- OH, excusez-moi, je dérange ?
Ses dents étaient d’un blanc éclatant, sa bouche était d’un rose pâle naturel, pulpeuse sans trop l’être, son visage n’était ni rond ni triangulaire, il était, je ne sais pas, parfait. C’était surement une vision angélique, il n’y avait pas, sur mon île, une créature aussi incroyable, c’était impossible !
- Vous demandez si vous dérangez à l’homme qui souille vos draps de son sang ?
Je restais moi-même après tout, mais plutôt que de répondre d’un ton cinglant comme j’en avais l’habitude, je lui avais répondu d’une voix douce et avec une moue contrariée, sachant parfaitement que si cette question n’avait pas été d’elle, je n’aurais pas pu contrôler ma colère due à ma fatigue ainsi qu’à mon incapacité physique. Tout en elle réclamer respect et douceur, alors malgré mon caractère cinglant et ronchon, je me suis plié à ses requêtes les plus silencieuses.
- Vous êtes un original vous aha, c’est une question de politesse ! Cela fait maintenant deux jours que je viens vous apporter ce petit déjeuner dans l’espoir que vous vous réveilliez !
Dans l’espoir ? Non c’était trop là ! Tout en pensant à cela, un vaisseau sanguin éclata et mon nez se mit à pisser le sang. Bien entendu, la situation était parfaite pour camoufler mes pulsions, qui se faisaient malheureusement pressantes à mesure que la jeune fille approchait, mais je n’étais pas un de ses chacals, un de ces chiens de faible race, j’étais un jeune homme éduqué !
- Vous êtes magnifique, je me dois de vous le dire.
C’était sorti tout seul, d’un naturel qui ne m’était pas propre, mais qui s’imposer dans cette situation. Je ne pouvais tout simplement pas cacher mon attirance pour elle, et ce malgré mon self-control incroyable et ma capacité à rester impassible, le cerveau a ses secrets que la raison elle-même ignore.
- Et charmeur qui plus est ? Mangez donc au lieu de dire des âneries !
Elle riait, et son rire suivait le reste de sa personne, parfait. Cela me plaisait beaucoup, mais j’espérais au plus profond de moi qu’elle ne me trouvait pas trop lourd, je n’avais aucune expérience avec les femmes après tout, j’avais toujours vécu en reclus, ce qui expliquait sans problème mon ton cassant habituel, mais voilà qu’elle me laissait pantois, sans aucune notion de répartie ou de politesse, tout ce que je disais se révéler être aussi spontané qu’irréfléchi, un dérapage et tout pouvait se finir en un instant.
Le petit déjeuner était une salade de fruits doublé d’une tranche de lard posé sur un bout de pain recouvert au préalable de beurre. Je tentai tant bien que mal de me débrouiller seul, ne voulant pas paraître faible aux yeux de cette incroyable demoiselle, mais je ne pus tout simplement pas empoigner ni la fourchette, ni le couteau.
- Hum, excusez-moi, je ne peux pas …
- Manger seul ?
- Hum … oui …
- Laissez-moi vous aider !
- Merci …
Et pendant vingt minutes, elle se chargea de me nourrir, ce qui fut surement le moment le plus humiliant de ma vie, car d’un point de vue virilité, il n’y avait rien de plus ridicule que d’être incapable de manger seul. Et je pense que la jeune fille en avait parfaitement conscience, puisqu’elle essayer tant bien que mal de me regarder droit dans les yeux, essayant de me signifier qu’il n’y avait aucune honte à se faire nourrir dans l’état dans lequel j’étais, mais il était difficile pour moi de l’accepter, enfin non, plus précisément, il était impossible pour moi de l’accepter.
Le repas fini, un vent de soulagement traversa la pièce, me permettant enfin de reprendre une certaine contenance, malgré mon sale état, je me devais de paraître au minimum respectable. C’était, pour ainsi dire, le minimum que je puisse faire. C’est alors que la jeune fille prit la parole :
- Comment cela se fait-il que vous soyez dans un tel état ?
- Hmm, une mauvaise rencontre pour ainsi dire ...
Elle pointa du doigt les billets.
- Est-ce pour ceci ?
- C’est très compliqué, disons que pour faire simple, je ne suis pas vraiment quelqu’un de fréquentable...
- C’est-à-dire ?
Ses yeux brillaient de curiosité, il allait être difficile pour moi de ne pas lui répondre franchement, et de tout lui raconter.
