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Quand ça n'augure rien de bon

- J'quitte un moinillon pour retomber sur d'autres andouilles en robe... Si l'Destin est une personne, il doit avoir vach'ment d'humour. Et une longue queue.

    Ça m'apprendra à accepter les boulots d'extérieur... J'aurais dû me contenter de mon foutu caillou et de ses foutus péquenauds ! Au moins sur Rokade, c'est le bazar chaque jour ! Et si bazar il y a, travail pour moi il doit y avoir également ! Sans parler de mon bordel récemment acquis.
    Ah les femmes... La meilleure invention du Créateur. Si tant est que ce trou du cul existe. Seul bémol à mon sens : le partage des affaires avec Sunbae, un type étrange, sorti d'un monastère d'après ses dires. Qu'il soit associé ne me dérange pas plus que ça, mais son idée de syndicat pour la protection des droits des putes me gêne. Je dirai même que ça m'emmerde... Il ne sait pas où ce genre d'étrangetés risque de le conduire. Mais ce n'est pas le problème pour l'instant.

    Je me retrouve sur Inari, lieu saint parmi les lieux saints, réputé dans le monde entier pour accueillir tous les cultes de l'histoire, plus saugrenus les uns que les autres ! Personnellement, je ne crois qu'en une seule chose : la Naïveté. Des autres j'entends. Et par extension ce que je peux en faire...
    Mon client est un habitant du coin. Il s'est fait mettre à tabac avant de se retrouver comme cargaison d'un navire de contrebandiers à destination de Rokade. Là-bas, il a passé son temps à se lamenter sur son sort. Résultat : un deuxième passage à tabac. Heureusement, son appel à l'aide est parvenu à mon oreille et j'ai ramené son corps martelé chez moi afin qu'il me parle de ses problèmes. Ce n'est qu'ensuite que je lui parlai de mon travail... Faudra que je pense à mettre un vrai nom dessus d'ailleurs. "Auto-entrepreneur", ça sonne bien mais c'est vague. Tout le monde me prend soit pour un mercenaire, soit pour un détective privé.
    Je suis bien plus que cela.

    Son problème ? Avoir fait partie de la Cabale. Qu'est-ce que la Cabale ? La seule secte qui soit considérée comme impie et déraisonnable sur ce nid d'illuminés, en raison de sa principale activité religieuse : l'assassinat. Il aurait quitté la bande il y a quelques temps et, selon ses suppositions, quelqu'un n'aurait pas apprécié la chose. Ce qui expliquerait la situation dans laquelle il se serait trouvé par la suite... Ses lèvres enflées et fendues, ses paumes de main lacérées et son torse endolori témoignent pour lui.

- T'es certain que ce sont tes anciens p'tits copains qui ont fait ça ?

     Je regarde mon client, Teddy Useless. Un jeune homme, gamin de visage selon moi, avec des petits yeux d'herbivore apeuré et des petites mains fragiles... Pas du tout le profil d'un tueur sectaire à mon sens.

- Je pense que...
- J'te demande pas si tu penses, j'te demande si t'es sûr.
- Oui. Ce serait bien leur genre... "On ne tue pas un membre de la Cabale. On ne fait que le punir..." C'est ce que raconte sans arrêt l'un des anciens.
- Bon. Bah si tu l'dis... J'espère vraiment que ça vaut le coup.
- Un million de berrys quand même...
- ET tes bons de réduction valables dans toutes les friperies Warboyz des Blues ! J'me déplace pas à l'étranger pour rien !
- Oui oui, bien sûr...

    Je n'y vais pas spécialement souvent, mais avec des réductions il y a toujours moyen de changer ses habitudes vestimentaires. Et leurs débardeurs sont fichtrement confortables.

    Nous avançons dans les rues de la ville, passant devant plusieurs stands sans nom, n'ayant pour distinctions que l'emblème de leur culte, proposant pour la plupart divers pendentifs et grigris aux propriétés mystiques... Une montagne d'immondices et de farces à mes yeux. Une montagne de merde capable de susciter le désir et l'envie chez les moutons que sont les croyants.
    Le jour où je serai roi, j'ouvrirai un maximum de ces stands sur Suna Land, au milieu des boutiques de souvenirs. Peut-être devrais-je faire venir "poliment" l'un de ces cultes, afin de prêcher la bonne parole. A savoir la mienne.

    Nous approchons du centre-ville quand se forme devant nous un bouchon. Les piétons ne piétinent plus et je tend le cou en fronçant les sourcils.

- Dis-moi Billy...
- Moi c'est Teddy.
- Y aurait pas une procession aujourd'hui ?
- Euh non, pas à ma connaissance...
- Tant mieux. Mais ça explique pas pourquoi ça bouchonne.

    Perdant vite patience, je commence à bousculer tout le monde pour avancer. Mon client me suit, s'excusant à ma place auprès des passants, lesquels me fusillent du regard. Mais qu'en ai-je à foutre ? J'avance jusqu'à atteindre une petite place, laquelle est bouclée par une patrouille de la Marine. Au milieu se tient une beauté en uniforme, de dos, avec de longs cheveux blonds, presque blancs. Elle se penche vers un type étalé par terre, totalement ensanglanté. Ses lèvres sont enflées et fendues, les paumes de ses mains lacérées et son torse, mis à nu, est recouvert de bleus et d'estafilades.
    Je tend l'oreille. Au milieu des chuchotements de l'assistance, je parviens à entendre :

- Qui t'as fait ça ?
- ... Sais pas... Cabale... Je... Désolé...

    La beauté se redresse puis fait signe aux soldats de la suivre en demandant à ce que l'on vienne en aide au pauvre bougre. Je les regarde s'éloigner, songeur.

- Eh ben... Billy ?
- C'est Teddy...
- M'est avis que t'es pas l'seul clampin concerné par cette affaire. Tu l'connais ce gus ?
- Non, il ne me dit rien.
- Dans ce cas, tu paies l'hôtel et la bouffe.
- Que... QUOI ?!
- J'sens que j'vais avoir plus de taff que prévu, et j'ai pas prévu d'dépenser toutes mes économies dans l'tourisme de toute manière. Et qui dit complication dans l'travail dit rémunération vue à la hausse. Ah ! Une question comme ça...
- Laquelle ?
- C'était qui cette nana aux cheveux longs ?
- C'était le commandant Yoshi Baresta, principal officier de la 74e division, en poste sur Inari.
- ...
- ...
- C'EST UN MEC ?!

    Dieu que ce monde est cruel !


Dernière édition par Dorian Silverbreath le Lun 11 Sep 2017, 17:47, édité 1 fois
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A la manière d'un enfant, la jeune femme conservait le visage dissimulé derrière le menu qu'elle tenait entre ses mains. Bien décidée à faire son choix, Anna essayait toutefois de ne pas prêter garde au tintamarre provoqué dans son dos par la foule tonitruante qui se pressait dans la rue. Un mal bien vain lorsqu'une main incertaine s'empressa de saisir le livret en carton pour dégager la vue du spectacle.

« - J'essaye de savoir ce qu'il se passe, vous ne pouvez pas baisser votre carte un chouïa ?!

- Non, hors de question. J'ai autre chose à faire que de m'intéresser aux mœurs de la populace de ce pays plus qu'étrange. »

On ne pouvait pas dire qu'Anna était très croyante. A vrai dire, elle partageait même, avec l'un de ses anciens coéquipiers, une aversion immense pour les religions et leurs adorateurs. Ainsi qu'une pincée d'intérêt pour les méthodes qu'ils employaient, sans toutefois l'évoquer publiquement. Elle apprenait de ses ennemis, des médecins comme des prêtres. Mais si on lui demandait de bricoler un scalpel ou un crucifix, elle ne saurait s'en servir autrement que pour poignarder son prestataire.

« - Moi ça m'intrigue, nous devrions aller voir ce qu'il en est. N'êtes-vous pas censée être une enquêtrice ? C'est ce genre de situations qui ont bâti votre renommée. »

L'albinos ne put s'empêcher de gratter spontanément le dessous de son œil gauche, recouvert par un patch noir symptomatique de sa couverture. Ce-dernier était composé d'un tissu très fin qui lui permettait de voir à travers ; une lentille blanche située sur la rétine venait parfaire le maquillage, au cas où elle devait être amenée à retirer son bandeau. Ce qu'elle n'avait jamais eu à faire jusqu'à présent.

« - J'emmerde ma renommée, je suis en vacances et ce repas promet d'être succulent. » gronda la blonde tout en relevant sa carte pour enfin faire son choix. C'était toutefois sans compter sur la tumulte qui traversa la foule, alors qu'une dizaine de personnes se faisait bousculer par un intriguant. « Non mais c'est pas possible cette cacophonie, rappelez-moi pourquoi nous avons choisi ce restaurant ?

- Vous vouliez des falafels. C'est le seul qui fait des falafels. »

Et malgré cela, le doigt de la jeune femme parcourait actuellement la liste des pizzas disponibles. Une véritable perte de temps, elle n'avait même plus faim désormais. D'autant plus que le regard de sa subalterne se faisait insistant...

« - Très bien, allons-voir, mais ne vous posez pas de question si je suis de mauvais humeur car je n'aurai pas mangé.

- Oui, c'est sûr que ça va changer de l'ordinaire. » ironisa l'intellectuelle tout en saisissant le livre qu'elle avait temporairement posé sur la table le temps de faire son choix. Approprié au contexte, son titre renseignait « les Mille Religions d'Inari » avec, dessous, en plus petit, « même si la plupart n’ont pas plus de dix fidèles ».

Lasse et ennuyée, l’enquêtrice termina alors son verre de vin, réglé sur l’ardoise de la Marine locale, en prévision, et se leva difficilement pour partir en direction du bouchon humain qui bloquait la rue, plus loin.

Si Inari était une île religieuse, elle n’était absolument pas une île d’architectes : la plupart des rues ici étaient sujettes à ce genre de débordements puisqu’il s’agissait, en réalité, de ruelles mal taillées et sinueuses. Ici, il n’y avait pas besoin de plus de deux personnes pour  créer un bouchon, la faute aux nombreuses boutiques débordant sur les allées et aux étals. Ou bien aux murs des bâtisses préférant, dans une logique étrange, s’agrandir aussi bien en largeur qu’en hauteur. Des contreforts des cathédrales aux arches des mosquées.

« - Bougez-vous, laissez-passer. »

Anna n’avait pas besoin de violenter la foule pour se frayer un chemin. Celle-ci diminuait désormais, de toute manière, tandis que les soldats pressaient les manants de dégager la voie. L’un d’entre eux s’essaya auprès de la détective avant de se voir coller sur le nez une carte qu’il ne put s’empêcher de lire à voix haute. Il était jeune, un blanc bec. Et il était probablement con aussi.

« - Elizabeth… Butterfly… détective… » commença-t-il avant de se voir retirer le carton des mains par la concernée. Il lui fallut plusieurs secondes supplémentaires pour savoir à qui il avait à faire, lorsqu’une lueur d’intelligence resplendit soudainement dans son regard.

« - Rendez-moi ça maintenant, on n’a pas toute la nuit. Votre supérieur est encore ici ?

- Mes excuses madame, je ne vous avais pas reconnue. Le commandant Baresta vient de partir, toutefois le sergent-chef Wolholaud est encore ici.

- Bien, alors menez-nous à lui. »

Elizabeth Butterfly avait beau ne pas faire partie de la Marine, elle possédait toutefois une réputation qui lui permettait de gagner le respect des soldats de bas étage dans les Blues. Si Amanda Holmes ne permettait désormais plus à Anna de jouir efficacement de son statut de commodore, elle conservait toutefois cette autorité en la personne de Butterfly. C’était à partir des officiers supérieurs que ça se corsait, généralement. Ceux qui n’acceptaient pas qu’elle vînt mettre son nez dans les affaires qui ne la regardaient pas, mais finissaient systématiquement par l’inclure d’une façon ou d’une autre.

Donc les connaisseurs abandonnaient bien vite leur résistance futile et parlaient enfin de choses utiles.

« - Bordel, Levis, je t’ai dit d’écarter les civils, pas d’en ramener sur les lieux du crime.

- Désolé sergent, mais cette jeune femme a insisté pour vous voir. Elle dit qu’elle s’appelle…

- Elizabeth Butterfly, directrice de la CIA. C’est vous le responsable, ici ? » commença la blonde tout en dardant un regard curieux sur la scène. Chargée sur un brancard, la victime prouvait son existence par une série continue de « ouille, ouille, ouille » tandis que la police locale dessinait un périmètre de sécurité.

Prêtée au jeu, Angelica commençait déjà à analyser l’endroit avec sa loupe. Très cliché, certes.

« - Butterfly ? Merde alors, ça semblait déjà être une journée de merde avant…

- Faites attention à comment vous vous adressez à ma sup- à mon employeur. Elle possède des contacts capables de vous retirer tout ce que vous possédez et vous envoyer au trou ci-sec. » réagit la brunette, quelque peu balbutiante mais correcte dans son rôle, surtout vers la fin. Si celle-ci semblait s’être improvisée agente de la CIA, Anna n’était toutefois pas convaincue au point de commencer à lui verser un salaire.

De toute manière, il semblait n’y avoir pas grand-chose d’intéressant dans le coin. Les principaux indices ne pouvaient venir que de la victime qui avait la chance d’être encore en vie, pour le moment. Peut-être avait-elle déjà dévoilé des informations au sujet de ses attaquants.

« - Je ne sais rien sur le sujet, veuillez voir ça avec mon supérieur. » s’empressa de mentir le sergent-chef, visiblement pas assez intimidé par la prestation de celle qui avait eu la gentillesse de le mettre en garde.

« - Très bien, sergent-chef Wolholaud c’est ça ? » commença la jeune femme tout en saisissant un carnet dans l’une des nombreuses poches de son épais manteau rouge avant de griffonner à l’intérieur. « Profitez-en. Si vous ne savez rien, alors nous n’avons plus rien à faire ici.

- Mais… mais… » termina le soldat tandis que les talons des bottines de l’agente faisaient brusquement demi-tour en crissant sur le sol légèrement recouvert d’une couche de poussière humide et caillouteuse.

Remise dans son rôle d’enquêtrice, la directrice faisait à présent de grandes enjambées vers un objectif que sa subalterne se sentit obligée de dévoiler.

« - Direction la base de la Marine donc ?

- J’aurais voulu faire autrement, les commandants sont retords et il est difficile de leur tirer les vers du nez mais on n’a pas le ch-

- Vous avez le choix, je peux vous y aider. » tonna soudain une voix venue de l’un des badauds qui encerclaient jadis la scène du crime et venaient d’en être éloigné. Comme d’un bloc, les deux femmes se retournèrent pour dévisager l’inconnu au physique pour le moins atypique mais certainement pas gracieux. Et ce fut tout naturellement qu’Anna s’offusqua de voir la main du malotru posée sur son épaule, qu’elle dégagea rapidement d’un mouvement de la rotule.

