CHAPITRE 3 :
Septième sous-chapitre : Pas fait pour ça.
- MONSIEUR GUDRIC
Le colonel m’avait l’air en forme à ce moment, ce qui n’annonçait que de mauvaises choses pour moi, bien que je ne sois pas forcément un mauvais élément, ce n’était pas la première fois que je me faisais remarquer, et le problème est qu’en général, je ne me fais pas remarquer en bien … Alors plutôt que m’énerver à essayer de trouver une excuse au lamentable échec qui résultait de cette mission, j’ai baissé misérablement la tête et j’ai hurlé :
- Au rapport et à vos ordres, mon colonel !
Je savais que cela suffirait à calmer sa colère qui était si palpable, il me connaissait comme un élément rebelle de par le fait que j’étais entraîné par le commandant Rammsteil peut-être ? Les deux hommes se respectaient énormément, mais étaient radicalement opposés quant à leur façon d’appréhender le monde et, de la même manière, de le comprendre. Le colonel était un homme de l’ombre, plus proche d’un agent du Cipher Pol que d’un véritable marin, il avait une culture incroyable, avait des relations un peu partout et était très proche de l’amirale en charge de notre QG, mais sur le terrain, il était moins fort que le commandant. Ce dernier d’ailleurs, était son parfait contraire, c’était d’ailleurs sa façon de mettre sa vie en danger, ainsi que son extravagance, qui ralentissait de manière significative ses possibles promotions, il avait la puissance nécessaire pour être commodore, et était aussi intelligent qu’expérimenté, mais il passe la majeure partie de son temps à entraîner les hommes de terrains, les hommes comme moi.
- Relevez la tête mon garçon.
Peut-être était-ce l’émotion de mes hommes qui l’avait convaincu de me traiter avec le respect qui m’était dû ? J’avais sincèrement fait le maximum pour éviter les pertes, et tous ceux qui étaient présents là-bas le savaient, alors peut-être que le regard des marins avait souligné ce « petit » détail. Je n’en sais toujours pas plus à ce sujet, et pourtant ça date d’hier après-midi. Mon retour avait ameuté une petite troupe, tous effondrés d’avoir la confirmation de la mort de leur camarade.
C’était incroyable de voir à quel point la mort d’une seule personne peut chambouler la vie de tant d'autres. Des amis, des femmes, des frères, des cousins, des connaissances. Une centaine de personnes étaient présentes autour de notre petite embarcation, comme un jour de marché devant les jongles d’un bouffon ou bien les tours de magie d’un itinérant, mais pourtant, les sourires n’étaient pas là et les hurlements eux, étaient perçants.
Alors nous avons tous débarqué chacun notre tour, le visage fermé, la tête droite, et nous nous sommes mis au garde-à-vous, il devait être dix-huit heures je pense, le soleil était sur le point de se coucher, lui aussi fatigué de la mort d’innocent. Je m’étais remis, mais pas mes hommes, dont les larmes, encore chaudes, continuaient de couler sans gémissement ni sanglot. Nous étions aussi fiers que détruit, combien fallait-il payer pour sauver ? Combien d’entre nous tomberaient encore en voulant faire le bien ? Plus le temps passé et plus j’avais envie de limiter les pertes, plus j’avais envie de rendre ce monde propre.
En voyant les pleurs de deux petites filles, je me suis senti obligé, contre toute attente, d’ouvrir ma bouche et de leur dire ce que j’avais sur le cœur. Aucun ordre n’était venu en ce sens, mais l’idée de laisser ces gens pleurer en restant au garde-à-vous, car telle était la coutume, m’était insupportable, alors j’ai déclaré, non sans peine :
- Aujourd’hui, c’est avec peine que je viens me présenter à vous, fiers compagnons d’armes, familles et amis des défunts, mon nom est Ersten Gudric, et je suis effectivement en partie responsable de la mort de vos proches …
- Mon lieutenant !
- Monsieur Gudric, n’en rajoutez pas !
- MAIS, parce qu'il y a un mais, je ne m’excuserai pas d’avoir risqué ma vie pour les leurs, et, en leur mémoire, je ne m’excuserai pas d’avoir accompli mon devoir. Vous pouvez m’insulter, me trainer en justice ou bien me caillassé comme bon vous semble. Il y a de ça maintenant quatre jours, sur la plage, je me suis battu aux côtés de mes frères, et j’en suis fier. Il y a de ça maintenant quatre jours, huit hommes ont perdu la vie sur les plages, dans les rues ou bien sur les toits de Shell Town, en protégeant leurs valeurs et en protégeant leurs amis. Vos proches étaient et resteront des héros, et je me sens indigne d’avoir fait partie de ce combat, car en tant que responsable de cette unité depuis la mort de notre supérieur, j’aurais dû être à leurs côtés, dans la vie comme dans la mort.
Ils attendaient que je clôture ma déclaration, à peu près aussi stupéfait qu’intéressé.
- Je ne m’excuserai pas, mais je vous demande, à vous, de bien vouloir me pardonner, et de me laisser venger les vôtre, de me laisser nettoyer ces mers de la vermine qui y pullulent.
Je savais parfaitement que la réponse ne viendrait pas de suite, alors j’ai regardé le colonel et je lui ai demandé si nous pouvions disposer, il m’a répondu oui de la tête tout en précisant qu’il m’attendait dans son bureau, et que le plus tôt serait le mieux. Je savais ce qu’il allait me dire, alors j’ai regardé le soleil couchant en me persuadant que demain serait une autre journée, et que j’aurais surement d’autres choses auxquelles penser.