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Les douze bougies

Shimotsuki, Kawai – Automne 1622

Une pluie fine, des nuages bas, un vent glacial... Toutes les conditions étaient réunies, semblait-il, pour ternir l'humeur de Juusan. Mais il en faudrait plus pour gâcher cette journée. La veille, la fillette avait soufflé ses douze bougies. Enfin, façon de parler. Ses parents n'avaient pas les moyens de lui acheter un gâteau, et encore moins des bougies. Elle s'était contentée de la petite chanson traditionnelle. Puis on lui avait demandé de faire un vœux. Elle avait fait le même, celui qu'elle faisait chaque année depuis cinq ans. Cette année, il avait tout de suite été exaucé. Toute la famille était réunie autour de la grande table de bois massif quand le patriarche l'avait officiellement annoncé : elle allait devenir une élève de maître Chun.

~

Elle ne dormait plus depuis un moment. Ce n'était cependant pas encore l'heure de se lever. Les règles étaient claires, on ne sortait pas de son lit avant le cri du coq. Les lueurs du soleil commençaient à peine à teinter l'horizon, et le volatil n'avait pas encore chanté. Elle essaya encore une fois de rêver. Se voyant, plus grande, aux côtés de son grand frère Juuichi. Il était mal en point, pris au piège de son adversaire. Et elle arrivait, plongeant héroïquement sur l'ennemi, avec son sabre couleur argent, pour le sauver. En un coup, à peine, les plans du mécréant étaient déjoués et son grand frère la prenait dans ses bras pour la remercier. C'était une scène récurrente qu'elle se plaisait à imaginer.

Le coq cria enfin. Elle n'avait presque pas dormi mais cela importait peu. Elle sauta du lit, atterri avec souplesse sur le plancher malgré la hauteur – son lit était juché sur celui de Nana, lui même monté sur celui d'Hachi. Ses sœurs émirent un léger gémissement et se retournèrent dans leurs draps. Juusan fonça sur le lit de Juuichi, et lui retira sa couverture d'un geste brusque.

- Debout gros paresseux !

Il brailla et tenta en vain de récupérer le couvre lit tombé à terre tout en gardant les yeux fermés. Peine perdue. Il râla de plus belle, ce qui réveilla le reste de la fratrie. La fillette ne fit pas attention aux réprimandes qui grandissaient dans le dortoir. Elle se précipita vers son coffre, l'ouvrit sans discrétion et se vêtit des quelques habits qu'elle possédait : un short bleu délavé surmonté d'un t-shirt blanc tâché et sale. Un regard par la petite fenêtre qui transperçait le toit lui indiqua qu'une tenue chaude serait utile. Aussi, elle enfila un sweat à capuche rose qui commençait à devenir trop petit pour elle. Même en tirant frénétiquement sur les manches, ses bras dépassaient d'une bonne vingtaine de centimètres du vêtement.

Elle enfila ses bottines, ses mitaines et retourna près du lit de Juuichi pour le secouer à nouveau. Si elle avait pu sauter sur son lit, elle l'aurait fait sans ménagement. Il se trouve que le onzième de la famille était placé sous le quatrième, lui même installé sous le neuvième. Elle ne pouvait donc pas bondir sur la couchette sans se cogner la tête.

- Juuichi ! Tu m'avais promis de te lever aux aurores avec moi pour mon premier jour !
- Mais assommez là ! ... hurla Juu.
- J'suis trop loin … gémi Yon.
- J'suis trop crevé … ajouta Juuni.
- Allez ! Lève toi ! Debout ! Debout ! Debout !
- Juuichi ! Lève toi bon sang et emmène là très loin d'ici ! ... implora Nana.
- D'accord … céda ce dernier.

Il se cogna la tête en se levant, comme à chaque fois. Il la frotta tandis que Juusan alla récupérer ses vêtements et son sabre dans le coffre qu'elle lui jeta à la figure, sans ménagement.

- Je vais nous préparer un thé !
- Humf …

Elle se précipita dans l'escalier de bois, traversa la pièce principale où ses parents dormaient et ouvrit précipitamment la porte de la cuisine. Son père jura. Elle sortit la bouilloire d'un placard et la remplit avant de la placer sur une plaque de la vielle gazinière en fonte. Elle ralluma le feu et sortit deux tasses non assorties – elle avait cassé la plupart des tasses du service à thé et avait dû les remplacer avec l'argent qu'elle avait gagné en aidant les voisins. Elle les remplit d'une cuillère de miel et attrapa deux pommes. Son grand frère choisit ce moment pour passer l'encadrement de la porte, les yeux encore embués par le sommeil. Elle lui fourra sa pomme dans la bouche, attrapa la bouilloire qui sifflait et versa l'eau chaude dans les tasses. Miracle, aucune n'avait été cassée.