« - Qui êtes-vous ? » demanda-t-elle en se retournant vers le drôle, avant de récupérer son sang-froid et son sens de la logique. « Et comment pourriez-vous nous aider ? »

Et puis en échange de quoi ?
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- Tséhéhé... Dorian Silverbreath, ma jolie. Travailleur libre et enquêteur civil... La plupart du temps. Il s'trouve que mon client actuel, Billy Business...
- Teddy Useless ! Bon sang !
- ... Ici présent a subi les mêmes sévices quelques jours auparavant... Sauf qu'il s'est retrouvé à bord d'un navire. Si ça s'trouve, d'autres personnes après lui ont eu droit au même traitement. Qu'est-ce qu'vous en pensez ?
- ...
- J'ai bien vu avec quel sérieux la Marine vous r'gardait. Z'êtes pas n'importe qui hein...
- Montrez davantage de respect, je vous prie ! Vous êtes devant Elizabeth Butterfly !

    Je toise un instant la miss à côté de l'enquêtrice de renom. Une du genre farouche, et peu encline à partager sa muse semble-t-il. Je hausse les épaules et reporte mon attention sur la femme à la peau pâle.
    Evidemment que je connais Elizabeth Butterfly : je serai bien niais si, dans ma recherche perpétuelle d'informations et de méthodes de travail, je n'avais pas entendu parler de ce détective. On ne parle pas d'un Tao "Sait-tout" là, on parle d'une pointure internationale. Et je dois dire que l'image que j'en ai surpasse mes espérances : elle est canon ! Une perle rare, à l'odeur délicate et aux traits fins. Et ce regard, perçant et froid... Un délice. Une statue de marbre que je me verrai bien remanier... Mais ce n'est là que pure fantasme : ses yeux sont ceux d'une personne qui a suffisamment côtoyé la tromperie pour n'être plus dupe.
   Pourtant, depuis qu'elle me fixe, une sensation désagréable s'insinue en moi. Très vite, un frisson vient me parcourir l'échine : plus je reste à proximité d'elle, plus j'ai le sentiment d'être en danger.
    J'ai l'habitude d'être toujours sur mes gardes, alors sans doute n'est-ce là que mon imagination ? Je vais finir par être vraiment paranoïaque si ça continue :

- J'sais qui elle est. C'que j'veux dire, c'est que j'ai été engagé par Billy...
- Putain de...
- ... Pour trouver le coupable. C'est mon gagne-pain, v'pouvez bien l'entendre, non ?
- Je l'entend.
- Mais j'ai bien vu qu'cette histoire vous intéressait... Alors c'que j'vous propose, c'est d'se partager l'affaire !
- Que... Mais je ne tiens pas à engager quelqu'un d'aut...

    D'un geste vif, j'attrape Teddy par le col et l'attire un peu à l'écart. Cet idiot risquait de me compliquer la tâche ! Et je tiens à conserver ma paie intacte : pas question de partager avec qui que ce soit !

- Écoute, y a pas besoin de l'engager : elle travaille à son compte ! Mais si ça peut faciliter mes recherches, tant mieux ! Ça nous ferait gagner du temps pour l'un et des berrys pour l'autre. T'vois c'que j'veux dire ?
- Oh... D'accord, désolé.

    Crétin.
    Nous revenons vers le duo féminin qui nous toise comme si nous étions des bêtes de foire. Qu'elles me considèrent comme un intrigant n'est peut-être pas si mal : si elles ne me prennent pas totalement au sérieux, j'aurais plus de facilité à les convaincre de travailler main dans la main.

- Alors, miss Butterfly ? Ça vous tente d'coopérer ?
- ...
- J'suis même prêt à partager avec vous c'que j'sais déjà. Mais pour ça, faut qu'on parvienne à s'mettre d'accord.
- Mais... Vous oseriez entraver notre enquête en cas de refus ?!
- Hé oh, tout doux ! J'ai juste laissé entendre que j'partag'rais pas. J'ai pas dit que j'allai vous mettre des bâtons dans les roues... Mais j'ai une piste à suivre et différentes manœuvres à effectuer. Vous n'avez rien pour l'instant. A dire vrai, j'suis pressé d'retourner chez moi, alors si on pouvait en finir avec cette merde au plus vite...

     Je me tais un instant et observe leur réaction en me grattant l'oreille d'un air nonchalant. Les deux femmes se regardent, pesant le pour et le contre. Si l'une est davantage là pour montrer les crocs qu'autre chose, l'albinos semble dégager quelque chose. Un je-ne-sais-quoi de souverain. Plus jeune, je l'aurais peut-être imaginée vêtue de cuir, me dominant de tout son long et me passant les menottes... Mais là encore, rien d'autre qu'un fantasme. Ce qui me donne du plaisir maintenant, c'est de savoir quelles personnes de pouvoir je pourrai soumettre, de quelque manière que ce soit.
    Leur réflexion n'est pas longue et je tend la main vers Elizabeth Butterfly, souriant de toutes mes dents :

- Associés ?
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Une main tendue qu’Anna inspecta longuement, avant de dévier à nouveau son regard vers le visage du nouveau venu.

« - Obligés. » estima-t-elle tout en conservant ses mains bien ancrées dans ses poches. « Je possède déjà assez d’associés, mais de toute manière si je fais ça c’est par simple divertissement. Cette île est ennuyante à mourir. »

Snobinarde, la blonde savait manœuvrer sa couverture comme on pilotait un bateau. Elle tenait bon la barre et le gouvernail qui lui faisait esquisser des mimiques en conséquence ; là elle souriait, malicieuse. Elle répondait à l’invitation dans une semi-négativité qui, au final, s’avérait positive.  Accepter un marché, de plus en sa défaveur, était déjà un signe de faiblesse pour l’enquêtrice, qui trouverait bien assez tôt un moyen de regagner sa mise.

Si elle se fichait de l’argent, c’étaient bien les noms des gusses avec qui elle s’acoquinait qui importaient. Entre les mains de ce dénommé Dorian se trouvait une partie de la crédibilité d’Elizabeth. Et depuis la perte de la Commodore, Anna était bien plus précautionneuse vis-à-vis de ses couvertures, qu’elle ne souhaitait pas griller par volées de dix en l’espace de quelques mois.

Mais il n’était rien de tel ici, si le « travailleur libre » s’écartait trop du droit chemin, comprendre celui choisi par l’albinos, elle pouvait aisément le supprimer sans trop faire de vagues.

« - Maintenant il faut me dire ce que vous savez. Vous pouvez nous raccompagner jusqu’à la base de la Marine où des affaires m’attendent. Nous attendent. »

La rue s’était désormais considérablement vidée et il était à nouveau possible de parcourir la voie, uniquement piétonne, comme si celle-ci n’avait jamais vécu le moindre drame. Peut-être quelques gouttes de sang sur les pavés et quelques soldats encore en poste, dont le pauvre sergent-chef qui mouillait désormais ses chausses en regardant d’un air misérable la directrice lui repasser devant le nez.

Dorian évoquait à Anna les prémices de son enquête en détails et celle-ci, considérablement plus silencieuse, étudiait l’information en n’effectuant que de simples hochements de tête à chaque ponctuation. Derrière, la brunette suivait la marche, un livre à la main, tandis que le pauvre Billy se voyait ramené au stade de canidé, contraint de suivre les ordres strictement délimités par son maître.

A plusieurs reprises, Anna fut confrontée à un vocabulaire nouveau qui, systématiquement, requérait la consultation de son adjudante. Précise et minutieuse dans les détails de ses définitions, celle-ci répondait avec une exactitude consternante aux questions de sa supérieure. Et ce sans forcément avoir un livre sous la main.

Du coin de l’œil, Anna pouvait estimer le regard avec lequel Dorian dévisageait Angelica : si auparavant il doutait, l’utilité de la jeune femme lui était désormais toute prouvée.

« - C’est une secte locale de fous furieux particulièrement réputée pour ses offres de service en matière d’assassinat. Ils justifient leurs meurtres avec leur religion, mais ça ne les prive pas de toucher une prime en retour pour autant. »

- Encore des décérébrés. Et vous me dites que Machin, lui là, il en est un ? » jaugea l’agente tout en dardant ses deux prunelles noires de dédain vers l’homme qui évoluait derrière le groupe, pratiquement tenu hors de la conversation. Celui-ci redressa aussitôt la tête et ne put se retenir de lâcher un « hein ? » naïvement singulier.

« - Était. Maintenant il est mon débiteur. » sourit machiavéliquement l’enquêteur, qui ne comptait visiblement pas se défaire de sa proie de sitôt. Dans le vaste panel des détectives privés se trouvaient pas mal de sangsues avides d’argent ou de pouvoir et le fameux Dorian semblait rentrer dans cette catégorie. S’il n’en avait pas encore fait montre, Anna pouvait le lire dans sa nature grâce à son haki, qu’elle veillait à ne pas trop utiliser plus que de raison.

- Et nous y voilà. »

La base de la Marine locale, similaire à celles que l’on pouvait voir partout ailleurs sur les Blues. Contrairement à Angelica, Anna ne vit pas la nécessité de la dévorer plus longuement du regard et s’attarda davantage sur le personnel gardant l’entrée. A peine quelques mètres parcourus et la jeune femme trouva rapidement une main pour stopper sa progression. Des deux gardes postés devant l’entrée, le plus jeune fut le plus prompt à réagir.

« - Halte là ! On n’entre pas dans la base sans permission, ma p’tite dame.

- Alors de une, je ne suis pas votre p’tite dame et de deux voici ma permission. » rétorqua l’albinos en présentant, comme à son habitude, sa carte de visite. En plus de ses qualités de directrice de la CIA, celle-ci renseignait aussi son affiliation au Gouvernement Mondial.

Les passe-droits d’Elizabeth venaient la plupart du temps de la mention « aux services du Gouvernement Mondial » qu’elle brandissait systématiquement où qu’elle allât. Plus que sa popularité, qui n’était qu’un moyen d’asseoir sa légitimité, c’était cette rare appréciation officialisée par le GM qui permettait aux civils de se balader dans les infrastructures de la Marine. D’autant plus rare qu’elle n’était secrètement délivrée qu’aux agents du Cipher Pol.

« - Excusez-moi madame, vous pouvez entrer. »

Le plus facile venait d’être fait. Et ce fut tout en jetant un regard amusé à ses trois accompagnateurs que la jeune femme s’engouffra à l’intérieur du bâtiment. Où elle espérait rapidement retrouver l’infirmerie et, si possible, sans commandant à l’intérieur.
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Eh ben. Si un jour on m'avait dit que j'allais rentrer comme ça dans une base de la Marine... J'aurais ri au nez de la personne avant de lui cracher dessus. La dernière fois que je m'étais retrouvé là-dedans, c'était sur Suna Land, et je ne faisais pas partie des invités de marque !

    Nous franchissons la porte et traversons la cour d'entrée. Celle-ci sert également de terrain d'entraînement : un chemin de course est dessiné sur le sol, faisant le tour de la zone, plutôt petite. Du fait de sa position, la base s'étend davantage en hauteur qu'en largeur, le bâtiment principal comportant six étages. Sur la gauche, un entrepôt. Sur la droite, la cuisine et le réfectoire. De petites volutes de fumée s'échappent de la cheminée, laissant penser que les cuisiniers de la base sont en plein travail.
   Nous pénétrons dans le hall du bâtiment principal et y sommes accueillis par des réceptionnistes peu avenants :

- Pourraient sourire au moins...

   Miss Butterfly sort son passe-partout et demande à se rendre à l'infirmerie :

- Mais... C'est que le commandant...
- Le commandant a ses préoccupations, j'ai les miennes. Alors faîtes votre travail et permettez-moi de faire le mien, soldat. J'ai une personne à interroger.
- Bon... Comme vous voudrez. Mais par sécurité : vous irez seule. Vos trois collègues attendront ici.

   "Vos collègues" ? Je manque d'éclater de rire, très vite dissuadé par le regard noir de l'enquêtrice. Elle doit sans doute me porter responsable de cette requête. Il est vrai que je n'ai pas tout à fait la gueule de l'emploi. Quel militaire laisserait entrer un grand gaillard aux pupilles dilatées et au sourire dérangeant dans une infirmerie sécurisée remplie d'individus sans défense ?
   L'autre donzelle, dont je ne soupçonnais pas les qualités il y a encore cinq minutes, proteste :

- En tant qu'assistante d'Elizabeth Butterfly, je me dois d'être à ses côtés ! Vous ne pouvez pas...
- Je suis désolé, mais je ne reviendrai pas là-dessus. Comprenez ma position je vous prie.

    C'est qu'il se prendrait presque pour un bureaucrate important, le troufion ! Cela mis à part, le simple fait d'être en ces lieux commence à me pomper l'air et je tape du pied nerveusement, les bras croisés. Ce qui ne semble pas rassurer davantage notre interlocuteur, ni ses compagnons, plus en retrait près des escaliers et des portes d'accès aux couloirs.
    Finissant par perdre patience, je soupire bruyamment, interrompant les jérémiades de l'assistante :

- Bon ! Bah c'est pas grave ! On va y aller et puis c'est tout !
- Ah bon ? Mais on n'interroge pas le blessé d'abord ?
- Pourquoi ? T'le connais pas il m'semble.
- Bah non, mais vu que lui aussi a été...
- Attaqué par les mêmes personnes que toi ? Et t'éprouves de la sympathie ? Ha ! Oublie ça, l'ami. Et puis c'est pas grave, puisque mad'moiselle Butterfly ici présente va pouvoir y aller... Nous n'avons qu'à nous rendre là où tu sais, histoire d'faciliter l'avancée du schmilblik !

