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Vieille peau se mouille.

-Sérieusement, cap'tain ? C'est ça, Clock Work ?

Tu te grattes les quelques cheveux qu'il te reste pour tenter de trouver une raison à ce désastre. La langue sèche, tu tires distraitement sur un mégot presque éteins. Les nuits ont été longues, les jours ardus. Vous avez souffert de faim, de soif. Tu as cravaché comme un âne pour faire avancer le rafiot avec le bon Yuri qui ne t'a pas lâché d'un œil durant tous ces mois. Et quand tu t'attends à un bon festin tu découvres des bouts de collines sortant de l'eau, dernières traces d'une île qui a dû exister. Pas un arbre, pas une bête, même pas un foutu minuscule arbuste. Les deux gamins debout à côté de toi sur le ponton font la même gueule. Une d’enterrement. Ils ont beau avoir plus de cheveux que toi, leur bouille de prépubères a aussi faim que la tienne. Pour les deux autres vieux, c'est la même. Torg tire sur sa moustache aussi fort que tu te gratte le bocale. Milan a la langue qui se pend et les yeux qui se perdent, son gros ventre ballottant contre la balustrade.

Des collines ridicules et rien dessus. Pourtant il y avait bien une île là, avant.

Avant. Oui. Mais plus maintenant.

Le capitaine aussi fait la gueule. Parce qu'il ne faut pas croire, tu n'es pas le seul à crever de faim et de soif. Tes deux paumes s'agrippent à la rambarde du rafiot pour pencher ton corps vers l'eau. Rien. Tu ne vois rien d'autre que du bleu avec des nuances de blanc et de gris. Pas une seule coque n'est encrée. Tu sens la main du capitaine venir se poser sur ton épaule.


-Messieurs, on s'encre au bord de la colline là bas. Le vieux, tu sors les canes.
-Mais je veux de la viande, moi.
-Tu en vois là ? Non. Alors tu pêches et tu gardes tes envies de rouge pour une autre fois.

Quand vous accostez, tu manques de t’exposer le crâne contre le sol. Tes guibolles ne répondent plus qu'à peine à ta substance grise. Foutu mal de terre. Tu lâches un juron avant d'arracher un bout du sol et de laisser la poussière glisser entre tes doigts. Ça te fait drôle. Cette sensation, elle te monte au crâne pour se faire une place dans tes souvenirs.

Souvenirs. Sales souvenirs.

Parce que ceux qui remontent font partie de ceux dont on n'aime pas se rappeler. Ce sont ceux qu'on aimerait pouvoir effacer comme s'ils n'avaient jamais exister. Il y a les souvenirs de la terre qui te mangeait le cœur, la gueule et les poumons avec. Il y a les souvenirs de la sécheresse qui rongeait tout et du goût de mort qui ne te lâchait plus.


-Le vieux ! Les rêves de grabataire c'est pour plus tard. Tu pêches, et tu le fais maintenant.

Un juron se fait avaler par ta barbe. Le bois de la canne se fait attraper par les rides de tes paumes. Tu te dis qu'au final, tu aurais peut être dû faire la route tout seul, que peut être ça aurait moins chiant à supporter. Tu te dis surtout que plus tu vieillis, et plus tu deviens mou. Ces mots là du capitaine, ils auraient eu comme réponse un poings entre les deux yeux il y a de ça quelques années. Et là, au lieu de ça, tu t'écrases. Tu t'écrases et tu pêches comme un vieux con.


Dernière édition par Sergueï Suyakilo le Sam 14 Oct 2017 - 18:17, édité 1 fois
    Les heures ont passé. La lune a chassé le soleil pour venir éclabousser le bac d'eau bleuté de sa belle couleur pâle. Il fait froid. Tes vieilles épaules ont dû trouver des chiffes sales pour tenter de se réchauffer. Tu aurais bien bû un coup de gnôle pour te revigorer, mais l'alcool a été fini depuis des semaines. Tu te serais bien blotti près d'un feu pour que les flammes puissent caresser ta carcasse, mais il n''y a plus de bois. Alors tu jures. Tu refais le monde et ta vie au passage en mirant ta canne à pêche qui ne bouge pas. C'est comme si la poiscaille avait déserté la mer. Tu pêches depuis des heures et rien ne vient. Oh bien sûr l’hameçon n'est pas très beau, et tu ne sais même pas si le ver est encore vivant. Mais de toute façon, tu n'as que ça. Et puis...

