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L'acier et la pierre

Très proche de la Nouvelle Ohara, un peu loin quand même,
Un navire du Gouvernement Mondial.


L'Agent Delta rumine, repense, revisite, réexamine, reconsidère et encore d'autres synonymes dans sa tête fumante. Accoudé à son bureau, il réfléchit portant à ses lèvres un cigare de l'avant-guerre, fabrication personnelle. Il le mâche et se rabâche les mauvaises décisions prises dans sa maigre vie, néanmoins bien remplie d'Agent du Cipher Pol 2.

- Ai-je fait une erreur de jugement ?

Se dit-il en faisant craquer sa main gauche, serrant le poing, martelant le bureau d'un puissant coup à en faire trembler la bâtisse. Il espère que la mission d'Idir Souman a rencontré franc succès et ose considérer sa future position et les remerciements habituels, mais il sait pertinemment qu'il ne recevra rien pour tout ce travail accompli, car...

Car, il a merdé sévère.


Un homme en uniforme enclenche la porte de son bureau marin.

- Monsieur Blue, deux silhouettes sont approches, il semble qu'il s'agit de notre agent et la civile.
- Très bien, Mr Simterre, assurez-vous de leur bonne compagnie.
- Monsieur Blue... Dit-il d'un ton hésitant...
- Oui ? Quoi d'autres ?
- Cœur d'Acier est là. Frémit-il en s'évanouissant.
- ...

Une expression liée à la terreur, le choc mais un sang-froid sans pareil se dessine sur le visage de l'Agent Delta, Alias Mister Blue. Au même moment, Amnis et son sauveur embarque sur le bateau sans connaître la situation, tout ce qu'il importe, c'est la sécurité de la civile se réconforte Idir et pour Amnis ? Quel sentiment la noie ?

Noyée par le chagrin, la trahison et le fait de ne jamais pouvoir revoir Lili, son amie de toujours. Triste d'être prise pour une cruche, insensible sans la moindre considération. Trahie par Demoiselle Pasca, dont elle a récemment découvert le vrai visage, méfiante du monde. Le vrai ! Pas la romance qu'elle retrouve dans ses lectures.

Et quand elle pose pied sur le plancher, elle est bouleversée. Des hommes pouvant voler... Des agents du gouvernements... L'ensemble de ses pensées sont déstructurées, elle suit les traces velours sans se questionner du jeune Idir. Elle a confiance en lui, mais à la fois non. Elle croise le regard d'une jeune femme, n'y apprête aucune attention et continue son chemin vers la cabine de l'Ordre.

Vers le désespoir naissant.
Où se trouve la salvation ?
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« - Rappelle-moi ce que l’on fait ici déjà ? »

C’était un assez grand navire, un croiseur aurait-elle juré. Elle n’y avait pas trop prêté attention : l’embarquement s’était fait à la hâte depuis le petit bateau de commerce sur lequel elle faisait la traversée. Direction Ohara, l’île des bouquins et de l’histoire pour le bon plaisir d’Angelica. Là aussi, Anna avait demandé pourquoi elles y allaient, car la directrice ne comprenait pas grand-chose de l’importance des livres ou de la culture.  Toutefois le voyage s’était rapidement vu interrompu, sitôt les deux jeunes femmes arrivées en mer.

Non loin des côtes Ohariennes, en fait.

« - C’est vous qui devriez le savoir, vous avez reçu un appel d’Alvaro non ?

- Oui, mais je n’ai pas spécialement compris de quoi il était question. Il a parlé de ponéglyphes, je sais que c’est plus ou moins notre rayon mais…

- Une chose est sûre, c’est qu'on va bientôt le savoir. »

Les deux jeunes femmes déambulaient désormais sur le pont du navire où elles s’échangeaient des interrogations sur les raisons de leur présence. A mieux y réfléchir, les informations données par le coordinateur étaient, de toute manière, assez vagues et éparses. Tout cela se basait sur une histoire d’infiltration à bord d’un navire d’aristocrates qui, lui aussi, se rendait jusqu’à Ohara. Mais la traversée s’était vue interrompue suite à l’arrestation d’une civile suspectée de détenir le précieux document. Document qui désormais devait être entre les mains du responsable, à bord, et prêt à être transmis à la plus haute autorité présente dans les environs… Annabella.

« - Je n’aime pas trop lorsque des civils sont concernés, on est obligés d’apparaître sous notre véritable jour. Pas de couverture, je me dois de décliner mon identité.

- Il est possible que cette jeune femme ne revoie jamais le jour, c’est un risque nécessaire. Vous n’êtes pas obligée de lui donner votre nom.

- Et j’espère bien qu’il en sera de même pour les autres agents à bord. Les pingres du CP2 ont beau avoir le nez fin et les narines bien larges, ils ont aussi la langue assez bien pendue. » conclut Anna tout en dévisageant une jeune femme à la toison aussi immaculée que la sienne, mais des vêtements autrement plus nobles que son apparat.

Troquant le cache œil et le manteau rouge pour une tenue sombre et moulante, la directrice du CP9 affirmait ses formes comme toujours, malgré ses préoccupations quant à la taille de sa poitrine récemment modifiée. Ses bras étaient donc fréquemment croisés, les doigts de sa main gauche tapotant sur son biceps droit comme si elle attendait un événement. Le temps n’étant pas forcément au beau fixe, elle revêtait donc par-dessus sa combinaison un trench-coat noir.

« - M’est avis que l’on va bientôt y aller, annonça l’agente qui prévoyait l’imminence de l’arrivée d’un agent, venu pour les réceptionner. Par cette porte-là.

- Je déteste lorsque vous faites ça. »

Et effectivement, dix secondes plus tard, la porte menant aux quartiers de l’équipage s’ouvrit soudainement pour dévoiler un homme à la stature droite mais au visage légèrement détraqué. Son front semblait luire à présent.

« - Ah, Miss…

- Pas de noms s’il-vous-plaît, nous sommes en la présence de civils. Je vous serai grès de faire preuve d’anonymat lors des échanges qui pourront se dérouler à ce bord. »

Première bourde, le pauvre homme se grignota la lèvre inférieure par réflexe avant de se rendre compte du langage corporel qui le trahissait incroyablement. Sa première ligne de dialogue venait d’être détruite, sa crédibilité au fond du trou.

