltiner une aussi grosse connerie que ce chantier tout seul, donc ramène toi."
Dongle regardait surpris la fillette qui lui faisait la morale du haut de son mètre 30 avant de s'approcher. En regardant ses yeux, il n'y trouva ni détermination, ni colère, ni tristesse, ni joie. Il n'y voyait en réalité que la concentration du travailleur. De celui qui sait ce qu'il y a à faire, qui va le faire et qui va le faire bien. Impressionné par le métier dont faisait preuve Télesphore alors même qu'il n'avait pas fait d'autre action que celle de tenter de soulever une poutre trop lourde pour son petit corps, l'architecte curieux de voir où le mènerait cette entreprise se releva les manches à son tour et attrapa l'autre côté de la bûche que le blondinette s'entêtait à tenter de soulever.
"J'sais pas si ce sont tes patrons qui te le prouveront mais j'peux t'assurer d'un truc, mon gars. C'est que le travail bien fait, ça paye toujours. Ton futur, il se joue entre toi, ce chantier en carton et la caméra de la nénette qui va pas tarder à se pointer."
Le jeune homme regarda quelques secondes le vieil homme dont la voix fluette s'était tue pour laisser place à des grommellements de désagrément quant à sa force physique. Il ne lui avait décoché ni regard, ni expression, mais le ton beaucoup trop sérieux et sincère de Brocolis frappait Rigonelli droit dans sa réflexion. Qu'un individu si aigri et agressif que celui qui lui faisait face lui transmette le conseil le plus avisé de sa courte vie touchait tant la fierté que l'ambition de l'architecte. Dongle inspira longuement avant de reposer les yeux sur la poutre qui se tenait à ses pieds. S'il ne savait pas si Télesphore lui avait déclamé sa tirade pour le motiver, par gentillesse ou par envie de transmettre son savoir, le chauve à perruque-crête aimait à penser que la seule réponse qu'il avait à obtenir était celle qu'il aurait en donnant à son frêle partenaire la meilleure qu'il avait à proposer.
"J'te préviens bonhomme, le premier à prendre une pause est un homme-poisson. Et bon sang de bois, j'aime vraiment pas les hommes-poissons."
L'architecte, les lunettes et le bébé [Trio Tar/Louise]
« Ramez, Martin ! Mais bon sang, ramez ! »
« Je fais ce que peux, madame, je vous le promets ! »
« Oh mon dieu, oh mon dieu ! Dépêchez-vous par pitié ! »
« Je rame aussi vite que je peux ! »
« Oh ! Oh… Les contractions ! Ah ! Elles se rapprochent. Plus vite ! »
« On y est presque, madame ! »
Au milieu de l’océan, à quelque chose près, une barque fendait les flots aussi vite que les bras de Martin le permettaient. Face à lui, visage crispé par la douleur, mains entourant son ventre comme s’il allait lui échapper, se tenait Mitchell Orirdan, enceinte jusqu’aux yeux et visiblement prête à se délester de sa surcharge pondérale.
Notre singulier duo était parti du nord de Bliss plus tôt dans la journée afin de permettre à Mitchell de mettre bas dans des conditions idéales. Et par “idéales”, entendez “au sommet d’une tour”. Les raisons étaient plutôt mystérieuses, pour peu qu’elles aient existé. Mais une seule pensée obsédait Mitchell depuis sa plus tendre enfance : un bébé dans une tour. Et sincèrement, quelle chance avait-elle eu qu’une tour se construise précisément au large de Bliss ? Dès qu’elle avait eu vent du projet, la jeune femme avait tout fait pour tomber enceinte et avoir la chance de réaliser son rêve. Et aujourd’hui, enfin, l’accomplissement d’une vie se tenait à portée de main. Si tant est que ce fichu Martin accélère la cadence.
« Mais bon sang Martin, on n’y sera jamais… AH ! Les contractions ! J’ai mal… à temps !»