   Devant son air ahuri, je décoche un clin d’œil accompagné d'un sourire sournois. Finalement son visage pâlit et je l'entends balbutier des petits "Oh putain..." d'un air pas du tout enjoué.
   Les deux autres nous observent sans trop comprendre, je m'explique :

- Z'avez pas besoin d'nous ici apparemment. Je m'en vais raccompagner mon client chez lui. De mon côté, j'compte inspecter les alentours du lieu d'culte des illuminés dont on parlait tout à l'heure. Après nous pourrons nous r'trouver dans un coin, histoire d'recouper nos trouvailles de la journ...
- Une minute ! Si l'on fait bande à part : qu'est-ce qui nous oblige à collaborer avec vous ? Vous nous avez déjà dit ce que vous saviez et nous nous apprêtons à interroger une autre victime, si ce n'est plus ! Avec un peu de chance, nous pourrions même obtenir l'aide du commandant !
- Alors premièr'ment, Miss Teigne : vous allez peut-être interroger d'autres victimes incapables d'vous dire quoi qu'ce soit d'plus. Deuxièm'ment : vu l'envie qu'avait l'autre officier d'vous aider, m'étonnerait qu'le commandant soit plus enclin... Troisièm'ment : même si vous obtenez une nouvelle piste, l'est possible que j'parvienne à obtenir la même suite à mes recherches. Ou mieux : une autre piste, potentiellement intéressante. Dans tous les cas, travailler ensemble nous permettra d'agir mieux et plus vite. Miss Butterfly, z'êtes loin d'être stupide : si y a eu deux victimes, il peut y en avoir eu plusieurs autres, et d'nouvelles dans pas si longtemps qu'ça...

    L'adjudante Pimbêche peut bien faire office d'encyclopédie ambulante si elle le souhaite, mais me prendre pour un con, hors de question. J'ai beau ne ressembler qu'à une brute, je connais mes capacités, ainsi que mes faiblesses. Par chance l'intelligence n'en fait pas partie, et je compte bien le leur prouver.
   Prenez-moi au sérieux que diable, que nous puissions nous entendre... Avoir le sang chaud ne m'empêche pas de faire preuve de professionnalisme.
   Et cet endroit qui m'insupporte de plus en plus !

[...]

- Du coup, j'compte sur toi pour ne pas bouger. Tant que t'es là, t'es en sécurité.
- Mais... Tu ne crois pas que c'est dangereux d'infiltrer le repère de la Cabale sans aide ?
- Tu veux p'tet m'aider ?
- Du tout !
- Dans ce cas, contente-toi d'rester ici. J'serai d'retour au mieux en fin de soirée, au pire à la nuit tombée. Et au pire du pire bah... T'auras économisé tes sous.

   Je ris. Que je suis drôle quand je veux ! Teddy, lui, ne semble pas partager mon humour :

- T'en fais pas va : t'voulais une vengeance ? Vengeance tu auras. Foi d'moi.
- Et pour Miss Butterfly ?
- Ah la jolie poupée... On verra bien. Je leur ai dit où nous retrouver ce soir. Si je n'suis pas rev'nu dans les temps, vas-y sans moi.
- Au Café du Rebouteux ?
- Au café du Rebouteux.
- C'est loin...
- La base de la Marine est à côté, c'est c'qui est l'moins dangereux pour toi, si tes agresseurs te reconnaissent au détour d'une rue. J'pas envie qu'il t'arrive une merde quand j'ai l'dos tourné !

   Le visage de mon client s'illumine. C'est la première fois qu'il m'entend le traiter avec sympathie... Qu'il en profite bien. Je n'ai pas été très correct avec lui, et à vrai dire je m'en cogne le poireau contre un plan de travail. Mais amadouer son employeur de temps à autre permet de garder le moral à son beau fixe. Et surtout de s'assurer d'avoir la récompense à la fin ! Parce que s'il est déçu, il me retire le million. S'il meurt, je perds le million.
   Je le laisse là, dans sa petite maison. La porte se referme et je me fond dans la masse des touristes et des pèlerins qui abondent en ce milieu d'après-midi. Suivant les indications précises de Teddy, je pars en direction du repaire de la Cabale...
   Pourvu que les deux donzelles viennent au rendez-vous de ce soir : ce n'est pas tous les jours qu'on peut causer boulot autour d'un verre en charmante compagnie.
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« - Merci, je sais ce qu’est une aiguille.

- Non, pas l’aiguille… Je veux dire par là que le patient est anesthésié, même si vous aviez la permission du commandant je ne peux pas le rév…

- Ne vous en faites pas, je connais des méthodes radicales pour réveiller les gens qui font semblant d’être morts.

- Mais puisque je vous dis que le patient est endor-

- Miss Dolfinger, cela suffit, vous n’arriverez pas à raisonner cette femme, croyez-moi. »

Suite au départ de Silverbreath et de son client, les deux agentes s’étaient retrouvées à la réception avec un laisser-passer pour une seule personne. Cependant, à force de pression et grâce à l’absence du gaillard à la bobine inquiétante, les deux jeunes femmes avaient finalement pu passer les dernières douanes pour naviguer à travers le bâtiment.

Singulièrement petit avec des couloirs étroits, bas de plafond et mal illuminés, l’endroit donnait l’impression d’avoir été construit par des nains ; pourtant les infirmières qui y évoluaient étaient de drôles de spécimens relativement filiformes et de grandeur supérieure à la moyenne. Comme quoi, les opposés s’attiraient pour de vrai.

C’était alors au détour d’un couloir que le duo s’était vu stoppé dans sa progression, une fois de plus, par un olibrius un peu plus corpulent que les autres. Un olibrius, oui, car il fallut plusieurs longues secondes à Anna pour se rendre compte qu’il ne s’agissait pas d’une femme en réalité.

« - Bordel de merde ! »

Et pour ce cas là… comme pour tous les autres en fait, à y regarder une seconde fois.  Si les infirmières donnaient l’impression d’être grandes et fines, c’était car il s’agissait en réalité de véritables travestis. Des hommes en collants et jarretelles, épilés au cutter et maquillés à la brosse. De loin, l’illusion était parfaite, mais de près…

« - Excusez-moi ? » tonna une voix beaucoup trop grave pour être celle d’un okama. Et pourtant.

Avec son charisme naturel, Angelica essaya tant bien que mal de sauver les meubles avant d’être rapidement interrompue dans son élan :

« - Elle veut dire :

- C’est la première fois que j’en vois une aussi réussie. Vous utilisez quel mascara ? »

Contrairement à ses collègues, la bonne femme, qui bloquait ce qui semblait être l’accès à la pièce où se trouvaient les patients, était donc à la fois trapue et vêtue de vêtements incroyablement moulants mettant les formes de son corps en valeur. Toutes les formes de son corps.

Dardant, de son côté, un regard sombre vers la blondinette au cache-œil qui la fixait sans la moindre discrétion, l’intendante s’était finalement enquise de la raison de leur venue. Une fois la réponse donnée et sa curiosité satisfaite, elle avait alors ultimement dévoilé la raison pour laquelle les deux vraies femmes n’auraient pas accès à la salle de repos, en aucun cas. La conversation avait ainsi évoluée jusqu’à en venir aux mains… avant qu’une voix ne grondât subitement pour remettre à l’ordre la grosse femme qui brandissait désormais une grosse seringue comme s’il eut agi d’un imposant sabre circulaire.

« - Commandant, excusez-moi, mais ces civils n’ont rien à faire ici et…

- J’imagine bien, ce n’est pas une raison pour les brusquer. Dois-je vous rappeler pourquoi nous vous avons promue infirmière générale, Taylor ?

- Non, cela suffira mon Commandant… » termina la drôlesse, penaude, avant de se retirer dans ses quartiers. Non sans évacuer une chaude larme de tristesse probablement issue d’un amour perdu et d’un égo froissé, qui n’échappa pas à l’agente.

« - Enfin quelqu’un de compétent dans cette base et… » commença alors la directrice tout en se retournant pour admirer son sauveur, avant de remarquer son faciès et ses longs cheveux blonds. Si sa voix trahissait efficacement celle d’un homme, le commandant qui se tenait devant les deux agentes ressemblait en tous points à une femme. Une fois de plus, même si cette fois-ci c’était mieux fait et probablement pas volontaire.

Devant le spectacle de sa supérieure décontenancée une fois de plus, Angelica ne put s’empêcher de mettre la charrette avant les bœufs.

« - Abstenez-vous de tout commentaire, je vous en prie… »

Ce que l’albinos fit, enfouissant ses pensées jusque dans les tréfonds de son corps dénué d’âme. Tout sourire, elle outrepassa finalement son aversion pour ce qui sortait de l’ordinaire et osa brandir une main en direction de l’officier :

« - Ah, Commandant Baresta, un plaisir de vous rencontrer. Je suis l’enquêtrice Elizabeth Butterfly, vous avez probablement déjà entendu parler de moi et…

- C’est pas vrai, vous êtes la véritable Elizabeth Butterfly ? Bon sang, j’ai suivi toutes vos affaires et je dois dire que je suis fan. Que dire de vos actions à Las Camp ou encore celles de Logue Town. Des multiples affaires sur lesquelles vous avez enquêté là-bas, je dois avouer que celle du mangeur d’hommes m’a particulièrement tenu en haleine… »

En règle générale, les officiers n’appréciaient pas trop la présence de la blondinette qui était souvent signe de bâtons dans les roues. Mais cette fois-ci, devant la mâchoire décrochée de la directrice de la CIA, la situation était toute autre : le Commandant efféminé était un fan invétéré. Si bien qu’elle ne put placer un mot pendant deux bonnes minutes, le temps que celui-ci lui refît son CV. Embarrassée, l’agente ne put finalement placer un mot et s’en remit à sa subalterne qui, une fois de plus, fit le rapport de la raison de leur visite.

« - Interroger la victime de la Cabale ? Pour quoi faire ? Ce pauvre jeune homme a donné le nom de ceux qui lui ont fait ça. Et nous comptons bien résoudre cela ce soir et nous débarrasser une fois pour toute de cette secte malfaisante par la même occasion. Malgré cela, si vous voulez lui parler, vous pouvez entrer. »

Perplexe, l’agente pénétra donc dans la vaste pièce, sa compagne et son adorateur à ses côtés. Au bout de quatre lits dépassés, celui-ci pointa finalement le concerné qui, comme l’infirmière l’avait affirmé quelques instants plus tôt, était profondément endormi. Il s’agissait d’un homme relativement jeune aux cheveux coupés si courts qu’il semblait pratiquement chauve. C’était plus ou moins la mode à Inari.

« - Il semblerait qu’il soit en train de récupérer, peut-être vaut-il mieux passer plus ta-

Slap ! Slap ! Slap !

- Allez hop ! On se reveille ! J’ai une enquête à mener moi ! » asséna la blonde en même temps qu’elle martelait le visage du patient de claques dantesques, sous les regards stupéfaits de son interlocuteur et de son acolyte.

« - Mais… mais… cet homme est grièvement blessé et…

Slap ! Slap !

- Ne vous en faites pas, elle sait parfaitement ce qu’elle fait. Elizabeth ?

Blom !

- AAAIIIEUUUUHHH !!

- Ah voilà, les claques ça suffit pas, il faut toujours un bon coup de poing.

- Oh non vous l’avez encore plus amoché !

- Peut-être mais il est réveillé désormais.

- Ma tête… aaiie… Qui êtes-vous, que me voulez-vous ? »

La main posée sur le crâne, probablement frappé d’une magnifique bosse à présent, l’infirme présentait désormais des joues rougies sous les bandelettes qui lui faisaient le tour de la tête. Il n’avait vraisemblablement pas l’air de savoir où il se trouvait, d’ailleurs.

« - Je suis Elizabeth Butterfly et voici Ambroise Carmin, nous sommes des enquêteurs venus pour essayer de comprendre ce qui vous est arrivé. Accepteriez-vous de nous livrer votre témoignage. Tout votre témoignage, j’entends. »

Et pour ce faire, le Commandant Baresta devait partir.


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Lun 18 Sep 2017, 17:09, édité 1 fois
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Les informations de Teddy Useless se sont montrées utiles : en passant devant le Temple de la Floraison, j'ai tourné du côté du jardin botanique, zone consacrée au fleurs jaunes, j'ai continué sur l'Avenue du Grand Manitou et franchi l'Impasse de l'Astre Vivant en passant par un conduit souterrain. Ce conduit est caché sous un caisson creux, entre deux vases de pierre blanche.

   L'intérieur est sombre, sent la vieille et est tellement humide que chacun de mes pas produit un "Scrouich !" assez dérangeant. Pas très discret en plus de ça. Mais j'avance tout de même à tâtons, à la recherche de la moindre source de lumière. J'entends différents bruits en plus de mes chaussures : un écoulement d'eau au loin, laissant deviner la présence d'un réseau d'égouts ; le couinement des rongeurs ainsi que le grattement incessant de leurs pattes dans la roche ; les quelques conversations animées de la populace au dessus de ma tête.
    C'est en partie à cause de ça que je manque de me faire repérer.

    Sur ma droite, dans un virage, une lueur vacillante se rapproche et je recule rapidement pour rester hors de vue, derrière un coin de mur dégueulasse. Je retiens mon souffle un instant, juste le temps que la lueur se rapproche et que le chuchotement de deux individus se fassent entendre.
   Je dégaine Argument, mon bâton, et attend.

- T'es sûr que c'est une bonne idée de faire ça ?
- Quoi donc ?
- Bah : d'après "le Guide", les astres lui auraient montré le visage de la prochaine personne...

    "La prochaine" hein... Je ne dis rien, tandis que le crépitement d'une torche vient s'ajouter aux sons du décor. Eux ne sont plus qu'à trois mètres de ma position.

- C'est quand même pas n'importe qui cette fois !
- Tu t'en fais trop. "Le Guide" sait ce qu'il fait, et nous devons faire ce qu'il dit.
- Oui mais...
- Mais si j'décidais d'mettre mon grain d'sel ?

    Aussitôt la torche en vue, je fais un pas sur le côté et assène un coup sur le crâne du premier des marcheurs. Lui n'aura vu qu'un éclair argenté avant de s'écrouler, sonné. Le deuxième, encapuchonné, sort  aussitôt une dague et tente de me la planter dans le ventre. Je recule et agite à nouveau mon arme. Il esquive. J'enchaîne sur sa droite, puis sa gauche. Il évite sans trop de peine. Plutôt agile ce con. Mais les hommes de la Cabale étant des assassins, je ne m'en étonne guère. Il réplique avec une vivacité assez déconcertante, m'obligeant à reculer de nouveau. Je tente une contre-attaque et... Il esquive encore. Une veine sur ma temps apparaît et ma paupière tressaute une fois.
   J'attends qu'il revienne à la charge pour lui balancer mon pied dans l'estomac. Pris au dépourvu cette fois, il se retrouve plié en deux. J'en profite pour le désarmer et le plaquer contre la paroi rocheuse, l'étranglant d'une seule main.

- Qui t'a permis d'esquiver ?