- Merci... dit l'adolescent lorsque sa sœur lui tendit sa boisson.

Ils burent et mangèrent en silence. Une fois leur petit déjeuner pris, ils rangèrent la cuisine et sortirent. Dans la pièce principale, devant la porte d'entrée, leur mère les attendait avec un visage attendri. La femme déposa un baiser sur le front de Juuichi, qui, du haut de ses quatorze ans venait de la dépasser, puis attrapa le visage de Juusan dans ses mains.

- Fais bien attention à toi. Et toi prend bien soin de ta petite sœur dit-elle en se retournant vers son neuvième fils.
- Oui, maman ! ... répondirent-ils en cœur.

Juuichi ouvrit la porte en faisant une belle révérence à la petite qui sortit le sourire aux lèvres.


Dernière édition par Juusan le Dim 26 Nov 2017 - 8:59, édité 9 fois
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Le village se réveillait doucement. Çà et là, on entendait le chant des coqs et les aboiements des chiens qui exécutaient leur mission avec le plus grand sérieux. Les deux adolescents cheminaient joyeusement le long des sentiers menant à l’école au sabre fin. En même temps qu'ils descendaient, les nuages se dissipaient et on distinguait de mieux en mieux les habitations. Juusan harcelait son frère de questions. Il y répondait par onomatopées mais semblait heureux de partager ce moment si important. Ainsi, le trajet sembla moins long et ils arrivèrent rapidement devant le domaine.

L’aîné entra sans hésiter, les lieux lui étaient familiers. Quant à elle, la nouvelle qu'elle était ne pu s'empêcher de ralentir pour observer ce nouvel environnement. Elle appréhendait de plus en plus sa rencontre avec son futur professeur, ressentant à la fois de l’excitation et une crainte irrationnelle. *Et si je ne réussis pas les exercices ? Que va-t-il penser de moi ? Suis-je vraiment à la hauteur de son enseignement ?* Juuichi, qui s'était rendu compte un peu tardivement que sa jeune sœur ne le suivait plus, se retourna.

- Qu'est-ce qu'il t'arrive ?
- J'ai peur …
- De quoi as-tu peur ? … demanda-t-il en souriant et revenant sur ses pas.
- Tu penses que le maître sera heureux de m’avoir comme élève ?

Il ne répondit pas tout de suite, ce qui l’inquiéta un peu...

- Je ne vois pas pourquoi il ne serait pas heureux de t’avoir comme élève…

Elle sentit comme une hésitation dans sa voix et se demanda s’il ne lui cachait pas quelque chose. Devant le visage souriant et confiant de son frère, elle chassa ses appréhensions et s’engagea dans l’allée bordée d’amandiers.

Sous ses yeux s’offrit alors le plus beau spectacle qui lui avait été donné de voir. Le jardin était bordé d’un petit muret de pierres qui le maintenait clos. De nombreux arbres étaient subtilement taillés et bien répartis sur les belles pelouses. Leurs feuilles tapissaient l'herbe formant un mélange subtil de vert et d'or. Sur sa gauche, un groupe de rochers disposés de façon harmonieuse accueillaient une fontaine de bambou qui se déversait à intervalles réguliers dans une petite marre pleine de carpes argentées et rouges. Sur sa droite, les paysagistes avait habilement placé des pierres plates le long d’un sentier de sable qui menait semblait-il à un pavillon destiné à boire le thé. Devant elle se dressait le dojo principal : magnifique villa traditionnelle surmontée d’un toit à double pente recourbé sur les quatre extrémités.

Partout, en ce domaine, régnait une atmosphère paisible et sereine. Outre les bruits des shinais et bokkens qui s’entrechoquaient, on n'entendait que les chants des oiseaux qui s'épanouissaient.

Juusan suivit docilement son frère. Elle n’avait plus rien de la petite fille enjouée et excitée qui posait questions sur questions. Tout ici l’impressionnait et imposait le respect. A mesure qu'elle s'avançait vers la grande porte d'entrée, une boule se formait dans son ventre. Elle imita les actions de son frère machinalement : entrer, enlever ses chaussures, saluer les autres élèves, s'incliner avant de franchir le tatami. Puis vint le moment tant redouté.

