Le Royaume de Bliss, Port-Gentil ~ 1627
Déjà qu'elle n'était pas très riche, voilà que Lina se retrouvait sans un sou. La jeune femme errait dans les rues de la capitale portuaire. Elle n'avait aucune idée d'où auraient pu aller les bandits. Sa seule satisfaction était d'imaginer leurs têtes en voyant le peu d'argent qu'ils avaient pu amasser en la volant. Elle soupira, lassée de tout cela et dépitée. Son regard croisa celui-ci d'une femme riche, aux doigts pleins de bijoux. Les richesses sont vraiment mal réparties..., songea-t-elle. Suite à cette pensée, une idée lui traversa l'esprit. Certaines personnes étaient justement très très riches. Un peu d'argent en moins ne les tuerait pas...Non ? De base, Lina n'était pas une voleuse. Mais là, son ventre criait famine et elle ne se voyait pas retourner auprès de Ludberg et lui demander encore de l'argent. Elle se mit à réfléchir. A voler, comme ça, elle risquait gros... Et elle ne se voyait pas être cloîtrée dans une cellule pour le restant de ses jours ! Mais bon, la faim parlait plus que la peur. Elle se mit à regarder à droite puis à gauche, tentant de repérer le bon filon. Celui-ci ne tarda d'ailleurs pas. Un homme, sûrement âgé d'une soixantaine d'années, arriva dans la rue. Droit comme un « i », l'allure classe et le regard hautain, Lina savait pertinemment que ce genre de type à smoking était les plus riches. Mais sûrement pas les plus faciles à voler... Le plan était simple. Être la plus discrète possible. Puis, si repérage il y avait, fuir en courant vers la barque et partir loin, très loin d'ici. La rouquine avala une grande goulée d'air. Quand il faut y aller...
Elle se mit à marcher normalement jusqu'à atteindre l'homme. Elle essaya d'adopter une attitude décontractée, pour ne pas éveiller les soupçons. Lorsque celui-ci s'arrêta pour regarder une vitrine de montres luxueuses, elle passa à côté de lui, le regard droit devant elle et glissa discrètement sa main dans sa poche ou elle en sortit un porte monnaie. Bingo. Cependant, il n'y eut pas que le porte monnaie qui vint à la main de Lina. Un montre à gousset s'accrocha à celui-ci et tomba par terre lorsque la jeune femme eut sorti son précieux. Le bruit ne laissa pas le gentleman de marbre. Il se tourna vers Lina, surprit, puis fronça ses sourcils. La suite, vous la connaissez déjà : il la traita de voleuse et elle se mit à courir le plus rapidement possible, prenant petites ruelles sur petites ruelles, poursuivie par le gentleman et quelques hommes de la marine qui étaient dans le coin et l'avaient entendu crier.
A droite, à gauche. Encore à droite. Les ruelles n'en finissaient plus. Où devait-elle aller pour rejoindre le port ? Et puis même, là, c'était foutu. Dans sa course effrénée, Lina repéra une sorte de drap accroché à un mur dans la rue adjacente. Elle s'y engagea rapidement et, ni une ni deux, avant que ses assaillants aient eu le temps d'arriver à son niveau, elle ouvrit le drap et se retrouva dans une pièce sombre. Là-bas, elle entendit l'homme qu'elle avait volé ainsi que les soldats passer en courant. Elle soupira de soulagement, sauvée. Elle se laissa glisser le long du mur et s'assit au sol pour reprendre son souffle. Au bout de quelques minutes, elle se rappela que dans sa main, elle avait le porte monnaie du gentleman. Elle l'ouvrit mais, à cause du manque de luminosité de la pièce, ne distingua pas le nombre de billets exact qu'il y avait dedans. Elle se redressa et aperçut une petite lumière filtrer à travers une porte, à l'autre bout de la pièce. Elle se leva et, à pas de loup, s'approcha de celle-ci. Elle colla son oreille contre la porte afin de pouvoir percevoir un bruit...
_ J'arrive pas à croire que vous m'ayez ramené si peu de fric. Vous êtes vraiment des bons à rien...
_ Mais c'est pas notre faute patron, la fille n'avait rien de plus sur elle...
La rouquine écarquilla les yeux. C'était les voleurs de tout à l'heure ! Quelle coïncidence farfelue... Peut être même un peu trop. Un sentiment de colère s'empara d'elle. Ces types, qui avaient osés l'humilier et la voler... Elle aurait bien aimé leur donner une bonne leçon. Cependant, elle savait pertinemment aussi que ce n'était pas le temps pour ça. Elle était recherchée pour vol après tout... Malgré son énervement et son ego, elle abandonna et se dirigea vers l'endroit par lequel elle était rentrée. Sauf que, munie d'une maladresse naturelle, Lina donna un coup contre une grosse jarre disposée au sol. Celle-ci vacilla puis tomba dans un fracas épouvantable...
_ … Oups.
La porte derrière laquelle se trouvait les brigands s'ouvrit en grand. La surprise des trois bandits fut palpable lorsqu'ils découvrirent la rouquine dans la pièce. Leur patron ne tarda pas à comprendre.
_ Mais comment a-t-elle fait pour nous retrouver, celle-là ? Hurla la femme.
_ Du calme Mishina, renchérit le patron. Maintenant qu'elle sait où se trouve notre repère, on va devoir l'éliminer.
Lina fut ébahit. Une vie pour mille petits berries de rien de tout ?! Elle qui ne voulait pas d'ennuis... Mais c'était décidé, elle ne se laisserait pas faire. Elle dégaina son épée.
_ Attrapez-là.