   Je sers de plus en plus, jusqu'à ce que de la bave sorte de sa bouche et que ses mains crispées perdent de leur force. Je presse encore davantage et le lâche à la suite d'un craquement sonore. Il ne bouge plus. Je crache sur son cadavre.
   L'autre est toujours à terre et tente de se ressaisir. Je ne lui en laisse pas le temps, le ramassant par les cheveux et jetant son arme au passage. La torche, tombée dans une flaque, n'éclaire plus le tunnel et nos deux visages se croisent dans la pénombre. Neutre, je lui demande :

- T'es de la Cabale hein... Pas la peine de mentir, j'sais de source sûre que ce passage vous appartient.
- O-oui. Qu'est-ce que v-vous voulez ?
- J'veux qu'tu m'dises ce que tu sais sur les gens qui s'font défoncer au dessus ces temps-ci. Ils ont l'air de subir une sorte d'bizutage. D'rituel même... C'est quoi ? Parle.
- Je... J'en sais rien.

   Je lui colle une gifle qui lui arrache un hoquet de surprise et de douleur :

- Te fiche pas d'moi et dis-moi c'que j'veux savoir.
- Je vous jure, je n'en sais rien !

    Deuxième gifle.

- Tout à l'heure, vous parliez d'un guide, et d'une personne à "visiter" si j'puis dire.
- C'est "le Guide", notre maître... Il lit les astres et désigne qui doit mourir. Nous ne sommes que des instruments du dest...
- Mon cul ! Personnellement, j'ai pas besoin d'être un oracle pour savoir c'qu'il va t'arriver si tu m'dis pas de suite c'que j'attend.
- C'est la vérité ! Nous tuons ceux qui doivent l'être. Et le prêtre Auréo Lais a atteint son heure.
- ... Pardon ?
- Oui je sais, c'est un nom de merde... Mais c'est vraiment comme ça qu'il s'app...
- Nan, pas ça : c'que t'a dit, avant et après ?
- Nous tuons ceux qui doivent l'être. C'est son heure...
- ...

   Ils ne font que tuer. Et ce type a l'air sincère : un mec suffisamment dérangé pour se croire être l'élu des astres et garant de la vie et de la mort d'autrui ne dirait pas clairement se sentir obligé de tuer sans le penser. Pas à mon sens.
   Je commence à douter de cette piste tout à coup... Malheureusement je n'en sais pas assez pour me faire un avis. Surtout que si j'apprends que la Cabale n'y est pour rien, je devrais tout reprendre depuis le début. Ou pire : me rabattre sur les informations recueillies par Butterfly et l'autre enquiquineuse... Et elles ne manqueront pas de me le faire remarquer.

   Vexé dans mon orgueil, je toise l'assassin sectaire et une idée me vient :

- Il est où votre guide, là ?
- Pourquoi faire ?
- Lui parler.
- Il ne voudra jamais...
- T'penses que ton heure est venue, toi ? Parce qu'on peut y remédier hein...
- ... Il est plus loin, au bout du couloir. Il y a une porte en fer gardée. Demandez-le et peut-être que...
- C'est gentil merci.

    Je prends mon couteau et lui tranche la gorge. Je le regarde alors se tenir le cou de ses deux mains, les yeux remplis de peur et d'incompréhension, le sourire aux lèvres...
    Le destin est bien cruel parfois.

    J'avance dans le couloir sombre jusqu'à atteindre la fameuse porte, laquelle est faiblement éclairée par ce qui ressemble à des champignons fluorescents. J'inspecte la chose mais ne vois aucune poignée. Fermée depuis l'intérieur. Une trappe s'ouvre à hauteur d'yeux et un visage cagoulé apparaît :

- Le mot de passe ?
- M'emmerde pas avec ces conneries et amène-moi à ton patron, faut qu'on cause...

    D'abord intrigué, le gardien finit par refermer la trappe et j'entends des verrous crisser. Au bout de quelques secondes, deux hommes m'ouvrent la porte, dague en main et me font signe de les suivre. Ce que je fais. Je ne m'attendais tout de même pas à ce que ma tentative fonctionne du premier coup...

- Vous avez même pas rechignés... Z'avez l'habitude de ce genre de visites ?
- Pas par cet endroit, mais il nous arrive de recevoir des "poussières" dans le besoin, en effet.
- Des poussières ?
- Oui. Nous ne sommes tous que poussière en ce monde. Nous l'étions et nous le redeviendrons. Nous restons là jusqu'à ce qu'une force supérieure nous contraigne à faire partie du désert infini qu'est la mort.
- Putain d'conneries...

    Ils sont sacrément perchés. Tu m'étonnes que personne ici ne tolère leurs croyances ! Pour moi, la mort n'est rien d'autre qu'un état dont je peux estimer la nécessité, selon la personne. Je n'ai pas besoin qu'une force supérieure de mes deux vienne me dire qui tuer et qui garder en vie. Je tue parce que j'en ai envie, parce que j'y vois une raison, parce que j'en éprouve le besoin pour me sentir plus fort. C'est tout.

    Les deux hommes me font rentrer dans une pièce étroite, munie d'une table et de deux chaises. Sur le bois repose une lampe à huile, allumée. Les murs sont taillés à même la roche mais ne suintent pas comme à l'extérieur... Nous devons nous trouver plus au centre de l'île, là où les égouts et les quelques bras de mer ne se rejoignent pas. Je m'approche d'une des chaises.
    A peine le temps de m'installer que je sens quelque chose de pointu et froid me caresser la carotide.

- Bonjour à toi, petite poussière...

    Je frémis.
    La voix provient d'un homme de grande taille. Une voix est grave et monotone, si bien qu'elle en paraît froide. Lui n'a aucune odeur, malgré le cuir de sa veste et son rasage impeccable. Ses yeux, mi-clos, sont noirs et perçants. Et il est là, à quelques centimètres de mon visage, à me tenir un couteau sous le nez sans même chercher à me menacer le moins du monde. Je ne l'ai pas entendu rentrer, ni s'approcher et, pourtant, je peux ressentir l'aura meurtrière qui émane de sa personne à cet instant.
    C'est la première fois, de mémoire d'homme, que j'ai peur. Et ce sentiment ne me plaît pas du tout. Le stress, l'inconfort et la sensation de faiblesse qui en découlent sont des états que je ne comprend pas et qui s'en prennent à mon ego hors norme.
    Seulement voilà, comme je viens de le dire, il est hors norme. Et très vite ma fierté reprend le dessus :

- J'ai entendu dire que tu désirais me voir.
- En effet. J'ai des questions à t'poser si ça t'ennuie pas. A moins que toi t'en aies pour moi...
- Mmh... Pas vraiment. Je sais déjà tout ce qu'il y a à savoir.

    Je prends un air étonné, ce qui le fait sourire :

- Allons, tu ne pensais tout de même pas qu'il était aussi simple de venir jusqu'ici ? Je t'y ai aidé, voilà tout. Comme ce bon vieux Teddy...
- Comment ça ?
- Un ancien membre de la Cabale et un enquêteur. Vous pensiez réellement que vous pourriez vous déplacer librement sur Inari sans que je ne vous surveille ? Avec ce qu'il se passe en ce moment, vraiment, ce serait me sous-estimer.
- ... Que se passe-t-il donc ici ?

    Celui qu'on appelle "le Guide" me fixe intensément, au point de réussir à me mettre mal à l'aise. Son visage paraît amical, mes ses yeux disent bien d'autres choses :

- Je crois que nous avons beaucoup de choses à nous raconter, tous les deux.


Dernière édition par Dorian Silverbreath le Jeu 21 Sep 2017, 22:07, édité 1 fois
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« - Vous êtes en retard. »

De toutes les phrases qu’Anna aurait pu dire à l’arrivant qui semblait avoir passé une journée plus qu’éprouvante, c’était celle-ci qu’elle avait choisi. Son caractère n’était pas particulièrement au beau fixe, maintenant qu’elle avait appris que cette petite enquête de routine s’était transformée en course contre la montre. Un sujet qu’elle ne tarderait pas à évoquer à son interlocuteur, qui s’appliquait déjà à prendre place et… parcourir le menu.

Oui, c’était un restaurant. Et oui, l’agente n’avait pas attendu son invité pour se faire servir le dîner, qu’elle venait à peine d’entamer. Elle ne s’étonna donc pas de le voir commander, avec une vitesse déconcertante, toutes sortes de mets qu’il ne payerait probablement pas. Elle mit donc les points sur les i dès le début du repas :

« - Si vous comptez partir sans payer, attendez au moins que j’aie réglé ma note et que nous soyons dehors à vous attendre. »

Assise près d’Anna, Angelica contemplait la scène ponctuellement, lorsqu’elle n’avait pas les yeux plongés dans un bouquin traitant des rites sacrificiels de certaines sectes, avec des illustrations particulièrement… imagées. C’était même étonnant qu’elle trouvât de l’appétit. Dans un silence tout aussi marquait, le dénommé Billy siégeait sur la dernière chaise de la table pour quatre et ne cessait de darder des regards tous azimuts, concrètement en état d’alerte.

« - Vous êtes sûrs que nous sommes à l’abri ici ?

- T’occupes Billy, si jamais quelqu’un vient nous chercher des poux je saurai réagir ; je ne suis pas une pauvre créature sans défense.

- Moi c’est Teddy…»

Et ce malgré l’apparence de poupée que pouvait évoquer l’enquêtrice, qui n’échouait jamais à surprendre ses ennemis. Et les surprendre d’autant plus que sa force colossale n’était qu’une infime partie de l’étendue de ses pouvoirs.

Avec du recul, Anna se félicitait d’avoir demandé une carte des repas dans ce qui se présentait à la base comme un Café, mais constituait un mauvais choix de point de rendez-vous suite à la journée qu’ils avaient passée tous les quatre. Non, c’était définitivement d’un bon repas dont ils avaient besoin, car la tête de Silverbreath ne se redressa hors de son assiette qu’au bout d’un long moment de bruits de succion et d’aspiration frénétique. Ces spaghettis devaient être drôlement bons. Ou alors c’était juste un gros porc sans aucune tenue à table, hypothèse plus probable.

« - C’est bon, vous avez fini ? Très bien, j’ai eu les avoeux de la victime de tout à l’heure. Cela a été dur de convaincre le commandant de nous laisser en tête à tête mais… eh bien j’ai eu de la chance qu’il m’ait à la bonne sur ce coup-là. »

Elle se souvenait encore de ces deux douzaines d’autographes qu’elle avait dû signer pour le gaillard et, selon lui, certains de ses hommes. Un mal nécessaire qui s’était révélé très productif.

« - J’ai eu un nom. Par chance, sur les quatre mecs qui ont tabassé notre petit Francis, c’est son nom, il en a reconnu un. Un type de la cabale, il en est certain, un certain Frederic Grantz. Mais ce qui est étrange, c’est que les autres, soit il n’a pas reconnu leurs visages, soit ils étaient masqués… Et je n’ai jamais vu de secte qui ne lave pas son linge sale en famille. Donc mon intuition me dit que la Cabale, même si elle semble directement reliée à tout cela, n’est qu’une façade que quelqu’un utilise pour brutaliser ces pauvres gens. »

Ca y était, le pavé venait d’être lancé dans la marre. Mais malheureusement ce n’était pas tout. A cet effet, Angelica releva le nez du livre dans lequel elle s’était plongée : elle non plus n’avait pas saisi toutes les parties croustillantes de l’affaire et Anna lui en avait précieusement gardé pour le dessert. Avec ses révélations, elle avait captivé l’audience qui la dévisageait à présent. Billy affichait une expression d’incrédulité, ou de stupidité au choix. Mais Dorian, lui, avait une sorte de lueur dans l’œil qui fit comprendre à l’enquêtrice qu’ils en étaient venus au même stade. Et elle mourrait d’envie de savoir ce qu’il pouvait bien lui annoncer, ce que son investigation lui avait apporté.

« - D’autre part, là où ça se corse, c’est que notre petit Francis a tout de même balancé les positions du QG de la Cabale au Commandant Barista, en espérant se venger de cette trahison. annonça l’albinos tout en saisissant, du bout de sa fourchette,  quelques haricots et un morceau de carotte qu’elle enfourna prestement avant de poursuivre : L’attaque est programmée pour demain soir, à la nuit tombée. Donc si nous n’intervenons pas avant et ne trouvons pas les responsables et leurs motifs, il est possible qu’ils nous filent entre les doigts à tout jamais.

- Donc nous avons un peu moins de vingt-quatre heures devant nous pour résoudre l’affaire, c’est cela ?

- Tout juste, ma formidable rate de bibliothèque. » ironisa finalement l’agente tout en sauçant son assiette avec un morceau de pain  et en se rinçant le gosier avec un verre de vin aussi insipide que granuleux. Une horreur, mais elle avait connu pire et avait bien besoin d’une bonne ration d’alcool pour se préparer à ce qui allait leur tomber dessus.

Reposant finalement son verre, elle conclut ainsi :

« - Je crois qu’une nuit blanche s’impose, mais j’ai connu d’autres challenges. La situation n’est pas aussi critique qu’on pourrait le penser, nous avons déjà la piste de ce fameux Frederic… et puis il y a les informations que vous détenez, n’est-ce pas, Silverbreath ? Je vous écoute…

Elle ne savait dire si c’était à cause des deux bouteilles de vin qu’elle avait descendu à elle seule, mais elle jugea le moment opportun pour sourire. Sourire comme il lui arrivait rarement, sauf lorsqu’une enquête devenait cruellement intéressante. L’ennui était derrière désormais et ça l’excitait incroyablement, alors même que Dorian se préparait à ouvrir la bouche.

Il pouvait à présent la décevoir, ce qui lui coûterait très cher, ou prolonger son extase de prédatrice avide d’une certaine forme de justice qui lui était propre. Car au fond, beaucoup avaient oublié, y compris elle-même, qu’elle possédait encore cet éclat de folie qui n’apparaissait que dans ce genre de situations.

Et deux corps pouvaient très vite se retrouver à flotter, inanimés, à la surface de l’océan, loin d’ici.
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Ce frisson qui me parcourt l'échine à l'instant, les yeux plongés dans ceux de l'enquêtrice de renom, est comme un glaçon qu'on aurait laissé glisser le long de ma nuque. Sensation désagréable pour certains, plaisir jouissif pour moi qui suis habitué à ce genre d'excitation : le danger et les sueurs froides qu'il provoque sont ce que j'ai toujours connu. Alors pourquoi changer mes habitudes ?
   Sans le vouloir, je souris. Cette Elizabeth Butterfly est vraiment quelqu'un. Elle me plaît. N'y voyons là rien de physique, bien qu'elle soit particulièrement charmante, mais je sens en elle une forme de puissance qui me laisse songeur. Et titiller ma curiosité est la meilleure façon de me motiver ici :

- Pour commencer : si c'que vous dites est vrai, alors non, ce n'est pas critique au sens propre. Par contre votre Francis va crever.
- Qu'est-ce que vous voulez dire ?
- Teddy et lui sont d'anciens d'la Cabale. Sinon ils connaitraient ni vot' Frederic, ni leurs planques... J'ai rencontré leur chef d'ailleurs. J'ai eu l'honneur d'discuter avec lui sans y laisser ma tête ! Tséhéhéhé...