Elle l’aperçut au fond du dojo bien avant qu'ils ne s'avancent vers lui. Contrairement à ce qu'elle pensait, ce n'était pas un vieillard. Il parasitait même jeune pour un maître d'arme. Il était vêtu d'un keikogi composé d'une veste noire et d'un pantalon blanc. Sa tête était couverte d'un Jingasa de paille. A sa ceinture était accroché un sabre de très belle facture et il portait de simples getas aux pieds. Juuichi s'approcha de lui, Juusan sur ses talons. Il se courba, mains jointes pour saluer le samouraï. Elle fit de même.

- Chun-sensei, voici ma petite sœur, Juusan. Elle souhaite devenir l'une de vos élèves.
- Oui, tu m'avais parlé d'elle. Je suis enchanté de faire ta connaissance, Juusan ... dit le maître en souriant.
- Je … suis … enchantée aussi … répondit-elle maladroitement tout en lui rendant son sourire.

Maître Chun se tourna vers Juuichi.

- Tu peux y aller. Silver, Yan et Iro t'attendent dans la salle annexe pour commencer l'entraînement.

La fillette regarda impuissante son frère s'incliner et filer par une porte latérale. Puis elle se tourna vers le jeune maître. Il l'examinait patiemment, avec bienveillance. Tout en lui respirait le calme et la douceur, ce qui la détendit un peu.

- As-tu déjà pratiqué les arts du sabre ?
- Oui … enfin jamais avec un vrai sabre... Juuichi m'a déjà montré quelques techniques de base avec son shinai. Mais je n'avais qu'un bâton pour riposter.
- Très bien, c'est déjà un bon début. En parlant de shinai, tu vas en prendre un sur le mur là-bas pour que tu puisses me montrer ce que tu sais faire.

Il montra la cloison en question où étaient accrochées une multitude d'armes en bois massif ou en bambou. D'un pas lent elle le rejoignit, prit son temps pour choisir son épée et revint vers son professeur. Puis, il lui montra un petit groupe de trois garçons qui attendaient près du mur opposé.

- Va vers eux et présente-toi. Ils souhaitent devenir mes élèves eux-aussi. A la fin du mois, je sélectionnerai ceux d'entre vous qui mériteront de garder leur shinai.

La boule qui avait grossi dans son ventre jusque là explosa d'un seul coup. C'était donc ça, ce que lui avait caché son frère. Cela semblait pourtant tellement évident. Pour entrer à l'école au sabre fin, il fallait VRAIMENT en être digne.


Dernière édition par Juusan le Dim 26 Nov 2017 - 9:17, édité 7 fois
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Les trois garçons en question semblaient mener une discussion très animée. L’un d’eux était clairement plus grand que les deux autres. Il paraissait assez orgueilleux, dédaignant largement les deux autres avec un air supérieur. Il portait un bermuda couleur kaki ainsi d’un sweat à capuche beige clair.  Sur sa tête était juchée une casquette couleur aubergine sur laquelle de jolis dessins tribaux étaient brodés. On pouvait distinguer des cheveux argentés qui en dépassaient légèrement. Il portait de simples baskets bleues aux pieds.

Les deux autres lui tournaient le dos. Celui de droite était affublé d’une salopette noire et, en dessous, d’un t-shirt à manche longue rouge. Il n’avait aucun couvre-chef et ses cheveux était d’un noir intense. Quant à celui de gauche, il était vêtu d’un treillis militaire en guise de pantalon et d’un marcel blanc. Ses cheveux à lui étaient de la même couleur que les carottes, songea Juusan. Tous deux avaient aux pieds exactement les mêmes baskets bleues que le plus grand.

En se rapprochant d’eux, elle comprit qu’ils se mettaient mutuellement au défi pour savoir lequel allait pourvoir rester au sein de l’académie. Une fois à leur hauteur elle attendit, espérant que ce dialogue houleux prenne rapidement fin. Finalement, celui à la casquette la vit et s’arrêta pour la toiser de haut en bas.

- Qui t’es toi ? … demanda-t-il sèchement.