- J’ai faits de mauvaises choses, mais quand j’ai vu que certaines personnes que je fréquentais faisaient des choses encore plus mauvaise que moi, j’ai décidé de m’enfuir en leur prenant ce qui leur appartenait.
En lui montrant les billets de la tête, j’ajoutai :
- Ces choses-là en font partie.
- Est-ce que vous êtes un bandit ?
Elle avait des réactions mi-adulte mi-gamine, ce n’était pas seulement mignon, c’était aussi très intrigant, et relativement relaxant, dans la mesure du fait que cela me rappeler les habitudes de maman quand elle voulait jouer la mère outrée.
- Je ne dirais pas cela, mais je ne suis pas un saint pour autant …
- Un peu comme tout le monde en bref …
- Un peu comme tout le monde, mais en plus méchant.
- Tout le monde souhaite se faire paraître pour plus méchant qu’ils ne sont.
- C’est vrai, mais je n’aime pas le théâtre
- Alors pourquoi vous me faites une scène ?
Elle était très intelligente, et relativement mature, peut-être autant que moi, sans pour autant avoir mon vécu, cela se voyait sur elle, elle avait vécu dans un cocon paisible et à peu près aussi respectable et respectueux que celui dans lequel j’avais grandi. Nous étions vraiment semblables.
- Parce qu'il est difficile d’avouer un kidnapping, ainsi que des vols et des meurtres, non ?
C’était une prise de risque nécessaire, je n’étais pas bon menteur malgré des mois d’entrainement à cet effet, j’étais encore un débutant et elle était suffisamment intelligente pour déceler un mensonge, alors j’avais le choix, me taire ou avouer. Et je ne pouvais tout simplement pas me taire face à elle.
- Êtes-vous le scalpel ?
« Oh merde, comment connaît-elle ce nom »
- J’imagine que je vais devoir vous tuer une fois soigné, ce nom ne devrait même pas exister.
- Avant que vous puissiez être rétabli, j’aurais le temps de vous tuer au moins dix fois, monsieur le scalpel.
- Comment connaissez-vous mon surnom ?
- Vous avez sauvé une bande d’esclaves et de servant qui ont traversé le village en pleurant et en criant « Merci au scalpel » à peu près quatre heures avant que l’on vous récupère, en sang et pas si loin du lieu du crime.
- Alors ce sont eux …
- Merci.
Qu’est-ce que cela signifiait ? Pourquoi me remerciait-elle ?
- Je ne comprends pas, je veux dire, pourquoi merci ?
- Vous avez sauvé mon petit frère là-bas, alors merci.
- J’imagine que je dois vous répondre pas de quoi ?
- Ce serait poli, mais vous n’avez pas l’air très au courant des règles de bienséance.
Elle se leva pour partir, ce qui me brisa le cœur, car je ne pouvais me permettre de finir notre conversation sur une note aussi mauvaise, il ne le fallait pas de toute manière. Je savais au fond de moi qu’il ne le fallait pas. Alors je lui ai tout dit.
- J’ai fait partie de ce clan des bois, j’ai même fait partie de leur élite. Cela fait maintenant un an que j’ai perdu toute ma famille, assassinée par mon frère, j’ai erré pendant cinq mois dans la nature, rendant des services à droite à gauche, cherchant tant bien que mal à survivre. Jusqu’à que je tombe sur Flamanero, qui m’as engagé de force, ce mec … cet enfoiré est plus fort que moi, alors je n’ai pas eu le choix, j’ai dû participer à leur entreprise. J’ai fait beaucoup de mauvaises choses, dont je ne suis pas fier. Et durant cette année qui vient de s’écouler, j’ai perdu toute notion d’humanité, mon humeur variant entre la haine, la psychopathie, la peur de moi-même et la tristesse de ce que j’ai perdu. J’ai envie de changer les choses, je ne veux plus avoir à pleurer ce que j’ai fait, je veux juste corriger le tir. Je veux …
Et elle m’embrassa, ne me laissant pas le temps de finir ma phrase, c’était assez étrange, elle avait parfaitement camouflé son attirance pour moi. Je ne savais pas vraiment comment faire alors j’ai juste suivi ses mouvements, me laissant emporter par mes propres pulsions la concernant. L’impuissance dont je faisais preuve était déconcertante, si elle avait pour idée de me tuer, je ne pourrais tout simplement rien faire …
- Je t’ai vu tout nu, au fait.
Et dans un sourire et un clin d’œil elle referma la porte derrière elle, me laissant pantois, qu’est-ce qu’il venait de se passer bordel de merde ?