« Essayez de vous retenir, on y sera bientôt, madame ! »
« Me retenir ? ME RETENIR ? TU CROIS QUE C’EST JUSTE UNE ENVIE DE PISSER ? Ah, ah… je souffre… »
« Désolé, madame ! Je rame, madame ! »
Et il faut l’avouer : Martin ramait. Pour être totalement honnête, il n’était pas exactement sûr de savoir comment fonctionnait cette histoire d’accouchement. Personne ne lui avait vraiment expliqué et les copains interdisaient les filles dans la bande, alors aucun n’avait jamais trop pu poser de question ou expérimenter… Concrètement, tout ce que pouvait faire l’adolescent était agiter les bras de toutes ses forces et prier pour que quelqu’un sur la tour soit, pour une raison quelconque, un médecin-ouvrier.
Le problème – un de plus – était que sur ladite tour, c’était le bordel. Entre un vieux jeune qui s’improvisait ouvrier, une reporter agente secrète qui se donnait le rôle d’architecte et le chef de chantier qui perdait tout droit de regard sur son travail, la tour risquait bien vite de s’effondrer façon Jenga.
« On arrive, madame, regardez ! »
« Enfin ! C’est pas… fffff, fffff, aaaaah ! dommage ! Allez, vite ! »
Et enfin, après quelques derniers douloureux coups de bras, la barque accosta le chantier.
« Restez-là, je vais chercher de l’aide ! »
« Ah ça sûrement paaaAaaah ! »
« Vous ne pouvez pas marcher dans cet état, madame, soyez raisonnable… »
« Alors écoute-moi bien, mon grand. » Avec une vigueur étonnante pour une femme sur le point d’accoucher, Mitchell agrippa le col de Martin et colla son visage contre le sien. « Si tu ne m’emmènes pas immédiatement sur cette tour, je déclare que tu es le père. Capiche ? »
« Hein ? On peut choisir les parents après la naissance ? »
Non, vraiment, Martin n’y connaissait rien en grossesses.
« Tour. Maintenant. »
Finalement, soumis aux caprices de Mitchell, Martin entreprit tant bien que mal de saisir la pauvre femme ahanant à bras le corps pour la traîner sur le chantier agité. Car oui, malgré la présence de seulement trois personnes, les lieux étaient aussi bruyants que désordonnés.
« Attendez ! La prise est pas bonne, redescendez la poutre et revenez par l’autre côté. »
« Q-Quoi ? Ça nous a pris un quart d’heure de monter cette putain de poutre ! »
« Ça nous aurait pas pris aussi longtemps si t’avais pas besoin de reprendre ton souffle toutes les dix secondes, p’tit con ! »
« Si vous m’aviez écouté depuis le début, on n’aurait pas besoin de recommencer ! »
« Euh… Excusez-moi ? »
« On vous a déjà trouvé votre foutu miroir, va pas falloir exagérer ! »
« S’il vous plaît ? »
« Je suis là pour sublimer votre travail, alors un peu de respect ! »
« Ah ça de mon temps, on savait ce que c’était le respect… »
« EXCUSEZ-MOI ! »
Aussi soudain que perçant, le cri de Martin eut le mérite de faire taire le groupe.
« Euh… Vous pourriez m’aider ? Madame Ord… Odan… Mit… Oma… Euh… Cette dame voudrait accoucher au sommet de la tour. »
« Je fais ce que peux, madame, je vous le promets ! »
« Oh mon dieu, oh mon dieu ! Dépêchez-vous par pitié ! »
« Je rame aussi vite que je peux ! »
« Oh ! Oh… Les contractions ! Ah ! Elles se rapprochent. Plus vite ! »
« On y est presque, madame ! »
Au milieu de l’océan, à quelque chose près, une barque fendait les flots aussi vite que les bras de Martin le permettaient. Face à lui, visage crispé par la douleur, mains entourant son ventre comme s’il allait lui échapper, se tenait Mitchell Orirdan, enceinte jusqu’aux yeux et visiblement prête à se délester de sa surcharge pondérale.