   Mon humour ne semble pas toucher le public. Je tousse et enchaîne, légèrement vexé :

- Il sait tout. Il sait c'qu'il se passe sur Inari et enquête de son côté. A sa manière dirons-nous... C'que j'ai appris également, c'est qu'les rares à avoir quitté la secte sont toujours sous la vigilance d'un membre discret. Pour éviter que les langues se délient. C'qui signifie que Teddy et moi sommes surveillés depuis notre arrivée et encore maintenant.
- Mais... Vu que j'ai donné le lieu de la planque...
- T'inquiète t'risques rien, votre "Guide" voulait m'voir. Nous avons un ennemi commun. Z'avez raison, Miss Butterfly : quelqu'un d'autre est responsable.
- Mais Frederic est aussi un ancien de la Cabale !
- Alors il a du découvrir qu'on l'suivait. Ou alors il est parvenu à berner son vigile attitré. En tout cas, il a trouvé l'moyen d'passer entre les mailles... Et le "Guide" m'a pas parlé d'un traître. Donc il est pas au courant pour Fred. Par contre il m'a parlé d'ta devise, Teddy !
- Laquelle ?
- "On ne tue pas un membre de la Cabale. On ne fait que le punir." C'pas une image : la Cabale tue VRAIMENT ses anciens membres, s'ils ferment pas leur gueule. Par contre ça veut dire qu'nos coupables ont pas compris le sens exact d'la chose non plus, puisqu'ils tuent pas tout l'monde.
- Et pour l'état des victimes ?
- Une grosse blague. Juste une manière d'faire passer ça pour un d'leurs rituels impies.
- Ca n'a pas d'sens. La Cabale tue ceux qu'ils ont choisis...
- En théorie, ils ont pas été choisis : ce sont d'anciennes relations d'la Cabale. Pas des victimes des astres. D'un côté c'est arrangeant, parce qu'en les gardant en vie, ils poussent à croire que la secte d'assassins est coupable. J'parie même que ce Fred s'laisse voir pour faciliter la liaison.

   Je termine mon verre. Dégueulasse. Ça ne vaut pas un cocktail de chez Tom sur le rocher, mais au moins ça éclaircit la gorge. Je termine enfin :

- Donc, pour conclure : on a la Cabale qui suit la piste des coupables en c'moment, la Marine qui va chercher à s'infiltrer dans leur planque. Si l'espion d'Francis existe toujours, il va dégommer l'pauvre bougre et les avertir. Ils vont soit s'enfuir ailleurs, soit leur tendre un piège et transformer les souterrains en rivière de sang. Sauf si on trouve Grantz et compagnie avant la fin du compte à r'bours... Facile.
- Facile ?! Mais on a rien !
- Si : on a Teddy.
- Comment ça ?
- Hé ! Faut s'réveiller ! Ce Frederic Grantz, tu l'connais non ?
- Bah oui, je l'ai croisé quelques fois...
- DONC tu pourrais l'reconnaître si on le croise ! Ensuite, on a ça.

    Une liste remplie de noms. Le nom de toutes les personnes impliquées de près ou de loin avec la Cabale. Les trois autres se redressent sur leur chaise. J'ai réussi mon coup. Certains sont barrés, dont celui de mon client.

- Il faut donner cette liste au commandant. Avec ça, il pourra envoyer des équipes pour protéger les...
- Surtout pas. S'il la voit, il va s'demander d'où elle sort. Malheureusement on peut pas s'permettre de dire qu'on a rencontré la Cabale alors qu'ils sont déjà r'connus comme une nuisance sur l'île.  On s'ferait arrêter sur le champ. En plus de ça, m'étonnerait qu'le Guide veille sur eux s'il s'coltine la Marine. Du coup on est seul sur l'coup : soit on s'sépare et on surveille chacun une victime probable, soit on tire à la courte paille et on prie pour protéger l'bon du premier coup.

    Elizabeth n'a rien dit, se contentant de me fixer et d'écouter. D'un coup elle se lève avec son air naturellement impérial et nous suivons le mouvement. Pris d'un soudain élan de sympathie, j'ose lancer :

- Alors ? Qu'est-ce qu'vous suggérez, cheffe ?
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Quatre noms restants. C’était amplement suffisant, quoique. Anna ne doutait absolument plus des compétences de l’enquêteur qui s’avérait de plus en plus précieux à mesure que l’enquête avançait. Elle avait aussi pleinement confiance envers les capacités de la littéraire qui trouverait probablement le moyen de dévorer deux ou trois livres au milieu de sa filature. Non, c’était davantage Teddy qui la préoccupait : ce-dernier n’avait aucune expérience dans le domaine. Si la personne qu’il suivait était la bonne, la prochaine sur la liste, alors leur mission était probablement d’ores et déjà un échec.

Et c’était son haki de l’observation, projeté sur l’ensemble de la ville, qui le lui disait. Pas simplement son instinct. A la manière d’un radar, la directrice conservait un œil sur ses camarades pour pouvoir plus rapidement intervenir si jamais Fred et ses complices décidaient de se montrer.

Orwald Perkins, c’était le nom de sa cible. Un simple commerçant, vendeur de fruit et légumes, qui ouvrait tôt son commerce pour le fermer tard. Il ne s’agissait pas d’un homme que l’on aurait tendance à suspecter de meurtre si on le croisait dans la rue, pourtant…

Elle pouvait le sentir, en explorant sa nature, son for intérieur, qu’il avait déjà fait couler du sang humain. Probablement pas autant qu’elle, dont l’aura semblait saturée de cette odeur d’hémoglobine, mais probablement assez pour prendre une vie.

Il devait ainsi être aux alentours de vingt-trois heures lorsque l’homme au regard apeuré, au front haut et fuyant, chauve, décida de rabaisser la grille de son magasin pour rentrer chez lui sans se soucier de la sûreté du chemin qu’il s’apprêtait à emprunter. Sans se soucier de l’ombre qui le suivait par un habile stratagème de filature qui rentrait dans l’expérience de la directrice. Non, elle avait assez donné pour passer assez inaperçue auprès du citadin lambda. Puis les ruelles étaient étroites, mal illuminées et sentaient fortement l’urine. Des fois, des cabots vagabonds aboyaient à l’autre bout de la ville pour décrier leur solitude ou leurs besoins de reproduction.

Mais Orwald y était accoutumé. Comme il était accoutumé à cette épaisse flaque de boue qu’il contourna aisément à l’angle de la rue Sainte-Catherine et de l’avenue Henri Le Moine. Mais qui eut le défaut d’échapper à la vision surnaturelle de l’agente et n’hésita pas une seule seconde à l’engloutir dans sa chaleur brune.

« - Merde ! »

Erreur de débutant. Le traqué avait beau être loin, son ouïe n’échoua pas une seule seconde à capter le bruit émis par la jeune femme qui ne s’était pas faite prier pour disparaître dans l’ombre in-extremis.

« - Il y a quelqu’un ? demanda le quarantenaire d’une voix incertaine, fouillant dans sa poche pour en retirer ce qui semblait être une lampe de poche fonctionnant grâce un procédé qu’Anna aurait bien été incapable d’expliquer. Je vous préviens, je suis armé.

- Miaou. »

Non, ça n’était pas Anna. La chance avait voulu qu’au même moment, un chat roux au pelage tigré vît son repos, ou sa traque, perturbé par l’arrivée soudaine de l’albinos sur son territoire. Et décidât de fiche le camp, sous le faisceau de lumière projeté par le maraîcher.

« - Foutus chats, je déteste ces saloperies. » jura le bonhomme tout en se retournant, grommelant d’énervement.

Définitivement sortie du pétrin, Anna continua alors sa route, poursuivant inlassablement sa proie jusqu’à ce que celle-ci atteignît finalement une rue un peu plus vaste, un peu mieux éclairée. De leur côtés, ses collègues semblaient s’en tirer sans rencontrer de difficultés, au vu de leur progressions ininterrompues. Le destin avait donc fait tirer à la courte-paille une fois de plus et c’était Anna qui avait tiré la baguette pleine de boue, à son instar. Elle avançait désormais avec un pantalon sale au possible et une veste qui nécessiterait un pressing incessamment sous peu, mais surtout avec la sensation de conserver encore sur elle des plaques de limon pratiquement solides.

« - Je t’en foutrai du « agnagna, une enquête, pourquoi pas… ». C’est la dernière fois que je me fais avoir. J’aurais dû être dans un sauna actuellement, en train de déguster un millésime Côtes de Nebelreich 1589. Et non, au lieu de cela me voilà trempée jusqu’au cou en train de suivre un pauvre connard dans la nuit complète. »

Visiblement perturbée, la blonde platine conservait désormais les poings crispés, prêts à être utilisés au moindre signe d’hostilité. Non, vraiment, elle espérait qu’il s’agissait bien du bon gusse et non pas d’une filature ratée sur un type qui…

…qui venait paisiblement de rentrer dans sa maison, après avoir récupéré le contenu de sa boite à lettres à l’extérieur.

Le moment fut critique pour Anna qui vit rouge et oublia totalement de vérifier ce qu’il se passait du côté de ses camarades, pour continuer sur sa lancée coûte que coûte. Les agresseurs pouvaient tout aussi bien être à l’intérieur de la demeure du commerçant, après tout, non ? Raison pour laquelle elle se faufila dans le décor du jardin du pauvre homme de façon totalement féline et guetta la suite des événements à travers sa fenêtre, les yeux et le haut du crâne dépassant légèrement.

De son point d’observation, la jeune femme pouvait distinguer le contenu d’un salon et la porte d’une cuisine où le gonze préparait visiblement des légumes en les coupant sans grande dextérité avec un couteau assez gigantesque. Non, rien ne sortait de l’ordinaire et pourtant.

Il y eut soudainement un bruit de verre brisé qui interpella la jeune femme. Le bruit avait été assez puissant pour lui permettre de l’entendre de l’autre bout de la maison. Dans l’encadrement de la porte de la cuisine, elle ne pouvait toutefois constater que les mains du pauvre homme qui avait soudainement cessé sa coupe. Puis d’autres mains étaient tout aussi subitement apparues pour lui dérober le couteau des doigts et, visiblement, l’obliger à s’agenouiller. Quelque chose clochait, Anna était désormais certaine d’avoir enfin misé sur le bon cheval. Orwald était la victime ce soir et il fallait agir.

Raison pour laquelle l’agente brisa soudainement la baie vitrée derrière laquelle elle était terrée et pénétra dans la grande pièce, jonchant le tapis et la moquette de morceaux de verre et de trainées de boue. Son revolver était d’ailleurs déjà armé lorsqu’elle le brandit en direction de la cuisine où elle remarqua l’homme de quarante ans, effectivement agenouillé et interpellé par l’entrée fracassante de l’enquêtrice.

Mais aussi visiblement à la recherche d’un objet qui se situait dans un placard, sous son espace de cuisine, qu’il ne tarda pas à retirer et qui s’avéra être : un ensemble de pelle et de balayette.

Et avant que le vendeur de fruits n’ait pu formuler la première question qui venait à l’esprit d’une personne braquée par une arme à feu dans sa propre maison, à savoir « qu’est-ce que… hein.. .vous… euh… chez moi, hein ? », Anna était déjà dans la cuisine à observer la scène dans son intégralité. Car Perkins n’était visiblement pas seul, il était aussi accompagné d’une sympathique jeune femme. Celle qui lui avait pris le couteau des mains… et qui se tenait prostrée au-dessus des débris projetés par le fracas d’un verre de vin sur le sol.

« - Ch…chéri qui est cette femme… ?

- Je… Aucune idée... pas un geste, elle est armée ! bredouilla le moustachu, tout en reposant calmement sa pelle comme s’il pouvait s’agir d’une arme. Pitié… ne faites pas de mal à ma femme… »

Stupéfaite, la directrice darda officiellement son unique pupille, mais officieusement les deux, sur chaque membre du petit couple avant de bredouiller à son tour :

« - Je… vous… personne ? »

Parfaitement synchronisés, les deux otages secouèrent leur chef de gauche à droite avec moult détermination. Alors Anna dût se rendre à l’évidence de son échec, hausser les épaules en affichant un visage mu par une profonde déception et faire demi-tour pour sortir par la nouvelle entrée qu’elle venait de creuser dans la fenêtre du salon.

Alors occupée à regarder ses pieds tandis que ceux-ci la menaient vers une position inconnue, dans les quartiers de la déception, rue du désespoir, Anna se rappela soudain qu’elle n’était pas la seule sur l’affaire et que maintenant plus que jamais, il était important de vérifier l’état de ses comparses.

Et si Angelica et Teddy semblaient toujours en mouvement, Silverbreath était lui totalement immobile, visiblement en bonne compagnie d'individus armés qui le tenaient en respect. Ce qui était soit un très bon signe pour eux… et un très mauvais pour lui.

Deux minutes : c'était ce qu'il fallait à Anna pour le rejoindre en faisant usage du Rokushiki.
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Miss Butterfly et moi étions tombés d'accord sur le fait que monsieur Jarod Ormel, le propriétaire d'un bar de la zone active de l'île, était celui qui courait le moins de risque la nuit, sachant que beaucoup de personnes arpentaient les rues et se réunissaient dans les tavernes du quartier. Lui-même devait encore travailler jusqu'à point d'heure, sachant que les mariages, les baptêmes et les fêtes de fin de vie étaient nombreuses ici. C'est donc Teddy Useless qui le surveillait.

   Je suis de mon côté dans la résidence d'un certain Hector Uriel, un joaillier spécialisé dans les bijoux porte-bonheur. Comme la moitié des personnes qui pensent que vivre entouré de voisins et être chez soi sont deux raisons suffisantes pour ne pas fermer à clé, je suis rentré par la porte d'entrée aussi naturellement que si ça avait été ma maison. Qui se méfierait d'un type décontracté ?
   Ce n'est qu'une fois à l'intérieur que je la joue discret. Je me retrouve dans un petit corridor menant au salon. Sur ma droite, une porte entrouverte mène à la cuisine, une autre fermée. Sur ma gauche, un coin salle à manger et un bureau. Le tout est plutôt simple, niveau décoration. Quelques ornements viennent égayer l'endroit par-ci par-là sans que ce soit excessif. Ce qui me marque le plus reste l'odeur... Une odeur particulière et familière que je n'arrive pas à remettre...
   C'est en entendant le plafond grincer que je comprends que celui dont j'ai la charge est à l'étage. Je fais le tour du rez-de-chaussée, me familiarisant avec les lieux, les éventuelles sorties et les fenêtres. Je tends l'oreille pour savoir où se situe à peu près monsieur Uriel.