Ses acolytes se turent à leur tour, se tournèrent vers elle et la regardèrent froidement. Elle trouvait que le garçon aux cheveux oranges, ressemblait à un lapin. Il avait un petit nez retroussé et deux grandes incisives qui dépassaient de ses lèvres supérieures. Quant au second, il avait un nez crochu, des yeux qui sortaient légèrement de leur orbite ainsi que des grosses cernes qui lui donnaient un air triste. On pouvait assez facilement le comparer à un corbeau. Comme elle ne répondait pas, prise dans l’examen détaillé de ses nouveaux « compagnons » d’arme ils la regardaient de plus en plus intensément. Elle compris qu’ils désiraient simplement entendre sa réponse.

Elles les trouvait très prétentieux, comme ça, de prime abord. Elle se rappela alors ce que ses parents lui répétaient tout le temps : « soit polie, dit bonjour, incline toi ... » La politesse … ce n'était vraiment pas son fort. Il arrivait souvent qu'un voisin se plaigne d'elle, parce qu'elle n'avait pas dit bonjour ou parce qu'elle avait répondu froidement à un autre enfant de son âge.

En vérité, elle ne le faisait pas exprès. Si elle vous ignorait, c'était uniquement parce qu'elle ne vous avait pas vu. Point barre. Souvent dans la Lune, en plein dans ses réflexions ou en extase devant un beau paysage, elle ne faisait pas attention aux personnes qui l'entouraient. Si jamais elle venait à vous remarquer, il fallait que vous ayez quelque chose de vraiment intéressant à lui dire. Sinon elle vous ignorait, tout simplement.

C'était souvent pour cette raison qu'elle ne parvenait pas à se faire d’amis. Elle se concentra. Il aurait été dommage qu'elle ne puisse pas rester auprès de Juuichi et de maître Chun à cause d'un simple malentendu.

- Je m’appelle Juusan. Enchantée de faire votre connaissance répondit-elle en s’inclinant.
- Pourquoi t’es là ? … s’enquit à son tour tête de corbeau.

Elle hésitait, devait-elle vraiment leur rendre des comptes ? Elle se retourna pour voir que maître Chun les observait. Elle ne voulait surtout pas le décevoir. Elle inspira profondément.

- Je suis aussi volontaire pour devenir une élève de maître Chun. Il m’a demandé de me présenter à vous. Apparemment, dans un mois nous saurons tous les quatre si nous méritons de rester auprès de lui.
- Te fiches pas de moi ! Tu seras jamais prise !
- Et pourquoi ça ?
- Parce que t’es qu’une fille ! T’en vois beaucoup dans la salle ? … renchérit cheveux de carottes.

Le rouge lui monta rapidement aux joues. Pour qui se prenaient-ils ? En promenant son regard, elle s’aperçut qu'effectivement, il n'y avait pas beaucoup de filles dans le dojo. Elles devaient être Six ou sept sans compter Juusan, pour trois fois plus de garçons. Ok, les filles avaient plus de mal à être sélectionnées ? Mais cela ne voulait pas dire qu’elles ne l’étaient pas du tout. Même si ses chances s’amenuisaient, elles n’étaient pas nulles non plus.

Juusan se tourna à nouveau vers les trois insolents. Elle était prête à leur dire le fond de sa pensée. Elle s'abstient. Si elle se mettait maintenant à donner de la voix, c'est elle qui en ferait les frais. Pas eux. Ils n'en valaient pas la peine. Elle haussa finalement les épaules.

- On verra bien ! … répliqua-t-elle en tournant les talons.


Dernière édition par Juusan le Dim 26 Nov 2017 - 9:28, édité 5 fois
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Durant deux semaines, Juusan et les trois garçons suivirent scrupuleusement les instructions du maître d’arme. On leur avait donné une tenue d’entraînement provisoire. Puis, ils avaient été introduis dans le groupe des plus jeunes déjà composé d'une dizaine d'adolescents et dont la tranche d'âge était comprise entre douze et quatorze ans.

La sélection n’avait semble-t-il aucun rapport avec la capacité d’accueil du Dojo. L’effectif n’était pas limité en nombre. Maître Chun estimait que tout le monde pouvait avoir sa place au sein de l’école, du moment qu’il la méritait.

La fillette n’avait pas encore très bien compris ce qu’elle devait faire pour rester. Elle essayait donc de faire de son mieux, tout en restant elle-même. Juuichi, bien qu’il n’ait pas encore quinze ans, ainsi que ses trois amis, Iro, Silver et Yan, étaient passés récemment dans le groupe des confirmés.