« - Cela va de soi... Madame la directrice ? Vous pouvez m’appeler Mister Blue. Vous savez pourquoi vous êtes là n’est-ce pas ? »

Pas vraiment, mais elle ne pouvait pas se permettre d’avoir l’air d’une conne, à vrai dire. Elle devait juste récupérer un document, elle se fichait de ce qui gravitait autour. Ce pourquoi elle s’avança vers le jeune homme.

« - Je sais que vous interrompez mes vacances avec vos sottises, alors ne me faites pas attendre plus longtemps. Le… parchemin, s’il-vous-plaît, vous l’avez ?

- Haha… Et bien figurez-vous que… »

Les yeux de la blonde se rétrécirent soudainement, sous le regard inquiet de sa subordonnée. Celle-ci savait tout aussi bien que sa supérieure ce que signifiaient les phrases qui commençaient par « eh bien figurez-vous que… ». Peut-être était-ce cliché, peut-être était-ce un travers dans lequel les gens maladroits avaient le don de tomber ?

Le poing de la directrice se referma subitement, comme son visage.

« - Donc vous ne l’avez pas ? s’aventura Angelica, d’un ton à la fois dur et innocent ; elle n’avait aucune idée de comment elle s’y était prise. Vous nous avez faites nous déplacer pour de la poudre de perlimpinpin ? Figurez-vous que nous avons des livres à étudier à Ohara monsieur Blue, des sujets très importants à explorer ! »

Cette dernière déclaration provoqua rapidement la déconstruction faciale de la directrice qui, soudainement, comprit la chance qu’elle avait dans son malheur. Une affaire, au moins, qui lui permettrait de se soustraire à ce voyage long et inutile. Elle était pertinemment sûre de passer son temps, une fois arrivée à Ohara, à la taverne. Un peu d’exercice ne pouvait donc lui faire que du bien, au détriment de son acolyte.

« - Hum… Je suis désolé, je comprends bien, mais nous avons été doublés. Nous pensions l’avoir en notre possession mais il s’agissait d’un faux, toutefois nous gardons la prisonnière qui, nous pensons, fait partie de cette machination. »

Doublé ? C’était quelque chose d’assez rare chez le Cipher Pol, toutefois Annabella se rappelait de certaines missions chaotiques au sein du CP8. Elle prit donc du recul pour pouvoir accepter l’échec des incompétents qu’on lui avait flanqué dans les bras et aller de l’avant.

« - Et cette prisonnière, où se trouve-t-elle désormais ? J’aimerais bien lui toucher deux mots… »

Angelica connaissait bien ce regard à présent, après toutes les aventures et enquêtes passées aux côtés de sa supérieure, mais Blue lui ne savait pas dans quoi il venait de s’engager.

Le décompte était lancé, Anna allait résoudre cette affaire et récupérer ce fichu parchemin, même si elle devait se salir les mains.
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Un homme raconte à une femme ce qu'est la tragédie. Il la regarde de ses yeux clairs et l'invite dans une vision chaotique au fil de son récit. Quand la femme demande à l'homme si ce dernier a connu la tragédie, il rétorque : Je t'ai épousé.

En rien, la protagoniste aurait cru se défiler devant le couple Pasca, le point de départ de cette situation dans laquelle s'est embarquée Amnis malgré elle. Elle se fige littéralement à l'approche des pas, laissant un bruit cafardeux pendant qu'Idir finit de l'attacher sur la chaise, mais lui laisse la liberté aux bras. Elle passe du statut de civile sauvée à prisonnière en quelques mots de l'Agent Delta.

La blonde aux cheveux tressées ressent de la peur. Ce sentiment qui vous poursuit dans les mauvais rêves, ce regard fuyant l'adversité, la chair qui tremble et vos lèvres glacées par le froid de la rencontre.

Une rencontre inévitable.

- Laissez-moi partir Idir, vous êtes bon, vous n'êtes pas obligé !
- Je ne peux pas, mademoiselle. Soupire longuement Idir.
- Je suis votre prisonnière ? Qui êtes-vous ? Comment avez vous fait pour voler ? ...

Des questions, trop ! Pas assez pour le jeune Idir, sbire du Cipher Pol de se laisser le temps de soupirer.

***


L'agent Blue conduit la célèbre Annabella Sweetsong, Alias Madame la directrice vers le lieu où l'on retient Amnis D Oliofingunt. Les bruits de pas s'approchent de plus en plus et notre civile implore Idir de la relâcher, car dans l'innocence, elle n'a été au final qu'un dommage collatéral brûlant au firmament.

Trop tard... La porte s'ouvre et les rayons de soleil aveuglent la prisonnière. Quand le jet de lumière finit par se dissiper, elle aperçoit trois silhouettes. Un homme et deux femmes. L'une d'elles serre le poing machinalement, un réflexe de dur à cuir ?

Delta se rapproche et lui demande son nom. Ce à quoi notre jeune bibliothécaire rétorque ;

- Amnis Tea

Elle a dû lire ça dans un roman policier, ne jamais divulguer sa vraie identité, une connerie dans le genre lorsqu'un interrogatoire est de mise. Ça vaut pour les deux parties. La confiance devra se gagner dans les deux camps. Après tout, la couleur orange n'apparaît pas au milieu de sa figure, on pourrait croire qu'elle est une pirate, ou pire révolutionnaire.

Delta regarde son subordonné et recherche la vérité dans ses pupilles. Elle semble vrai et continue à mener l'enquête en laissant traîner quelques indices dans ses erreurs de formulation. Menant peu à peu Amnis dans la lumière et quand l'éclat est au zénith, elle distingue la femme au poing d'acier, le regard d'une psychopathe, aucune compassion dans les prunelles de ''Madame la directrice''

La femme au trench-coat noir s'approche...

La captive reste de marbre, ne laisse transparaître aucune peur face à l'adversité. Elle fait preuve de courage et rétorque par ses mots.