    Il y a ce drôle de sentiment.
    C'est petit, minuscule même, mais depuis que la nuit est tombée la mer n'a plus le même rythme. Certaines vagues ont de drôles de formes, Tu n'aime pas ça. C'est comme si au fond de ce bac bleu, à quelques dizaines de mètres de profondeur un énorme poisson brassait l'océan. Et plus le temps passe et plus les mouvement se font grands, moins discrets.

    Tes lèvres se pincent pour sortir un sifflement qui amène bien vite le capitaine. Tu as laissé ta câne tomber. Tes deux mirettes ne quittent plus l'eau et quand le Yuri arrive, les lèvres bougent au rythme de tes globes se baladant sur les mouvements de la mer.

    -J'aime vraiment pas ça. Cap'taine.

    Y'a tes instincts de soldats qui reviennent.

    Y'a l'adrénaline qui monte, le cœur qui se met à battre et les sens qui se réveillent. Ça te fait drôle parce que plus le temps passe et plus l'appréhension laisse place à l'envie de sang. Plus la peur se fait manger par l'envie.

    Héhé.

    Le vieux loup de mer réapparaît et t'aimes de plus en plus ça.

    Alors quand 4 formes humaines jaillissent de l'eau tu as presque envie de sourire. Une rafale de gouttes part de leurs mains pour venir tailler vos corps mais ça te fait marrer. La douleur vient te cogner en même temps que le sang se met à couler. Tu ne comprends pas comment de simples gouttes d'eau ont pu te faire aussi mal mais tu t'en fous et la seconde d'après, tu plonges dans l'eau.

    Tes globes se mettent à chercher les quatre « hommes » qui sont repartis se cacher. A peine as tu le temps de sentir tes poumons se boucher qu'un poing vient cogner ta gueule. Dans ton mouvement de recul tu réussis à attraper le bras de la chose qui t'attaquait mais il te glisse entre les mains comme s'il était fait d'écailles.

    Sacré Sergueï. Combattre un homme Poisson dans l'eau, il n'y a que toi pour être assez con pour le tenter.

    Quand le Monstre revient le poing en avant tu réussis à l'éviter et cette fois tu n'essayes pas de le prendre. Tu fais ce que tu sais faire de mieux : tu réponds au poing par le poing. Ce n'est pas spécialement plaisant. Tu as le corps ralenti par la force de l'eau et les poumons qui braillent du manque d'oxygène. Alors quand vient le moment de frapper tu te rappelles aux bons souvenirs de l'adrénaline. Le truc que tu ne comprends pas trop, qui rend ton poing plus violent, plus mauvais.

    Violence. Violence. Force et violence. Voilà ce que ton esprit te braille pour donner toute la force que tu peux à ton poing.

    Quand les deux phalanges se cognent, y'a un bruit qui fait mal, un bruit qui fait grincer des dents et pas que les tiennes. Après le bruit, y'a la douleur, et après la douleur les perles de sang qui jaillissent pour se mélanger à l'eau. Le Monstre d'en face fait encore plus la gueule que toi. A peine un seconde est passée mais tu envoies déjà le poing amoché entre ses deux yeux.

    Là aussi le bruit est dégueulasse, et la douleur aussi. Mais ça te ferait presque marrer.


    Dernière édition par Sergueï Suyakilo le Sam 14 Oct 2017 - 18:19, édité 1 fois
      Tu es remonté à la surface. Ton bec aspire de l'air comme s'il n'y avait jamais goutté. Tu as les poumons prêts à éclater de plaisir de redécouvrir l'oxygène. En face de toi, le corps sans vie de la poiscaille commence à remonter. Tu l'agrippes comme tu peux avant de remonter doucement vers la colline. Les écailles te glissent entre les doigts et l'une d'elle te pique la main jusqu'à encore te faire pisser le sang. Tu lances le cadavre sans vie sur la terre ferme avant d'y remettre les pieds. Quand tes yeux arrettent de te piquer tu réussis à voir trois autres formes par terre. Au dessus d'eux il y a le capitaine. Et dans la main du capitaine une épée toute sanglante.