Le professeur parvenait à superviser l’entraînement de chacun. Il commençait par donner les consignes, il circulait de groupe en groupe pour s’assurer que les élèves s’appliquaient et il les corrigeait si besoin. C’'était un élève dit expert, un des plus ancien de l’école, qui supervisait la réalisation des exercices, clamait les mouvements à exécuter ou arbitrait les duels. Il incombait en effet aux élèves les plus âgés d’éprouver eux aussi les compétences des plus jeunes.

La journée était segmentée en quatre temps. Le matin, ils commençaient par des exercices destinés à mesurer leur habileté. Ils devaient enchaîner une série de mouvements avec leur shinai. La plupart du temps, Juusan parvenait très bien à suivre. Jusqu’au moment où le cri d’un oiseau, l'aboiement d'un chien ou le bruit d'une cloche au village ne la déconcentre. Elle se perdait alors dans l’enchaînement et ne parvenait que difficilement à se remettre dans le rang.

En fin de matinée, ils devaient franchir plusieurs obstacles sur un parcours bien défini, dans le grand jardin, afin de tester leur équilibre et leur agilité. Elle traversait les premiers aisément, mais se prenait finalement les pieds l’un dans l’autre pour se retrouver tête la première dans la boue – ou la poussière – sous les rires des autres adolescents.

Après le repas de midi, ils réinvestissaient les enchaînements appris le matin et se confrontaient en duels. Elle avait régulièrement l'avantage au début du combat et se faisait battre au dernier moment, la plupart du temps parce qu'elle regardait ailleurs.

A la fin de la journée, on leur demandait de rester en méditation dans la même position le plus longtemps possible afin d’examiner leur capacité à rester attentifs et à l’écoute de leur environnement. Pour cet exercice, curieusement, elle excellait à chaque fois. Elle était très souvent la dernière à résister - et pouvait même tenir assise en tailleur encore des heures - mais se faisait « réveiller » juste avant la fin de la séance.

~

Un soir qu’elle rentrait à la petite ferme familiale aux côtés de son frère, elle commença à perdre espoir. Méritait-elle vraiment de rester auprès de Juuichi ? Ce dernier n’avait-il pas honte d’elle ? Il était l'un des élèves les plus brillants de cette école tandis qu'elle était la plus pitoyable. Il n’avait pas l’air d’éprouver autant de difficultés à s’entraîner au maniement du sabre. Tout semblait tellement facile pour lui.  

Il lui proposait tous les après-midis son aide pour qu'elle s’améliore encore. Elle acceptait malgré sa fatigue autant physique que mentale. La journée était déjà éprouvante pour elle et cela ne faisait qu’empirer les choses. Ils rentraient souvent chez eux sans prononcer une seule parole tellement la petite ruminait ces mauvaises pensées. Ce soir là, Juuichi rompit leur silence.

- Tu dois arrêter de cogiter comme ça ou tu vas devenir folle.  

Elle s’arrêta pour le regarder, sans vraiment comprendre ce qu’il voulait dire.

- Pardon ? … demanda-t-elle au bout d’un moment.
- Maître Chun dit souvent que les mauvaises pensées sont un poison pour l’esprit.  
- Ce ne sont pas des mauvaises pensées … ce ne sont que des vérités.  
- C’est à dire ?

Elle hésita. Devait-elle subir une humiliation de plus aujourd’hui ? Elle était sur le point de craquer et de tout abandonner.

- Je ne suis pas faite pour ça c’est tout … je ne suis pas comme toi …  
- C’est à dire ? … insista-t-il.
- Je ne suis pas comme toi c’est tout ! Toi tu y arrives facilement, tu es fait pour ça … et pas moi …    

Cette fois-ci, c’est lui qui s’arrêta pour la fixer, droit dans les yeux. Son regard était à la fois plein de colère et de compassion.

- Écoute… quand je suis entré à l’école, tu ne t’en souviens peut-être pas, mais ça a été très dur pour moi aussi. Je perdais le fil des enchaînements, je me faisais tout le temps engueuler parce que je gênais les autres … je me suis même cogné avec mon propre shinai une fois !
- C’est vrai ? … demanda-t-elle en riant.
- Un peu que c’est vrai !  

Ils rirent tout deux de bon cœur et se remirent à marcher.

- Alors… qu’est-ce qui t’a aidé à continuer ?    
- Le sourire de maître Chun.  
- Le sourire de maître Chun ?    
- Je savais que même si ce que je faisais n'était pas parfait, il était content de moi. Parce que je n’abandonnais pas et que je continuais malgré les difficultés.
- Vraiment ?  
- Oui. Tu as toutes les capacités nécessaires pour y arriver … il te suffit juste de croire en toi. Ne doute pas autant.
- Facile à dire.  
- Tu sais, certaines choses demandent du temps. On ne devient pas un grand épéiste parce qu’on l’a décidé un jour, en claquant des doigts. Tu verras, tu seras d’autant plus contente d’avoir réussi si tu l’as vraiment mérité.  