'' - Je n'ai pas votre parchemin ! Tout ce que je sais, c'est que dame Pasca devrait être là à ma place ! Vous me retenez prisonnière, sans procès, des brutes, voilà ce que vous êtes ! ''

''- Tout ce que je sais, c'est qu'un instant, j'étais l'invitée du navire marchand qui me menait vers Ohara et maintenant me voilà dans l'embarras parce que j'ai fait confiance aux mauvaises personnes. ''

''- Je me répète, je n'ai pas votre parchemin !''

''- Tout ce que j'ai, c'est la lettre de Lili''



- Vous voulez dire, cette lettre ?

Tend l'Agent Delta à Amnis...

Ses yeux s'écarquillent... Comment, il a pu... Et voilà que la jeune femme fouille à l'intérieur de son corset et en retire un parchemin à l'identique, mais des symboles bizarres étaient imprimés sur le papier.




Dans la petite ville d'Ohara,
une auberge assez correcte.

L'équipage de Mr Pasca célèbre sa venue à Ohara dans une mini-aventure à la course contre la montre. Ils savourent les délices d'une bière de Kage Berg, qui l'aurait-cru. Encore insouciants de l'avenir et du passé, sauf un jeune intrépide du nom de Perlimpinpin. D'un coup, surprenant l'assemblée, il éternue à en faire trembler les murs de la bâtisse.

- Oh ! Perlimpinpin ! Tu as peut-être sauvé le mât, mais tu nous sauveras pas de ce taudis avec ce que tu nous fais là.
- Ah ! Ah ! Désolé, c'est le rhume des fois.
- Le rhume des foins, tu veux dire.
- Peut-être qu'une jolie femme pas loin de cette insalubrité à prononcer son nom.
- Ouais, cause toujours.

Et les rires fusent sans se soucier du regard inquiet que porte Perlimpinpin.
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Une curieuse petite femme qui n’avait fichtrement aucune idée de ce qu’elle fichait là, voilà la vérité. Comme à son habitude, Blue affichait un expression d’une naïveté sans équivalent, tandis que la blonde dévoilait un curieux parchemin, bien plus curieux que la lettre que possédait l’agent qui lui faisait face.

Elle l’avait sur elle… depuis le début. Voilà qui simplifiait considérablement l’affaire de la directrice qui observait désormais le responsable du CP2 avec un regard bien plus consternant. Bien plus pénétrant. L’homme butta plusieurs longues secondes sur ses mots avant de pouvoir enfin placer une phrase.

« - Vous ne l’aviez pas fouillée ?

- J-je… N-nous ne…

- Vous ne fouillez pas les prisonniers ? Voilà des façons de faire dignes du CP2, tiens ! rit jaune l’albinos en saisissant le papier que tenait l’otage d’un geste vif de la main avant de l’assassiner des pupilles. Nous n’en avons pas fini avec vous toutefois, je veux savoir le fin mot de toute cette histoire. Comment êtes-vous entrée en possession de ce document ? Qui est cette Dame Pasca ? »

La jeune femme aux cheveux noués en tresse n’était pas une bavarde, mais son visage communiquait bien des expressions telles que la peur et surtout l’incompréhension. Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle faisait ici, ni de qui étaient ces gens qui l’entouraient. Et cette question obsessionnelle qu’elle posait de façon récurrente : « comment avez-vous fait pour voler ? », elle ne présageait pas de bon augure pour la directrice qui n’aimait pas trop les civils curieux.

Toutefois, avec une délicatesse impressionnante et ce tout le long de l’interrogatoire, l’unique témoin de l’affaire parvint à dévoiler les éléments qui comblaient les dernières zones d’ombre. Jamais n’avaient été introduits les Pasca dans le scénario qu’on lui avait présenté et il s’agissait désormais, si ce que disait la prisonnière était vrai, d’individus dangereux qui devaient être stoppés. Mais c’était une parole qu’il fallait remettre en doute, au vu de la situation : si l’enquête devait se poursuivre sur le terrain, c’était en conservant l’informatrice à portée de main.

L’interrogatoire s’était passé en douceur : à vrai dire, jamais Anna n’avait réalisé d’interrogatoire aussi pacifique, aussi calme. La dénommée Amnis dégageait une impression de plénitude comme l’agente n’en avait jamais ressentie.

« - Nous nous dirigeons désormais vers Ohara avec les informations que vous nous avez données. Vous allez nous suivre jusqu’à ce que la situation soit régularisée. Si cette Dame Pasca dont vous nous avez parlée est vraiment derrière cette histoire, nous allons nous en assurer. rassura Anna tout en dénouant les liens qui retenaient Amnis prisonnière de sa chaise ; elle pouvait désormais se lever avec, en aide, l’étau de la main de l’agente autour du bras pour la presser de le faire. Suivez-nous sans faire d’histoires et tout se passera bien, sinon… »

Il était évident qu’il ne fallait pas rigoler avec une personne adoptant le ton qu’Annabella était capable d’adopter dans ce genre de situations. C’était une promesse de faire vivre un sale quart d’heure à la blondinette si jamais il lui prenait l’envie de s’évader, voire même de s’éloigner un peu trop.

Tandis que les trois jeunes femmes continuaient leur route vers la sortie de la petite salle à présent, Mister Blue trouva le moyen de protester.

« - Madame, attendez, vous…

- Agent Blue, vous ne faites pas partie de la mission. Je tiens à vous le dire maintenant si ça ne vous paraissait pas déjà évident. Je peux me charger de cette affaire moi-même, au moins nous n’aurons pas à perdre plus de temps. Vous comme moi.

- Et moi. Nous allons à la Nouvelle Ohara, donc ?

- Il semblerait, c’est temporaire. Nous y reviendrons pour vos vacances lorsque tout cela sera réglé. Et ne me regardez pas avec votre tête de chien battu, je sais que vous cachez encore des livres dans vos poches. Et votre sac ne doit pas être trop… »

« Blom » fit alors la masse sombre du gigantesque paquet de bouquins que se trimballait la brunette. Elle semblait capable de le matérialiser spontanément, comme par magie.