      -Salop, tu m'en as pas laissé un.

      Il ne répond pas. A la place, il mire derrière toi. Tu te retournes pour voir une coque sortir de l'eau avec un gros bonhomme aux commandes. Arrivé à hauteur de la colline, il met le pied à terre sans trop vous regarder, trop préoccupé par les poiscailles.

      -Sacrebleu de mes deux.

      -Tss, ça c'est de l'injure.

      Il se met enfin à te mirer. Il a une drôle de gueule, le gros bonhomme.Sa barbe est aussi sale que la tienne, ses rides aussi nombreuses et sa casquette a du mal à cacher ses pertes de cheveux gris. Son gros nez bouffi vient surmonter des dents jaunies.


      -Qui que vous êtes, Boudiou ?

      -Héhé. Tu parles drôlement.

      -Capeu, je parle comme j'veux. Et vous, vous caguez des gars qu'il faut pas. Comment que j'vais rattraper tout ce tapam !

      -On veut juste recharger notre Logue Post en paix. Quand on nous attaque, on répond.

      -Vous allez me suivre fissa avant que d'autres hommes poissons se rafissent ici. Ça va barder comme pas deux s'ils vous trouvent avec ces guss. C'est pas des kidams que vous avez cagué !

      -Je comprends pas tout.

      -Tant que vous ne cherchez pas à nous attaquer, on vous suit.

      Le gros homme n'attend pas. Il saute dans l'eau pour rejoindre sa coque. Sans que tu saches trop pourquoi, le capitaine ordonne à tout le monde de remonter sur votre rafiot.


      -Bardez vers l'bas et piquez vers l'fond. J'vais vous faire prendre l'tunnel.

      -Bordel. Héhé. Ça s'annonce drôle.


      ----


      Avant que tu comprennes, vous êtes remonté sur la coque. A peine tu as mis un pied dessus que le gros bonhomme se met à jacqueter.


      -Vous vous faites piquer tout comme moi. Pas avant, pas après. Tout comme comme moi !

      Il se met alors à l'avant de sa coque et ses deux pieds se jettent en l'air pour atterrir sur le haut de son ponton. Le navire tangue un peu mais le gros Homme ne lui laisse pas de repos et recommence son drôle de saut. Il tente et retente son petit manège sous les yeux ahuris de ta bande de copains. Non parce que vraiment, voir un Gros bonhomme faire volontairement chavirer sa coque ça fait tout drôle.

      Même si c'est peut être logique, ça fait tout drôle.

      Alors quand la coque disparait dans l'eau, propulsée par les deux pieds et le gros bide de l’inconnu, il y a un moment de flottement. Il y a une seconde où vous vous mirez dans les yeux en vous demandant pourquoi est-ce que vous vous sentez obligé de le suivre.Après tout, vous n'êtes pas trop mal là, dans le froid, la faim au ventre et sans quasi plus une seule goutte d'eau potable...

      La seconde d'après c'est le capitaine qui braille.

      -Faites moi venir notre belle coque au niveau de l'autre fou. Je veux vous voir serrer les nœuds comme des forçats ! La viande vous l'aurez, l'alcool coulera et les femmes seront à nous mais pour ça rien ne tombe de notre cargaisons sinon la seule chose que vous boufferez ça sera la semelle de mes pompes !

      Une fois à la hauteur du coulage de l'autre bateau, vous vous mettez au petit jeu de celui qui sautera le plus haut. Vous vous mettez à lever vos jambes comme des imbéciles sous les cris du Cap'taine qui intime le rythme par braillage d'ordres. Quand le bout de la coque plonge son bec dans l'eau ton cœur fait un rebond au milieu de la cage thoracique. Non, vraiment, tu en as fait des choses bizarre mais celle là, celle là en dépasse pas mal d'autres.