Elle sourit. En quelques mots, son frère était parvenu à lui redonner espoir. Il avait raison. On ne devenait pas un grand épéiste digne de ce nom en se tournant les pouces. C’était sûrement cela le mérite dont parlait le maître d’arme. Elle trouvait ces paroles pleines de sagesse, et elle était très fière d’être la petite sœur de quelqu'un d'aussi avisé.


Dernière édition par Juusan le Dim 26 Nov 2017 - 9:38, édité 2 fois
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Voilà, on y était. Aujourd’hui était le dernier jour de sélection. C’était LA journée qu’il ne fallait surtout pas rater. Le froid commençait à s’installer en cette fin d’automne et elle frissonnait sous son keikogi blanc. Elle se demanda comment faisait son mentor pour porter la même tenue été comme hiver. Il semblait ne jamais avoir froid.

Dehors, les premières neiges avaient recouvert le village d’un fin manteau blanc. C’était une neige très fine qui ne tiendrait pas la journée. Son épaisseur était tout de même suffisante pour une bataille de boule de neige. L’adolescente s’était amusée en compagnie de Juuichi, Iro, Silver et Yan juste avant d’entrer sur le domaine de l’école.

Silver avait réussit à lui envoyer une boule en pleine figure, mais elle s’était largement rattrapé en touchant Yan par derrière. Elle l’apercevait, à l’autre bout du dojo, qui ne parvenait pas à s’asseoir sa tenue étant détrempée au niveau de l’entrejambe. Les autres garçons se moquaient ouvertement de lui et elle n’en était pas peu fière.

- Juusan !

Ce rappel à l’ordre la fit sursauter. Tous les élèves assis comme elle autour de la zone de combat la regardaient avec impatience. Hoji, le garçon qui portait une casquette couleur aubergine le jour de son arrivée, était debout au centre du tatami et tenait son Kinai d'un air satisfait.

Pourtant, il lui semblait que juste avant c'était Kaito et Godron - alias cheveux de carottes et tête de corbeau - qui s'affrontaient en duel. Ils avaient terminé et s'étaient même rassis. Encore une fois, elle avait rêvassé au point d'oublier de regarder la fin du combat. A voir le regard contrarié de Godron, c’était sûrement Kaito qui avait gagné. Ce dernier essayait de réconforter son ami sans succès.

- Ne me regarde pas avec cet air ahuri, lève-toi et viens !

Apparemment, ce n’était pas la première fois que l’élève en charge de les arbitrer l’appelait. Seul Maître Chun restait patient et son sourire lui donna le courage de se lever et se placer en face de son adversaire.

Hoji semblait heureux de l'affronter. Son sourire carnassier en disait bien long sur son envie de la mettre au tapis. Depuis le début il n'attendait que ça. Tout au long de ce mois de sélection, ils n'avaient affronté que les élèves admis de l'école. Maintenant, ils combattaient entre eux dans un duel en trois manches pour évaluer leur progression.

Elle prit son épée de bambou à deux mains et se mit en position de défense : son pied d'appui – le gauche – en avant et l'autre placé un peu plus en arrière. Elle fléchit légèrement les genoux, prête à parer une attaque.

Comme elle s'y attendait, Hoji se jeta sur elle dès le signal. Avec l'élan, son centre de gravité était beaucoup trop en avant. Elle en profita pour se dégager sur la droite, l'esquiver et asséner une frappe sur son flanc gauche. Il trébucha et alla s'étaler de tout son long derrière elle. Les autres exprimèrent leur surprise, ne s'attendant pas à ce que cette maladroite réussisse un coup pareil. Un point pour elle, zéro pour le garçon.

En se relevant, ce dernier révéla un visage rouge de colère. Ses yeux lançaient des éclairs : la riposte allait être violente. Ils se remirent en position. Au second signal de l'arbitre, cette fois-ci, Hoji prit son temps pour charger. Elle était prête à le recevoir mais un élève du groupe expert, qui s’entraînait sur la deuxième moitié du dojo, cria, ce qui la déconcentra. Elle se prit le kinai adverse en pleine tête et son nez se mit tout de suite à saigner. Elle s’essuya avec sa manche et jeta un regard vers le maître. Il n'avait pas bougé et continuait d’observer le duel avec patience et sérénité. Son visage ne trahissait aucune émotion.