« - Je le conserve toujours à portée de main, en effet. Mais si je tiens tant à aller à Ohara, c’est aussi car je crois avoir fait le tour de toutes mes lectures… »

Annabella soupira, tandis que l'escorte débouchait finalement à l’air libre, face au soleil qui illuminait le ciel et rebondissait sur la mer de la même façon. Malgré la beauté du temps, il faisait un froid de canard, qui obligea la cyborg à resserrer davantage sa veste sur ses épaules. Le réalisme de ses nombreuses greffes était parfois tellement criant qu’elle en était parvenue à ressentir les températures de façon exagérée, sans jamais attraper froid.

L’île approchait désormais à une vitesse incroyable, laissant dessiner non loin de ses côtes la silhouette abandonnée d’un voilier qui avait, vraisemblablement, connu une récente tempête. Mais comme disait le dicton : après la pluie, le beau temps. Soucieuse de savoir quand elle arriverait à destination, Anna alpagua l’un des marins s’échinant à hisser les voiles sur le pont principal.

« - À combien de miles marins de la côte sommes-nous, matelot ?

- Environ deux, m’dame. Nous y serons dans une quinzaine de minutes. »

La jeune femme acquiesça puis se retourna vers son invitée, qui observait désormais le lointain avec le regard d’une statue antique. L’inconsciente semblait taillée dans le marbre, car Anna dut se rendre à l’évidence : en plus d’être dotée d’un calme olympien, elle était terriblement belle. Belle de pureté. Remarquant que la directrice du CP9 la dévisageait, celle-ci cligna finalement des yeux pour revenir à la vie avant de détourner le regard, intimidée par cette femme aux cheveux blancs qui ne semblait pas humaine. Et elle avait raison, ce qui fit un pincement au cœur à l’agente en lui rappelant sa condition de monstre bien loin du commun des mortels.

Elle essaya alors d’être vaguement humaine, sourit et avoua :

« - Nous ne volons pas, jeune fille, nous marchons dans les airs. »
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Existe-il une différence entre voler et marcher dans les airs ? L'oiseau qui passe au dessus du mât pourrait dire le contraire, mais les oiseaux ne parlent pas dans ce coin du monde. Et dans l'inconscience commune à la mouette qui plane, elle regarde cette lueur dans les yeux de la directrice. "J'ai la tête en vrac que se dit Amnis.''

Le bout de parchemin qu'avait donné Amnis à la directrice n'est qu'un brouillon griffonné quelques temps avant sur le navire marchand du capitaine Emrys. L'original est bien caché dans un recoin de sa tête, elle a compris la dangerosité de cette affaire au moment où Dame Pasca l'a invité à boire le thé. Alors, elle s'est rappelée une histoire similaire de sa ville natale.


Flashback discussion, l'an 1625 au Royaume de Bliss
Entre Jeysper et Amnis.


- Tu devrais ne jamais oublier cette histoire. Indique d'une voix claire, le vieux Jeysper.
- Tu devrais toujours te rappeler qui je suis. Éclaire la jeune femme de sa voix rauque.  
- C'est la dernière fois que je te surprends avec une cigarette à la main !
- T'es pas mon père, Jeysper ! Ne t'avise plus de me filer un sermon !
- On va crier comme des bêtes jusqu'au petit matin où quoi ?
- Je préfère quoi et toi ?
- Tu te fous de ma gueule.
- Et la politesse ?
- Excusez-moi, vous vous foutez de ma gueule.
- Je le répète, je n'ai pas volé ce livre qui parle de ton passé.
- Tu veux dire, mon journal intime.
- Rien d'intime dans le fait de décrire une histoire de trahison entre Isabelle et toi.
- Donc, tu l'as lu ! Rends-le moi, vite !
- Rends-moi mes clopes.
- Echange de bon procédé.
- Trop procéduriers pour moi.
- Imagine si t'avais affaire avec des agents du gouvernement, comme Isabelle.
- Tu la coinces dans un coin et tu l'embrasses ?
- Non ! Non ! Fichtre mémoire ! Tu devrais oublier cette histoire !
- Je te rappelle que je suis Amnis D Oliofingunt
- Oui ! Oui ! Isabelle était belle, brune, avec des formes...
- Accouche le vieux !
- Elle n'a jamais eu le cœur sur la main, comme tout les agents. Tu te méfieras d'eux à l'avenir, ne leur révèle ni ton vrai nom et ne leur donne jamais rien qui a de la valeur.
- Et qu'était le vrai nom d'Elisabeth ?
- Kaytleen Opale Astroid
- C'est moche.
- Pas plus moche qu'Amnis D Oliofingunt
- Tu marques un point et elle avait quelque chose de particuliers pour que tu tombes amoureux d'elle à un point de ternir ta carrière ?
- Elle avait un tatouage, deux plumes sur le poignet gauche, très discret, de grands yeux et la manie de finir ses phrases par des mots simples, sans réel sens à ses phrases.
- C'est l'heure de l'ouverture.
- Ah oui ! Nous sommes en retard, dépêchons !

...

Retour sur le navire du gouvernement.

La femme aux cheveux blancs l'extirpe de ses pensées. A travers ses souvenirs, nous comprenons que l'Agent double Pourpre Pasca, la responsable de ce récit invraisemblable n'est qu'Elisabeth de l'époque Jeysper. Ce dernier est aujourd'hui, un gérant bibliothécaire à la retraite. Mais ces détails qui se chevauchent à travers la lecture ne vous intéressent pas. Ce qui pourrait vous captiver, c'est la prochaine relation entre nos deux protagonistes. Annabella Sweetsong et Amnis ''Tea''. Est-ce que le mensonge bien dissimulé de l'innocente finira par éclater au grand jour ? Elle ne peut duper les grands de ce monde, n'est-ce pas ?


Notre civile feint une douleur au bras gauche avant de s'écrouler sur le plancher. Elle toussote et des gouttes de sang perlent. Est-ce vraiment une simulation ?


- ''Je ne souhaite pas affronter Lady Pasca, elle est trop forte pour vous et moi...''
Kof Kof

Amnis a bien remarqué l'étrange comportement de l'acolyte, celle qui fait sortir les bouquins de nulle part. Une bibliothèque ambulante ? Elle ne pose aucune question à ce sujet, souhaite se concentrer sur la manière de s'éloigner du danger.