      En un rien de temps, c'est toute la coque qui tombe dans l'eau et la cargaison de derrière avec. Par réflexe ton nez se bouche et ta respiration s'arrête avec le changement de gravité qui fait tout tomber vers le bas à une vitesse que tu ne savais pas possible. Ton corps manque de quitter le navire et il te faut tous tes réflexes pour agripper ta poigne au mat. Tu vois l'un des deux gamins faire le même vol juste à côté. Le bras qu'il te reste de libre se lance et réussit à attraper celui du gamin. Tes ongles s'accrochent à sa peau pour ne pas le lâcher. Drôle de connerie que l'apesanteur. Vous valdinguez vos corps d'un bout à l'autre du navire avec le nez de celui là qui continue à pointer vers le bas.

      Et puis tout s'arrêtte. Aussi vite que ça a commencé. Vos corps retrouvent la grivité et vos gueules le sol. Violemment.


      Le crâne encastré dans le ponton, tu crois que vous êtes arrivés.


      Dernière édition par Sergueï Suyakilo le Sam 14 Oct 2017 - 18:22, édité 1 fois
        Ça fait un peu mal. Le bois irrite le nez et les joues aussi. Tes ongles plantés dans le ponton, tu beugles comme un âne. Non en fait ça ne fait pas un peu mal, c'est affreusement douloureux. T'en serais presque à lâcher une larme mais il y a la fierté qui prend le pas sur la sensation.

        En plus tu as l'air con, là. Il y a ta gueule encastrée dans le ponton qui fait des bisous au bois et ton cul qui ressort au dessus des épaules avec les pieds bloqués par des planches. Tu as beau avoir les oreilles complément obstruées tu commences quand même à entendre les rires autour. Et plus tu les entends et plus tu beugles comme un âne. Et plus tu brailles et plus ils se marrent. Les salops. Alors quand tu te retires du bois pour faire ressortir ta trogne, c'est pas un sourire que tu donnes à toutes les faces hilares. Le gamin qui t'a fait sortir de ta tombe te regarde avec ses lèvres qui se pincent pour pas se marrer. Quand tu t'avances vers lui ses joues se mettent à rosir comme celles d'un enfant pris la main dans l'pot de chocolat.


        -Ca te fait marrer peut être ?

        « Non » qu'il te dit avant de s’esclaffer.

        Enfin... S’esclaffer... C'est surtout ton poing qui s’esclaffe sur son nez quand le premier son sort de sa bouche. Cette fois les sourires ont disparu autour. Et tu croirais même que le capitaine aurait envie de te rendre le poing que tu as donné.


        -Un problème avec ça, Capt'ain ?

        Il ne prend même pas la peine de répondre.

        -L'prochain qui reparle de ça. Il finit dans le même état, c'est compris ?

        Sacré Sergueï...

        Tu devrais pourtant savoir que ce genre de chose, c'est le capitaine qui le dit, pas le matelot et encore moins le même pas invité. Tu devrais savoir qu'un capitaine, ça se doit de garder l'autorité parce que sinon ce n'est pas possible de tenir l’équipage, aussi petit soit-il. Tu n'es pourtant pas jeune, normalement pas trop bête et les neurones doivent continuer à s'alimenter.

        Mais non. Tu la joues encore à celui qui en a, à celui qui frappe et réfléchit après. Sauf que ce que tu n'as pas encore compris, c'est que des fois, il y en a qui frappent mieux. Plus fort. Plus mal.

        Sacré Sergueï...

        Tu n'as pas le temps de le voir venir. C'est à peine si ton œil a le temps d''entre-apercevoir une ombre bouger que le poing du capitaine atterrit au milieu de tes deux globes. Là aussi il y a un bruit désagréable, suivi de la douleur qui passe par le nez pour éclabousser tous les nerfs de ta trogne d'une sensation que personne n'aimerait sentir. Tes deux guibolles tentent de résister au choc mais abandonnent et c'est tout ton corps qui s'écrase encore contre le sol.


        -On ne touche pas à mon équipage. Qu'il te dit.

        Le lecteur se dira que tu as compris.