La jeune fille se promit de ne plus se laisser déconcentrer et oublia sa blessure. Elle reprit sa position de défense. On en était à un partout. Ce dernier coup serait décisif pour l’issu du combat. Il fallait qu'elle le remporte à tout prix. Elle ferma les yeux un instant pour se concentrer un peu plus. Au moment où l'arbitre annonça le signal de départ pour la troisième et dernière manche elle rouvrit les yeux, prête à en découdre.

Son concurrent s'élança, la rage au ventre. Elle garda sa position, feignant d'être intimidée, jusqu’à ce qu’il soit presque à sa hauteur. Au dernier moment, elle se baissa pour esquiver – profitant de sa petite taille – et le frappa au niveau de l’abdomen. Il émit un son étouffé et se retrouva à terre en se tenant les côtes. Elle n’en revenait pas elle-même : elle avait gagné.

Lorsqu’on la désigna victorieuse, ses camarades n’osèrent trop exprimer leur contentement. Seul le chef de l’établissement pouvait juger de la qualité d’un combat. Pourtant, plusieurs lui adressèrent un petit signe de satisfaction. Peut-être qu’Hoji n’avait pas fait l’unanimité auprès des autres élèves. Dans tous les cas, elle se sentit grisée par la victoire et rougit même un peu.

Elle ne vit pas l’épée de bambou qui vint la frapper à la tempe.


Dernière édition par Juusan le Dim 26 Nov 2017 - 9:59, édité 1 fois
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Lorsqu’elle ouvrit les yeux, il n’y eut d’abord que les lambris du plafond qui s’offrirent à sa vue. Après quelques secondes, deux têtes émergèrent dans son champ de vision. Elle crut reconnaître Yan et Silver mais n’en était pas certaine.

- Ça va la débile ? … demanda Yan.
- Combien j’ai de doigts ? … fit Silver en en montrant deux.
- Six.

L’adolescente vit ses amis sourire avant de refermer les yeux. C’était comme si un éléphant venait de la piétiner… non … pas qu’un éléphant, le troupeau entier. Elle roula sur le côté et tenta de s’asseoir en s’appuyant sur les deux mains. Sa tête vacilla de plus belle.

- Oh doucement ! T’as un train à prendre ?
- Que s’est-il passé ?
- Ben tu sais le grand maigrichon aigri qui te servait de concurrent ? Il t’a méchamment cogné en traître.

Les élèves continuaient leur entraînement comme si de rien n’était. Elle ne voyait pas ses trois rivaux, ni même le maître d’arme. Silver sembla lire dans ses pensées.

- Ils sont tous partis dans la salle annexe. Il faut que tu les rejoignes dès que tu te sentiras mieux.
- Et où est Juuichi ? … il n’était pas visible pas non plus.
- Dehors. Il voulait te venger en tabassant l’autre taré, alors Iro l’a emmené prendre l’air. Il a comme qui dirait pété une durite.

Son frère ? Perdre le contrôle ? De toute sa vie elle n’avait jamais vu Juuichi se mettre en colère. Elle ne s’en remettait pas.

Cela lui prit bien plusieurs minutes pour se lever complètement. En touchant sa tempe, elle sentit l’hématome qui était en train de gonfler. Elle sortit du dojo, traversa l’arrière cour encore recouverte de neige. Avec la fraîcheur de cette fin de matinée, le soleil commençait tout juste à la réchauffer.

~

La jeune fille se dirigea vers l’alcôve dans laquelle l'attendait maître Chun. Elle s’annonça avant d’entrer et découvrit son mentor assis en tailleur sur une estrade. Dans un coin, des bâtons d'encens piqués dans un bol de sable étaient en train de brûler. Il n’y avait rien d’autre dans cette petite pièce toute en sobriété. En face de lui, Hoji, Kaito et Godron était assis sur leurs genoux, leur kinai posé devant eux. Ils étaient muets, le regard baissé. Il lui sembla que celui de Hoji était encore plus bas que les deux autres. Son épée l’attendait. Elle comprit qu'elle devait se placer devant, dans la même position que ses camarades.

Elle s'exécuta et quelqu'un ferma les lourdes portes en toile de bambou. Au bout de quelques secondes qui parurent des minutes le chef du dojo prit la parole.