Et le temps a ses manières que l'homme ne pourrait comprendre. L'agent Blue a subit une descente aux enfers, sa prestance s'est évanouie, laissant place à la jeunesse. Idir Souman n'est pas comme les autres. Il  est souciant. Le paresseux s'approche de la belle et lui tend un mouchoir au motif d'un trèfle à cinq feuilles.


- ''Elle n'est qu'un dommage collatéral dans ce bazar du Cipher Pol. Emmenez avec vous notre informatrice clé au risque de la perdre en cours de route, qu'allez-vous dire dans votre rapport ? Vous avez le chic du Nine, chez les Dos, on ne se méprend pas avec les dommages. Mon chef peut vous sembler inefficace, mais c'est le meilleur de sa juridiction. Se rendre à la nouvelle Ohara avec elle, c'est mission suicide squad avec un joker en tête d'affiche.''

Exprime longuement Idir sans un soupir...

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« - Hum…

- Madame, nous n’allons pas tarder à accoster. »

Pendant que la directrice demeurait plongée dans ses pensées, la côte s’était considérablement rapprochée laissant désormais apparaître ses longs bancs de sables et ses plages luisant sous les rayonnements du soleil. En comparaison de l’expression macabre qui meurtrissait le visage opalin de la jeune femme, la météo était beaucoup trop clémente.

Faisant semblant d’ignorer l’indication du matelot qui, visiblement, n’était pas insensible à ses charmes, elle s’avança alors vers la prisonnière et la releva, sans compassion, d’une puissante traction de l’épaule.

« - Vous venez avec nous. Toujours. Nous n’allons pas tarder à mettre pied à terre. Vous demeurez notre principal suspect et je peux vous affirmer qu’en ma présence, les chances que vous vous échappiez vivante sont très moindres. » expliqua l’agente d’un ton neutre, avant de se retourner vers le prince charmant qui s’était fendu d’un mouchoir, confié à la jeune femme pour soigner son saignement.

C’était louable, mais elle n’en avait rien à faire. La santé de la civile n’était pas une préoccupation majeure dans l’intérêt de la mission. Tant qu’elle pouvait marcher et parler…

« - Agent, je ne crois pas vous avoir demandé votre avis. Je suis celle qui prend les décisions ici, c’est pour cela que l’on m’a faite me déplacer. Maintenant osez contredire une fois de plus mes ordres et votre place ne sera plus au sein du Cipher Pol, ça je peux vous l’affirmer. »

L’homme eut quelques difficultés à avaler la boule de salive qui s’était vraisemblablement formée dans sa gorge. Peu de monde était toutefois au courant qu’il s’agissait là de l’une des premières fois que la jeune femme jouait de son titre, comme précédemment avec Blue. Angelica l’avait déjà vue aussi odieuse, mais c’était quelque chose d’assez naturel chez Anna. Sa nouvelle position ne faisait visiblement qu’appuyer ce besoin d’autorité qu’elle exprimait sans grande difficulté. Il ne restait plus qu’à espérer que Sloan O’Murphy serait le prochain.

« - Bien madame, oui madame, se fendit le pauvre homme blafard mais toujours animé d’une lueur de courage. Alors laissez-moi juste m’assurer de sa sécurité à vos côtés.

- Permission accordée. Agente Rain, pouvez-vous vous assurer de la préparation des canots ? Je ne tiens pas à moisir ici plus longtemps, nous avons déjà perdu trop de temps… »

L’ordre était pour Angelica. C’était la première fois qu’Annabella utilisait son surnom, toutefois son utilisation s’était révélée efficace : particulièrement fière de son pseudonyme, l’agente s’était directement mise au travail au lieu de lambiner comme elle en avait l’habitude. Elle n’avait même pas pris la peine de finir sa lecture en cours.

Après cinq minutes d’attente dans un silence pesant, la brune revînt. Ils allaient enfin pouvoir mettre pied à terre. Les deux jeunes femmes, l’agent du CP2 et leur captive.

***

Le navire n’était pas dans un mauvais état. Il semblait visiblement échoué sur la berge mais était en réalité solidement amarré grâce à une ancre profondément placée dans le sable. C’était car la marée était basse, le navire du couple Pasca avait probablement débarqué il y avait plusieurs heures de cela.

« - Cette île n’est pas incroyablement grande, mais nous ne pouvons pas nous permettre de nous séparer tant que nous ne connaissons pas les motivations de ces individus. Miss Tea, c’est ça ? C’est fou… mais j’ai le pressentiment que vous nous dissimulez encore des informations. Savez-vous ce que sont venus faire les Pasca ici ? N’avez-vous donc aucune idée d’où ils auraient pu aller ?

Lorsqu’elle sondait les pupilles de la jeunette, Anna offrait un assez bon détecteur de mensonge. A coup sûr, celle-ci détournait le regard au bout d’un moment, tandis que les prunelles de la directrice continuaient à la transpercer comme tant de lames acérées. Si Anna n’avait pas encore bien fait passer le message qu’elle pouvait s’avérer dangereuse, dans la mesure où l’on pouvait se moquer d’elle, elle le faisait maintenant. Maintenant, à terre, loin du navire où la pauvre femme pouvait être à l’abri, ici vulnérable à toutes sortes de danger.

Elle était déjà au courant de choses qu’il ne fallait pas savoir, c’était une anomalie qu’Anna aurait  bien pu rayer depuis longtemps. Si en plus de cela elle s’avérait inutile…

Il était temps de parler maintenant, les directives de la directrices attendaient d’être davantage alimentées par des pistes à suivre.

Que faisait-elle ici ?
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Miss Tea n'a pas l'habitude des situations bouleversantes où tout se déroule rapidement. Des actions qui s'enchaînent et des réponses entraînant parfois une mésaventure. Elle n'a pas l'expérience ni l'ancienneté de ces valeureux combattants, dont la mission prime sur la santé du peuple. L'agente Rain éprouve de la compassion dans les maux d'Amnis. Et contrairement à son supérieur hiérarchique qui quémande des explications, elle n'est pas là pour faire figuration de médailles. Que fait-elle ici ?

- ''Miss Tea, je vous parle.'' Résonne le bleu de sa voix sur la jeune Amnis, prise au dépourvue.

La petite serre le poing droit dans un sentiment d'exaspération. Elle a déjà tout dit, presque.