Notre singulier duo était parti du nord de Bliss plus tôt dans la journée afin de permettre à Mitchell de mettre bas dans des conditions idéales. Et par “idéales”, entendez “au sommet d’une tour”. Les raisons étaient plutôt mystérieuses, pour peu qu’elles aient existé. Mais une seule pensée obsédait Mitchell depuis sa plus tendre enfance : un bébé dans une tour. Et sincèrement, quelle chance avait-elle eu qu’une tour se construise précisément au large de Bliss ? Dès qu’elle avait eu vent du projet, la jeune femme avait tout fait pour tomber enceinte et avoir la chance de réaliser son rêve. Et aujourd’hui, enfin, l’accomplissement d’une vie se tenait à portée de main. Si tant est que ce fichu Martin accélère la cadence.
« Mais bon sang Martin, on n’y sera jamais… AH ! Les contractions ! J’ai mal… à temps !»
« Essayez de vous retenir, on y sera bientôt, madame ! »
« Me retenir ? ME RETENIR ? TU CROIS QUE C’EST JUSTE UNE ENVIE DE PISSER ? Ah, ah… je souffre… »
« Désolé, madame ! Je rame, madame ! »
Et il faut l’avouer : Martin ramait. Pour être totalement honnête, il n’était pas exactement sûr de savoir comment fonctionnait cette histoire d’accouchement. Personne ne lui avait vraiment expliqué et les copains interdisaient les filles dans la bande, alors aucun n’avait jamais trop pu poser de question ou expérimenter… Concrètement, tout ce que pouvait faire l’adolescent était agiter les bras de toutes ses forces et prier pour que quelqu’un sur la tour soit, pour une raison quelconque, un médecin-ouvrier.
Le problème – un de plus – était que sur ladite tour, c’était le bordel. Entre un vieux jeune qui s’improvisait ouvrier, une reporter agente secrète qui se donnait le rôle d’architecte et le chef de chantier qui perdait tout droit de regard sur son travail, la tour risquait bien vite de s’effondrer façon Jenga.
« On arrive, madame, regardez ! »
« Enfin ! C’est pas… fffff, fffff, aaaaah ! dommage ! Allez, vite ! »
Et enfin, après quelques derniers douloureux coups de bras, la barque accosta le chantier.
« Restez-là, je vais chercher de l’aide ! »
« Ah ça sûrement paaaAaaah ! »
« Vous ne pouvez pas marcher dans cet état, madame, soyez raisonnable… »
« Alors écoute-moi bien, mon grand. » Avec une vigueur étonnante pour une femme sur le point d’accoucher, Mitchell agrippa le col de Martin et colla son visage contre le sien. « Si tu ne m’emmènes pas immédiatement sur cette tour, je déclare que tu es le père. Capiche ? »
« Hein ? On peut choisir les parents après la naissance ? »
Non, vraiment, Martin n’y connaissait rien en grossesses.
« Tour. Maintenant. »
Finalement, soumis aux caprices de Mitchell, Martin entreprit tant bien que mal de saisir la pauvre femme ahanant à bras le corps pour la traîner sur le chantier agité. Car oui, malgré la présence de seulement trois personnes, les lieux étaient aussi bruyants que désordonnés.
« Attendez ! La prise est pas bonne, redescendez la poutre et revenez par l’autre côté. »
« Q-Quoi ? Ça nous a pris un quart d’heure de monter cette putain de poutre ! »
« Ça nous aurait pas pris aussi longtemps si t’avais pas besoin de reprendre ton souffle toutes les dix secondes, p’tit con ! »
« Si vous m’aviez écouté depuis le début, on n’aurait pas besoin de recommencer ! »
« Euh… Excusez-moi ? »
« On vous a déjà trouvé votre foutu miroir, va pas falloir exagérer ! »
« S’il vous plaît ? »
« Je suis là pour sublimer votre travail, alors un peu de respect ! »
« Ah ça de mon temps, on savait ce que c’était le respect… »
« EXCUSEZ-MOI ! »
Aussi soudain que perçant, le cri de Martin eut le mérite de faire taire le groupe.
« Euh… Vous pourriez m’aider ? Madame Ord… Odan… Mit… Oma… Euh… Cette dame voudrait accoucher au sommet de la tour. »