- Vous n’êtes pas sans savoir qu’aujourd’hui était votre dernier jour de sélection.

Il laissa ses paroles imprégner l’air et les observa tour à tour en prenant son temps. Seule Juusan ne baissa pas les yeux. Ce n’était pas un manque de respect. Elle était juste impatiente de connaître le verdict et subjuguée par la prestance que dégageait cet homme.

- Hoji, dis-moi… Pourquoi veux-tu apprendre à manier un sabre ?

Le garçon sembla surpris par la question et releva vigoureusement la tête. Il avait perdu toutes ses chances d’être accepté. Il s’attendait sûrement à une forte réprimande plutôt qu’à une simple question.

- Je … heu … je veux être le plus fort...
- Et pourquoi souhaites-tu être le plus fort ?
- Je veux devenir plus fort que mon père. Il est dans la marine et me dit tout le temps que je suis trop faible… je veux pouvoir le battre lorsque je serai adulte.
- Je vois … malheureusement, ce n’est pas une bonne raison. Je ne peux t’accepter au sein de cette école. Un bon sabre est un sabre qui sait rester dans son fourreau. Il faut savoir perdre dignement et ta réaction d’aujourd’hui était inappropriée. Comprends-tu cela ?
- Oui … Chun-sensei … répondit le garçon en s’inclinant puis en faisant la moue.

Il posa ensuite son regard sur le garçon aux cheveux couleur carottes et lui posa exactement la même question.

- Kaito … Pourquoi veux-tu apprendre à manier un sabre ?
- Je veux … pouvoir me défendre.
- Pourquoi veux-tu pouvoir te défendre ?
- Pour … protéger ceux que j’aime.
- Je vois … tu as fait preuve de beaucoup d’empathie aujourd’hui. Tu as tenté de réconforter ton ami qui venait de perdre malgré qu’il soit l’un de tes concurrents. Et cela, je le respecte énormément. Pour moi, tu as ta place au sein de cette école.
- Merci Chun-sensei.

Vint le tour de Godron, alias tête de corbeau.

- Godron … Pourquoi veux-tu apprendre à manier un sabre ?
- Je veux aussi pouvoir me défendre !
- Pourquoi veux-tu pouvoir te défendre ?
- Comme Kaito ! Pour protéger ceux que j’aime.
- Je vois … malheureusement tu n’as pas hérité comme lui des qualités d’empathie. Aujourd’hui, alors que ton ami essayait de te réconforter tu t’es entêté à lui reprocher ta défaite. Pour moi, tu n’as pas ta place au sein de cette école. Comprends-tu cela ?

Au lieu de répondre, tête de corbeau baissa la tête et se retint de pleurer.

- Comprends-tu cela ? … redemanda maître Chun.
- Oui… Chun-sensei.

Enfin, il se tourna dans sa direction. Elle soutint son regard et se redressa tout en avalant sa salive.

- Juusan … Pourquoi veux-tu apprendre à manier un sabre ?
- Je veux … devenir plus forte.

La fillette prenait un risque, c’était presque la même réponse qu’avait donné Hogi. Allait-il y avoir des conséquences ? En même temps, elle ne se voyait pas répondre autre chose. Il lui semblait qu’il y avait plus d’intérêt à dire la vérité. Et la vérité était qu’elle voulait devenir plus forte. Pourquoi ? Elle n’y avait jamais vraiment réfléchi jusqu’à présent. Pour devenir l’égale de son frère ? Non. Le surpasser était improbable. Pour protéger ceux qu’elle aime ? Non plus. Ils étaient en sécurité sur cette île, pas besoin de se préoccuper d’eux. D’autant qu’ils ne se préoccupaient aucunement de sa personne.

- Pourquoi veux-tu devenir plus forte ?
- Pour m’accepter telle que je suis et devenir quelqu’un de bien. Faible, je ne serai utile à personne.
- Je vois … tu as toutes les qualités pour devenir une grande épéiste. Et tu es déjà quelqu’un de bien. Tu sais ce que tu veux et tu parviens aisément à décrypter les sentiments des personnes que tu rencontres. Ta maladresse ne t’empêchera pas d’accomplir de grandes choses. Il faudra juste que tu trouves le bon équilibre entre l’observation de ce qui t’entoure et la rêverie. Ce sont deux choses bien distinctes que tu peines encore à dissocier. Félicitation Juusan. Pour moi tu as ta place au sein de cette école. 
- Merci … Chun-sensei.
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