- ''C'est écrit en noir et blanc sur le rapport de votre collègue. Les Pasca sont des marchands, ils ont certainement livré leurs caissons et sont au bar le plus proche du port en train de se désaltérer.''

Et qu'en sait-elle des motivations de chacun ? Elle n'est pas agent du gouvernement et compte tenu l'attitude aggravée et la mine inexploitable de la directrice, ça ne donne rien de bon de postuler chez eux. Elle ne manque pas de tact, malgré sa faiblesse notoire. N'a peur de la mort que la mouette prise dans les filets du maître pêcheur.

Son regard ne perce que la couche protectrice de ses pupilles. Le vert miroitant à la surface de ses prunelles. Et il reste l'éclat imperceptible de la vérité cachée. On a beau être un détecteur sur pattes, les pulsations s'étiolent au fur et à mesure que le temps passe.

Le groupe marche ensemble, mais désunis par les interrogations fréquentes et omniprésentes de la belle ''Sweetsong'' L'on pourrait ressentir la riche terre trembler sous nos pieds, si ce n'est le fracas de la taverne se trouvant à quelques mètres.

- J'aimerai vous faire confiance, Mademoiselle ou Madame la directrice. Directrice autoritaire de je ne sais quel organisation. Oui, j'aimerai tant vous faire confiance et réciproquement, je présume. Mais l'on m'a enseigné bien des valeurs...

Confie Amnis, en chemin vers la taverne, une ville se dessine peu à peu et Miss Tea essaie de faire taire le monstre.

- Dame Pasca se dit être noble, Idir Souman pourra facilement la reconnaître.
-'' Ça oui, nom d'un karma.'' Soupire le jeune garçon aux cheveux ébouriffés
- Elle n'est pas du genre à traîner dans la taverne du port... Elle doit se trouver dans la ville portuaire, dans un hôtel de luxe.


C'est tout ce que sait Amnis, ou presque...

...
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Des villes, des villages, à Ohara il n’y en avait pas des masses. Sans raison apparente, Anna se revêtit alors de l’épaisse capuche de sa veste qui n’échouait absolument pas à couvrir son visage. Et intima sa partenaire de faire de même, sous le regard intrigué du troisième agent. Bousculé, ce-dernier ne savait pas s’il devait faire pareil ou conserver le chef à découvert, ce fut donc Angelica qui répond :

« - A la base nous étions censées venir faire du tourisme ici. Il vaut mieux que nous n’apparaissions pas deux fois de suite en mêlant nos couvertures à cette affaire, n’est-ce pas ?

- Je… je suppose. »

Un hôtel donc… Il y avait bien, pas trop loin, une auberge miteuse avec une belle vue sur l’océan, mais au vu de la description faite de Lady Pasca, cela semblait ne pas coller. Le groupe passa donc devant l’établissement en silence avant d’arriver devant une plus grande bâtisse, un peu moins quelconque, qui indiquait clairement son secteur d’activité.

« - Hôtel du Grand Parisse. Cocasse.

- Prions pour que l’on n’ait pas à en arriver là… » soupira la brune, l’expression soigneusement dissimulée par l’épais bout de tissu qui ne laissait apparaître que la bouche et le bout du nez.

Anna fut la première à pénétrer dans la bâtisse, suivie de près par son acolyte puis par Amnis et finalement l’agent Souman. Ce-dernier accordait un soin particulier à bien se tenir aux côtés de la jeune femme qui avançait en silence, l’air dépassé, le regard perdu dans le vide. Elle rappelait légèrement Angelica, mais dans une toute autre mesure : si Angelica semblait détachée du monde réel par le biais de phases intempestives, leur prisonnière semblait l’être constamment.

La directrice se présenta finalement à la réception de l’hôtel où un homme chauve au regard avenant attendait patiemment que se déroule une interaction classique.

« - Bonjour, c’est pour une réservation ?

- Non. Nous venons voir l’une de vos clientes, Lady Pasca. Pouvez-vous nous indiquer l’emplacement de sa chambre ?

- Je suis désolé, ce genre d’informations… commença l’homme avant de noter, sur la cuisse de son interlocutrice, la présence d’un fourreau avec un poignard fiché dedans. Que venez-vous faire ici ? Vous êtes des pirates ? Vous feriez mieux de partir avant que j’appelle la Marine ! »

Soudainement agité, le vieillard n’avait pas perdu de temps avant de passer aux menaces qui animaient la vie quotidienne des civils, persuadés d’être correctement protégés par les forces armées régulières. C’était faux, bien évidemment, mais dans la mesure où ça profitait au GM, Anna n’avait aucune raison de dévoiler la vérité. Si le groupe d’agents avait bien été un équipage pirate, rien ne les aurait empêché de mettre le village à feu et à sang avant que la Marine ne rappliquât pour faire un constat des morts et essayer de rattraper les forbans. En vain.

En vérité, nombre de bains de sang avaient lieu de cette manière. Mais sur le moment il s’agissait de montrer patte blanche et pour cela il n’y avait pas trente-six façons de faire. La menace, encore et toujours.

« - Appelez la Marine si vous le voulez, nous sommes des agents du gouvernement et serons dans la capacité de vous faire emprisonner pour entrave à l’exercice de la justice. Si votre objectif est de quitter votre hôtel douillet pour croupir dans une cellule jusqu’à la fin de vos jours, continuez dans cette voie. Sinon dites-nous simplement où l’on peut trouver la dénommée Pasca. »

Tandis que les paroles de l’agente se déversaient dans les oreilles du réceptionniste, le visage de ce-dernier était devenu progressivement blême, pratiquement verdâtre. C’était signe de réussite et, cette fois-ci sans faire de manières, il leur confia rapidement le numéro de la chambre où se trouvait sa cliente ainsi que son double des clés. Et tandis que le groupe empruntait l’ascenseur hydraulique, signe de la richesse de l’établissement, Anna put observer le pauvre homme saisir une bouteille de rhum sous son bureau et la déboucher d’un geste vif pour s’en servir un grand verre.

« - Vous devriez arrêter d’effrayer les civils comme ça, Madame la directrice.

- La répression, il n’y a que ça de vrai ma chère Rain.

- Bien des façons de faire du CP9 ça.

