Billy Bang pose ses bottes en ville.

C'est le contact du sol humide contre sa joue qui arracha Bill Bucker à son sommeil.  Enfin, pas que. Il constata que sa main reposait dans le reste à moitié digéré du repas qu'il avait vomit la veille.Il grogna de dégoût et remua sa jambe mécanique, cette dernière poussant un crissement aigu en frottant contre le plancher du navire. Le bout de sa botte heurta une bouteille vide et envoya cette dernière rouler paisiblement vers une pile d'autre bouteilles. Par le bouc de Dorian Gnapy, pourquoi Diable toutes ses journées commençaient-elles ainsi ?

C'est la tête au bord de l'explosion et la main engluée dans une mixture fort embarassante que Billy Bang se dirigea en titubant vers le pont principal. Si l'air marin lui fit un bien fou, la lumière solaire du petit matin lui avait tout bonnement vriller le crâne, à un point où il lui fallut quelques instants pour remarquer la présence d'un matelot à ses côtés, une assiette de bouillie sur les genoux, le regardant d'un air plutôt curieux. A la vue dudit repas et à l'écoute des bruits de mastication profondément indécent du marin, le futur révolutionnaire ne put s'empêcher de se précipter au bord du bastingage pour régurgiter le reste du contenu de son pauvre estomac.

Alors que la bile venait lui ronger les narines, il sentit un main burinée lui tapoter franchement le dos.

-Franchement mon gars, j'le savais qu'vous auriez pas dû boire vot' poids en binouze. Les paries comme ça finissent toujours en tragédie. C't'un miracle qu'vot foie vous lâche pas après tout ce temps à le massacrer.

-Voyez-vous mon cher capitaine Watson, répondit tant bien que mal Buker en s'essuyant la barbe d'un revers de la manche, j'aime à dire que mon foie est à l'image de ma détermination à user du mot « pain au chocolat » : Indestructible.

Le capitaine du rafiot roula des yeux et se contenta de pointer l'image des toitures de Luvneel qui se dessinaient déjà à l'horizon.

Bah j'espère qu'les insulaires vous fileront un sceau une fois amarré lo', parce que ca m'enquiquine la courbure des reins d'vous voir piller mon rhum à longueur d'journée. J'vous aurais fait payer plus le passage si j'avais su, lo'. Maintenant prenez tout vot' bazar et dépêchez vous d'dégager d'mon bâtiment.

Bill ne se fit pas prier ; Il sentait que son estomac ne supporterait pas plus longtemps le roulis constant des vagues qui menaçait son intégrité.

Lorsqu'il posa pied à terre au port de Nordland, Bucker ne put s'empêcher de prendre une grande inspiration. Il ferma un temps les yeux, et se remémora pour quelques instants les bons moments qu'il avait passé sur ce caillou. Il se rappelait des obus de Martine, des cuisses insolentes de Capucine et de l'indécent postérieur de Sarah, tant dit qu'il lu « tannait la couenne » à l'arrière de la pêcherie. Ah, quelle époque. Bill réajusta le col de son imperméable, se recoiffa, plaça son chapeau dans une position convenable et s'alluma un cigare. Ses premiers pas vers la Révolution étaient pour le moins encourageants.

Durant sa promenade, le futur révolutionnaire remarqua les séquelles des grands combats qui eurent lieu au sein du port. Les cicatrices de la lutte entre Sutero et Jared l'étau étaient encore visibles pour les habitués du coin, et il régnait en ces lieux une ambiance pour le moins assez absurde que Bill identifia, grâce aux commentaires des locaux, comme le dû des exactions d'un homme et d'une femme de grande stature, respectivement le chevalier de Nowel et La Sorcière de Luvneel.

C'est en repensant au bon vieux temps que l'ancien chasseur de primes se remémora son meilleur souvenir de l'île : l'inestimable fumerie de madame Tan. Par les bouclettes de Julien Timber-lake, combien il avait apprécier la qualité de ses cigares à l'époque. C'est peut être d'ailleurs du fait de cette boutique que l'ancien marine a développé un goût aussi prononcé. C'est le cœur alourdi par la mélancolie que le sniper se rendit gaiement vers le cœur historique de l'île, là où se trouvait, naturellement, ladite fumerie, en plein cœur de la place de la ville.

C'est à l'approche de la grande place que Bucker constata les dégâts plus que conséquents qu'avait reçu Luvneelgraad. Bien sûr, il avait entendu parlé de l'incident de 1626 entre les rebelles et la marine, qui s'était soldé par un innommable bazar, mais il ne s'était absolument pas attendu à ressentir cette sensation si particulière que l'on ne ressent qu'en visitant un ancien champ de bataille. Repenser à cette altercation lui remémora l'objectif premier de sa mission. Retrouver Bob Smith, son vieux camarade. Billy Bang fronça légèrement les sourcils. Cela faisait un moment qu'il n'avait pas revu la trogne de ce vieux lascar. Le reconnaîtrait-il lorsqu'il se présenterait à sa porte ? L'ancien marine prit la mesure du parie de sa présence à Luvneel. Tout son plan d'entrée dans la révolution reposait uniquement sur la personne de Bob. C'est lui qui le présenterait, à ses collègues, il était sa porte vers le monde de la rébellion, et par là, de la gloire à laquelle il prétendait. Bill recracha une bouffée de fumée avant de conclure que douter ne lui serait d'aucune utilité. Il avait fait le choix de quitter la chaleur de son foyer. Il avait définitivement abandonné l'idée d'une mort paisible dans un Ranch de Hat Island. Il ne pouvait plus reculer pour rentrer bredouille ; il obtiendrait la voie pavée de dangers que Smith lui avait promit, indépendamment du bon vouloir de ce dernier.

Enfin, le sniper arriva à la boutique de Mlle Tan. C'est le cœur battant d'excitation face aux futurs délices qui l'attendait que le señor pressa le pas. Son cœur balançait entre un Hawk et un Barbe-Blanche, avant de trancher en faveur des deux en même temps. Un sourire paisible se dessina sur le visage du futur révolutionnaire. Le bonheur était au bout du chemin. La satisfaction ultime d'un grand amateur du tabac sublimé dans son art le plus étendu.

Bill Bucker s'arrêta, haletant, devant la boutique de Mlle Tan. Son sourire se figea. Ses yeux s'équarquillèrent. Une goutte de sueur coula le long de sa gorge. Ses poings se serrèrent. Son front s'humidifia comme seule la culotte d'une gente demoiselle pas farouche peut s'humidifier. Pendant quelques instants, il se demanda s'il était en plein cauchemar, avant de réaliser que les palpitations des veines de sa tempe était un signe très significatif d'une rage fondée sur des faits. Il s'écroula à genoux et frappa le sol avec ses poings, avant de rugir de toute la puissance de sa voix :

-SSSSSSHHHHHHHHHIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIT !!

La fumerie de Mlle Tan était abandonnée, parée d'un écriteau « Fermé par le Gouvernement Mondial ». Bucker fulmina de rage. Comment avaient-ils pu priver ce monde d'un des lieux qui en constituait l'intérêt principal ?