   Celui-ci semble s'être arrêté. Je me dirige vers les escaliers, dans le salon, et monte en faisant attention à ne pas faire de bruit...

    Crouiiic !

    La dernière marche grince. Je reste là, immobile, à attendre une réaction de la part du propriétaire des lieux. Celui-ci ne vient pas. Je souffle un coup et continue sur ma lancée. Je passe devant la salle de bain, puis devant un débarras puis...

- Meoow !
- AH ! Putain !

   Un chat ! Là ! Juste à côté de moi en train de me regarder de ses grands yeux jaunes luisants dans la pénombre. Et je me rappelle alors de l'odeur : celle de la litière. Cette foutue bestiole m'a surpris et je suis certain que mon protégé m'a entendu.
   Sauf qu'il ne vient pas.
   Et ça c'est bizarre.

   J'avance en direction de la dernière porte, sans doute la chambre. J'ouvre et ressent aussitôt une vive douleur à la joue : un poignard vient de me passer sous le nez.
   Face à moi, quatre types au visage plus ou moins couvert me font face, avec Hector Uriel dans les mains du dernier, près de la vitre du balcon. L'individu lui plaque la main sur la bouche pour qu'il évite de crier. Les trois autres sont armés et me menacent de leur lame :

- T'as rien à faire ici. Sors si tu ne veux pas avoir de problèmes.
- Oh z'en faîtes pas pour ça : des problèmes j'en ai tous les jours.

   J'ai beau avoir de la répartie, il faut avouer qu'avoir un couteau sous la gorge n'est pas fait pour aider l'inspiration. Je recule donc, faisant sortir de la chambre le premier homme. Le chat miaule et crache en le voyant, ce qui attire son attention le temps d'une seconde.
   Une seconde, c'est plus qu'il n'en faut pour que je lui colle mon poing dans la figure et que je lui fasse une clé de bras pour retourner la situation : maintenant, c'est moi qui lui colle sa propre arme sous le menton et qui menace ses copains :

- Rendez-moi monsieur Uriel ou j'le bute.
- ... T'oserais pas.
- On parie ?

   J'appuie la dague contre la peau de l'homme qui prend peur. Du sang perle sur l'acier. Les autres se regardent tour à tour, décontenancés. L'un d'eux acquiesce et celui près du balcon lâche le joaillier qui court vers moi, complètement paniqué.
   C'est alors que le deuxième du lot s'approche également, le regard assassin. Ces deux événements soudains me font perdre ma concentration juste assez longtemps pour que mon otage se saisisse de mon poignet et le morde jusqu'à me faire lâcher prise.
   Blessé et furieux, je lui décoche une nouvelle droite, attrape mon protégé par le col et l'embarque avec moi jusqu'aux escaliers que nous descendons quatre à quatre.

   Les agresseurs nous foncent dessus. Celui qui s'était rapproché tout à l'heure tente même de sauter par dessus la rambarde pour atterrir en bas avant nous, effectuant une roulade pour amortir la chute et bousculant un meuble au passage. J'évite son coup de couteau de justesse et sort mon bâton pour le maintenir à distance.
   Nous fuyons jusqu'au corridor. Je nous crois capables de nous en sortir, une fois la porte franchie. Encore cinq mètres...
   La porte s'ouvre et un cinquième personnage, le bas du visage couvert par un foulard noir, apparaît, pistolet à la main. Je m'arrête alors et Hector me percute.

- Merde...

   J'aurais dû me douter qu'ils auraient laissé un veilleur à l'extérieur... Quel con.
   Je pousse le joaillier dans la cuisine tandis qu'un premier coup de feu résonne dans le couloir. Mon épaule me fait mal : du sang coule de la blessure.
   Je pousse un juron et pénètre dans la cuisine à mon tour. Là, je prend juste le temps de regarder autour de moi avant de me saisir d'un bol en porcelaine que je jette à la tête du premier type qui nous rejoint. Touché au front, le bougre tombe et se fait enjamber par un deuxième qui tente de me planter son couteau dans le ventre. J'esquive et mon bâton d'argent vient lui percuter la mâchoire. Le premier s'est relevé. Le troisième le rejoint.
   L'un attrape le bras d'Hector tandis que l'autre cherche à me plaquer contre le plan de travail. Je ramasse une casserole et lui frappe le sommet du crâne avec avant de jeter un couteau de cuisine dans le dos du troisième qui pousse un cri de douleur avant de s'écrouler. C'est cet instant que choisissent le quatrième et le cinquième pour entrer à leur tour. Le dernier me met en joue et :

BLONG !

   La balle se fiche dans le fond de la casserole que j'ai placé instinctivement devant mon visage pour me couvrir. Je force alors mon protégé à se planquer derrière la table centrale que je renverse. Argument et récipient gondolé en main, je fonce sur l'autre type qui tente de me réceptionner avec son arme. Sans succès.
   Je lui fais lâcher la dague et lui colle mon pied dans l'estomac, le faisant percuter celui au pistolet qui se retrouve déséquilibré. J'en profite pour les envoyer en dehors de la pièce et pour fermer la porte.

- Et toi reste pas là ! Viens m'aider à bloquer !

   Complètement apeuré, le joaillier se décide à sortir de sa cachette et à pousser celle-ci devant la porte. Nous maintenons ainsi l'endroit tandis que derrière les deux agresseurs tentent de nous déloger à coups de pied et d'épaule.
   Lorsqu'ils finissent par en avoir marre et que j'entends la porte d'entrée s'ouvrir et se refermer, cela fait bien trois minutes que je me suis retrouvé dans cette situation. Et quand je vois la fenêtre en dessus du plan de travail de la cuisine, j'appréhende un peu plus...
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Pendant un instant, il n’y eut que le silence. Un long et stressant silence pour bercer les deux hommes emprisonnés dans la cuisine du dénommé Uriel, avant qu’enfin des bruits de pas ne se fissent à nouveau entendre dans l’escalier puis l’appartement. Puis ce fut une voix familière qui tonna après que son propriétaire eut tenté d’ouvrir la porte :

« - Dorian ? Tu es là-dedans ? »

Bien sûr qu’il était là-dedans, l’aura ne mentait pas. Elle ressentait la silhouette du bonhomme comme elle l’aurait vue devant lui et elle s’étonnait de sa posture : sur le qui-vive, prêt à bondir sur la moindre ombre s’infiltrant par la fenêtre donnant sur l’extérieur.

« - Attention Elizabeth, ils doivent être encore dans les environs !

- Je ne te le fais pas dire, je les ai croisés en arrivant. De vrais forcenés, hein ? Tiens, tu viens m’aider à porter celui que tu as assommé dans le couloir ? J’en ai déjà un autre sous le bras et le bougre pèse son poids. »

C’était du flan, Anna aurait très bien pu porter les deux hommes inconscients, toutefois en demandant cette faveur à son partenaire, elle était sûre que celui-ci ouvrirait la porte sans rechigner. C’était davantage la surprise qui était lisible sur les traits de son visage, lorsqu’il passa l’encadrement de la porte, suivi par son protégé.

« - Où sont-ils passés ? demanda enfin le travailleur libre après une bonne minute passée à jeter des coups d’œil à gauche et à droite.

- A part celui-ci et celui-là, les autres sont en bas.

- Et ils ne risque pas de revenir dans l’appartement ? »

Il avait visiblement du mal à comprendre le message qu’essayait de lui faire passer sa compagne, mais décidément il fallait qu’elle passât par quatre chemins. Soupirant à cause de la lenteur du pauvre homme, probablement encore sous le choc à cause de sa blessure à l’épaule, l’albinos reprit finalement :

« - Je les ai butés, il ne reste que ces deux-là. »

Avec du recul, les deux agresseurs endormis n’avaient absolument rien de gros loubards habitués à ce genre de tâches, toutefois l’habit ne faisait pas le moine. Pour Anna, ils ne constituaient même pas une menace, mais elle se doutait que pour ses congénères plus humains qu’elle, des hommes possédant des revolvers et des matraques pouvaient s’avérer mortels.

« - Bordel… »

Il ne s’y attendait probablement pas, mais le sang avait coulé à flots en bas de l’immeuble. Hector ne put s’empêcher de crier en voyant les corps criblés d’impacts de balles. Même si, étrangement, aucun coup de feu n’avait été tiré après qu’ils se fussent calfeutrés dans la cuisine. Aucun des deux hommes n’eut d’ailleurs la prétention d’aller vérifier si des balles étaient bien présentes au fond des blessures faisant le diamètre d’un index. La responsable du carnage ne les aurait, de toute façon, pas laissés faire :

« - Trainons pas trop. Il faut que l’on se dépèche de trouver un hôtel à celui-là pour  aller interroger nos nouveaux amis. Il me tarde de savoir ce qu’ils ont à dire. »

Une heure plus tard…

« - J’te dirai rien, salope.

- Pourquoi faut-il toujours qu’ils soient aussi vulgaires ? »

Attaché sur un vieux siège trouvé dans les environs, Fred semblait déterminé à ne rien dire. Quelques dizaines de minutes plus tôt, Teddy l’avait identifié sans le moindre doute, même si l’autre complice rapporté de chez Uriel demeurait anonyme aux yeux du client. C’était pourquoi Dorian avait fait le choix de l’interroger, lui, et de laisser Frederic à l’enquêtrice, persuadé que cela lui rendrait la tâche plus facile peut-être. Il ne savait absolument pas de quoi elle était capable. Les deux captifs avaient donc été emmenés dans un immeuble abandonné, en marge de la ville, pour pouvoir être interrogés séparément. A cette heure-ci, tout le monde dormait et il valait mieux qu’ils fussent à l’écart pour que personne ne pût les entendre crier.

Pour sa part, Anna avait toujours tendance à ne pas y aller de main morte au cours de ses interrogatoires. Quant à Silverbreath… elle n’avait aucune idée de comment il se débrouillait. En tout cas elle avait été beaucoup trop gentille et il était temps de changer de répertoire.

« - Je crois que tu n’as pas saisi la merde dans laquelle tu te trouves. Tes potes sont morts, je les ai buttés, et si tu me dis rien, je n’ai aucune raison de te laisser la vie sauve. Tu percutes ou pas ?

- Va te faire foutre. »

La directrice commençait à perdre patience. Voilà trente minutes qu’ils avaient commencé et toujours rien de nouveau à se mettre sous la dent. C’était le problème des fanatiques : leur foi les rendait étrangement insensibles à la menace. La douleur allait peut-être faire changer les choses… En temps normal la jeune femme trimballait avec elle sa trousse à outils, mais elle allait se contenter du strict minimum cette fois-ci.

Sans mot dire, elle saisit donc l’index de son prisonnier, ligoté et incapable de faire le moindre geste en retour.

« - On va voir qui va aller se faire foutre, alors. » ricana-t-elle tout en retournant d’un coup sec le doigt de sa victime, sans le moindre effort.

L’homme ne tarda pas à s’égosiller de cris et hurlements inhumains, sans que cela ne fît frémir sa tortionnaire : c’était une facette de son travail qu’elle maîtrisait à la perfection, après tout. Sans perdre plus de temps, elle saisit alors son majeur, prête à lui faire subir le même supplice une seconde fois, lorsque le dur à cuir craqua finalement. Tellement qu’il entreprit même de la vouvoyer.

« - Non, arrêtez ! C’est bon, je vais tout vous dire ! Pitié ! »

Quelque peu déçue, la jeune femme fit mine de se rétracter… avant de tout de même briser le second doigt du prisonnier. Ce-dernier chiala de plus belle avant de retrouver la parole, trente secondes plus tard :

« - Mais… pourquoi ?! »

- Pour le plaisir, tu n’imagines pas comme ça fait du bien.

- Vous êtes timbrée !

- Tu veux que je t’en pète un autre, peut-être ? menaça l’agente une fois de plus, même si elle savait sa victime à point désormais.

- Non, c’est bon ! Je vais tout vous dire ! Putain… »

Si, de base, son physique filiforme et osseux ne conférait aucun charme au pauvre homme, désormais la morve qui lui dégoulinait des naseaux et les larmes qui coulaient le long de ses joues lui donnaient une allure repoussante, pitoyable. Anna s’en satisfaisait, secrètement, même si son large sourire laissait transparaître l’émotion sans aucun filtre.

« - On sait que ce n’est pas ton premier coup, Fred. On sait aussi que ce n’est pas toi qui tire les ficelles. Pour qui tu bosses ?

- Pour la Cabale, j’vous l’ai dit ! »

Nouveau craquement sonore, nouveau hurlement, nouveau palier franchi dans la torture. La Cabale fournissait une bonne couverture, c’était évident, mais il était désormais certain qu’elle n’avait rien à voir avec les agressions. Le second prisonnier n’en faisait d’ailleurs pas partie, selon Teddy.

« - Pitié, arrêtez…

- Qui t’a envoyé ?

- Je… je… Nous ne faisons que rendre justice… »

Ca y était, le point de rupture avait été atteint. Qu’il le voulût ou non, Grantz était obligé de parler désormais, son corps ne pouvait pas tenir face à la cruauté de l’agente. Il ne tarda pas à tout déballer sans la moindre fioriture.

« - Nous avons intégré la Cabale pour nous venger. Notre secte… ils l’ont détruite. Ils ont assassiné notre guru, alors... alors…

- Alors vous vous êtes dit que vous alliez attirer l’attention de la Marine en agressant les anciens de la Cabale pour les forcer à témoigner. Malin.

- Normalement tout aurait dû fonctionner comme sur des roulettes… Nous sommes au courant pour l’opération de Barista et pour les aveux de Francis.

- Dommage que nous nous soyons mis sur votre chemin, hein ? C’est ce qu’ils disent tous… D’ailleurs, je suis au regret de devoir t’annoncer que le Guide sait pour Barista : il est peu probable que sa fin ou celle de la Cabale soient pour demain. »

Inconscient de cette probabilité, le visage du détenu devint soudain blême devant la perspective de l’échec qui s’annonçait. Si la Cabale continuait d’exister, ça n’était pas pour rien. Aussi néfaste fut-elle, elle possédait bien des rouages.

« - Maintenant il faut me dire pour qui tu travailles, sinon je vais devoir passer à la vitesse supérieure. » conclut la jeune femme en défouraillant de l’un de ses fourreaux attachés à sa ceinture un poignard effilé et tranchant : Quart.

La pomme d’Adam de Grantz tressauta soudainement. Et un sourire naquit sur le visage de la jeune femme.