Les trois voleurs se lancèrent en même temps sur elle. Lina sauta sur la table en bois qu'il y avait dans la pièce et put ainsi éviter d'être une nouvelle fois attrapée. Elle donna un coup de pied sur la tête de l'un d'entre eux ; celui tomba sur la fameuse Mishina. Le dernier restant, quand à lui, se mit à grimper sur la table. Il attrapa la jambe de Lina qui se mit à se débattre. Elle prit son sabre et donna un coup rapide et furtif au dessus de son crâne, ne le blessant pas mais tranchant une partie de ses cheveux. Surpris, il la lâcha et elle descendit de l'autre côté de la table, la cheville enrouée.
_ Arg ! Regardez ce qu'elle m'a fait ! Mes cheveux ! Mes beaux cheveux !
Au même moment, ses deux complices se relevèrent. Les rires moqueurs de ceux-ci ne se firent pas attendre, entraînant avec eux la colère noire de celui au crane dégarni. Lina ne put s'empêcher d'esquisser un sourire face à son œuvre.
_ Je vais la trucider cette petite garce !
Alors qu'il s'apprêtait à franchir à son tour la table, un coup de feu retentit. Les bandits, ainsi que Lina, tournèrent leurs têtes vers le patron. Le canon de son arme fumait encore.
_ C'est bon, Tom, je vais m'en occuper, ce sera plus simple.
L'homme pointa son arme vers la rousse. Elle haussa un sourcil, peu crédule.
_ Arf, ça m'embêterait de crever ici, vous savez, dit-elle.
Elle fronça les sourcils et plissa les yeux, se concentrant comme elle pouvait sur les faits et gestes du patron. Son doigt bougea de quelques millimètres. Il allait tirer. Elle anticipa le coup et se mit rapidement sur le côté. Cela ne rata pas, le coup partit. Une hésitation et la poitrine de la rousse aurait été ornée d'un trou béant. N'attendant pas son reste, Lina fonça rapidement vers lui. Il lui fallut moins de deux secondes pour arriver à son niveau. Le Patron abaissa son arme afin de pouvoir avoir la rousse en ligne de mire. Elle se baissa elle aussi puis passa de son pied gauche à son pied droit. Tournant sur elle même, elle arriva à la droite de l'homme et lui porta un coup d'épée à l'épaule.
_ Red Slash ! Hurla-t-elle au moment ou sa lame pénétra la peau du patron. Celui-ci se mit à crier de douleur et à tirer dans tous les sens. Lina retira vivement sa lame et lui donna un coup à la tête avec la partie non coupante de celle-ci. Bien que pas très costaude, le coup fut assez fort pour qu'il tombe à terre, inconscient. Haletante, elle lança un regard glacial aux autres brigands.
_ P-Patron ! Cria Tom, Je vais te buter !
Il se dirigea en courant vers elle, faisant voler la table. A son niveau, il la poussa violemment contre le mur. Le choc fut tel que Lina eu un filet de sang lui coulant de la bouche. Elle se mit à tousser fortement et tenta de se relever avec difficulté, pointant son sabre contre les trois voleurs en face d'elle. Ceux-ci souriaient bestialement. Tout en restant sur ses gardes, Lina se mit à réfléchir. Sur le côté, elle remarqua une corde accrochée à un mur. Peut être était-elle là suite à la présence d'anciens prisonniers... Elle se situait juste derrière les trois protagonistes. La jeune femme se mit à respirer lentement. Son plan était déjà tracé. Alors que les trois commençaient à se rapprocher d'elle, elle leur envoya son sabre dessus. Surpris, ils ne se rendirent pas tout de suite compte de ce qu'elle était en train de faire. Elle profita de ce temps de choc pour se retrouver derrière eux, lança la corde par dessus leurs têtes et, lorsqu'elles fut au niveau de leurs torses, elle tira de toute ses forces, ce qui les fit perdre un peu l'équilibre. L'un d'entre eux trébucha, ce qui perturba les deux autres. Elle en profita pour tourner autour d'eux le plus rapidement possible, les saucissonnant. Lorsqu'elle sentit la corde arriver à sa fin, elle fit un nœud, puis un autre. Malgré les mouvements des nouveaux prisonniers elle arriva au bout de son œuvre. A bout de souffle elle se laissa tomber au sol pour reprendre ses forces. Elle ne fut pas la seule, le lot de voleur tombant aussi par manque d'équilibre. Les injures ne se firent pas attendre mais la rousse s'en fichait. Elle était vivante, c'était le principal. Pendant quelques secondes, elle remercia le ciel d'être née avec un minimum d'imagination pour faire face à ce genre de situation...
Au bout de deux minutes, elle se releva péniblement. Elle ramassa son sabre, le porte monnaie, récupéra sa bourse puis n'attendit pas son reste et s'enfuit de cet endroit maudit. Le Patron pouvait recouvrer ses esprits à n'importe quel moment...
Elle se mit à courir à toute allure dans les rues de Port Gentil, espérant que l'on ait oublié sa petite bavure de tout à l'heure. Par chance, elle arriva au port au bout d'une quinzaine de minutes sans croiser de soldats.
Sur le ponton, elle sauta dans sa barque, la détacha rapidement et commença son périple en mer. Enfin... D'abord elle s'allongea quelques minutes histoire de se reposer un peu. Quelle journée... Elle se mit à ramer et s'éloigna le plus possible du Royaume de Bliss qui l'avait vu grandir. L'oiseau s'échappait de sa prison dorée. Elle espéra que les incidents de la journée n'auraient pas trop d'incidence par le suite. Puis, lorsqu'elle fut assez loin du royaume, elle soupira et ne se prit plus la tête avec tout ça. Elle verrait bien ce que l'avenir lui réserverait... Son ventre se mit à gargouiller. Elle se rappela alors pourquoi elle avait fait tout ça : car elle avait faim. Mais c'était trop tard, elle était déjà partie pour de nouvelles aventures...
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