- Quelqu’un vous a demandé votre avis, une fois de plus, agent Souman ? Je crois savoir que Mile High recrute des gardes-chiourmes. Vous connaissez Mile High, agent Souman ? »

Menaces, menaces, toujours des menaces. C’était ce qu’était devenue l’agente, au fil du temps : une menace pour ses prochains. Elle vivait à travers cela, c’était sa façon de faire. Et elle se nourrissait abondamment de la frustration et du sentiment d’impuissance qu’elle faisait naître chez ses victimes. A nouveau silencieux mais loin d’être blafard comme son prédécesseur, Idir préféra donc darder un œil inquiet sur sa captive.

Quand l’ascenseur sonna la fin de leur ascension.

C’était au quatrième étage, à savoir le plus élevé de l’hôtel, dans l’une des chambres les plus vastes et les plus confortables, que les Pasca avaient donc élu domicile. Au numéro quarante-trois, dernière des trois suites qui fondaient ce dernier palier.

Rendue devant la porte des intéressés, Anna frappa d’abord et attendit que l’on vienne répondre, quelques secondes, avant d’entreprendre d’ouvrir avec les clés que lui avait confiées le réceptionniste un peu plutôt. Et tandis qu’elle saisissait le trousseau pour déverrouiller la serrure, un cliquetis interrompit son geste en même temps que le battant se rabattait vers l’intérieur, dévoilant une femme d’âge moyen à la chevelure blonde. Et au faciès beaucoup trop peu expressif, presque accueillant même, au vu de la situation.

« - Oh, Miss Tea, je ne m’attendais pas à vous recevoir. Mais qui sont donc ces amis encapuchonnés qui vous accompagnent ? » sourit l’aristocrate en dévisageant tour à tour ses visiteurs avant de reconnaître Idir, en arrière-plan, et perdre un peu de son éclat.

Ne perdant pas plus de temps dans l’échange de civilités, l’albinos découvrit alors son visage à celle qui ne tarderait pas à les accueillir dans sa chambre si elle ne souhaitait ne pas avoir plus d’ennuis. Et d’une voix terne, incolore, énonça le motif de sa visite, sous le regard soudainement inquiet de la noble. « Elle sait qui je suis » pensa alors la directrice, voyant flamber dans les yeux de la quarantenaire une lueur d’horreur.

« - Lady Pasca, nous sommes venus vous interroger à propos de ce document  retrouvé par Miss Tea ici présente sur le navire de votre mari. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous faisiez en possession d’un texte écrit dans le langage de l’Ancien Royaume ? Personne n’est sans savoir que la détention d’un tel objet est susceptible d’être punie d’un emprisonnement à perpétuité voire d’une exécution arbitraire et immédiate.

Le sourire de la femme, d’ores et déjà égratigné, disparut alors soudainement pour laisser apparaître un visage sombre, un vrai visage. Saisissant toutefois le document tendu par l’agente, l’aristocrate ne put s’empêcher de dévoiler un léger rictus, avant de les autoriser à la suivre dans ses appartements d’un geste de la main.

« - Le CP9, si j’avais su que vous étiez sur l’affaire vous aussi… Mais me voilà démasquée. Si vous voulez bien me suivre dans le salon : profitons de l’absence de mon mari pour régler ce malentendu je vous prie. Il me semble que nous ayons beaucoup de détails à évoquer… chantonna presque celle qui semblait avoir du mal à quitter son rôle, avant de retrouver un ton de voix plus noir, plus plat, à la simple vision de la feuille trônant dans sa main. A commencer par cette réplique incomplète et brouillonne que vous venez de me transmettre. Mais par chance, vous avez amené avec vous la voleuse qui doit probablement savoir où se situe le document original. N’est-ce pas, Miss Tea ?
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Un sourire délicat se dessine dans les richesses de la chambre. Et quand résonne la voix du diable déguisé en Brada, le sourire d'Amnis grandit. La fragilité s'efface et laisse peu à peu la place à une force titanesque. Les mots frivoles de Lady Pourpre Pasca sonnent inquiétants pour notre protagoniste. Alors pourquoi ce rictus ? Un courage inexpliqué.

- Jeysper vous embrasse.


- '' Je ne comprends rien de vos sous-entendus d'aristocrates.'' Soupire longuement Idir

- '' Qui a demandé ton avis insignifiant, le bleu ? '' Réplique Annabella d'une voix méprisante.


Un regard noir crayonné sur le visage ferme de Pasca. La réplique ne tardera pas, le silence écrase toute aura. Et dans le flou d'une conversation non-verbale, la consternation générale. La dernière réplique de la bourgeoise a donné le ton. Et quand le peuple fomente le feu colérique d'une Annabella en sueurs, Amnis tempère. Pour unique but de radoucir l'ambiance chaotique où baignent nos personnages.

- ''Comme vous me l'avez dit, chère Kaytleen. Je ne suis pas une roturière. J'ai gardé mes précautions et quand on est une enfant de nobles, il est des manières de se comporter.''

Dit-elle avec dédain et l'Agent Kaytleen répond avec le silence avant de laisser la dite inconnue s'expliquer.

- ''J'ai su dans vos yeux, cette malice. Confiante, mature, il n'est de compliments à votre égard que l'on s'abstient gentiment de vous l'exprimer. Vous savez... Ces amis encapuchonnés, CP9 comme vous le dîtes bien, je ne sais pas à quoi ça rime, mais synonymes d'ennuis pour moi, n'est-ce pas ?''


Le silence devient de plus en plus pesant...

''Le seul vol que j'ai effectué, c'est quand Idir m'a arraché de vos bras, qu'il m'a sauvé de vos liens avant de m'emprisonner et ensuite l'entrée en scène de cette jolie dame et son acolyte à qui vous n'avez pas offert le thé... Ce thé même qui a servi à droguer votre mari et votre propre enfant, dîtes-moi si je ne me trompe... Vous m'accusez encore...''

-'' Paroles, paroles et paroles... Vous vous êtes embringuer dans une situation qui vous dépasse.''


Dit-elle en brisant le silence, intelligemment, avec passion. Délicatement, elle sort une carte dorée de sa manche et la tend à la directrice du CP9. Soudain, elle se déplace d'une vitesse ahurissante vers le jeune Idir Souman, elle lui injecte une seringue sans qu'il ne puisse riposter... R.I.P. ?