        Cette fois quand tu te relève, tu gueules moins. Oh tu jures bien sûr, mais dans ta barbe histoire que personne n'entende. Et la seule chose que tu oses regarder les premières secondes, ce sont tes deux pieds. Tu as les oreilles qui sifflent et le front déformé par une bosse qui apparaît déjà.  Il te faut un moment pour oser lever mirettes. Quand tu le fais, c'est pour apercevoir une sorte de voie maritime entourée d'une bulle d'air qui va de la surface de l'eau à l'endroit où vous êtes. Tout autour, des baraques ont poussé, vestiges d'un passé pas si vieux pour certaines, construction bordéliques pour d'autre.


        -Où c'est qu'on est, bordel ?

        -Tu as quartier libre.. Que le Yuri te réponds.


        Dernière édition par Sergueï Suyakilo le Sam 4 Nov 2017 - 13:53, édité 1 fois
          Elle est belle la Miss. Oh qu'elle est belle. Y'a ses deux billes bleus, ils font rougir les joues même des plus braves. Et son sourire ! Ah, son sourire, c'est une perle de joie qui fait tambouriner les cœurs. Elle a beau se déguiser en homme, sa salopette ne fait que mieux ressortir ses formes. Alors quand elle rentre dans le bar, tout le monde a beau la connaître, chaque paire de globe ne peut s'empêcher de se perdre sur elle. Les gosses, les grand pères, les hommes d'armes et même les femmes. Tout le monde l'admire avec la plupart des joues qui se creusent de rouge. Même toi, vieille carcasse ! Oui même toi tu te perds à la contempler.

          Ta main se perd à caresser ta pinte de bière en imaginant ses seins. Alors quand elle vient, qu'elle tire la chaise de libre en face de toi et qu'elle se met à te regarder, un sourire étrange bloqué au coin de ses belles lèvres, tu voudrais arrêter le temps. Tu en oublies les autres. Tu oublies tes coups d'un soirs, les femmes de ports et celles de joies. Tu les oublies toutes et même Nina.



          -Vous cherchez une femme, il paraît.

          -Comme tout homme, je crois bien.

          -La votre est un peu plus compliquée à retrouver... La Nina, elle sait bien se cacher...

          -Co... Comment ?

          Elle sourit. Encore.

          -En fait, je n'en étais pas sûr. Maintenant, si...

          Et toi tu finis ta bière en maugréant.


          -Qu'est ce que tu me veux, bordel ?

          Il y a un moment de silence. Elle travaille son effet. Elle lance sa bouille en direction des autres tables pour vérifier que personne n'écoute. Tu aperçois le Yuri encore énervé contre toi un peu plus loin qui te regarde pas bien.

          -Désertion de la révolution, normalement, c'est la mort. Vous le savez, non ?
          -Si tu me connais tant que ça, tu sais que je suis mort une fois pour elle.
          -Mais vous êtes là, assis devant moi.
          -Et j'dois m'en excuser ?!! Bordel de noix !! Pour qui est-ce que tu te prends ?! Si tu sais autant de chose sur moi, tu sais que j'aime pas qu'on se foute de ma gueule !!

          Cette fois tu t’énerve, tu te lèves et tu serres les poings comme avant de cogner.

          Assis.
          Qu'elle dit.

          Oui,

          que tu obéis.


          -Si vous voulez revoir Nina, il va falloir m'obéir.  SI vous tentez de fuir, on vous tue. Si vous désobéissez, on vous tue. Si vous me criez encore dessus ? On vous tue.

          -Mais t'es qui, bordel ?

          -Pourquoi est ce que Minos ne vous a pas plus retenu d'après vous ? Pourquoi est-ce que Yuri vous a accepté sur son navire ?
          Pourquoi est-ce qu'ils se sont mis à une autre table que vous ?


          Tu jures. Encore.

          -Je ne suis personne. C'est compris ?
            Pour une fille qui s'appelle personne, elle fait beaucoup de bruit. Elle met des mots qui font mal là où ils vont. Elle est partis depuis longtemps quand tu remarque ta bière de nouveau pleine. Elle a disparu depuis des heures quand tu en finis une einième. Cette fois c'est le Yuri qui s'avance vers toi.


            -Je veux être claire, le vieux. Je n'ai rien contre toi. Rien pour toi non plus. Le boulot, c'est le boulot.

