CHAPITRE 3 :
Sixième sous-chapitre : Les navires ne chantent pas quand les marins pleurent.
Les navires ne chantent pas quand les marins pleurent. Oui, c’était bel et bien vrai et j’en ai pour preuve cette journée épouvantable sur le chemin du retour où, chacun se tenant le cœur ou encore la main, pleurait seul ou ensemble. Je ne suis pas un homme doué pour le réconfort, je ne l’ai jamais été, et j’étais moi-même abattu par ce qu’il s’était passé sur cette foutue île.
Beaucoup se demandaient pourquoi, lorsque je me demandais comment, j’avais prévu toutes les différentes probabilités concernant une attaque, j’avais le plan de repli et la disposition de mes hommes en tête. Comment un traître avait-il réussi à tromper ma vigilance, je pensais pourtant avoir fait le nécessaire, je pensais pourtant m’être donné pour la réussite de cette mission. Et voilà que notre effectif était réduit de moitié, et que j’allais devoir annoncer la mort de nos camarades à leurs amis, à leur famille.
Je pensais m’être préparé à la perte de mes hommes, je pensais que suite à la perte de tous ceux qui m’étaient chers, j’étais devenu insensible. Mais il me semble que le problème ne venait pas de la perte de nos compagnons en soi il venait plutôt de l’incroyable humiliation que j’avais ressentie ce jour-là, ce sentiment d’incapacité et d’impuissance recouvrait littéralement tout le reste. Je n’avais qu’une envie, celle de me cacher et de pleurer toutes les larmes de mon corps. Mais j’étais la figure d’autorité et le dernier fil, la dernière bouée capable de maintenir cet équipage à flot.
Alors par respect pour ceux qui sont tombé ce soir-là, je suis resté toute la matinée à l’avant du bateau, la main sur la rambarde, les yeux droits et, la moue inexpressive je m’obligeai à subir ce que je considérais comme étant ma première punition. Puis, estimant que tomber malade n’arrangerait en rien la situation de mon équipage, je suis allé me poster au centre du pont et, après quelques minutes sans rien dire, je me mis à chanter :
« Ne regarde pas derrière
L’avenir est devant
N’oublie pas hier
Mais vois d’où le soleil est levant
Et avance, au mépris du vent
Voile dehors, marins
D’hier et de demain
Faites que vos rêves soient survivants
Vos glaives mouvant
Voile dehors, marins
D’hier et de demain
Faites que vos noms, dit, le soit souvent
Jamais dans la soie du savant
Voile dehors, marins
D’hier et de demain
Homme fier, buste droit qui voguant
Ecarte les Malvoulant
Voile dehors, marins
D’hier et de demain
Parce que l’avenir est de l’avant
Ne regarde pas derrière
L’avenir est devant
N’oublie pas hier
Mais vois d’où le soleil est levant »
L’avenir est devant
N’oublie pas hier
Mais vois d’où le soleil est levant
Et avance, au mépris du vent
Voile dehors, marins
D’hier et de demain
Faites que vos rêves soient survivants
Vos glaives mouvant
Voile dehors, marins
D’hier et de demain
Faites que vos noms, dit, le soit souvent
Jamais dans la soie du savant
Voile dehors, marins
D’hier et de demain
Homme fier, buste droit qui voguant
Ecarte les Malvoulant
Voile dehors, marins
D’hier et de demain
Parce que l’avenir est de l’avant
Ne regarde pas derrière
L’avenir est devant
N’oublie pas hier
Mais vois d’où le soleil est levant »
Et, même si malgré mon effort, les marins ne se mirent pas à chanter, je continuai, jusqu’à entendre leur sanglot, leur respiration, leur colère. Je savais qu’au fond d’eux, ils avaient le potentiel pour retirer quelque chose de cette histoire, je savais qu’au fond d’eux, ils pouvaient remonter de ses abysses. Je n’avais pas chanté pour les forcer à se dérider, j’avais chanté pour réduire le voile de ténèbres qui couvrait littéralement leur pensée.
De par le voyage aller, je connaissais chacun d’eux, j’avais connaissance de leurs histoires respectives, et ce que je ressentais n’était pas seulement de la colère, c’était aussi de la peur. Cette peur qu’un jour, un tel échec recommence mais à une plus grande ampleur. J’avais fréquenté les bas-fonds presque autant que les hautes sphères. Je savais ce qui pouvait se passer dans la tête de chacun, et malheureusement, l’attaque d’une ville fait généralement partie des pensées d’un pirate.
Il fallait donc s’attendre à ce que cela recommence, mais la prochaine fois, je protégerai tout le monde, plus jamais je ne laisserai tomber l’un des miens sur le champ de bataille sans que ce dernier n'ai une mort honorable. Une mort par traîtrise est la pire chose que l’on puisse infliger à un homme de 17 ans, un homme avec des idées, avec un avenir. La mort du caporal m’avait fait énormément de mal, bien que l’on n’ait jamais été réellement proche, les seuls moments passer avec lui m’avaient fait énormément de bien, de par sa fraîcheur, de par son esprit !
Alors, sans pouvoir me contrôler plus longtemps, j’éclatai en sanglots et je frappai le mur, parce que je m’en voulais. Tout était ma faute.
- Arrêtez de vous remettre la faute dessus mon lieutenant.
- Vous n’êtes pas le seul responsable, on l’est tous un peu !
- Vous n’êtes pas le seul responsable, on l’est tous un peu !
Ces idiots essayaient tant bien que mal de me réconforter, mais à moins de trouver quelque chose qui puisse me remonter le moral, il allait être impossible de me remettre d’aplomb.