Quelques minutes plus tard, elle quitta finalement la pièce, laissant derrière elle un cadavre ensanglanté. Teddy et Angelica attendaient dehors avec Dorian et son prisonnier. Le second enquêteur possédait des informations qui corrélaient avec celles transmises par Fred et n’avançaient pas spécialement sa partenaire. L’enquête touchait toutefois à sa fin.

« - Et Fred, où est-il ? demanda-t-il, curieux mais loin d’être aussi innocent que sa question pouvait laisser supposer.

- Il n’a pas survécu. Teddy, si je te dis Daniel Craig, ça te dit quelque chose ?

- Vaguement… c’est un des types de la Cabale ; il y est entré quelques temps avant que je ne parte, mais je pense pouvoir le reconnaître.

- Parfait, mettons-nous en route alors, admit l’agente avant de se tourner vers son acolyte. Sauf toi. J’aurais besoin que tu livres l’homme interrogé par Silverbreath à la Marine pendant que nous infiltrons le repère de la Cabale pour boucler l’enquête. Et assure-toi qu’il leur donne tous les détails. C’est dans tes cordes ? »

Ayant le sentiment d’être mise sur la touche à nouveau, Angelica fit la moue avant d’opiner du chef et de saisir l’homme par ses liens aux poignets. Bien moins amoché que son défunt pote, celui-là semblait encore en état de marche et suivit donc la brunette sans faire trop de vagues. Il se lâcha toutefois, juste avant leur départ, jetant un regard sombre vers la directrice.

« - Bande de salauds.

- La ferme et avance, tu perturbes ma lecture… »

Suivant alors Silverbreath, Anna et Teddy prirent un chemin différent, qui les mena finalement vers la cache de la Cabale.
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- C'est encore plus sombre qu'avant... Ils ont enlevé les torches, ces illuminés.

   Nous avançons à tâtons dans les couloirs des souterrains d'Inari. Les mêmes que ceux que j'avais emprunté auparavant, mais avec beaucoup moins de clarté. Teddy se tient à côté de moi avec un air pas rassuré et Miss Butterfly nous suit de près, sans montrer le moindre signe de gêne : l'odeur est pourtant infecte.
   Je sers les mâchoires. Depuis le début de cette collaboration, j'ai retreint une bonne partie de mes pulsions afin de paraître le moins dangereux possible à l'enquêtrice. Je sais pertinemment que je ne pourrais la duper sur ma nature, mais au moins je suis capable de jouer les idiots au style un peu brouillon. Si je l'avais voulu, j'aurais pu me débarrasser des types dans cette maison tout à l'heure, risquant de blesser la victime au passage. Mais ce n'était pas pro. Et j'améliorais le tout en feintant l'inquiétude et l'attention. Si je croisai un lèche-cul pareil dans la rue, je lui cracherai dans la bouche avant de lui coller une beigne.
   Le plus frustrant restait l'interrogation : pensant avoir affaire à une femme-détective minutieuse et réglo, j'ai joué la carte du gentil bourreau. Je n'ai pas pu m'amuser. De toute façon je n'avais pas les outils... Mais le pire fut de constater qu'Elizabeth n'était pas dotée du sens moral que je lui croyais.

   Depuis une bonne demie-heure, l'envie de tenir le crâne de mon otage suppliant dans ma main, sentant ses os craquer petit à petit, me dévore l'esprit. Je n'ai pas l'habitude de perdre ce sentiment de puissance et de domination qui m'accompagne partout où je vais. Même si je le fais consciemment, par respect pour le charisme que je vois en elle, laisser la barre à l'enquêtrice me blesse dans mon amour propre.

- Nous y sommes.

   Ça je le sais déjà. Elizabeth regarde la porte métallique au fond du petit tunnel sombre. Une fois devant, je me permets de frapper.
   Le même guetteur que la dernière fois ouvre la trappe devant ses yeux et m'interroge du regard :

- C'est encore moi. Le Guide est toujours dans l'coin ? J'crois qu'il serait content d'apprendre c'qu'on a à lui dire.

   L'autre dévisage Miss Butterfly avant de tourner la tête vers Teddy et de le reconnaître... Du moins c'est ce que je traduis à la petite lueur dans ses yeux de fouine.
   Il nous ouvre la porte.

   Nous pénétrons dans cette pièce où je m'étais retrouvé en tête à tête avec le Guide. Cette fois, quatre chaises sont disposées autour de la table. Nous prenons place et, sans crier gare, le chef des cultistes apparaît. Comme s'il avait toujours été là. Je suis partagé entre la surprise, l'agacement et l'envie de savoir comment il fait.
   Le buste droit, le pas silencieux, il s'assit face à nous et croise les doigts sur la table, un vague sourire aux lèvres :

- Bonsoir Teddy, comment vas-tu ?
- Oh euh... Ca peut aller...
- Tant mieux. Profites-en, c'est important. Personne ne sait avec exactitude quand cela pourrait changer. N'est-ce pas ?
- O-oui...
- Et qu'est-ce qui vous amène, monsieur Silverbreath ? Vous avez du nouveau sur notre "problème" ?
- En effet, c'est pour ça qu'on est tous là. J'vous présente Miss Elizabeth Butterfly. Une célébrité à la surface et par delà les mers.
- Je sais qui elle est. Madame.

   Il hoche la tête, tirant ainsi sa révérence à l'albinos qui ne dit rien depuis tout à l'heure. Le visage neutre, je ne parviens pas à savoir à quoi elle pense à cet instant.
   J'oscille un instant sur ma chaise, cherchant une position confortable : il fait froid dans cette pièce, malgré la présence des bougies allumées ça et là.

- On a plus beaucoup d'temps alors j'vais la faire courte : y a un connard dans votre cercle.

   Pour la première fois, le Guide semble étonné. Un sourcil se lève au dessus de son œil, puis se rabaisse.

- Qui ?
- Daniel Craig. Et ça m'étonnerait qu'il soit seul.

   Je tourne la tête vers Miss Butterlfy qui me fait signe qu'elle partage ce point de vue. Je croise les bras et me colle à mon dossier, lui laissant la parole pour ce tour :

- Nous tenons cette information de source sûre. Mais je ne pense pas qu'il soit judicieux pour vous d'ordonner sa capture ou son élimination. S'il y a effectivement plusieurs membres complices, mieux vaut agir de façon discrète. Comme si de rien n'était.
- Je vois... C'est fâcheux. Daniel est l'un de nos fidèles les plus dévoués. Du moins c'est ce que je pensais. Il a su se montrer "efficace" quand il le fallait. Je pensais même le former pour prendre la relève un jour. Mais s'il s'avère être un traître... Ma foi, on y peut rien. Le destin reste un éternel capricieux.
- Si vous l'dîtes.
- Quelle est votre idée ?

[...]

    Nous avançons dans les galeries de la Cabale, séparés en deux groupes : le Guide faisant avancer Elizabeth avec une lame d'un côté, Teddy et moi placés sous escorte de l'autre. Les mains dans le dos, nous feignons d'être ainsi prisonniers. Cela ne manque pas d'attirer l'attention et c'est exactement l'effet escompté.
   Bientôt les regards deviennent des murmures, les murmures des suppositions, les suppositions des accusations qui, éparpillées dans l'air, finissent aux oreilles de notre cible. Et Daniel Craig quitte l'intimité de son dortoir pour rejoindre le groupe des curieux - Teddy le reconnait - tandis que nous approchons de ce qui ressemble à un autel, bâti à même la roche, à l'intérieur d'un espace en abside qui devait représenter la taille d'une maison bourgeoise. Un sacré trou sous la surface en somme.

   La femme au teint et à la chevelure pâles arrive avec le chef des assassins depuis l'autre côté. C'est bientôt l'ensemble des membres de la Cabale qui se massent à l'intérieur du lieu rituel et qui forment un cercle autour de nous.
   Le fameux Daniel reste un moment sans comprendre, puis reconnait à son tour mon client, un ancien compagnon qu'il était certain d'avoir puni comme les autres. Décontenancé et incapable de s'éloigner sans attirer l'attention, il finit par se rapprocher du centre de l'abside pour nous rejoindre.

- Tiens, Daniel... J'allais justement t'appeler.

   Le susnommé se raidit, les yeux plissés et méfiants. Je ris intérieurement sachant ce qui allait se passer à présent.
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La scène avait quelque chose de surréaliste. Les mains libres, Anna conservait une stature légèrement cambrée pour bien les dissimuler dans son dos. Ses compagnons faisaient de même, tandis qu’on les avait présentés au principal intéressé. Un homme plutôt fin avec un visage en lame de couteau et un front fuyant sous une courte épaisseur de cheveux blancs ; un gros nez courbé pour finir le tout. Craig était un individu objectivement laid.

Interloqué pendant un bref instant par la dernière réplique du guide, il ne put toutefois dissimuler son désarroi soudain qu’en étirant un large et faux sourire. Il n’avait aucune raison d’être miné, en réalité.

« - Je vois que vous avez mis la main sur ce traître de Teddy, j’ai hâte de vous voir le punir pour sa fourberie… Mais qui sont donc ces deux personnes ? » demanda le bougre tout en se penchant vers les concernés pour mieux identifier leurs visages. Ses yeux passèrent sur celui de Silverbreath, maquillés par autant d’intérêt qu’ils auraient pu en avoir pour un vulgaire caillou.

Ce fut lorsque l’enquêtrice et son cache-œil apparurent devant son regard que Daniel montra davantage d’enthousiasme dans son étude. L’occasion pour le chef de la clique de timbrés de rappeler son toutou à ses pieds :

« - Des nuisibles, ne t’en préoccupe pas.

- Hmm… Si vous le dites, mon Guide. Qu’allons-nous donc faire de ces maudits ? »

La réponse tant attendue ne vint pas. Le sort prétendu d’Anna et de ses compères était tout tracé et chacun dans cette pièce le connaissait, mais le pauvre Daniel semblait dans une position inconfortable, probablement car le guide l’avait convoqué sans encore lui dire pourquoi.

De son point de vue de spectatrice, l’agente pouvait voir les portes de la grande salle circulaire et les fidèles occupés à les fermer discrètement, tour à tour. La sentence n’allait pas tarder à tomber.

« - Figure-toi que si nous avons réussi à mettre la main sur ces chiens impies, c’est grâce à Frederic.

- Ah, vraiment ? Je ne comprends pas, je n’ai pourtant rien fait pour… »

Le visage inquiet, le pauvre homme cherchait désormais du regard celui qui l’avait dénoncé dans son héroïsme. La confusion dans son regard trahissait définitivement sa culpabilité, cependant il n’en était rien de ses autres complices. Fort heureusement, le plan était simple et avait de grandes chances de porter ses fruits. Tout était entre les mains du prophète de la Cabale.

« - Oh, non, pas directement. Figure-toi que ces jeunes gens enquêtaient sur le sort funeste que nous réservons aux traîtres…

- Triste, triste sort. C’est dans les préceptes de la Cabale, comme tu nous l’as enseigné, mon Guide.

- Exactement.

- Mais je ne vois toujours pas ce que je viens faire là-dedans. Et où est Frederic ? Je n’arrive pas à le voir… »

Anna, qui avait alors fait le choix de rester silencieuse jusque-là releva soudainement la tête pour afficher un large sourire goguenard, tandis que ses mains apparaissaient déliées au grand jour. Postée près du Guide, elle prit une pose victorieuse, les mains posées sur les hanches.

« - Il est mort, ton copain. Je l’ai buté, après lui avoir fait cracher le nom de ses potes. Vous êtes tous grillés pour avoir essayé de plomber la Cabale !

- En effet, je suis au courant de tout. Tu manigançais dans mon dos, Daniel ? »

Soudainement, le traître afficha un air horrifié. Pas seulement à cause des accusations ou du couteau saisi par le Guide de façon extrêmement menaçante, mais aussi car il était enfin parvenu à reconnaître la blonde qui l’avait invectivé. De tous les petits fouineurs possibles, il avait fallu que ce fût Elizabeth Butterfly qui lui tombât dessus.

« - Non… non je n’ai rien fait, il vous a menti… » réagit-il en reculant frénétiquement vers la sortie la plus proche. C’est Resnard qui a eu l’idée ! »

Tandis que leur plan s’effilochait petit à petit, la désunion prenait le pas dans les rangs adverses. Unis par le seul désir de vengeance, les responsables ne tardèrent pas à se démasquer les uns les autres. Certains essayèrent naturellement de fuir, se démarquant facilement du lot « d’innocents » qui n’avaient rien à se reprocher. Ils ne tardèrent pas à se heurter aux portes fermées.

« - Pitié, grand Guide, je n’ai fait que suivre les ordres !

- Je ne voulais pas, c’est Daniel qui m’a obligé…

- Bande d’enfoirés ! »

Les disciples s’accusaient désormais tour à tour, tandis que l’étau se resserrait autour d’eux. Les véritables loyaux sujet du Guide ne tardèrent pas à se faire violence en saisissant les individus les plus isolés. Mais un épais groupe de traîtres subsistait. Ils n’étaient pas nombreux pour autant : une dizaine tout au plus, comme Anna l’avait correctement supposé.

« - Vous pensiez vraiment que votre petite stratégie allait fonctionner ? Nous savons très bien que la Marine ne va pas tarder à débarquer, votre plan serait tombé à l’eau dans tous les cas.

- Les issues sont condamnées, il n’y a nulle part où fuir. Par chance, le Guide a consenti à ne pas vous tuer… Vous serez ramenés vivants à la Marine.

- …en revanche je n’ai jamais dit que vous le feriez en un seul morceau. »

Comprenant ce que le Guide sous entendait, le poignard virevoltant en cercles autour de sa bouche pour désigner sa langue, les traîtres s’animèrent de plus belle, saisissant cette fois-ci armes et couteaux pour riposter à l’assaut des fidèles.

Pendant ce temps-là, pas loin des souterrains.

« - C’est ici que se trouve l’entrée apparemment. On dirait des égouts…

- Ça correspond pas mal à la vision que je me fais de la Cabale, mon Commandant. Vous voulez que j’y aille en première ? »

Belle, à défaut d'être beau, le Commandant visitait du regard la petite entrée exigüe qui donnait sur un large réseau de canalisations, une fois à l'intérieur. C'était bien le genre de la Cabale, en effet, de les obliger à s'introduire dans pareil endroit pour leur mettre le grappin dessus. Mais quelque chose clochait... peut-être était-ce lié à l'apparition, quelques heures auparavant, de l'adjointe d'Elizabeth Butterfly et de son prisonnier. Celui-ci avait tenu une histoire intéressante... mais les interrogations pouvaient attendre, la Cabale n'avait rien d'une petite organisation innocente.