-'' Il va s'en dormir dans trois, deux, un... POUF ... Je n'ai pas confiance en ces moins que rien du CP2. Soyez forte, Amins ''Tea'' ou dirais-je D Oliofingunt''

Les yeux de la concernée s'écarquillent, à l'annonce de son vrai nom ou la chute d'Idir ?

- ''Maintenant, nous sommes liés dans le secret gouvernemental et la clé de la réussite de cette mission dépens de votre bonne volonté, Amnis.''

''...''

- ''Pour votre bien, j'espère que vous avez toujours l'original, car de nous deux, vous n'êtes pas la seule à détenir une excellente mémoire.''


Déclare l'Agent avant de braquer une arme à feu sur la tête de la jolie blonde, sous les yeux des deux autres protagonistes.

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Devant ce spectacle, la directrice crispait les poings. Pour une fois qu’on confiait quelque chose en rapport avec les ponéglyphes au CP9… eh bien non. Le CP0 était, une fois de plus, derrière tout cela.

La carte dorée ne fit pas un pli entre les doigts de la jeune femme et se transforma bientôt en une boulette étonnement compacte. On n’avait pas fait appel à elle en tant que tête pensante, mais en tant que pion une fois de plus. Elle pouvait bien se moquer de l’impotence du CP2, sa présence n’en était pas particulièrement plus reluisante.

Et le pauvre agent représentant ce pôle venait, en définitive, d’être sauvagement assommé sans préavis.

« - Doliofiquoi ? est tout ce que parvient à demander la directrice, quelque peu perdue au milieu de cette scène rocambolesque qui se déroule devant ses yeux. Être au CP0 ne vous donne pas le droit de neutraliser un agent, Madame Pasca. »

Quoi que ce n’était pas le nom qui figurait sur la carte, mais probablement une couverture, un nom d’emprunt. Il était bien idiot pour un agent de se balader avec des cartes de visite, Anna elle ne fonctionnait qu’en laissez-passer qu’elle parvenait à obtenir auprès du Bureau. Alvaro avait toujours été très utile et réactif pour cela.

« - Le secret gouvernemental concernait aussi cet homme, à moins qu’il ne joue un rôle dans l’affaire que vous mentionnez ? Lady Pasca… Lady Pourpre hein…

- Toujours moins recherché que Rain.

- On sait que vous aimez bien votre nom de code.

- Disons que ça change du votre. »

Assise dans un coin, la bibliothécaire semblait n’apporter aucun crédit à la scène. Elle détaillait, décrivait et dessinait des yeux les moindres détails sans sembler s’y accrocher, à la manière d’un dessinateur d’audience. Toutefois ses derniers enfantillages avec sa supérieure avaient fini par attirer des regards sur elle. Tantôt inquiets comme celui de la pauvre Amnis, tantôt énervés comme celui de la Pourpre qui semblait prendre les couleurs de son pseudonyme sous le coup de la colère.

« - Vous n’auriez rien perdu à l’endormir, celle-là aussi.

- Ça suffit ! Je vous croyais plus mature que cela, Coeur d’Acier.

- Des ragots j’en ai entendu, mais des comme ça… Pfff !! pouffa la binoclarde tout en se redressant soudainement. Vous parlez d’affaires, de missions comme si nous étions sur la scène d’un théâtre, vos gestes sont grandiloquents mais ne veulent rien dire. Comment ne pas s’amuser de vous, Miss Pourpre ? Vous semblez vous prendre tellement au sérieux à manipuler des éléments qui nous échappent, mais si vous avez la situation en main pourquoi sommes-nous encore là ?

- Vous… Surveillez votre langage, jeune fille !

- Tutut, elle va surveiller rien du tout. Déjà, nous étions plus ou moins censése collaborer avec le CP2 et puis il s’est avéré que… bon… l’exemple est criant de vérité. expliqua l’albinos tout en pointant du pouce l’homme en train de baver sur le sol, plongé dans un profond sommeil. Sauf que maintenant, la présence du CP0 change la donne. Et nous n’avons aucun compte à rendre à l’Inquisition. Si c’était l’autorité que vous cherchiez, vous vous êtes trompée de carrière ma petite dame. »

Ca y était : devant l’impertinence des deux agentes du CP9, la bougresse venait de tourner de l’œil. Quoi qu’il en fût, la dénommée Amnis était leur prisonnière et leur responsabilité. En moins de temps qu’il ne fallut pour dire « poc », Annabella avait de toute façon désarmé l’agente, sans faire la moindre démonstration de force.

Elle chapeautait le CP9 tout de même. Et à défaut d’en être le leader suite à une longue carrière, elle l’était principalement car sa force était déroutante, face à un agent lambda opérant encore dans les blues. Effrayante même, son visage assombri durant la manœuvre, elle coula vers l’intéressée un regard terrible en vidant le magasin du pistolet prestement récupéré.

« - Je suis légalement autorisée à vous mettre aux fers pour avoir porté atteinte à un autre agent. Et j’en ai maté des plus costauds que vous dans le Nouveau Monde, si vous voyez ce que je veux dire, Lady Pasca. »

Ce faisant, l’agente du CP9 récupéra finalement le commandement de cette mission. Et une chose après l’autre, elle se détourna du visage blafard de l’humiliée pour détailler sa victime des yeux. Et tendre une main.

« - Maintenant donnez-moi ce document, Miss Doliochose, si vous ne voulez pas que j’aie recours à la force pour venir le récupérer par moi-même. Car cela fait assez de cachotteries jusqu'à présent, vous ne croyez pas ? »

Le geste de la timide jeune femme avait été quasiment imperceptible, mais n’avait échappé ni au regard d’Anna, ni à celui de sa subalterne : un rapide ajustement des collants, au niveau de la cuisse gauche, au cours des accusations de Lady Pourpre quelques minutes auparavant. Cela pouvait être une coïncidence, une irritation soudaine, mais la blonde platine n’y croyait rien.

Et quelques instants plus tard, la captive profitait d’avoir les mains libres pour finalement dévoiler le  véritable message habilement dissimulé.
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