            Les mots valsent dans ta carcasse en même temps que les flus d'alcool. Tu jures parce que c'est bien la seule chose que tu puisses faire.


            -C'est qui bordel, c'te gamine ?!

            -Cette gamine, c'est la fille qui dit « tue le ». « Sauve le ». « Ammène le à Dead End ». Cette fille, c'est ton assurance vie autant qu'une épée de Damoclèce.

            -Et toi, t'es qui ?

            -La fille c'est la voix qui dit « tue le ». Moi je suis la main qui t'égorge. Compris ?

            -Elle a dit quoi, la voix ?

            -Elle a rien dit. Alors pour l'instant tu moufles pas et tu me suis.
              Les jours passent sans que rien ne bouge. Les verres se vident, les viandes se mangent. Les heures coulent avec le houblon aussi lentement qu’un jour sans fin. Le Yuri ne te parle pas. La femme a disparu et il reste encore 3 jours avant la recharge du log Pose. Il n’y a que le Stef pour t’occuper. Le Barman.

              Un fou, encore un. Il a une sale gueule avec ses dents en moins. Il les aurait perdu contre un Youkon qu’il dit. Chaque histoire qu’il sort est une fable plus grosse que la dernière. Et il en sort, des fables. Autant de conneries à la minutes que de bières dans une journée. Tu restes chaque jour à te faire bercer par ses histoires sans sens.

              Il est midi. Trop de verres devant toi sont déjà vides. Tu n’as plus de quoi payer ton ardoise depuis longtemps et tu sais qu’il le sait. Mais il continue à dire oui, à te sourire de son sourire sans dent et te servir ta substance à rêve.

              Tu ne comprends pas pourquoi tu es encore en vie. Tu n’avais qu’un intérêt, c’était ton fruit. Et tu l’as perdu. Et Yuri le sait. Et si Yuri le sait, la femme le sait.

              Quand tu penses à cette bêtise d’avoir plongé dans l’eau devant lui pour aller chercher ce poisson, tu t’en mords les doigts. Tu pourrais fuir. Tenter de disparaître. Tu pourrais te battre, tenter de tuer Yuri avant que ce ne soit lui qui ne te poignardes. Mais non, tu préfères t’enivrer jusqu’à ne plus penser à rien d’autre qu’à Nina. Tu t’endors alors dans un rêve sans sommeil, où les deux yeux noisette de Nina se baladent entre les flux de houblon et les paroles de Stef.
              Mais cette fois, Stef s’est tû. D’un coup. Sa serviette ne tourne plus dans le verre et son regard s’est figé sur la porte d’entrée.
              Tu ne t’es pas encore retourné mais tu as deviné. Le temps est venu de payer ta bêtise. Assis au comptoir tu prends le temps de finir ta dernière bière avant de te retourner.
              Le Yuri est là. Il parait encore plus grand que d’habitude, ses muscles plus gros.  


              -Fallait pas plonger, le vieux. Qu’il te dit.

              -J’ai pas choisi de mourir, hein.

              Il sourit.
              La seconde d’après, son poing s’écrase sur tes pommettes sans que tu n’aies eu le temps de t’en rendre compte. Tu ne réagis qu’au moment où la douleur monte, d’un coup, violement. Où elle te bouffe les joues et la gueule entière avec.

              Un poing enserre ta gorge avant que tu n’aies pû te remettre du premier coup.


              -Sans ton fruit, tu ne sers à rien, le vieux.

              Au sein de sa poigne, tu n’es plus qu’un jouet désarticulé qui part valser de l’autre côté de la pièce. Tu ne te défends même pas.

              -Tu n’es qu’une merde le vieux.

              Tu te dis qu’il a peut être raison.
              Son pied cogne ton ventre. Tu aurais envie de te recroqueviller sur toi, comme un gosse. Comme un fœtus.
              Tu aimerais disparaitre sous les coups pour n’avoir jamais existé. Le seul geste que tu fais ?
              Vomir. Comme un merde. Parce qu’à ce moment là, où ses poings, ses pieds s’écrasent sur toi, tu n’est plus que ça. Une merde.