Apparemment ses traîtres l'avaient trahie... mais c'était bien tout ce qu'elle méritait.

« - Non, ne vous en faites pas. Mais ils doivent être préparés à notre visite alors soyez sur vos gardes… » sourit l'androgyne à sa vaillante Lieutenante, avant de finalement partir en tête du convoi. Ou plutôt devrait-on dire... son Lieutenant, au vu de son épaisse pilosité mentonnière.

Le charme ne prenait décidément pas, et ce malgré ses épaisses couettes jaunes qui dépassaient de sous son képi.

« - Compris chef ! Vous avez entendu ? Au pas de course, dans le tuyau ! »
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Il y a bien des bordels dans lesquels j'aime me trouver, mais celui-ci n'en fait pas vraiment partie : tout un tas de types en soutane ou en plastron et bottines de cuir se sautent à la gorge à la manière d'animaux sauvages. Leurs regards trahissent la pensée qui les anime : certains se battent avec l'énergie du désespoir, d'autres avec la rage de ceux qu'on aurait entubé pendant longtemps.
   Un sectaire nous fonce dessus et je pousse Teddy, qui ne l'avait pas vu, derrière moi. Je dégaine mon couteau et lui empoigne le poignet au moment où le sien s'approche de mon cou. Il comprend très vite que c'est la fin :

- J'aime pas les coups d'pute. Sauf quand c'est moi qui les fait.

   Une fois celui-ci à terre, je décide de me mêler à la boucherie. Car il faut dire ce qui est, la Cabale ne fait pas dans la dentelle quand il s'agit de tuer. Habitués au meurtre et à la survie, tous semblent être d'excellents combattants, même s'il y en a qui préfèrent de loin l'assassinat discret à l'affrontement direct. Leurs coups restent précis, violents, faits pour déchirer les gorges et trancher les artères en passant par la section des tendons et l'ouverture des entrailles. Ici, on rejoint les étoiles comme on vient au monde : collant, sanguinolent, puant et le visage déformé par la douleur.
    J'agrippe un autre traître par les cheveux et lui plante ma lame dans la tempe. De son côté, Elizabeth ne semble pas avoir de problèmes : ses mouvements sont simples, calculés, gracieux à leur manière, et aucun assaut ennemi ne semble la prendre de court. C'est un peu comme si elle avait fait ça toute sa vie...

   A peine cinq minutes plus tard, un tas de cadavre gît par terre et le Guide tient Daniel en respect, un pied sur sa tête. Ce dernier est en piteux état, avec son bras cassé, sa joue et son œil enflés, ses deux dents en moins et son nez tordu. De la bave rosâtre coule de ses lèvres, mais il respire encore :

- Maintenant, nous allons pouvoir te remettre à la Marine et en finir avec ces bêtises.

   Daniel ne répond pas. Il n'en a plus la force. On le relève sans ménagement et tout le groupe se rassemble à l'une des entrées de l'autel. Deux cultistes ouvrent la double porte et nous avançons dans les galeries souterraines de la planque de la Cabale. Je regarde l'enquêtrice, imperturbable, une mèche de cheveux tombant sur son cache-œil. Pas de doute que ce côté dominatrice froide et rodée m'excite mais il faut savoir rester à sa place de temps en temps : je préfère lui mater le cul vivant qu'admirer son regard inquisiteur et cruel - sans oublier son bustier garni - mort. Je lance donc :

- Tséhéhé... Un plaisir d'travailler avec une pointure telle que vous, faut l'avouer ! C'est quand même fichtrement plus amusant et plus rapide de l'faire à plusieurs.
- Rapide, oui. Amusant... Ce n'est pas tellement le mot que j'emploierai.
- Oh allez, dîtes pas ça : rien que l'coup de l'interrogatoire ! J'suis sûr qu'vous avez aimé. M'enfin si vous m'dîtes que non j'vais pas vous contrarier...
- Et vous alors, monsieur Silverbreath ?
- Moi ? J'suis quelqu'un d'franc Miss Butterfly. A la limite du possible au moins ! J'ai pris mon pied. Au départ, j'avoue que ça m'bottait pas des masses. A un moment, j'ai même cru que j'allai d'voir vous fausser compagnie pour terminer ça tout seul...
- ...
- ... Mais faut avouer qu'bosser avec une célébrité dans vot' genre c'est rare. Et instructif. Ca m'ferait presque d'la peine de vous dire au revoir tiens ! Enfin bon, z'avez votre vie et j'ai la mienne. T'façon j'peux pas tellement piffrer votre copine là. J'sais pas comment vous faîtes pour la support...
- Guide ! Mon Guide !

    Nous nous arrêtons tous. Un type accourt vers son maître, les sourcils froncés. Sans attendre de réponse, il enchaîne :

- La Marine est là. Elle va bientôt arriver à la porte.

   Nous nous taisons un moment. Elizabeth et moi échangeons un regard et je me rapproche de Teddy, lequel n'a pas l'air franchement rassuré à l'idée d'enchaîner les conflits. Le Guide finit par dire :

- Eh bien prenons les sorties dans ce cas.
- Hein ? Les sorties ?
- Évidemment : vous croyez que nous ne nous déplaçons dans la ville que grâce à une seule et unique porte ? Nous avons des tas de moyens différents de rejoindre la surface sans être repérés.
- Évidemment...
- Que tout le monde se dépêche de rassembler ses affaires : des armes faciles à transporter, vos contrats, votre emblème et, à la moindre altercation, n'hésitez pas à boire votre flacon.
- Votre flacon ?

   La plupart des membres de la Cabale affichent alors un air peiné, la tête basse. Mais aucun ne tremble ni ne contredit les paroles du Guide, car ainsi sont les illuminés qui croient en quelque chose : des gens courageux et résolus, capables de dire que leur cause est juste et à défendre leurs idéaux. De sombres crétins selon moi.

- Chaque membre porte sur lui en permanence un petit flacon dans lequel se trouve un poison très puissant : le "Libérateur".
- Etrange... Je n'en ai pas trouvé sur les deux que nous avons interrogé...

   Elizabeth me regarde alors d'un air suspicieux et je la fixe, bouche bée et plus innocent que je ne l'ai jamais été.

- C'est... C'est parce que je les ai récupérés.

   Nous nous tournons vers Teddy Useless. Celui-ci nous dévisage en se triturant les doigts. Il finit par cesser pour sortir de sous sa veste un petit tube de verre rempli d'un liquide couleur ivoire.

- J'ai fait ça par respect pour mes anciens partenaires : les secrets de la Cabale devaient être préservés... D-désolé.

   L'albinos semble se détendre. Je souffle un coup, content d'avoir échappé à de terribles accusations. De là à dire que j'ai eu peur... Peut-être pas. Mais il faut avouer que depuis quelques temps ma fierté, mes  compétences et mon sang-froid sont mis à rude épreuve.
    Le Guide hausse les épaules et invite ses hommes à s'activer. Nous suivons donc le groupe tout entier afin de quitter cet endroit avant l'arrivée des soldats.
    C'est au moment où je passe par une trappe planquée dans un faux plafond que j'entends plus loin le bruit d'une porte qu'on fait sortir de ses gonds.
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L’enquêtrice fut la première à soulever l’épaisse dalle en fer qui fermait le conduit menant aux égouts. Les mains définitivement salies, elle rouspétait désormais allégrement en s’époussetant tant bien que mal. Des fois la poussière n’était rien comparée aux tâches puantes qu’elle n’osait même pas frotter.
 
« - Cet ensemble est bon pour aller à la poubelle… Tout le monde est là ? »
 
Depuis un moment désormais, leur route et celle de la guilde s’étaient séparées. De toute manière, les multiples issues et la pagaille volontaire dans les rangs des fidèles avaient favorisé la dispersion. C’avait même été l’un des premiers ordres du guide, sitôt la première porte passée.
 
La Marine n’était plus très loin derrière, lorsqu’ils s’étaient enfuis. Ils avaient pu entendre leurs cris et le bois de la porte de se défoncer, tandis que les traîtres gisaient, parfois morts, parfois inconscients ou mutilés, sur le sol. C’était en définitive une sorte de cadeau fait au Commandant pour être parvenu aussi loin.
 
« - Je ne pense pas qu’il soit très sage d’aller rendre une petite visite à la garnison maintenant.
 
- Pourquoi ? On aurait quelque chose à se reprocher ? Je crois plutôt le contraire : on a des suspects qui viennent d’être capturés et des victimes prêtes à témoigner. Sans compter le prisonnier envoyé plus tôt. C’est pas le moment pour se débiner.
 
- Ouep. Mais les feux des projecteurs, ç’a jamais été trop mon fort… grommela Silverbreath, la main perdue dans ses cheveux grossièrement ébouriffés, gardés fixés par une épaisse couche de saleté qu’il ne découvrit qu’après coup.
 
- Et si vous me le permettez, je crois que je vais m’arrêter ici. Je vous suis reconnaissant pour avoir mis un point d’orgue à toute cette histoire, mais je crois que je peux enfin me reposer et reprendre le cours de ma vie. »
 
Comme d’un bloc, les deux enquêteurs se tournèrent soudainement vers le pauvre Teddy qu’ils avaient définitivement tendance à oublier un peu trop facilement. Enfin, pour Annabella c’était une évidence, mais Dorian avait encore des comptes à régler avec son client, qu’il ne se priva donc pas d’accompagner dans un geste de son bras droit vers un coin de la ruelle dans laquelle ils avaient surgi.
 
Profitant de ce moment de solitude, Anna découvrit alors son escargophone avec lequel elle joignit son acolyte.
 
« - Swee… Butterfly ? Bon sang, où êtes-vous, voilà des heures que je n’ai plus eu de nouvelles !
 
- Excusez-moi, mère, ça capte mal sous terre. L’affaire est réglée, on rend notre bilan au Commandant. Tu es toujours là-bas comme je te l’ai demandé ?
 
- Je n’ai pas bougé, soupira la subalterne de l’autre côté du combiné. Heureusement qu’ils ont une machine à café, mon cerveau supporte très mal les nuits blanches et vous le savez très bien.
 
- C’est bon, si tu te rappelles de mes ordres c’est que ta mémoire se porte à merveille. Reste là, on ne va pas tarder à arriver. Et le Commandant aussi.
 
- C’est comme si c’était fait…
 
- Gotcha. »
 
***
 
La suite du plan s’était avérée aussi simple que l’agente l’avait expliqué plus tôt. Passant par l’appartement sinistré du pauvre Uriel, ils avaient interrompu ce-dernier, foncièrement occupé à littéralement ramasser les pots cassés, en lui demandant de les suivre. Reconnaissant envers ses sauveurs et soucieux d’en finir avec ses agresseurs, l’ex de la Cabale n’avait pas fait de vagues. Sans souci, ils s’étaient alors finalement rendus jusqu’à la base, pratiquement dans les mêmes temps que le Commandant Baresta, de retour d’une mission à demi-fructueuse.
 
« - Je l’aurai un jour, je l’aurai.
 
- Je vous ai connu plus original dans vos références, mon Commandant, souffla son adjudante tout en se passant le dos de la main sur sa fine barbe, en gestes frénétiques.
 
- Commandant Baresta, l’enquêtrice Elizabeth Butterfly vient d’arriver, elle demande à vous voir de toute urgence au sujet de l’affaire de la Cabale.
 
- Ah, faites-la entrer ! Cette histoire a beau se finir en queue de poisson, il n’en reste pas moins qu’elle est bouclée et en grande partie grâce à elle. Au moins, nous avons des membres de la Cabale à nous mettre sous la dent…
 
- Des traîtres de la Cabale, vous voulez dire. »
 
Suivie de son dictionnaire sur pattes et de Silverbreath qui ne se sentait définitivement pas à l’aise, l’enquêtrice avait surpris son interlocuteur en s’immisçant spontanément dans sa conversation avec son subordonné. Chose principalement due à leur manque de vigilance : en effet, le bataillon saisi par le Commandant avait tout juste fini de se disperser lorsque la blonde était entrée dans la cour intérieure.
 
« - Traîtres ou pas, il n’en reste pas moins que ces gens sont des meurtriers.
 
- Je ne vous le fais pas dire, je vous ai d’ailleurs amené la victime du guet-apens tendu par le prisonnier qu’Angelica vous a livré cette nuit, pour qu’elle puisse témoigner.
 
- Cette jeune femme dit vrai, sans elle et son compagnon je ne serais peut-être plus en vie…
 
- Avec un peu d’exercice, je suis sûr que celui-là n’hésitera pas à identifier chacun des prisonniers que vous avez fait durant votre descente. Cette fois-ci, ce n’est pas la Cabale la coupable, Commandant Baresta.
 
- Diantre, vous êtes bien une rabat-joie, aucun doute là-dessus… Mais soit, je vais tirer tout ça au clair dans les prochains jours. » conclut l’officier tout en tournant les talons, suivi par son fidèle travesti et Uriel. Leur rôle dans tout cela touchait enfin à leur fin, même s’il fallait déléguer la suite de l’affaire à ces incompétents de la Marine.
 
S’il ne tenait qu’à Anna, elle était tout à fait en capacité de retrouver la Cabale et y mettre définitivement un terme, mais ces dernières péripéties avaient amplement suffit. Elle n’était pas femme à abuser de ce genre de sports. Ce fût donc sans mot supplémentaire qu’elle fit demi-tour et passa une dernière fois la porte de la base d’Inari pour retourner à l’hôtel se faire une toilette. Elle comptait bien terminer son séjour paisiblement, à la terrasse d’un café, dans des vêtements propres, sans qu’aucun moine ou prêtre ne fût lapidé sur la place publique.
 
Peut-être en demandait-elle trop.
 
« - Bon, eh bien, je crois que nos chemins vont devoir se séparer, Miss Butterfly. Comme je disais là-dessous : un plaisir de bosser avec vous.
 
- Oh, déjà ? Je pensais que vous viendriez au moins partager un dernier café ce soir avec nous. Vous êtes un homme perspicace, malgré tous les défauts que l’on peut vous imputer monsieur Silverbreath. Nous partageons cependant des capacités en commun… Un tel élément me serait précieux au sein de mon entreprise. » conclut la jeune femme avant de se mettre à fouiller frénétiquement dans son manteau pour enfin en sortir un petit carton noir. Y figurait dessus, en lettres cursives dorées : Cabinet des Investigateurs Associés.
 
« - C’est une invitation que vous me faites ?
 
- Eh bien… m’arrive-t-il des fois de faire des compliments en l’air ? Alors, serez-vous là ou dois-je compter sur votre absence ?
 
- Je serai là. »
 

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